Imágenes de página
PDF
ePub

exifter nulle part. Il eft vrai qu'il peut arriver qu'une nation ait en fon fouverain une telle confiance, qu'elle lui abandonne le foin de fe défigner le fucceffeur qu'il voudra fe donner, ou même qu'elle lui donne le pouvoir de transférer fa couronne à un autre fouverain, s'il le juge à propos; comme les Ruffes confentirent que le czar Pierre I, qui avoit des enfans, nommât sa femme pour lui fuccéder; mais il ne faut pas conclure de femblables exemples, qu'il y a des Etats patrimoniaux, & tel que le prince peut en difpofer à fa fantaifie; car, toute fouveraineté eft inaliénable de fa nature, comme il est aifé de s'en convaincre, pour peu qu'on faffe attention à l'origine & au but de la fociété politique & de l'autorité fouveraine; autorité qui n'eft que confiée, comme un dépôt dont la propriété reste toujours au peuple, ou à ceux qui, fe réuniffant en corps de fociété, ne peuvent point être cenfés, lorfqu'ils ont donné au chef qu'ils ont choifi le pouvoir de tranfmettre la fouveraineté en d'autres mains, lui avoir accordé en même temps le droit de l'aliéner véritablement, ou d'affujettir l'Etat à un autre corps politique. On parle à ce fujet du droit que l'on prétend acquis par la conquête, fur une nation fubjuguée, & de la fouveraineté de laquelle on prétend que le conquérant pût difpofer en maître, comme de fon patrimoine. C'est encore une erreur. Tant que le vainqueur ne poffede point réellement la fouveraineté, l'Etat de guerre fubfifte, & toutes les difpofitions qu'il fait, ne font que des actes de violence, qui ne prouvent, ni ne fuppofent aucun droit. S'il met la nation entiérement fubjuguée, dans l'état civil, alors les droits fe mefurent fur les principes de cet Etat; & ces principes ne peuvent jamais être ceux d'après lefquels on a fi fauffement fuppofé l'exiftence des royaumes patrimoniaux. En effet, fi le même czar, qui, ayant des enfans, tranfmit la couronne à fa femme, eût voulu affujettir fon empire au grand-feigneur, ou au roi de Pologne, ou à quelqu'autre puiffance étrangere, penfe-t-on que les Ruffes l'euffent fouffert ? En un mot, il n'y a point en Europe de royaume patrimonial, & s'il y a quelques petites principautés qui ne foient pas inaliénables, c'eft qu'elles ne font point réellement des fouverainetés, & qu'elles relevent de quelqu'autre puiffance, avec plus ou moins de liberté.

Au refte, dans les Etats dont les fouverains ont le pouvoir de nommer leurs fucceffeurs, c'eft en eux un devoir, de ne fe choifir que des fucceffeurs dignes de la fouveraineté, & en état d'en exercer toutes les fonctions au plus grand avantage des fujets. Mais dans ces Etats mêmes, c'eft fi fort pour le plus grand bien des fujets que le prince doit ufer du droit qu'il a de choifir, que le confentement & la ratification, du moins tacite, du peuple, eft abfolument néceffaire, pour donner à ce choix fon plein & entier effet. Croit-on, par exemple, que fi un empereur de Ruffie fe donnoit, pour fucceffeur, un prince notoirement indigne de porter la couronne, cette nation confentit à fe foumettre aveuglément à une difpofition qui lui feroit auffi pernicieufe? Penfe-t-on de bonne foi, qu'elle fût

[ocr errors]

obligée de courir à fa ruine? Mais quand un peuple fe foumet au fouverain qui lui a été défigné, il ratifie tacitement le choix fait par le dernier prince, & ce n'eft que dès cet inftant, & en vertu de cette ratification, que le nouveau monarque commence à jouir de tous les droits de fon prédéceffeur.

C'EST

S. VI.

Principaux objets du gouvernement.

'EST le chef d'une nation ou fon fouverain, qui eft chargé de tous les foins, dont cette même nation, avant que de fe donner à lui, étoit chargée, foit pour fa confervation, foit relativement à fa perfection; & ces foins font en lui autant de devoirs. Ce font les principaux objets du gouvernement, & le plus important de ces objets, eft de pourvoir aux befoins du peuple, & de faire régner dans l'Etat une abondance heureuse de toutes les chofes néceffaires à la vie, même des commodités & des agrémens innocens & louables. Dans cette vue, il doit avoir attention qu'il y ait un nombre fuffifant d'ouvriers habiles dans chaque profeffion utile ou néceffaire; de retenir ces ouvriers dans l'Etat, de les empêcher d'en fortir, & pour cela, d'ufer s'il le faut, de contrainte, à l'égard de ceux qui y ayant de l'occupation, & faisant un gain honnête, aiment affez peu leur patrie, pour vouloir s'en éloigner. Toutefois, ce n'eft qu'avec bien de la modération qu'il eft permis d'employer la contrainte car, la liberté eft Pame des talens & de l'induftrie. Quant à ces émiffaires qui vont dans un pays, pour en débaucher les artiftes, le fouverain a le droit & doit même les punir rigoureusement. Au refte, bien-loin d'ufer de contrainte pour retenir les fujets utiles, le prince doit les empêcher de fortir, en les attachant par les liens des récompenfes, des honneurs, des diftinctions, des privileges; moyens heureux & toujours infaillibles.

