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Les conteftations qui s'élevent entre fouverains, ont communément pour objet ou des droits effentiels, ou des droits moins importans: dans le premier cas, fans contredit, les devoirs auxquels une nation eft obligée envers elle-même, doivent l'emporter fur fes devoirs envers les autres nations, même fur ceux envers la fociété humaine. Dans le cas, où il ne s'agit que de quelques intérêts non effentiels, de quelque léger facrifice à faire pour obliger un autre Etat, ou pour le plus grand bien de la fociété humaine; elle ne doit point balancer à faire ce généreux facrifice pour fon propre avantage même; attendu que fon bien particulier, comme celui de chaque fociété civile, eft lié intimement au bonheur général. Mais quand le droit qu'on cherche à ufurper fur elle, eft fi effentiel, que, fans lui, elle ne peut fe maintenir, ou du moins quand une femblable perte rifque de l'affoiblir alors rien ne doit contenir fon courage, c'est à lui feul à décider; toute voie de conciliation doit être rejetée; il s'agit de la gloire & du falut de l'Etat. Ce font des efforts généreux & des torrens de fang, qui peuvent feuls terminer la querelle; & quand même la fortune ne feroit point favorable à cette nation; la certitude de la juftice de sa caufe doit l'animer; un peuple fage & libre préfere fa deftruction entiere à la fervitude. Ce fut par cette maniere de penfer & d'agir que les Romains, inacceffibles à la crainte, ne fe découragerent point, lorfqu'ils virent Annibal campé devant les murs de Rome. Ce n'a été qu'en rejetant toute idée de compofition, que les valeureux Suiffes ont acquis & affermi leur liberté.

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Il n'eft pas défendu non plus de recourir à la voie des armes, même dans une caufe douteufe, contre un fouverain qui rejette impérieusement toute propofition d'accommodement. Il n'eft pas même toujours néceffaire que tous moyens de conciliation aient été rejettés; il fuffit quelquefois qu'on ait tout lieu de préfumer qu'ils ne feront point acceptés de bonne foi, qu'ils auront une mauvaise iffure, & qu'un plus long retardement expose la nation, qui eft alors fuffifamment autorisée à tenter d'obtenir par force, ce qu'on refuferoit à des moyens plus doux. Ce n'est pourtant qu'avec bien de la précaution que l'on doit fe conduire d'après cette maxime; & il eft bien peu de circonftances où une nation puiffe juftifier qu'elle a eu raifon de regarder des apparences de paix comme un artifice, tendant à l'amufer & à la furprendre. Il eft vrai, cette maniere de fe mettre à l'abri d'un danger dont on fe croit menacé, & de prévenir foi-même la puiffance à laquelle on fuppofe de mauvaises intentions, est, en quelque forte, reçue par le droit des gens volontaire; parce que, fuivant ce droit, on tient pour légitime tout ce qu'une nation juge propos de faire en vertu de fa liberté naturelle. Il eft même poffible que les princes, qui font dans l'ufage de prévenir les puiffances qu'ils foupçonnent, aient de juftes raifons pour en ufer ainfi. Toutefois il faut avouer que ce qui, au tribunal du droit des gens volontaire, eft toléré par nës

ceffité, peut être, fort injufte en foi, & que le fouverain qui s'arme au plus léger foupçon, peut fe rendre très-coupable en fa confcience, & très-injufte envers la nation qu'il attaque; &, quoiqu'il n'ait aucun compte à rendre à perfonne, il se rend inévitablement odieux & fufpect à toutes les fociétés politiques.

Dans les conteftations des fouverains, comme dans les procès entre particuliers, l'un demande & l'autre défend. Or, entre nations, comme entre particuliers, c'eft au demandeur à prouver fon droit, & à faire voir qu'il eft fondé à demander ce qu'il ne poffede pas; d'où il fuit que le poffeffeur eft autorisé à demeurer en poffeffion jufqu'à ce qu'on lui prouve qu'il poffede injuftement: jufqu'alors il a le droit, il eft même obligé, s'il le faut par les armes, de fe maintenir dans fa poffeffion, ou de la recouvrer de vive force, s'il en a été dépouillé. Dans le cas d'injure, la marche est à peu près la même, c'est-à-dire, que l'offenfé, avant que d'en venir aux voies de rigueur, doit tenter des moyens pacifiques d'obtenir la réparation de l'injure. Cette modération eft d'autant plus eftimable & d'autant plus utile, qu'elle prévient fouvent de grands malheurs, & plus, fouvent encore une vengeance que l'offenfé croit jufte & qui ne l'eft cependant point. Car il peut arriver que la nation qui a reçu l'injure ait été offensée, non par le fouverain auquel elle s'en prend, & qui a ignoré l'offense, mais par des fubalternes qui ont agi fans que leur prince y eut aucune part. Ce fut ainfi que le territoire de Savoie fut violé de nos jours par quelques François qui fe permirent d'aller s'y faifir d'un chef de contrebandiers; le roi de Sardaigne fe plaignit, & Louis XV ne crut point indigne, de la majesté de fa couronne, d'envoyer une ambaffade extraordinaire à Turin, pour donner fatisfaction au roi de Sardaigne de cette violence qui avoit été faite fans fon aveu, par quelques particuliers, qui en cela,. s'étoient rendus très-coupables.

