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précieux lui fera accepter. De même, lors du siege d'une place forte, on peut refufer d'en laiffer fortir les bouches inutiles, afin de la réduire plutôt par la famine; & plus la difette des vivres preffe, plus on a le droit d'empêcher cette fortie, quelque compaffion qu'infpirent les malheureux qui ne peuvent fortir, & qui périffent de faim; l'ennemi feul ne pouvant imputer qu'à lui-même & à l'opiniâtreté de fa réfiftance, le trifte fort de

ces victimes.

Des principes qu'on vient d'expofer, il réfulte que le vainqueur n'a aucun droit fur la vie de fes prifonniers, à moins qu'ils ne fe rendent coupables de quelque nouvel attentat, ou qu'ils n'aient commis précédemment un crime vraiment digne de mort; encore même fi, lorfqu'ils ont rendu les armes, on leur a promis la vie, quelque jufte fujet qu'on eut de les faire mourir, on eft étroitement obligé de leur tenir parole. Il eft cependant vrai que pour s'affurer d'eux, on a le droit de les enfermer, de les lier même, fi l'on craint qu'ils ne fe révoltent ou qu'ils ne s'enfuient; mais d'ailleurs, ils font hommes & malheureux; il y auroit de l'inhumanité, de l'injuftice à les traiter durement. A cet égard, les mœurs des nations européennes font fi douces, qu'il eft prefque chez toutes d'ufage de renvoyer chez eux, fur leur parole, les officiers, de la promeffe defquels on eft tout auffi fûr, que fi on les retenoit dans les fers.

On demande fi, quand la multitude des prifonniers eft telle qu'on ne peut les nourrir, ni les garder avec fureté, il eft permis de les faire périr? Cette queftion n'en eft plus plus une aujourd'hui, que l'on renvoie les prifonniers de guerre, en leur impofant la loi de ne point reprendre les armes jufqu'à un certain temps, ou jufqu'à la fin de la guerre. Mais, fi l'on fait la guerre contre une nation perfide, atroce, fans foi, telles que font dans l'Inde bien des nations voifines des établiffemens des peuples de l'Europe; renverra-t-on à ces nations des prifonniers qui ne feront que les fortifier, & les mettre peut-être en état d'exterminer les colonies européennes? Dans ce cas, il paroît que le parti le plus für de les faire périr, eft celui qu'il faut prendre. Toutefois, pour faire ainsi maffacrer de fang-froid, un grand nombre de prifonniers, il faut deux chofes; 1°. qu'on ne leur ait pas promis la vie; 2°. que le falut du vainqueur exige un tel facrifice.

Maintenant qu'il n'existe plus en Europe des traces de l'ancien esclavage, il eft inutile d'examiner s'il eft permis ou défendu de faire esclaves les prifonniers de guerre. On ne peut les retenir que pour deux raifons, ou pour qu'ils n'aillent point fe rejoindre à l'ennemi, ou pour obtenir de leur fouverain une jufte fatisfaction, comme le prix de leur liberté. Relativement au premier de ces deux motifs, on peut, fans contredit, retenir les prifonniers jufqu'à la fin de la guerre, &, quand on les relâche exiger d'eux une rançon, en dédommagement de leur entretien, des foins qu'ils ont donnés, &c.

C'est à l'Etat qu'est imposée l'obligation de délivrer, à fes dépens, fes

citoyens & fes foldats, faits prifonniers de guerre; & c'est communément ce qui eft ftipulé dans les traités de paix.

