Moi-même je faurai fi bien l'envenimer, Qu'ils périront tous deux plutôt que de s'aimer Les autres ennemis n'ont que de courtes haines; Mais, quand de la nature on a brifé les chaînes, Cher Attale, il n'eft rien qui puiffe réunir Ceux que des nœuds fi forts n'ont pas fù retenir. L'on hait avec excès lorfque l'on hait un frère. Mais leur éloignement ralentit leur colère. Quelque haine qu'on ait contre un fier ennemi, Quand il est loin de nous, on le perd à demi. Ne t'étonne donc plus fi je veux qu'ils fe voient; Je veux qu'en fe voyant leurs fureurs se déploient ; Que, rappellant leur haine au lieu de la chaffer, Ils s'étouffent, Attale, en voulant s'embraffer.
Vous n'avez plus, Seigneur,à craindre que vous-mêmez On porte fes remords avec le diadême.
Quand on eft fur le trône on a bien d'autres foins, Et les remords font ceux qui nous pèsent le moins. Du plaifir de regner une ame poffédée, De tout le temps paffé détourne fon idée; Et de tout autre objet un esprit éloigné, Croit n'avoir point vécu tant qu'il n'a point regné, Mais allons. Le remords n'eft pas ce qui me touche. Et je n'ai plus un cœur que le crime effarouche. Tous les premiers forfaits coûtent quelques efforts; Mais, Attale, on commet les seconds fans remords, Fin du troifieme Alte,
UI, Créon, c'est ici qu'il doit bientôt fe rendre Et tous deux en ce lieu nous le pouvons attendre. Nous verrons ce qu'il veut ; mais je répondrois bien Que, par cette entrevue, on n'avancera rien.
Je connois Polinice & fon humeur altière ; Je fais bien que fa haine eft encor toute entière; Je ne crois pas qu'on puiffe en arrêter le cours ; Et pour moi, je fens bien que je le hais toujours.
Mais s'il vous cède enfin la grandeur fouveraine, Vous devez, ce me femble, appaifer votre haine.
Je ne fais fi mon cœur s'appaifera jamais; Ce n'est pas fon orgueil, c'est lui feul que je hais. Nous avons l'un & l'autre une haine obstinée ; Elle n'eft pas, Créon, l'ouvrage d'une année; Elle est née avec nous ; & fa noire fureur, Auffi-tôt que la vie, entra dans notre cœur.
Nous étions ennemis dès la plus tendre enfance;
Que dis-je ? Nous l'étions avant notre naiffance: Trifle & fatal effet d'un fang incestueux.
Pendant qu'un même fein nous renfermoit tous deux Dans les flancs de ma mère, une guerre intestine De nos divifions lui marqua l'origine.
Elles ont, tu le fais, paru dans le berceau, Et nous suivront peut-être encor dans le tombeau. On diroit que le Ciel, par un arrêt funefte Voulut de nos parens punir ainfi l'inceste ;
Et que dans notre fang il voulut mettre au jour Tout ce qu'ont de plus noir & la haine & l'amour ; Et maintenant, Créon, que j'attens fa venue Ne croi pas que pour lui ma haine diminue. Plus il approche, & plus il me femble odieux; Et fans doute il faudra qu'elle éclate à fes yeux. J'aurois même regret qu'il me quittât l'Empire. Il faut, il faut qu'il fuie, & non qu'il fe retire. Je ne veux point, Créon, le haïr à moitié; Et je crains fon courroux moins que fon amitié. Je veux, pour donner cours à mon ardente haine, Que fa fureur au moins autorife la mienne; Et puisqu'enfin mon cœur ne fauroit fe trahir, Je veux qu'il me détefte afin de le hair. Tu verras que fa rage est encore la même, Et que toujours fon cœur afpire au diadême ; Qu'il m'abhorre toujours, & veut toujours regner; Et qu'on peut bien le vaincre, & non pas le gagner.
Domptez-le donc, Seigneur, s'il demeure inflexible. Quelque fier qu'il puiffe être, il n'eft pas invincible; Et puifque la raifon ne peut rien fur fon cœur, Eprouvez ce que peut un bras toujours vainqueur. Oui, quoique dans la paix je trouvaffe des charmes Je ferai le premier à reprendre les armes ; Et fi je demandois qu'on en rompît le cours, Je demande encor plus que vous regniez toujours. Que la guerre s'enflamme & jamais ne finiffe, S'il faut, avec la paix, recevoir Polinice. Qu'on ne nous vienne plus vanter un bien fi doux; La guerre & fes horreurs nous plaisent avec vous. Tout le Peuple Thébain vous parle par ma bouche; Ne le foumettez pas à ce Prince farouche; Si la paix fe peut faire, il la veut comme moi. Sur-tout, fi vous l'aimez, confervez-lui fon Roi. Cependant écoutez le Prince votre frère ;
Et, s'il fe peut, Seigneur, cachez votre colère; Feignez... Mais quelqu'un vient.
ETEOCLE.
SONT-ILS bien près d'ici?
ATTALE.
Oui, Seigneur, les voici,
Ils ont trouvé d'abord la Princeffe & la Reine, Et bientôt ils feront dans la chambre prochaine.
Qu'ils entrent. Cette approche excite mon courrouxà Qu'on hait un ennemi quand il eft près de nous! CREON (à part.)
Ah, le voici! Fortune, achève mon ouvrage ; Et livre-les tous deux aux transports de leur
JOCASTE, ETEOCLE, POLINICE, ANTIGONE, HEMON, CREON.
JO CASTE à Etéocle.
ME voici donc tantôt au comble de mes vœux
Puifque déja le Ciel vous rassemble tous deux. Vous revoyez un frère après deux ans d'absence, Dans ce même Palais où vous prîtes naissance; Et moi, par un bonheur où je n'ofois penfer, L'un & l'autre à la fois je vous puis embraffer. Commencez donc, mon fils, cette union fi chère ; Et que chacun de vous reconnoiffe fon frère. Tous deux dans votre frère envisagez vos traits:
Mais, pour mieux en juger, voyez-les de plus près. Sur-tout que le fang parle, & faffe son office.
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