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furplombant au-deffus d'un profond abîme, menacent de le couvrir de leurs ruines; couronnées de touffes épaiffes d'arbres courbés par la vétufté, elles jettent au loin leurs ombres prolongées, & répandent une fraîcheur inaltérable. Là, des torrens s'élancent du fein des nues, fe difperfent dans l'air, ou forment dans leur chûte des cafcades variées; le foleil les fait briller des feux du diamant ou des couleurs de l'arc-en-ciel; leurs ondes raffemblées dans les gouffres qu'elles ont creufés, s'en échappent avec une nouvelle force, & blanchiffent de leur écume les marbres épars qui s'oppofent à leur cours. Ces beautés terribles font contrastées par la vue riante des montagnes & des côteaux tapiffés de diverfes nuances de verdure; la furface tranquille d'un beau lac répete leur image, & réfléchit par un beau jour l'azur du ciel le plus pur; au milieu d'un fombre défert, un vallon occupé par une nombreuse colonie, préfente le tableau d'une retraite paifible & de l'union fi rare parmi les hommes des glaciers dont la base eft hériffée de pointes brillantes, les flancs éblouiffans de neige, & les fommets élevés au-deffus des nuées, terminent le lointain par leurs formes majestueuses.

Sans doute, les fortes impreffions données aux fibres encore tendres par tous ces grands objets, & fortifiées par l'habitude d'une vie uniforme & folitaire, font une des principales caufes de cet ennui qu'éprouvent les montagnards dans un féjour différent, & qui dégénere fi fouvent en langueur mortelle.

Nous avons déjà fait la remarque, qu'à mesure que les monts s'abaiffent, en s'éloignant du centre des Alpes, leurs bafes s'élargiffent comparativement à leur hauteur perpendiculaire. Ces montagnes baffes, dont la pente moins rapide offre un terrain propre à la culture, & les vallons qu'elles embraffent par divers contours, forment la région inférieure des Alpes. C'est la feule partie habitée. Les bergers ne féjournent avec leurs troupeaux dans les pâturages élevés que pendant quatre ou cinq mois de l'été; l'exploitation des bois ne peut fe faire, dans les joux fupérieurs, que pendant l'hiver, quand une neige abondante a comblé les finuofités du terrain & les profondeurs des rochers; alors les plantes font traînées au bord des précipices; & là, abandonnées à leur poids, elles gliffent avec la rapidité d'un trait dans des ravins revêtus de glace, fouvent d'une hauteur prodigieufe, jufqu'au fond des vallons. Toutes les productions de la région moyenne des Alpes, fe bornent à ces deux objets; d'ailleurs, la rigueur du climat & les circonftances locales, n'y permettent pas des habitations fixes.

Les montagnes baffes, qui environnent de tout côté, dans une grande étendue de pays, la bafe des hautes Alpes, & terminent, dans leurs diverfes directions, les vaftes racines de ce tronc immenfe, font formées ou par des rochers moins élevés & recouverts en partie d'une terre plus ou moins profonde, ou par des éboulemens arrivés pendant la longue révo