S. VII.

De la culture des terres.

C'EST la culture des terres qui en multiplie les productions; & ce font elles qui forment la reffource la plus füre des gouvernemens; ce font ces productions qui forment le fond le plus folide des richeffes de l'Etat & du commerce national. Le fouverain a donc le plus fenfible intérêt à ne rien négliger pour procurer aux terres de fa domination la meilleure culture dont elles font fufceptibles. Or, pour que la culture produise autant qu'il eft poffible, on ne doit pas fouffrir que des communautés ou des particuliers acquierent plus de terres qu'ils ne peuvent en faire cultiver. On doit encore moins fouffrir ces communes, qui, ôtant à un propriétaire la libre

difpofition de fon fond, ne lui permettent point de le clore, & de lui donner la culture la plus avantageufe.

Il est encore très-intéreffant d'éviter tout ce qui peut ou rebuter le laboureur, ou le détourner de fon travail : mais c'eft là ce dont on paroît s'embarraffer fort peu dans ces gouvernemens mal adminiftrés, où l'on furcharge, l'on accable le laboureur de tailles, d'impôts, de corvées, où on l'excede, où on le traite plus durement qu'une bête de fomme; dans ces pays, les habitans des villes, les citoyens oififs, les grands plus oififs encore, regardent, d'un œil dédaigneux, les laboureurs, infiniment plus eftimables qu'eux, par la grande raifon qu'ils font plus utiles qu'eux.

C'eft, fans contredit, un excellent établiffement, que celui des greniers publics pour prévenir la difette; mais c'eft un très-grand mal, lorfqu'ils font adminiftrés avec un efprit mercantile, & dans des vues de profit. Ce n'est point alors travailler à l'avantage du public; c'eft exercer un monopole puniffable, & d'autant plus odieux, plus criminel, qu'il eft fait par le magiftrat, dont le devoir eft de veiller à l'entretien de l'abondance. Le but de ces fortes de magafins, eft de raffembler, dans des temps d'abondance, des grains qui tomberoient à trop vil prix, ou qui paffant en trop grande quantité chez l'étranger, cauferoient dans l'Etat une rareté de grains, telle qu'on feroit obligé de les faire revenir à un prix exceffif, ce qui feroit une perte réelle & très-considérable pour la nation. Mais ces établiffemens ne doivent point empêcher le commerce des blés; car, fi le pays en produit plus qu'il n'en faut pour la nourriture des habitans; les greniers publics approvifionnés, le refte s'écoulera au dehors, à un prix. plus jufte & plus foutenu, fans que l'on ait à craindre d'être obligé d'en faire revenir à un plus haut prix qu'il n'a été vendu.

ON

§. VIII.

Du Commerce.

N divife le commerce en intérieur & extérieur : le premier, qui s'exerce entre les divers habitans de l'Etat, eft d'une très-grande utilité : c'eft lui qui fait circuler l'argent, excite l'induftrie, fournit la fubfiftance à une foule de fujets, & contribue à l'augmentation de la puiffance & de la population du gouvernement : le commerce extérieur, outre ces avantages, en offre encore deux autres qui font très-précieux, le premier de procurer à la nation qui s'en occupe, les chofes que la nature & l'art ne produifent point dans le pays, & qu'elle tire de l'étranger le fecond, eft d'augmenter, quand il est bien dirigé, les richeffes nationales, & de devenir une fource très-abondante de tréfors; & c'eft ce qu'éprouverent autrefois les Carthaginois; ce que dans des temps moins reculés, Venife & Gênes ont éprouvé; ce qu'éprouvent encore l'Angleterre & la Hollande.

Au refte, les droits des nations dans le commerce qu'elles exercent entr'elles, font fondés fur les loix de la nature, & fur ce principe en vertu duquel les hommes font tenus de s'entr'aider autant qu'ils le peuvent, & de contribuer à la perfection & au bonheur les uns des autres en forte que depuis l'introduction de la propriété, c'eft un devoir impofé à tous les individus de l'efpece humaine de vendre les uns aux autres, à un prix raifonnable, les chofes dont le poffeffeur n'a pas befoin, & qui font néceffaires à d'autres. Ainfi, le droit naît de l'obligation; c'eft-à-dire, que par cela même, que nous devons tous nous entr'aider, chacun a le droit de fe procurer, à un jufte prix, les chofes dont il a befoin, de ceux qui n'en ont pas befoin eux-mêmes. On a dit que les nations devoient être confidérées comme vivant entr'elles dans l'état de nature; & comme telles, il eft évident qu'elles font foumifes aux loix naturelles; en forte que la loi des nations ou le droit des gens n'eft autre chofe que le droit naturel appliqué convenablement aux nations ou fociétés politiques. Il réfulte delà qu'un Etat a le droit de fe procurer, à un prix raifonnable, les chofes qui lui manquent, & de les acheter des autres Etats, chez lefquels elles abondent. Voilà la véritable bafe du commerce entre les nations, & le vrai fondement du droit d'acheter. Mais ce droit n'emporte point du tout celui de vendre & de forcer les autres d'acheter ce dont on veut fe défaire. Car, quoique la loi naturelle donne à chaque nation le droit de difpofer librement de ce qui lui appartient, elle ne lui donne point celui de vendre à ceux qui ne veulent point acheter, ou bien d'aller exposer fes denrées ou fes marchandises en vente chez un peuple qui ne veut ni les recevoir, ni prêter territoire pour une telle vente. Ainfi, chaque Etat eft libre de défendre l'entrée des marchandises étrangeres, & les nations que cette défense regarde, n'ont en cela, aucun jufte fujet de fe plaindre. Car, le droit d'acheter n'eft qu'imparfait; attendu que c'eft à chacun de juger s'il a besoin des chofes que d'autres veulent acheter de lui, & ce feroit lui faire injure & violer fa liberté naturelle, que de vouloir le forcer à vendre.

