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L

S. XIX.

De la patrie.

Il n'eft pas vrai, que la patrie ne foit, comme le penfent, & malheureusement comme le fentent bien des gens, qu'un mot vague & qui ne préfente aucun fens bien déterminé. La patrie, ainsi qu'on l'a définie précédemment (fe&t. II.) eft l'Etat dont on eft membre; &, par cette définition très-fimple on voit quelle eft la différence entre les citoyens & les habitans d'un Etat les premiers font ceux qui font nés dans le pays, de parens indigens, & qui, fuivant naturellement la condition de leurs peres, entrent dans tous leurs droits; en forte que la patrie des peres eft celle des enfans; car fi l'on eft né dans un pays d'un pere qui y étoit étranger, ce pays eft le lieu de la naiffance de l'enfant, mais il n'en eft pas la patrie.

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On entend par habitans fimplement, des étrangers auxquels on permet de s'établir une demeure dans le pays; &, puifque l'Etat les protege, ils y font foumis à fes loix, & tenus de le défendre, quoiqu'ils ne partici pent à aucun des droits des citoyens. Les habitans perpétuels font ceux à qui le droit d'habitation a été accordé à perpétuité; c'eft une forte de citoyens, mais inférieurs, & qui ne jouiffent pas de tous les avantages de la fociété à laquelle ils font liés & foumis; mais qui tranfmettent à leurs enfans les droits qui leur ont été accordés. Quand une nation ou le chef qui la représente, accorde à un étranger la qualité & les droits de citoyen, en l'agrégeant au corps de la fociété politique, il l'y naturalife, & cet acte s'appelle naturalisation. Il eft des gouvernemens où la nation seule a le droit de naturalifer, il en eft d'autres, où il faut le concours du prince & de l'Etat; il y en a quelques-uns enfin, où la fimple naiffance dans le pays, naturalife les enfans d'un étranger.

A l'égard des enfans, nés de citoyens, en pays étrangers; les loix ont décidé différemment fuivant la diverfité des gouvernemens & des légiflations: mais, à s'en tenir à la loi naturelle, les enfans, quelque foit le lieu de leur naiffance, fuivent la condition des peres. Mais, encore un coup, il faut, dans l'ufage, s'en tenir fur cet objet, aux difpofitions des loix civiles, qui ont réglé en quels cas on naît citoyen, & en quels autres, on est réputé étranger.

Le domicile eft l'habitation fixe dans un lieu, avec l'intention d'y demeurer toujours; intention que l'on fait connoître ou en la déclarant expreffément, ou tacitement, par des actes qui fuppofent le deffein formé où l'on eft de fe fixer dans le lieu qu'on habite : ce n'eft cependant point que, quelque intention qu'on ait eue de fe fixer dans un pays, on ne puiffe changer de fentiment dans la fuite, & tranfporter ailleurs fon domicile. S'arrêter, même long-temps, dans un lieu pour fes affaires, c'eft y avoir à la vérité une habitation, mais non pas y être domicilié. Il eft deux

fortes de domicile; le naturel ou d'origine; c'eft celui que la naiffance donne à quelqu'un, & où fon pere a le fien; on eft cenfé retenir celui-là, tant qu'on ne l'abandonne point pour en choisir un autre; & le domicile acquis, ou celui que l'on s'établit par fa propre volonté. Les vagabonds font ceux qui n'ont point de domicile; en forte qu'on peut dire, à parler rigoureufement, que les enfans de peres vagabonds n'ont point de patrie. Cependant fi un pere vagabond n'a point abfolument renoncé à fon domicile naturel ou d'origine, quelque long-temps qu'il y ait qu'il s'en eft éloigné, la patrie de ce vagabond eft véritablement celle de fes enfans, où qu'ils foient nés.