lution des fiecles, dans les grandes chaînes des Alpes. Il eft aifé d'appercevoir encore en beaucoup d'endroits, les breches qu'ont laiffées ces grandes chûtes de terres, & fouvent au fond des vallons, on a découvert à une grande profondeur, des reftes d'antiques forêts, couvertes par de pareils éboulemens. L'hiftoire moderne de la Suiffe nous fournit des dates de plufieurs accidens femblables, & en petit les exemples fe renouvellent tous les jours. Quelquefois des vallons en font en partie comblés, & les eaux, dont le cours eft arrêté, couvrent d'une marre profonde des lieux habités ou cultivés; ailleurs la terre écroulée s'étend au pied d'un mont en forme de glacis, jusques dans la vallée ou dans la plaine. C'eft ainfi qu'en 1584, dans le gouvernement d'Aigle, aujourd'hui du canton de Berne, une mon tagne entr'ouverte par un tremblement de terre, couvrit de fes ruines, les villages de Corbieres & Ivornes. En 1618 une portion du mont Conto, fitué dans le comté de Chiavenna, dépendant de la république des Grifons, après de longues pluies, fe précipita, au milieu de la nuit, fur le bourg de Pleurs, un des lieux les plus riches de la contrée, l'enfevelit avec fes habitans, au nombre d'environ deux milles cinq cents perfonnes, & ne laiffa fur la place qu'un lac entouré de débris des rochers. Un petit vallon dans le Vallais éprouva un accident femblable en 1714. Chaque année la chûte des rochers, minés par le temps, des inondations caufées par une fonte fubite des neiges ou par des orages, des explosions fouterraines ou des fecouffes de la terre, qui, même dans cette contrée élevée', ne font point rares, produifent quelque changement, ou dans la forme extérieure de quelque montagne, ou dans la difpofition locale des vallées.

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Quelle qu'ait été l'origine des montagnes & collines de cette partie de la Suiffe, leurs fommités font communément couvertes de forêts; ce qui donne à ce pays, au premier coup-d'œil, une apparence affez sauvage pour faire douter de fa population réelle. Les côtes les mieux expofées au foleil, préfentent, fouvent dans une affez grande élévation, des habitations entourées de clôtures & de quelques champs labourés : & ce n'eft pas un des moindres fujets de furprise pour des étrangers nés dans des pays ouverts, que de voir la charrue tracer des fillons, dans un fol dur, fur un penchant où les bêtes d'attelage ont peine à affurer leurs pas. Au pied de ces montagnes s'étendent, fur une pente plus douce, des prairies rafraîchies par des fources d'eau permanentes.

Des vallées fituées entre les diverfes chaînes des Alpes, quelques-unes s'étendent depuis le pied des glaciers même, jufques dans la plaine; ce font comme les grandes veines, par lesquelles fe déchargent les eaux des plus hautes Alpes. D'autres vallons, divifés en divers rameaux, amenent dans les premiers les torrens ou ruiffeaux, dont la réunion forme les grandes rivieres. Tous ces vallons, dans leurs finuofités, fuivent les contours des chaînes des rocs qui les refferrent. Communément les vallées s'élargiffent en s'abaiffant; cette regle cependant, n'eft ni générale, ni uni

forme. Il arrive affez fouvent, que des chaînes de montagnes oppofées, en fe rapprochant & s'éloignant alternativement, forment tantôt des gorges étroites, au travers defquelles à peine les torrens trouvent un paffage; tantôt des plaines agréables, couvertes d'habitations & de prairies. Cette fucceffion de tableaux variés, ce contrafte perpétuel de lieux fauvages & déferts avec des fonds peuplés & cultivés, rendent les voyages dans cette partie des Alpes finguliérement intéreffans. Ces vallons paroiffent d'autant plus riches, que la population d'un diftri&t de montagnes, fouvent trèsétendu, y eft concentrée par le befoin de fe rapprocher des fecours réciproques & par le peu d'étendue des terres fufceptibles de culture.

La température de l'air & les productions varient beaucoup d'une vallée à l'autre, fuivant les différens degrés de leur élévation, leur expofition diverse au fud ou au nord, &c. fuivant les variétés du fol, la largeur plus ou moins grande d'un vallon, & la hauteur ou la pente des montagnes qui l'entourent. Il fe trouve dans les Alpes quelques vallées habitées, mais fi froides & fi refferrées, qu'à peine un peu d'orge & quelques fruits d'arbres de mauvaife qualité, y parviennent à la maturité, & que pendant plufieurs femaines, avant & après le folftice d'hiver, les rayons du soleil n'y peuvent pénétrer. Il en eft d'autres, où les récoltes font auffi hâtives que dans la plaine, où le raifin, la figue, la pêche, les fruits les plus fins réuffiffent, où le grenadier en efpalier foutient les hivers. Des climats auffi oppofés fe trouvent fouvent à la diftance de quelques lieues l'un de l'autre. M. de Haller obferve, que fur la cime d'une montagne, on trouve des plantes qui croiffent en Laponie, & qu'au pied du même mont, il s'en offre qui font indigenes du cap de Bonne-Efpérance.