On a propofé une queftion bien affligeante; favoir, s'il eft permis d'affaffiner ou d'empoifonner un ennemi? Ce qu'il y a de plus affligeant encore que cette queftion, c'eft l'inhumaine décifion de plufieurs écrivains qui ont dit que, puifque la guerre donnoit le droit d'oter la vie à l'ennemi, il étoit fort indifférent que ce fût d'une maniere ou d'une autre, C'eft comme fi l'on difoit que, puifqu'il eft permis, dans la fociété civile, de fe faire rendre fon bien, il eft indifférent que ce foit par la voie de la juftice ou par celle de la violence; c'est raisonner d'une maniere abfurde. Il eft bon d'abord de ne pas confondre l'affaffinat avec les furprifes permifes dans la guerre. Car un foldat qui, fe gliffant, pendant la nuit, dans le camp des ennemis, pénétreroit jufqu'à la tente du général qu'il poignarderoit, ne feroit point un affaffin; mais il ne feroit qu'une action de valeur, conforme aux loix naturelles de la guerre, & très-louable, fur-tout dans une guerre jufte & néceffaire. Par affaffinat il faut entendre un meurtre commis par trahifon, foit que l'on emploie des traîtres, fujets de celui qu'on fait affaffiner, foit qu'on ait envoyé un émiffaire, qui fe foit introduit comme fuppliant, comme réfugié, comme transfuge, ou comme étranger, auprès de celui qu'il trompe par fes fauffes déclarations, par fes fauffes proteftations, & qu'il affaffine; c'eft un attentat affreux, une action infame, déteftable, & également déshonorante, & pour celui qui la commet, & pour celui qui la commande. Donner l'exemple d'un tel attentat, vouloir en introduire l'ufage, & chercher à l'autorifer, c'eft fe déclarer l'ennemi du genre-humain, & mériter l'exécration de fes contemporains & des races futures. Le poifon eft un moyen encore plus affreux, encore plus déteftable que l'affaffinat, par cela même que fi l'usage en étoit introduit, l'effet en feroit plus inévitable; & cet inique ufage, d'autant plus terrible, qu'il ne refteroit aux fouverains, ainsi qu'aux généraux d'armées, aucune fureté..

Quelques auteurs, & Wolf lui-même est tombé dans la même erreur, ont cru que, n'y ayant ni trahifon, ni voie fecrete dans l'ufage des armes empoisonnées, il pouvoit être excufé: mais ils fe fuffent bien gardés de décider ainfi, s'ils n'euffent point, dans cet inftant, oublié que cet ufage eft effentiellement profcrit par la loi naturelle, qui ne permet point d'étendre à l'infini, les maux de la guerre. Car enfin, fi une nation fe mettoit à empoisonner fes armes, il faudroit bien que pour combattre à forces égales, les autres nations empoifonnaffent les leurs; & dès-lors combien la guerre deviendroit-elle incomparablement plus cruelle & plus affreufe qu'elle ne l'eft? Tous les fouverains, tous les peuples civilifés font donc autorisés à réprimer & à punir les premiers qui oferoient enfreindre cette loi de la guerre & cette maxime inviolable qui défend d'empoifonner les armes. A combien plus forte raison, eft condamnable l'empoison

nement

nement des eaux, des fontaines & des puits, qui, en donnant la mort aux ennemis armés, fait également périr une foule de citoyens paifibles : il eft permis, fans doute, pour forcer l'ennemi à fe rendre, de détourner les fources ou de les rendre inutiles, mais jamais de les rendre funeftes. Maintenant que les nations européennes font la guerre avec la plus grande modération, la plus refpectable générosité, il eft prefque inutile de dire que, même les armes à la main, on ne doit pas oublier que nos ennemis font hommes comme nous, & que nous leur fommes unis par les liens de la fraternité qu'on peut très-bien défendre les droits de la patrie, fans bleffer les devoirs de l'humanité: que même, dans le feu d'un fiege, on peut envoyer quelquefois des rafraichiflemens au gouverneur de la place; quoiqu'au refte, ces devoirs, ou plutôt ces attentions ne foient obligatoires, qu'autant qu'elles ne peuvent point nuire à la caufe que l'on défend, & que c'est au général, fage & prudent à fe régler, à cet égard, fur les conjonctures. Jadis, tuer un roi ou un général ennemi, étoit une action louable & récompensée : aujourd'hui, c'eft une action dont nul foldat n'oferoit fe vanter, & l'échafaud feroit pour lui les dépouilles opimes. La perfonne des fouverains eft facrée, à la guerre, comme dans leurs palais, ils fe font mutuellement accordés cette fureté. Mais, comme l'obferve M. Vattel, ce n'eft point une loi de la guerre, d'épargner en toute rencontre la perfonne du roi ennemi; & on n'y eft obligé que quand on a la facilité de le faire prisonnier,

§. IX.