Tout homme naît libre, fans contredit, & quelqu'obligé que l'on foit d'aimer fa patrie & de lui être attaché, chacun eft cependant le maître, lorfqu'il eft parvenu à l'âge de raifon, d'examiner s'il lui convient ou ne lui convient pas de fe joindre à la fociété que fa naiffance lui deftine. Dans le cas où il trouve qu'il ne lui eff point avantageux d'y refter, il a la liberté de la quitter ; & tous fes devoirs alors confiftent à la dédommager de ce qu'elle peut avoir fait en fa faveur, & de lui conferver les fentimens d'amour & de reconnoiffance qu'il lui doit. Mais lorsque l'enfant d'un citoyen, devenant homme, agit comme citoyen, il en prend tacitement la qualité, s'engage expreffément envers la patrie, & fes obligations font fans doute plus fortes & plus étendues qu'elles n'étoient avant qu'il n'eût agi en citoyen. Cependant il refte libre encore de quitter la patrie, lorfqu'il lui eft plus avantageux de s'en éloigner que d'y refter mais il ne peut s'en féparer lorfque les conjonctures font telles qu'il ne fauroit l'abandonner fans lui porter un notable préjudice: il n'en a la liberté, qu'autant que par cette démarche il ne compromet, en aucune maniere, le bien de l'Etat. Au refte, un bon citoyen ne quitte jamais fa patrie, fans une extrême néceffité, & à moins d'y être déterminé par les plus fortes raifons. A l'égard de ceux qui s'en éloignent lorfqu'elle eft dans le péril, & qu'elle a befoin d'être défendue par tous les citoyens; ce font des lâches, des déferteurs infames, & que l'Etat qu'ils trahiffent, a le droit de punir févérement. En tout autre temps, c'eft-à-dire, pendant le calme de la paix, il eft permis fans doute de s'abfenter, foit pour fes affaires, foit pour voyager & s'inftruire, pourvu qu'on foit toujours prêt de rentrer dans fa patrie, auffitôt que fes befoins l'exigeront. Les loix politiques varient beaucoup à cet égard; il eft des pays où il eft permis aux citoyens de s'abfenter auffi fouvent, & pour auffi long-temps qu'ils le veulent, il en eft d'autres où cette permiffion doit être demandée toutes les fois qu'on veut s'absenter il en eft enfin, où elle n'eft jamais accordée. Dans les gouvernemens où le fouverain refufe abfolument aux citoyens la permiffion de voyager, même pour leur utilité, c'eft un abus de la puiffance fouveraine, qui tend vifiblement au defpotifme, & cherche à retenir le peuple dans l'efclavage. Quelque févere néanmoins que foit, à cet égard, un fou

verain, il eft des cas où un citoyen a le droit de renoncer à fa patrie & de l'abandonner lors, par exemple, qu'il n'y peut trouver fa fubfiftance, il lui eft, fans doute, permis de la chercher ailleurs. De même, quand le corps de la fociété ou le chef qui la repréfente, manque à fes obligations envers un citoyen, celui-ci eft très-libre de fe retirer; attendu que dans tout contrat, l'une des parties manquant à fes engagemens, l'autre eft pleinement dégagée de fes obligations: & c'eft par cette raifon, que la fociété a le droit de chaffer celui ou ceux de fes membres qui en violent les loix. Dans le cas où la nation en corps, ou bien le chef de la nation veut établir des loix contraires au pacte fondamental de la fociété, profcrire une religion qui jufqu'alors y avoit été publiquement établie, changer la forme du gouvernement, & le rendre populaire d'ariftocratique ou monarchique qu'il étoit, &c. Dans tous ces cas, les citoyens, attachés aux loix fondamentales, ne peuvent être contraints de fe foumettre aux nouveaux réglemens, & ils font libres de fe retirer, en emportant avec eux tous leurs biens & emmenant leurs familles. On donne à cette liberté de fe retirer ailleurs le nom de droit d'émigration, & ce droit peut être affuré par les loix fondamentales de l'Etat, qui indiquent en quelles circonftances il fera acquis; ainfi, les bourgeois de Neufchâtel & de Valengin en Suiffe, font libres de quitter le pays & d'emporter leurs biens, fans que l'Etat puiffe exiger d'eux aucune forte de dédommagement.