Toutes les eaux des montagnes s'écoulant inceffamment par des vallons, on peut regarder ceux-ci, dans leur état actuel, comme étant en grande partie l'ouvrage des torrens qui s'y jettent; les eaux les creufent par-tout où la pente eft rapide, elles les comblent dans les places où le courant eft rallenti. Très-fréquemment ces torrens, après s'être élevé un lit de graviers amoncelés, s'échappent dans le temps des grandes eaux, & couvrent de pierres les prairies. Les inondations fubites, irréfiftibles, font le plus grand fléau de ces pays montueux; fouvent un village entier en devient la victime, des maifons font enterrées ou détruites, & dans un jour, des terres, fertilisées par un labeur opiniâtre de plufieurs fiecles, font enfevelies fous une couche de pierres, de fables & de limon.

Dans les lieux où un terrain élevé, ou un banc de rochers s'oppofoir à l'écoulement des eaux, il s'eft formé des lacs; on en trouve jufqu'au pied des glaciers & entre les plus hautes cimes des alpes; leur étendue varie dans la même proportion que celle des vallons; les lacs les plus grands font fitués dans le voifinage des plaines ou d'un pays ouvert. Tous ces lacs à peu près, fe terminent à l'extrémité fupérieure, où les eaux y entrent, dans des marais formés par le dépôt des rivieres; de nouveaux dé

pôts

pôts les augmentent, & l'induftrie les fertilife fucceffivement. Les lacs les plus élevés font entiérement glacés pendant une partie de l'année, & même, tous les lacs de la Suiffe font plus ou moins fujets à être pris par la glace dans les hivers rigoureux.

Tel eft le tableau topographique de la plus grande partie de la Suiffe: une grande chaîne de rocs chargés de glaces, & abfolument ftériles, des joux couvertes de forêts, des montagnes plus baffes & des vallons plus ou moins cultivés, Cette partie comprend le pays des Vallaifans & des Grifons, avec les terres fujettes des Suiffes & des Grifons fur les confins du Milanez, une partie des cantons de Fribourg, Berne, Lucerne, les cantons d'Unterwald, Uri, Schweiz, Glaris, Appenzell, & les terres de l'abbaye de faint Gall.

Sur les confins de la Franche-Comté font fitués lès monts Jura, dont la Suiffe occupe une partie. Leur direction, à peu près parallele à celle des Alpes, va du fud-oueft au nord-eft, depuis le Rhône, qui les fépare des montagnes de la Savoie, jufqu'au bord du Rhin au deffus de Bâle. Cette chaîne fe termine vers le Sundgau, dans des collines qui vont toucher le pieds des Vôges. Les monts du Jura différent des Alpes par plufieurs circonftances. Dans celles-ci, les rochers font affez généralement d'une espece fpateufe ou vitrifiable; le grès & les cailloux s'y trouvent par-tout au pied des monts & dans les lits des torrens; le gyps & les marbres y font rares, ils ne fe trouvent guere que dans les Alpes de la Suiffe méridionale. En échange la base du Jura eft à peu près uniformément de pierres calcaires. Sur les fommets les plus élevés du Jura, tels que la Dole, le Suchet, le Chafferal, le Mondor, &c. on trouve des herbes vulnéraires & autres plantes alpines; mais ces fommets n'approchent au plus que de la hauteur moyenne des Alpes, & la neige y difparoît entiérement dès la fin du printemps. Les joux du Jura font moins couvertes de terre végétale que les montagnes baffes des Alpes dont le niveau eft le même; les pâturages y font moins abondans & la recrue des forêts plus lente. On trouve partout dans le Jura une grande variété, & dans quelques lieux the abondance finguliere de pétrifications, de coquillages marins. Ces documens d'une ancienne révolution violente, effuyée par notre globe, font infiniment plus rares dans les baffes-Alpes; on n'en trouve plus dans les Alpes fupérieures, qui paroiffent avoir une exiftence antérieure à ces grandes époques de la terre. D'ailleurs, on apperçoit dans l'examen de l'intérieur des monts Jura, dans l'interruption violente des chaînes de rochers, dans le dérangement de leurs couches, tantôt brifées, tantôt verticales, fouvent voûtécs, fuivant le contour des montagnes, mille preuves en détail d'un bouleversement général. Quoique dans les Alpes on obferve auffi-bien des traces d'un défordre accidentel, les effets n'en font ni auffi finguliers, ni fi manifeftes.