Jadis, quand une nation ne pouvoit obtenir juftice d'une injure reçue elle ufoit, auffitôt qu'elle en trouvoit l'occafion, de la loi du talion; c'est-à-dire, qu'elle faifoit fouffrir aux citoyens de l'Etat offenfeur autant de mal précisément que quelques-uns de fes propres citoyens en avoient fouffert. On a reconnu dans la fuite l'injuftice extrême de cette loi, peu praticable entre particuliers, & beaucoup moins d'Etat à Etat. Car enfin ce n'eft pas précisément fur les perfonnes qui ont fait l'injure que la vengeance eft prife; & dès-lors, ce n'eft point ufer de talion. Un fouverain, barbare a fait couper le nez à l'ambaffadeur d'une nation civilifée; cette injure, quelqu'atroce qu'elle foit, donne-t-elle à cette nation le droit de faire couper auffi le nez à l'ambaffadeur de ce barbare?

Pour punir, il n'eft pas toujours néceffaire de porter le fer & la flamme chez le peuple offenfeur; il eft différentes manieres, moins rigoureuses de punir, & qui donnent tout autant de fatisfaction à l'offenfé, que lui en donneroit la plus éclatante vengeance. Telle eft celle de priver l'Etat of

fenfeur des droits dont il jouiffoit chez la nation offenfée, de lui retenir des chofes qui lui appartiennent jufqu'à ce qu'il ait réparé l'injure, &c.

Quoiqu'il n'y ait ni injure ni offenfe précisément dans certaines coutumes obfervées chez quelques peuples, elles peuvent donner lieu à une forte de punition: lors, par exemple, que les sujets d'un fouverain font traités défavorablement par les loix & les ufages d'une nation, il est autorifé à déclarer que les particuliers de cette nation feront traités dans fes Etats comme fes fujets font traités chez elle on donne à cette maniere d'agir le nom de rétorfion de droit : c'étoit une rétorsion juste & bien fondée que celle par laquelle le roi de Pologne, électeur de Saxe, faifoit valoir dans fes États, le droit d'aubaine, feulement contre les fujets des princes qui y affujettiffoient les Saxons.

Par les repréfailles ufitées de nation à nation, pour fe faire juftice foimême, quand on ne peut pas l'obtenir autrement, on faifit ou l'on retient ce qui appartient à l'Etat qui a refufé de donner fatisfaction; & l'on a droit de prendre jufques à concurrence de ce qui eft dû, avec les dommages & intérêts. La nation qui a usé de repréfailles, doit conferver les effets, faifis, tant qu'elle a lieu d'efpérer qu'elle obtiendra juftice: mais auffitôt qu'il ne lui refte plus d'efpérance à cet égard, les effets faifis font confifqués, & dès-lors, les repréfailles s'accompliffent. Voilà pourquoi dans l'état de guerre, les effets pris fur l'ennemi, font confifqués auffitôt que faifis. Au refte, pour que des repréfailles foient légitimes, il faut que la caufe de celui qui ufe de ce moyen rigoureux, foit évidemment juste ; & la dette qu'il répete bien claire & bien liquide.

On a eu occafion de dire, dans le §. 7. de ce livre, que les biens des citoyens font partie de la totalité des biens d'une nation; d'où il résulte qu'ils font affectés pour les dettes nationales, & que par conféquent ils font auffi faififfables, dans les repréfailles, que les biens propres de l'Etatou du fouverain. 11 eft vrai que par la même raifon, c'est au fouverain ou à l'Etat à dédommager ceux d'entre les fujets fur lefquels font tombées les repréfailles. Il eft bon d'observer, que comme les repréfailles forment une espece de rupture ouverte, & qu'il eft rare qu'elles n'entraînent point la guerre, c'est au fouverain feul qu'il appartient de les ordonner ; & il ne doit le faire, que lorsque c'est lui-même ou fes fujets qui ont été léfés. Car, accorder des repréfailles contre une nation, en faveur des étrangers, c'eft commettre une injuftice, faire gratuitement une injure, s'ériger en juge entre cette nation & ces étrangers; & ce droit n'appartient à perfonne. Auffi, l'Angleterre ayant accordé en 1662, des repréfailles contreles Provinces-Unies, en faveur des chevaliers de Malthe les Etats de Hollande fe plaignirent avec raifon de cette conduite, & furent trèsfondés à foutenir que, fuivant le droit des gens, les repréfailles ne pouvoient être accordées par une nation, pour une affaire à laquelle elle n'avoit aucun intérêt direct.