Les principes qu'on vient de pofer, prouvent fuffisamment que chaque nation eft libre d'exercer le commerce avec une autre, ou de ne pas l'exercer, & d'imposer aux peuples, à qui elle veut le permettre, telles conditions qu'elle juge à propos. Il eft vrai que la convention faite une fois, donne à la nation à laquelle un Etat a permis de venir commercer chez lui, un droit parfait à ce commerce; & ce droit qui s'acquiert par des pactes & des traités, appartient à cette efpece de droit des gens qu'on a défigné, dès les premieres pages de cette analyfe, fous le nom de droit des gens conventionnel. Il importe fi fort qu'un tel commerce foit fondé fur un traité, qu'une fimple permiffion ne donne qu'un droit très-imparfait, ou fort précaire d'acheter ou de vendre chez une nation étrangere, qui refte toujours libre d'interdire, quand il lui plaira, ce commerce qu'elle

a permis qu'on fit dans fon pays, de le reftreindre, l'affujettir à certaines regles, fans que le peuple qui l'exerçoit puiffe fe plaindre qu'on lui fait injuftice.

Toute nation qui ne s'eft point obligée, par un traité, soit à vendre à une autre, foit à acheter d'elle, conferve, à cet égard, une liberté fi entiere, que le plus long ufage ne peut l'affujettir à aucune forte d'obligation de maniere que fi depuis un ou fi l'on veut deux fiecles, elle comde merce chez une nation étrangere, elle peut ceffer d'y commercer, même que cette nation étrangere, peut le lui interdire car, fur cette matiere, la prescription ne fauroit avoir lieu. Depuis un temps immémorial les Anglois font dans l'ufage de tirer des vins du Portugal; mais rien ne les oblige de continuer ce commerce, & ils peuvent acheter des vins par-tout ailleurs depuis auffi long-temps ils vont vendre leurs draps en Portugal; mais cela ne fait pas qu'ils ne puiffent ceffer d'y en aller vendre; comme de leur côté, les Portugais ne font nullement obligés de vendre leurs vins aux Anglois, ni d'acheter les draps de ceux-ci. Cette liberté des deux nations deviendroit un droit parfait, fi le commerce qu'elles font l'une avec l'autre étoit réglé par un traité; car, dans ce dernier cas, le non-ufage n'éteint point l'obligation, ni le droit acquis par la convention; & quand même l'une des deux nations laifferoit écouler plufieurs années fans aller vendre, ni acheter chez l'autre, elle ne perdroit pas fon droit, & le traité n'en conferveroit pas moins toute fa force. Toutefois, fi l'un des deux peuples n'avoit accordé, par un traité, ce droit à un autre, que dans la vue de fe procurer des marchandifes dont il a befoin; celui qui a obtenu le droit de les lui vendre, négligeant de le faire, & une autre nation offrant de livrer à ce peuple des marchandifes de la même nature, fous la condition d'un privilege exclufif; il eft conftant que ce privilege peut être accordé, & que le traité fait avec la nation qui a négligé de remplir fes engagemens, devient nul, la condition tacite fous laquelle il eft cenfé avoir été fait, n'ayant point été remplie.

En général, tout monopole eft odieux fans doute; ce principe á cependant des exceptions: par exemple, il eft des entreprises de commerce qui ne peuvent être faites qu'en force, & qui demandent des fonds fi confidérables, que les particuliers font hors d'état de les faire. Il en eft d'autres qui exigent la plus grande prudence, & qui ne peuvent être dirigées que par la fageffe & la vigilance d'un gouvernement. Or, le commerce de cette efpece ne pouvant être indiftin&tement exercé par toutes fortes de perfonnes, il fe forme des compagnies, fous l'autorité de l'Etat, qui leur accorde un privilege exclufif; c'eft ainfi que fe font établis dans les Indes, les Hollandois, fur les ruines des Portugais; c'eft ainfi que fe font formées plufieurs autres compagnies nationales de commerce.

Il eft bon cependant d'obferver que toutes les fois qu'un commerce peut être librement exercé par tous les sujets' indiftin&tement, quand même il

« AnteriorContinuar »