La bafe des Alpes étant généralement d'un roc folide, les eaux gliffent Tome XXIX.

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fur leur furface, les fources font fréquentes fur toute leur pente; aucun vallon qui ne foit arrofé d'un ruiffeau ou creufé par un torrent. Dans le Jura, au contraire, les lits des rocs étant brifés, les neiges fondues & les eaux de pluie, en bien des endroits, fe précipitent dans des crevaffes ou puits naturels, & s'engouffrent dans les cavernes & réservoirs intérieurs de la montagne. L'induftrie humaine a cherché à fuppléer à cet inconvénient, en plaçant les moulins au fond de ces entonnoirs, dans une affez grande profondeur fous terre, pour profiter de la chûte de l'eau; on trouve de ces rouages fouterrains dans les vallées fupérieures du pays de Neufchâtel. Néceffairement cette conftruction du fol rend les fources vives fort rares dans la partie fupérieure du Jura, & force les habitans à recourir aux citernes pour abreuver les beftiaux; reffource même très-précaire dans des temps d'une longue féchereffe. Les eaux, raffemblées au fein des rochers, prennent leur iffue dans les vallées inférieures & au pied des monts, où elles forment des fources très-abondantes; on en compte un grand nombre qui, à deux cents pas de leur origine, font aller les rouages de diverfes ufines. Le lac de Joux, dont l'étendue en longueur eft d'environ deux lieues communes, n'a d'autre écoulement que par de pareils entonnoirs, dont les plus confidérables ont été garnis de grilles de bois, pour prévenir les engorgemens. On attribue à ce lac, fitué dans une vallée élevée, les fources de l'Aubonne, de la Venoge & de l'Orbe, toutes abondantes dès leur origine.

Au refte, cette difpofition particuliere des couches des rocs, dans cette partie méridionale du Jura qu'occupent l'Etat de Berne & le comté de Neufchâtel, n'eft plus remarquée dans la partie feptentrionale, qui s'étend dans l'évêché de Bafle, & dans les deux cantons de Bafle & de Soleure. On y voit, au contraire, par une autre fingularité remarquable, des montagnes fendues depuis leur fommet, pour donner un paffage aux rivieres ou torrens. C'eft ainfi que la Birs, dans la prévôté de Motier-Grand-Val, traverse des rochers qui offrent à découvert la conftruction intérieure des montagnes; les couches des rocs forment dans cet endroit des voûtes, élevées l'une fur l'autre, en fuivant le contour extérieur de la montagne. Nous pafferions les bornes de cet article, fi nous entrions dans de plus grands détails fur les montagnes de la Suiffe. Il nous manque une defcription complette des objets intéreffans que ce diftrict de pays offre à ceux qui font une étude particuliere de l'hiftoire-naturelle.

Une troifieme portion de la Suiffe préfente un pays en général affez ouvert, de petites plaines, eutrecoupées par des lacs, des. côteaux, des montagnes d'une pente plus ou moins douce. Les confins de cette portion du pays font affez déterminés le long du pied du Jura; il eft plus difficile de les fixer dans le voisinage des Alpes, où ils dépendent de la hauteur ou direction des collines & montagnes baffes, & des finuofités de quelques grandes vallées, par lefquelles débouchent les principales rivieres.

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