Le droit d'émigration peut dépendre entiérement de la volonté du souverain qui l'accorde, ou le refufe quand il veut, & à qui il veut ou bien, il peut être ftipulé dans un traité entre deux fouverains indépendans l'un de l'autre, & par lequel l'un des deux fouverains promet de laiffer à fes fujets la liberté de fe retirer en certains cas, par exemple, pour cause de religion, & d'aller s'établir dans les Etats de l'autre fouverain: il y a eu, entre les cantons Suiffes catholiques & réformés, plufieurs traités femblables. Un fouverain, lié par un tel pacte, & qui, dans la circonstance prévue, s'oppoferoit à ce droit d'émigration, feroit en même temps, injure aux citoyens qu'il voudroit retenir, & à la puiffance envers laquelle il s'eft engagé, & qui auroit contre lui un jufte fujet de guerre. On parlera plus bas des fupplians, & des égards qui leur font dûs.

On quitte encore fa patrie pour caufe d'exil, c'eft-à-dire, lorfqu'on en eft chaffé, ou contraint d'en fortir, mais fans note d'infamie; & c'eft en cela que l'exil differe du banniffement, qui eft toujours infamant. L'exil eft volontaire, lorfqu'on s'éloigne foi-même pour se souftraire à une peine ou à une difgrace; il eft involontaire, lorfqu'on reçoit ordre de s'en aller. Mais, de quelque maniere qu'on forte ou que l'on foit contraint de quitter fa patrie, on ne perd point en même temps fa qualité d'homme, ni par conféquent le droit d'aller habiter quelque part il eft vrai que ce droit n'eft qu'imparfait; parce que la terre étant divifée entre plufieurs nations, & chacune d'elles, ayant un droit parfait d'accorder ou de refuser

un domicile aux étrangers, l'exilé ou le banni ne peut librement s'établir dans le lieu qu'il aura choifi, fans en avoir demandé la permiffion du fouverain du lieu; & fi celui-ci la refuse, l'étranger eft obligé de fe foumettre, & d'aller chercher ailleurs un afile.

Toutefois, comme le droit que les nations ont de fe conduire ainfi qu'elles le jugent à propos à l'égard des étrangers, ne fauroit, fans injustice, détruire les loix & les devoirs de l'humanité, un Etat ne peut, fans en avoir de très-fortes raisons, refufer l'habitation, même perpétuelle, à un étranger, qui, chaffé de fa demeure, vient s'y réfugier. Mais fi les circonftances font telles que cet Etat ne croie point devoir accorder l'habitation, celui qui la demandoit, n'a aucun droit de l'exiger. Lors, par exemple, que les terres d'une nation ne fuffifent qu'à peine à la fubfif tance des citoyens, elle n'eft nullement obligée, elle fe feroit même du tort à elle-même, de recevoir une troupe d'exilés ou de fugitifs : elle eft encore plus fondée à leur interdire l'entrée du pays, s'ils font infectés de quelque maladie contagieufe; ou fi elle a de juftes raisons de craindre qu'efféminés, vicieux, fanatiques ou fcélérats, ils ne corrompent les mœurs, ne troublent la religion ou ne caufent des défordres : en un mot, une nation ne doit accueillir de tels émigrans, qu'avec beaucoup de prudence; mais il ne faut pas non plus que cette prudence foit trop ombrageuse; parce qu'alors elle dégénéreroit en injuftice, & c'eft être fouverainement injufte, que de perdre de vue, pour des raifons légeres & des craintes peu fondées, la charité & la commifération dues aux malheureux. Au refte de quelque crime qu'un exilé fe foit rendu coupable dans fa patrie, il n'appartient point à la nation, chez laquelle il fe réfugie, de le punir à raifon de ce délit; car, les Etats n'ont le droit de punir pour leur propre défense & leur fureté, que ceux par qui ils ont été léfés, & nullement ceux qui ont commis ailleurs un délit qui ne les offense point, ni qui ne bleffe point leur fureté.

