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ARTICLE 1er.

A mon Esprit.

C'EST à vous, mon esprit, à qui je veux parler :
Vous avez des défauts que je ne puis céler ;
Assez et trop long-temps ma lâche complaisance
De vos jeux criminels a nourri l'insolence;
Mais, puisque vous poussez ma patience à bout,
Une fois en ma vie il faut vous dire tout.

On croiroit, à vous voir, dans vos libres caprices,
Discourir en Caton des vertus et des vices,
Décider du mérite et du prix des auteurs,
Et faire impunément la leçon aux docteurs;
Qu'étant seul à couvert des traits de la satire
Vous avez tout pouvoir de parler et d'écrire;
Mais moi, qui dans le fond sais bien ce que j'en crois,
Qui compte tous les jours vos défauts par mes doigts,
Je ris quand je vous vois, si foible et si stérile,
Prendre sur vous le soin de réformer la ville,
Dans vos discours chagrins plus aigre et plus mordant
Qu'une femme en furie, ou Gauthier (1) en plaidant.

Mais répondez un peu: quelle verve indiscrète
Sans l'aveu des neuf sœurs vous a rendu poëte?
Sentiez-vous, dites-moi, ces violens transports
Qui d'un esprit divin font mouvoir les ressorts?
Qui vous a pu souffler une si folle audace ?
Phébus a-t-il pour vous aplani le Parnasse?

(1) A la place de ce Gauthier, aujourd'hui très-inconnu, nous aurions pu citer quelques noms d'avocats malheureusement trop célèbres au barreau, et dont le déplorable talent a excité, dans ces derniers temps, plus d'indignation que de surprise.

Et

ne savez-vous pas que, sur ce mont sacré, Qui ne vole au sommet tombe au plus bas degré,

Et qu'à moins d'être au rang d'Horace ou de Voiturè; On rampe dans la fauge avec l'abbé de Pure?

Que si tous mes efforts ne peuvent réprimer Cet ascendant malia qui vous force à rimer,

Sans perdre en vains discours tout le fruit de vos veilles,
Osez chanter du roi les augustes merveilles:

Là, mettant à profit vos caprices divers,
Vous verriez tous les ans fructifier vos vers;
Et par l'espoir du gain votre muse animée
Vendroit au poids de l'or une once de fumée.
Mais en vain, direz-vous, je pense vous tenter
Par l'éclat d'un fardeau trop pésant à porter:
Tout chantre ne peut pas, sur le ton d'un Orphée ;
Entonner en grands vers la discorde étouffée;
Peindre Bellone en feu tonnant de toutes parts,
Et le Belge effrayé fuyant sur ses remparts.
Sur un ton si hardi, sans être téméraire,
Racan pourroit chanter au défaut d'un Homère;
Mais pour Cotin et moi, qui rimons au hasard,
Que l'amour de blâmer fit poëtes par art,
Quoiqu'un tas de grimauds vante notre éloquénce,
Le plus sûr est pour nous de garder le silence.
Un poëme insipide et sottement flatteur
Déshonore à la fois le héros et l'auteur:

Enfin de tels projets passent notre foiblesse.
Ainsi parle un esprit languissant de mollesse,
Qui, sous l'humble dehors d'un respect affecté,
Cache le noir venin de sa malignité.

Mais, dussiez-vous en l'air voir vos ailes fondues,
Ne valoit-il
pas mieux vous perdre dans les nues,

Que d'aller sans raison, d'un style peu chrétien,
Faire insulte en rimant à qui ne vous dit rien;
Et du bruit dangereux d'un livre téméraire,
A vos propres périls enrichir le libraire?

