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» demandoient, recevoir des baifers & des condoléances de ceux, qui leur » ont donné l'exclufion, & qui ont plus de joie de leur douleur. «<

Naturellement vindicatifs, ils jugent des autres par eux-mêmes, & croient qu'on ne leur pardonne jamais une premiere injure. Ainfi, un outrage qu'on a reçu d'eux eft un préfage de tous ceux qu'on recevra; parce que ne prévoyant jamais de réconciliation, ils regardent, celui qu'ils ont offenfé, comme un ennemi, qui les détruira bientôt, s'ils ne fe hâtent eux-mêmes de le détruire. Leur maxime eft qu'il eft dangereux d'ufer de clémence envers ceux que l'on a dépouillés, & qu'il ne faut jamais fe venger à demi. On les a vus fouvent étendre leur vengeance fur l'innocente postérité des prétendus coupables, qu'ils avoient fait périr au milieu des fupplices. Sobres par avarice à leur table, ils font incontinens dans les feftins d'ufage, auxquels on les convie. Ils ne fe vifitent point, le broglio eft le rendez-vous général où ils parlent de leurs affaires & de leurs plaifirs. Epoux dédaigneux, ils traitent leurs femmes comme des efclaves, & les courtifanes comme des reines.

Tels font les défauts dont Amelot de la Houffaye les accufe, mais ces défauts font un peu effacés par les belles qualités, qu'il admire en eux. » Les Vénitiens, dit-il, font graves & prudens, uniformes dans leurs ac» tions, du moins à l'extérieur; conftans dans leurs amitiés, d'autant plus » fermes dans leurs réfolutions, qu'ils font longs à les prendre, toujours > tranquilles au dehors, quelque grande que foit leur agitation au dedans, patiens dans les affaires difficiles & de longue haleine, doux & traitables, quand on fait les ménager en forte qu'avec un peu de complaifance, on peut fe les faire bons amis, fur-tout, fi l'on paroît avoir beaucoup d'admiration pour leur gouvernement, & les révérer, comme » des princes. Bien qu'ils vivent chez eux avec beaucoup d'économie, & » de frugalité, ils font au contraire fort fplendides dans les emplois du » dehors, & particuliérement dans les ambaffades, où ils n'épargnent rien » pour le fervice & la gloire de leur patrie, dont ils apportent avec eux » pour ainfi dire, le fafte & la majefté. Ils prennent avec une facilité merveilleufe le flyle & la méthode des cours, où ils font envoyés, & l'on » voit peu des gens qui aient de plus grandes difpofitions pour négocier, n'y ayant guere d'affaires fi épineufes, où ils ne trouvent de très-bons » expédiens. Ils paroiffoient des François à Paris, des Efpagnols à Madrid, » & des Allemands naturels à Vienne, comme s'ils étoient nés pour le lieu, où ils font leur actuelle réfidence, ou qu'ils euffent dépouillé les » manieres de leur pays pour revêtir celles des étrangers.... Quoiqu'ils foient » affez ambitieux, on les voit dépofer fans peine le commandement des » armées, & reprendre la vie privée auffi gaiement, que, s'ils ne fe fou» venoient pas d'avoir eu la toute-puiffance du fénat entre les mains, ou >> que du moins ils fuffent bien-aifes d'en être déchargés. Ainfi, l'on peut > dire de la république de Venife, ce que Théopompe difoit de celle de

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» Spartes, que la caufe de fa longue durée eft d'avoir des citoyens, qui » favent fi bien obéir. Ils font très-fecrets, non-feulement dans les affaires » d'Etat, mais généralement dans toutes les chofes qui leur font confiées; » jufques à ne révéler jamais ce qu'ils fe font dit les uns aux autres, bien qu'ils deviennent ennemis. Ils font gens d'ordre, de prévoyance & » de confeil,. &, fi on les compare avec le refte des Italiens, ils ne seront pas feulement recommandables par leurs propres vertus, mais en» core par les vices de leurs voisins.. ( M. D. S. )

Mariage du doge de Venife avec la mer.

Le jour de l'afcenfion on annonce la fête fur les dix heures du matin,

par une décharge générale de tous les canons de la ville & par le fon de toutes les cloches. Le fignal ainfi donné, le doge ou le vice-doge, fi le premier étoit malade, va à bord du bucentaure, & fuivi par plus de mille barques & autant de gondoles, & par un grand nombre de galeres décorées de fleurs & de plufieurs ornemens riches & précieux, & par les yachts des ambaffadeurs de prefque toutes les cours de l'Europe, il s'avance entre les ifles de faint Erafme & de Lido di Malamocco. Le patriarche qui, felon l'ancien ufage, ne mange ce jour-là que des châtaignes, & qui ne boit que de l'eau dans le couvent Oliventan, fitué dans l'ifle de fainte Helene, accompagné des plus diftingués du clergé, vient à bord du bucentaure, & préfente au doge un bouquet de fleurs artificielles, qu'il donne à fon retour aux perfonnes de fa connoiffance. Le doge eft falué à fon retour par le canon du fort de Lido, par celui du château de l'ifle de faint Erafme, & par toute la moufqueterie rangée fur les bords de Lido..