Du droit de la guerre à l'égard des chofes qui appartiennent à l'ennemi. LES

ES obfervations qu'on a faites jusqu'ici, prouvent fuffifamment le droit qu'un Etat, qui a pris les armes pour un jufte fujet, a de priver l'ennemi de fes biens, comme de tout ce qui peut augmenter fes forces, & le mettre en état de faire la guerre. Lorfque c'eft en vertu du droit de fureté qu'on eft autorifé à punir l'injuftice ou la violence; c'eft un titre pour dépouiller l'ennemi de quelque partie de fes biens: &, dans cette vue, il eft permis de lui enlever des chofes qui lui font précieufes, des droits, des villes, des provinces. Mais il faut diftinguer auffi quelles font véritablement les guerres qui donnent un tel droit de punir: car, une nation peut de très-bonne foi, foutenir une mauvaife caufe; & alors, elle mérite plus la compaffion que la vengeance d'un vainqueur généreux : à plus forte raison, n'eft-elle point puniffable, lorfqu'elle foutient une caufe douteufe, puifqu'alors elle doit être préfumée dans la bonne foi. Ce n'eft donc que lorsqu'un Etat fait une guerre manifeftement injufte dans fa caufe ou dans la maniere dont il la fait, qu'on acquiert ce droit de le punir; & cette punition doit être mefurée fur ce qu'exige la fureté du vainqueur & celle des nations. On peut légitimement s'emparer de fes Tome XXIX.

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villes & de fes provinces, pour le contraindre à accepter une paix équitable & folide. On lui prend plus qu'il ne doit, plus qu'on ne peut prétendre; mais dans le deffein, comme on y eft obligé par l'équité, de lui reftituer le furplus, après la ceffation de la guerre.

S'emparer d'une ville, d'une province, d'un pays, c'eft en faire la conquête; enlever des chofes mobiles, de l'argent, des marchandises, des meubles, &c. c'eft faire du butin: or, le butin, ainfi que les conquêtes, appartient au fouverain feul qui fait la guerre, ou aux fouverains, s'ils font plufieurs qui forment une fociété de guerre : &, ces chofes mobiles, enlevées aux ennemis, ne peuvent appartenir ni aux foldats qui les enlevent, ni aux troupes auxiliaires; attendu que les uns & les autres font payés par le fouverain, & que c'eft lui qui fournit aux frais de la guerre, Cependant, chez la plupart des nations, on abandonne aux troupes tout le butin qu'elles font dans les occafions où le général permet le pillage, comme la dépouille des ennemis reftés fur le champ de bataille, les effets d'un camp forcé, celui des particuliers d'une ville prife d'affaut, à l'exception toutefois de l'artillerie, des munitions de guerre, des magafins, des provifions de bouche & de fourrage qui fervent aux befoins de l'armée victorieuse.

A la coutume cruelle de dévafter la campagne & les lieux fans défenfé, on a fubftitué l'ufage plus modéré des contributions; c'eft-à-dire, le droit de faire contribuer le pays ennemi à l'entretien de l'armée qui pourroit le ravager; impofition au moyen de laquelle les biens fitués dans ces lieux, font garantis du pillage & le pays confervé. Un général, honnête & délintéreffé, doit proportionner les contributions qu'il ordonne, aux facultés de ceux auxquels il les impofe : il en eft qui, pour s'enrichir euxmêmes, ont porté ces contributions jufqu'aux excès les plus tortionnaires: il est vrai qu'ils fe font enrichis, mais ils fe font fait détefter des ennemis, & méprifer de leurs concitoyens.