Vous vous flattez peut-être, en votre vanité,
D'aller comme un Horace à l'immortalité;
Et déjà vous croyez dans vos rimes obscures
Aux Saumaises futurs préparer des tortures.
Mais combien d'écrivains, d'abord si bien reçus,
Sont de ce fol espoir honteusement déçus!
Combien, pour quelques mois, ont vu fleurir leur livre,
Dont les vers en paquet se vendent à la livre!
Vous pourrez voir, un temps, vos écrits estimés,
Courir de main en main par la ville semés;
Puis de là, tout poudreux, ignorés sur la terre,
Suivre chez l'épicier Neuf-Germain et la Serre;
Ou, de trente feuillets réduits peut être à neuf,
Parer, demi-rongés, les rebords du Pont-neuf.
Le bel honneur pour vous en voyant vos ouvrages
Occuper les loisirs des laquais et des pages;

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Et souvent dans un coin renvoyés à l'écart

Servir de second tome aux airs du Savoyard! (1)
Mais je veux que le sort, par un heureux caprice,
Fasse de vos écrits prospérer la malice,

Et qu'enfin votre livre aille au gré de vos vœux,
Faire siffler Cotin chez nos derniers neveux :

Que vous sert-il qu'un jour l'avenir vous estime,

Si vos vers aujourd'hui vous tiennent lieu de crime,

(1) Chansonnier du Pont-Neuf.

Et ne produisent rien, pour fruit de leurs bons mots;
Que l'effroi du public et la haine des sots ?

Quel démon vous irrite, et vous porte à médire?
Un livre vous déplaît : qui vous force à le lire?
Laissez mourir un fat dans son obscurité :
Un auteur ne peut-il pourrir en sûreté?
Le Jonas inconnu sèche dans la poussière;
Le David imprimé n'a point vu la lumière :
Le Moïse commence à moisir par les bords.

Quel mal cela fait-il? Ceux qui sont morts sont morts:
Le tombeau contre vous ne peut-il les défendre?
Et qu'ont fait tant d'auteurs, pour remuer leur cendre?
Que vous ont fait Perrin, Bardin, Pradon, Hainaut.
Colletet, Pelletier, Titreville, Quinaut, (1)

Dont les noms en cent lieux, placés comme en leurs niches,
Vont de vos vers malins remplir les hémistiches?

Ce qu'ils font vous ennuie. O le plaisant détour!

Ils ont bien ennuyé le roi, toute la cour

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Sans que le moindre édit ait, pour punir leur crime,
Retranché les auteurs, ou supprimé la rime.
Ecrive qui voudra: chacun à ce métier
Peut perdre impunément de l'encre et du papier.
Un roman, sans blesser les lois ni la coutume,
Peut conduire un héros au dixième volume:
De là vient que Paris voit chez lui de tout temps
Les auteurs à grands flots déborder tous les ans,

(1) Quinaut ne devoit pas être compris dans cette triste nomenclature. 1 y avoit dans la première édition, Boursaut, mais l'auteur s'étant réconcilié avec celui-ci, mit à la place de son nom celui de Quinaut.

Et n'a point de portail où, jusques aux corniches,
Tous les piliers ne soient enveloppés d'affiches.
Vous seul, plus dégoûté, sans pouvoir et sans nom,
Viendrez régler les droits et l'état d'Apollon!

Mais vous, qui raffinez sur les écrits des autres, De quel œil pensez-vous qu'on regarde les vôtres ? Il n'est rien en ce temps à couvert de vos coups: t Mais savez-vous aussi comme on parle de vous?

Gardez-vous, dira l'un, de cet esprit critique : On ne sait bien souvent quelle mouche le pique; Mais c'est un jeune fou qui se croit tout permis, Et qui pour un bon mot va perdre vingt amis. Il ne pardonne pas aux vers de la Pucelle, Et croit régler le monde au gré de sa cervelle. Jamais dans le barreau trouva-t-il rien de bon? Peut-on si bien prêcher qu'il ne dorme au sermon? Mais lui, qui fait ici le régent du Parnasse, N'est qu'un gueux revêtu des dépouilles d'Horace, Avant lui Juvenal avoit dit en latin

Qu'on est assis à l'aise aux sermons de Cotin;

L'un et l'autre avant lui s'étoient plaints de la rime;

Et c'est aussi sur eux qu'il rejette son crime.

Il cherche à se couvrir de ces noms glorieux.
J'ai peu lu ces auteurs; mais tout n'iroit que mieux,
Quand de ces médisans l'engeance tout entière
1roit la tête en bas rimer dans la rivière.

Voilà comme on vous traite, et le monde effrayé
Vous regarde déjà comme un homme noyé.
En vain quelque rieur, prenant votre défense,
Veut faire au moins, de grâce, adoucir la sentence:

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