Ces ifles font fituées à deux milles ou environ de la ville. Il y a une petite montagne dans l'ifle de Lido, d'où l'on voit diftin&tement cette pompeufe proceffion, & le nombre infini de barques, de gondoles, de galeres & d'yachts, qui couvrent la furface de l'eau, ce qui présente un coup-d'œil charmant. On chante, pendant ce temps-là, à bord du bucentaure, des hymnes, au fon d'un nombre infini d'inftrumens de toute efpece, & on recite enfuite des prieres compofées pour cette cérémonie. Quand le doge a paffé le fort de Lido & celui de faint Erafme, il s'avance un peu plus loin vers les bords de Lido, & tourne la poupe du bu centaure vers la grande mer. Le patriarche verfe alors dans la mer l'eau qu'il a bénite, en récitant des prieres particulieres, & qui a, felon les Vénitiens, la puiffance de faire ceffer les tempêtes & les ouragans les plus furieux. Cette cérémonie finie, le doge jette dans la mer une bague d'or par un trou qu'on a fait près de fon trône, & prononce diftin&tement ces mots : Defponfamus te, mare, in fignum veri perpetuique dominii; c'est-à-dire, » Nous t'époufons, ô mer, pour marque de la puiffance

» réelle & éternelle que nous avons fur toi. «<

Telle eft la cérémonie du mariage du doge de Venife avec la mer. Les hiftoriens ne s'accordent pas fur l'origine d'une telle cérémonie. On croit communément qu'elle fut inftituée par le pape Alexandre III, en reconnoiffance des fervices que la république de Venife lui avoit rendus. En effet, les Vénitiens défirent & prirent prifonnier de guerre, fous le doge Sébastiano Ziani, Othon, fils de l'empereur Frédéric I.,

IMPOSITIONS

Dans les Etats de la république de Venife.

LE Es impofitions qui fe levent, & les droits qui fe perçoivent dans les Etats de la république de Venife, font de plufieurs fortes, & portent fur les terres, fur les fruits qu'elles produifent, fur les perfonnes & fur les marchandises: les uns fe perçoivent par des perfonnes qui font directement prépofées à cet effet par le gouvernement; les autres s'afferment, & quelques-uns font en régie. On va les retracer fucceffivement.

LES

Impofitions territoriales.

Es impofitions territoriales confiftent principalement dans une dixme générale, ou dans un droit de dix pour cent du revenu des terres labourables, qui font toutes décrites dans des regiftres ou cadaftres qui font dans les archives des gouverneurs des revenus.

Cette dixme, quant aux terres qui font affermées, fe leve fur le prix du bail; lorfque le propriétaire fait valoir par lui-même, la dixme fe perçoit par eftimation: on fait remife au propriétaire d'un cinquieme, au moyen de quoi il ne paye que huit pour cent du revenu.

Les maifons de campagne font exemptes de la dixme: celles des villes, ainfi que tous les bâtimens qui font loués, payent pour la dixme, un & demi pour cent du revenu; les propriétaires ne payent rien pour les maifons ou autres bâtimens qu'ils occupent.

Indépendamment de la dixme, les terres labourables font affujetties à une taxe qu'on nomme campadego, & dont le produit eft deftiné au curement & entretien des rivieres & canaux, aux réparations des grands chemins. Cette taxe eft répartie par proportion à l'objet des dépenfes & du montant de la dixme.

Chaque propriétaire eft tenu de fe préfenter dans les mois de mars ou avril, au magiftrat ou fiege des gouverneurs des revenus, avec un registre fur lequel on infcrit le montant de l'impofition dont il eft chargé pour la dixme & le campadego; il lui eft libre de payer en argent ou en grains, & on lui donne quittance fur fon registre,

Si le propriétaire laiffe écouler les délais prefcrits pour les payemens, il eft tenu de payer le double; & lorfqu'il n'eft pas noble, le gouvernement fait faifir fes grains, vins, beftiaux, meubles & effets que l'on remet au dépôt public établi dans chaque ville; s'il eft noble, il ne peut exercer les fonctions des charges ou emplois dont il eft revêtu, jufqu'à ce qu'il ait acquitté les impofitions qui font à fa charge.

La dixme a auffi lieu à raifon de vingt pour cent, fur les appointemens & penfions que paye la république.