S. X X.

Des biens publics, communs & particuliers. LORSQU'UNE nation s'empare d'un pays, il eft des chofes dont perfonne ne peut s'attribuer la propriété, & qui reftent dans l'état de communauté primitive, c'eft-à-dire, à tous, & à nul particulier exclufivement aux autres : les jurifconfultes romains entendoient par ces chofes, qu'ils appelloient communes, l'air, l'eau courante, la mer, les poiffons, les bêtes fauvages. Outre ces chofes, il en eft d'autres, qui ne font point partagées entre les individus de la nation, & qui demeurent dans la propriété de l'Etat en corps, c'eft ce que l'on appelle les biens publics, qui, réservés pour le befoin de la fociété politique à laquelle ils appartiennent, font divifés en différentes claffes de biens les uns forment le domaine de la

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couronne ou de la république; les autres font communs à tous les citoyens qui en ufent, chacun fuivant fes befoins ou comme il a été réglé par les loix, & ce font les biens communs enfin, les autres font affignés à quelque corps ou communauté, & prennent le nom de biens de communauté; en forte qu'ils font pour ce corps, ce que les biens publics font pour toute la nation.

De ces obfervations, il fuit que tout ce qui ne fe partage point entre les membres d'une nation lorfqu'elle s'empare d'un pays, demeure commun à tous, & devient bien public. Indépendamment de ces biens, la nation, de même que toute communauté, peut en acquérir d'autres , par la volonté de quiconque juge à propos de lui tranfporter, à quelque titre que ce foit, le domaine ou la propriété de ce qu'il poffede. Quand une nation, en fe donnant un chef, ne se réserve point expreffément les revenus des biens publics, ces revenus appartiennent à ce chef, auquel ils font cenfès avoir été cédés, avec pouvoir d'en difpofer librement. Quant aux biens communs, la nation peut, fans contredit, en céder les revenus au fouverain, en augmentation du domaine, ou même les lui donner en propriété; mais alors, il faut que ce tranfport foit fait par un acte exprés du propriétaire ou de la nation, dont le confentement tacite ne fuffit point. En un mot, le corps de l'Etat peut, en attribuant le domaine des biens communs au prince, s'en réserver l'usage, en tout ou en partie, lui affurer la propriété d'un fleuve, mais fe réserver le droit d'y naviguer, d'y pêcher, d'y abreuver les beftiaux, &c. Tous ces droits dépendent originairement de la volonté de la nation, & ne font pas une fuite naturelle de la fouveraineté, puifque celle-ci n'eft elle-même, plus ou moins étendue, plus ou moins limitée que fuivant que la nation l'a ftatué.

Comme ordinairement le revenu du domaine ou des biens publics ne fuffit point aux befoins de l'Etat, il y eft fuppléé par des impôts établis, de maniere que chaque citoyen contribue en proportion de fes facultés & des avantages qu'il retire de la fociété politique dont il eft membre. C'est auffi à la nation qu'appartient originairement le droit d'établir des impôts, à moins qu'elle ne l'ait expreffément cédé au fouverain : & c'eft ce que quelques-unes d'entr'elles n'ont point fait. En Angleterre, par exemple la nation, en établissant un domaine pour l'entretien du fouverain, & les dépenfes ordinaires de l'Etat, s'eft réfervé le droit d'impofer des taxes pour fournir aux befoins extraordinaires, par elle-même où fes représentans; en forte que le roi n'a d'autre foin à cet égard, que d'expofer au parlement les befoins publics, & ce corps repréfentatif de la nation délibere, & regle concurremment avec le roi, la quantité du fubfide néceffaire, & la maniere de le lever; elle a même le droit de faire rendre compte au fouverain de l'emploi qu'il a fait du fubfide accordé. Mais il n'en eft pas de même dans les gouvernemens où le prince jouit de l'empire plein & abfolu. Le droit de créer des impôts y appartient au fouverain, qui en fair

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