Lorfque

Lorfque ce font des particuliers qui, par leur fait, ont donné lieu à de juftes repréfailles, c'est à eux à réparer tous les dommages effuyés par ceux de leurs concitoyens, qui fouffrent la rigueur des repréfailles, & fi les biens des coupables ne fuffifent point, le fouverain doit réparer le furplus du dommage; puifque c'eft lui en très-grande partie, qui refufant juftice à la puiffance offenfee, a attiré les repréfailles fur fes fujets & ce n'eft feulement point en déniant ouvertement la juftice demandée & due, qu'on la refufe; mais auffi, en affectant des délais, qu'on ne peut juftifier, & qui équivalent à un refus, ou qui même fouvent font encore plus ruineux; ou bien, en prononçant un jugement partial, & manifeftement injufte : car alors, ce n'eft point un déni de juftice, mais une nouvelle injure, qui ne fait que donner de nouvelles raisons de plainte & de reffentiment à la nation offenfée.

Non-feulement les biens des particuliers font affectés pour les dettes de la nation; mais leurs perfonnes mêmes peuvent être arrêtées par repréfailles. A Athenes jadis, cette loi étoit fi rigoureufe, qu'elle permettoit aux parens d'un Athénien affaffiné en pays étrangers, de faifir jufqu'à trois perfonnes de ce même pays, & de les retenir en captivité, jufqu'à ce que le meurtrier eût été livré. Cet ufage eft moins févere en Europe, où l'on ne fe permet de fe faifir du fujet d'un Etat étranger que pour obliger le fouverain de cet Etat à relâcher quelqu'un qu'il détient injuftement, & qui appartient à la nation qui ufe de cette forte de représailles. Mais, en aucun cas, il n'eft permis d'ôter la vie, ni d'infliger aucune peine corporelle à des fujets ainfi arrêtés, & qui ne font nullement coupables du refus que fait leur fouverain, d'accorder la juftice qui lui eft demandée.

Dès-lors que les repréfailles font fondées fur une jufte caufe, il réfulte, que l'on peut repouffer de vive force, & tuer même ceux qui s'opposent aux repréfailles. Il en réfulte encore qu'un fouverain n'eft point autorisé à opposer la force, ou à faire la guerre contre celui qui, exerçant de justes repréfailles, ne fait qu'ufer de fon droit.

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LIVRE I I I.

De la guerre.

S. I.

De la guerre, de fes différentes especes, & du droit de faire la guerre.

POURSUI

OURSUIVRE fon droit par la force, voilà l'état de guerre elle eft publique, lorfqu'elle a lieu entre les nations ou les fouverains; elle eft privée, lorfqu'elle fe fait entre particuliers; celle-ci appartient au droit naturel, proprement dit : c'eft de l'autre que nous nous occuperons.

Il n'y a que la poiffance fouveraine qui ait le droit de faire la guerre; &, comme les divers droits qui forment cette puiffance, peuvent être féparés ou limités, fuivant la volonté de la nation, originairement propriétaire de la fouveraineté, c'eft dans la conftitution particuliere de chaque Etat, qu'on doit chercher quelle eft la puiffance autorifée à faire la guerre au nom de la nation.

La guerre eft défenfive, ou offenfive; dans la premiere, on prend les armes pour repouffer un ennemi qui attaque, & c'eft celui-ci qui faic une guerre offenfive. La défense de foi-même, eft toujours l'objet de la premiere; l'autre eft auffi variée dans fes divers objets, qu'une nation peut avoir de différentes affaires : & ces objets fourniffent ou des raisons légitimes, ou d'injuftes prétextes, revêtus d'une couleur de droit. Le défir de conquérir ne peut point fournir d'objet, même vraisemblable: ce n'eft qu'un brigandage.

S. I I.

De ce qui fert à faire la guerre; de la levée des troupes; de leurs commandans, ou des puiffances fubalternes dans la guerre.

L

ES troupes, les officiers, les foldats ne font que des inftrumens dans la main du fouverain, véritable auteur de la guerre. Les armes & toutes les chofes qui fervent à la guerre, font des inftrumens d'un ordre inférieur & par ces inftrumens de guerre, on entend tout ce qui fert à la faire; les armes de toute efpece, l'artillerie, la poudre à canon, le falpêtre, le foufre, les échelles, les gabions, les outils, les matériaux de conftruction pour des vaiffeaux de guerre, les ten es, les habits des foldats, les vivres même, quoiqu'ils appartiennent auffi à la paix, &c. en un mot, tout ce qui fert à faire la guerre, & aux diverfes opérations mi

litaires.

De cette premiere obfervation, il fuit qu'il n'appartient qu'au fouverain

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