Cet impôt eft levé dans les provinces par des perfonnes aifées qui font nommées à cet effet, & qui portent le montant de leurs recettes à des camerlinguis, ou tréforiers, qui font établis dans les capitales de chaque province, & qui font chargés de la recette & de la dépenfe à la charge de la république. Ces camerlinguis jouiffent de 20 féquins par mois pour appointemens, & d'une remife de 2 fous par ducat (a).

Les propriétaires de pâturages qui nourriffent des beftiaux & qui en font commerce, payent un & demi pour cent de la valeur des bœufs qu'ils defti nent à être vendus; ils ne peuvent vendre ces bœufs qu'aux fermiers des boucheries.

Ceux qui élevent des moutons, veaux, agneaux & cochons, payent pareillement à titre de dixme un droit proportionné à la valeur de ces beftiaux. Les blés des particuliers, deftinés pour la consommation de la ville de Venife & des autres villes, doivent être amenés chez les meuniers établis par le gouvernement; on paye à ces meuniers, outre le droit de mouture, 4 fous par fac d'un ftare & demi (b) dont ils rendent compte au gouvernement.

Le gouvernement a feul le droit d'introduire dans la ville de Venise, des grains qui font dépofés dans des magafins deftinés à cet effet. Ces grains font vendus aux boulangers; l'excédent de la quantité néceffaire pour la confommation, fe tranfporte par mer & par terre, & forme un objet de commerce qui eft affermé pour les deux tiers, & l'autre tiers eft régi au profit du gouvernement.

Lorfque des particuliers veulent introduire dans la ville de Venise des farines provenant d'autres moulins que ceux du gouvernement, ils font obligés de prendre des paffe-ports du magiftrat ou fiege établi pour l'adminiftration des blés, de faire vifer ces paffe-ports dans la chancellerie la plus voifine du lieu d'où fort la farine, & de payer pour l'entrée 6 li

(a) Le fequin de Venife revient à onze livres, monnoie de France; & le ducat courant de Venife, valant fix livres quatre fous, argent de Venife, ne vaut que trois livres deux fols, monnoie de France.

(b) Le ftare & demi de farine pefe deux cents livres.

vres, monnoie de Venife, (a) par chaque ftare & demi, ou par chaque 200 livres.

On accorde (moyennant un nantiffement que le propriétaire de la farine donne) un délai de fix mois pour payer le montant du droit; mais fi le droit n'eft pas acquitté dans ces fix mois, l'effet donné en nantiffement eft vendu fans formalités au profit du gouvernement.

Il en eft à peu près de même pour le vin; chaque tonneau qui contient environ un quart de Paris paye ro ducats d'argent. C'eft-à-dire environ 31 livres, monnoie de France. Il faut, pour faire entrer du vin dans Venife, prendre des officiers fur le vin, des paffe-ports, & donner au lieu de nantiffement, une caution & un certificateur de caution; on a pareillement fix mois pour payer le montant des droits, mais ces fix mois expirés, on eft obligé, outre le droit, de payer vingt pour cent de la valeur du vin.

On ne peut tefter dans les Etats de la république de Venife, que par

devant notaires.

Les notaires qui reçoivent des teftamens, font obligés de les dépofer à la chancellerie, où ils reftent, dans le plus grand fecret, jufqu'au décès du teftateur.

Les héritiers paternels & maternels en ligne directe, les maris & les femmes qui veulent fe faire des avantages, ne doivent que les frais de dépôt du teftament.

Les héritiers collatéraux, les héritiers inftitués, les femmes pour les avanrages qui leur font faits, foit par donation, foit par inftruction d'hérédité, ceux même qui fuccedent ab inteftat, payent cinq pour cent du montant des meubles, & immeubles, même pour le viager.

Ceux qui acquittent ces cinq pour cent dans les deux mois du jour du décès, obtiennent des remifes affez fortes; mais ils ne peuvent entrer en jouiffance que lorfque les droits ont été acquittés, & ceux qui négligent de payer dans les délais prefcrits, au lieu de cinq pour cent, font obligés de payer vingt-cinq pour cent.

Lorfque le propriétaire d'un bien-fonds veut le vendre, il eft tenu de faire annoncer cette vente, pendant trois dimanches confécutifs, dans le lieu de la fituation; les voifins ont la préférence pour l'acquifition. La vente confommée, le vendeur & l'acquéreur, font obigés de porter le contrat aux gouverneurs des revenus, & de payer chacun un droit qu'on nomme maffetraria, & qui confifte dans un & demi pour cent de la valeur de la chofe vendue; le même droit fe perçoit fur les vaiffeaux qui se vendent, & lorfque la vente n'a pas lieu, le droit eft reftitué.

(a) On a vu par l'évaluation du ducat que la livre de Venife ne vaut que dix sous, monnoie de France.

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