fans

Par la même raifon que, pour punir & affoiblir un injufte ennemi, on eft autorisé à lui enlever fes biens, on l'eft auffi à détruire ce qu'on ne peut lui enlever; c'eft-à-dire, de faire le dégat dans un pays, d'y détruire les vivres, les moiffons, les fourrages, afin qu'il n'y puiffe fubfifter, mais on ne doit ufer de ces moyens, toujours durs & cruels, qu'avec modération, & lorfqu'il n'eft pas poffible d'en agir autrement, s'expofer foi-même. Car, arracher les vignes, couper les arbres fruitiers faucher les moiffons fans raison, & lorfqu'on n'a point à punir l'ennemi de quelqu'attentat contre le droit des gens, c'eft une barbarie affreufe. It faut néanmoins avouer que les circonftances font telles quelquefois, qu'on eft autorité à ravager entiérement un pays, à en faccager les villes, les villages, à y porter le feu & la flamme: mais, il n'y a que deux motifs qui puiffent légitimer de pareilles extrémités. 1°. La néceffité de châtier ane nation injufte & féroce, de réprimer fa brutalité, & de fe mettre foi

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même à l'abri de fes brigandages; 2°. lorsqu'on eft obligé d'en agir ainsi pour le faire, du pays qu'on ravage & qu'on rend inhabitable, une barriere contre un ennemi que l'on n'a point d'autre moyen d'arrêter à moins de ces raisons preffantes, ravager, dévafter le pays ennemi, c'est se rendre le fléau de l'humanité. La dévaftation du Palatinat fera une tâche ineffaçable du regne de Louis XIV. On fait quel cri univerfel s'éleva contre cette maniere de faire la guerre. Du refte, quelques raisons qu'on ait de ravager un pays, il eft des chofes qui doivent être épargnées, tels font les temples, les tombeaux, les bâtimens publics, les monumens, les ouvrages refpectables par leur beauté, par leur perfection : car, c'est être l'ennemi du genre-humain que de priver les hommes des modeles du goût, & des monumens érigés par les arts.

Il eft, dans le fein de la guerre, des terres, des maifons que l'on veut quelquefois égargner. Alors, on leur donne des fauvegardes, ou des foldats qui les protegent contre les partis, & qui fignifient à ceux qui fe préfentent, les ordres du général; ces foldats doivent être d'autant plus respectés par l'ennemi, qu'ils rempliffent une fonction de bienfaisance; de même que l'on refpe&te une escorte donnée à une garnifon ou à des prifonniers de guerre pour les reconduire chez eux. En général, quand il ne s'agit point de punir l'ennemi; tout le mal qu'on lui fait fans néceffité; toute hoftilité qui ne tend point à mettre fin à la guerre, eft une licence effentiellement condamnée par la loi naturelle, quoique cette licence foit néceffairement impunie & tolérée jufqu'à un certain point entre les nations; car, fans cette impunité, les moindres opérations dans la guerre, donneroient lieu à des accufations d'excès dans les hoftilités; & ces accufations multipliant à l'infini les plaintes, aigriffant les efprits, on finiroit par ne pofer les armes, que lorfque l'un des partis feroit entiérement détruit. Il a donc fallu s'en tenir à des regles générales. Ainfi, à l'égard des hoftilités contre la perfonne de l'ennemi, le droit des gens volontaire fe borne à profcrire les moyens illicites & odieux, tels que la trahison, l'affaffinat, le poifon, le maffacre des prifonniers, &c. De même, à l'égard du dégat, la deftruction volontaire des monumens publics, des temples, des tombeaux, des ftatues, des tableaux, &c. eft condamnée, comme inutile au but légitime de la guerre,

S. X.

De la foi entre ennemis, des fratagémes & rufes de guerre, des espions & de quelques autres pratiques.

CB

E n'eft point une erreur, c'eft une opinion plus cruelle encore que fauffe, que celle de penfer qu'une nation, réduite à prendre les armes, pour la néceffité de fa défenfe & du maintien de fes droits, foit dispensée

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