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Approchez, Etéocle; avancez, Polinice.

Hé quoi, loin d'approcher, vous reculez tous deux?
D'où vient ce fombre accueil & ces regards fâcheux?
N'eft-ce point que chacun, d'une ame irrésolue,
Pour faluer fon frère, attend qu'il le falue;
Et qu'affectant l'honneur de céder le dernier,
L'un ni l'autre ne veut s'embraffer le premier?
Etrange ambition qui n'aspire qu'au crime,
Où le plus furieux paffe pour magnanime!11
Le vainqueur doit rougir en ce combat honteux;
Et les premiers vaincus font les plus généreux.
Voyons donc qui des deux aura plus de courage,
Qui voudra le premier triompher de fa rage.
Quoi, vous n'en faites rien? C'est à vous 'd'avancer;
Et, venant de fi loin, vous devez commencer :
Commencez, Polinice, embraffez votre frère ;
Et montrez....

ETEOCLE.

Hé! Madame, à quoi bon ce mystère?

Tous ces embraffemens ne font guère à propos; Qu'il parle, qu'il s'explique, & nous laiffe en repos.

POLINI CE.

Quoi, faut-il davantage expliquer mes pensées?
On les peut découvrir par les chofes paffées ;
La guerre, les combats, tant de fang répandu,
Tout cela dit affez que le Trône m'est dû.

ETEOCLE.

Et ces mêmes combats, & cette même guerre,

Tome I.

C

Ce fang, qui tant de fois a fait rougir la terre,
Tout cela dit affez que le Trône est à moi;
Et, tant que je refpire, il ne peut être à toi.

POLINI CE.

Tu fais qu'injustement tu remplis cette place.

ETE OCL E.

L'injustice me plaît pourvû que je t'en chaffe.

POLINICE.

Si tu n'en veux fortir, tu pourras en tomber.

ETEOCLE.

Si je tombe, avec moi tu pourras fuccomber.

JOCAST E.

O Dieux, que je me vois cruellement déçûe!
N'avois-je tant preffé cette fatale vûe,

Que pour les défunir encor plus que jamais?
Ah! mes fils, eft-ce là comme on parle de paix ?
Quittez, au nom des Dieux, ces tragiques pensées,
Ne renouvellez point vos difcordes paffées :
Vous n'êtes pas ici dans un champ inhumain.
Eit-ce moi qui vous mets les armes à la main?
Confidérez ces lieux où vous prites naissance;
Leur afpećt fur vos cœurs n'a-t-il point de puiffance!
C'est ici que tous deux vous reçûtes le jour:
Tout ne vous parle ici que de paix & d'amour.
Ces Princes, votre four, tout condamne vos haines;
Enfin moi, qui, pour vous, pris toujours tant de peines,
Qui, pour vous réunir, immolerois... Hélas!
Ils détournent la tête, & ne m'écoutent pas!

Tous deux, pour s'attendrir, ils ont l'ame trop dure; Ils ne connoiffent plus la voix de la Nature.

(à Polinice.)

Et vous, que je croyois plus doux & plus foumis...

POLINICE.

Je ne veux rien de lui que ce qu'il m'a promis.
Il ne fauroit regner fans fe rendre parjure.

JOCAST E.

Une extrême juftice eft fouvent une injure.
Le Trône vous et dû, je n'en fauro's douter;
Mais vous le renversez en voulant y monter.
Ne vous laffez-vous point de cette affreuse guerre?
Voulez-vous fans pitié défoler cette terre,
Détruire cet Empire, afin de le gagner?
El-ce donc fur des morts que vous voulez regner?
Thèbes, avec raison, craint le regne d'un Prince,
Qui de fleuves de fang inonde sa Province;
Voudroit-elle obě.r à votre inju te loi?
Vous êtes fon Tyran avant qu'être fon Roi.
Dieux, fi devenant grand fouvent on devient pire,
Si la vertu fe perd quand on gagne l'Empire,
Lorfque vous regnerez, que ferez-vous, hélas!
Si vous êtes cruei quand vous ne regnez pas?

POLINICE.

Ah! fi je fuis cruel, on me force de l'être;
Et de mes actions ie ne fuis pas le maître.
J'ai honte des horreurs où je me vois contraint;
Et c'est injuftement que le Peuple me craint.

Mais il faut en effet foulager ma Patrie ;
De fes gémiffemens mon ame est attendrie.
Trop de fang innocent se verse tous les jours ;
Il faut de ses malheurs que j'arrête le cours;
Et, fans faire gémir ni Thèbes ni la Grèce,
A l'auteur de mes maux il faut que je m'adreffe;
Il fuffit aujourd'hui de son sang ou du mien.

JOCAST E.

Du fang de votre frere?

POLINICE.

Oui, Madame, du fien.
Il faut finir ainfi cette guerre inhumaine.
Oui, cruel, & c'eft-là le deffein qui m'amène,
Moi-même à ce combat j'ai voulu t'appeller;
A tout autre qu'à toi je craignois d'en parler.
Tout autre auroit voulu condamner ma pensée,
Et perfonne en ces lieux ne te l'eût annoncée.
Je te l'annonce donc. C'est à toi de prouver,
Si ce que tu ravis tu le fais conserver.
Montre-toi digne enfin d'une fi belle proie.

ETE OCL E.

J'accepte ton deffein, & l'accepte avec joie;
Créon fait là-deffus quel étoit mon defir.
J'euffe accepté le Trône avec moins de plaisir.
Je te crois maintenant digne du Diadême;
Je te le vais porter au bout de ce fer même.

JOCAST E.

Hâtez-vous donc, cruels, de me percer le fein;

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une;

Et commencez par moi votre horrible dessein;
Ne confidérez point que je fuis votre mère,
Confidérez en moi celle de votre frère.
Si de votre ennemi vous recherchez le fang,
Recherchez-en la fource en ce malheureux flanc:
Je fuis de tous les deux la commune ennemie,
Puifque votre ennemi reçut de moi la vie;
Cet ennemi, fans moi, ne verroit pas le jour.
S'il meurt, ne faut-il pas que je meure à mon tour?
N'en doutez point, fa mort me doit être commune;
Il faut en donner deux, ou n'en donner pas
Et fans être ni doux, ni cruel à demi,
Il faut me perdre, ou bien fauver votre ennemi.
Si la vertu vous plaît, fi l'honneur vous anime,
Barbares, rougiffez de commettre un tel crime;
Ou fi le crime enfin vous plaît tant à chacun,
Barbares, rougiffez de n'en commettre qu'un.
Aussi-bien, ce n'est point que l'amour vous retienne,
Si vous fauvez ma vie en poursuivant la fienne.
Vous vous garderiez bien, cruels, de m'épargner,
Si je vous empêchois un moment de regner.
Polinice, est-ce ainfi que l'on traite une mère ?

POLINICE.

J'épargne mon pays.

JOCAST E.

Et vous tuez un frère?
POLINICE.

Je punis un méchant,

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