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L'heureux Britannicus verra-t-il fans allarmes
Croître, loin de nos yeux, fon amour & vos charmes?
Pourquoi de cette gloire exclus jufqu'à ce jour,
M'avez-vous, fans pitié, relégué dans ma Cour.
On dit plus. Vous souffrez, fans en être offenlée,
Qu'il vous ofe, Madame, expliquer fa pensée;
Car je ne croirai point que, fans me confulter,
La févère Junie ait voulu le flatter;

Ni qu'elle ait confenti d'aimer & d'être aimée,
Sans que j'en fois inftruit que par la renommée.

JUNIE.

Je ne vous nierai point, Seigneur, que des fcupirs
M'ont daigné quelquefois expliquer fes désirs.
Il n'a point détourné ses regards d'une fille,
Seul refte du débris d'une illuftre famille.
Peut-être il se fouvient qu'en un temps plus heureux,
Son père me nomma pour l'objet de ses vœux.

Il m'aime, il obéit à l'Empereur fon père,

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Ma mère a fes deffeins, Madame, & j'ai les miens,
Ne parlons plus ici de Claude & d'Agrippine.
Ce n'eft point par leur choix que je me détermine.
C'est à moi feul, Madame, à répondre de vous;
Et je veux, de ma main, vous choisir un époux.

JUNIE.

Ah, Seigneur, fongez-vous que toute autre alliance

F

Fera honte aux Céfars auteurs de ma naiffance?

NERON.

Non, Madame, l'époux dont je vous entretiens,
Peut, fans honte, affembler vos ayeux & les fiens;
Vous pouvez, fans rougir, confentir à fa flamme.

JUNIE.

Et quel est donc, Seigneur, cet époux?

NERON.

Moi, Madame.

Vous?

JUNIE.

NERON.

Je vous nommerois, Madame, un autre nom
Si j'en favois quelqu'autre au-deffus de Néron.
Oui, pour vous faire un choix où vous puiffiez foufcrire,
J'ai parcouru des yeux la Cour, Rome, & l'Empire.
Plus j'ai cherché, Madame, & plus je cherche encor
En quelles mains je dois confier ce tréfor;

Plus je vois que Céfar, digne feul de vous plaire,
En doit être lui feul l'heureux dépofitaire;
Et ne peut dignement vous confier qu'aux mains
A qui Rome a commis l'Empire des humains.
Vous-même, confultez vos premières années.
Claudius à fon fils les avoit deftinées,

Mais c'étoit en un temps, où de l'Empire entier
Il croyoit, quelque jour, le nommer l'héritier.
Les Dieux ont prononcé, Loin de leur contredire
C'est à vous de passer du côté de l'Empire.

En vain de ce présent ils m'auroient honoré,
Si votre cœur devoit en être féparé;

Si tant de foins ne font adoucis par vos charmes;
Si, tandis que je donne aux veilles, aux allarmes,
Des jours toujours à plaindre, & toujours enviés,
Je ne vais quelquefois respirer à vos pieds.
Qu'Octavie à vos yeux ne faffe point d'ombrage;
Rome, auffi-bien que moi, vous donne fon fuffrage,
Répudie Octavie, & me fait dénouer

Un hymen, que le Ciel ne veut point avouer.
Songez-y donc, Madame, & péfez en vous-même
Ce choix digne des foins d'un Prince qui vous aime;
Digne de vos beaux yeux trop long-temps captivés,
Digne de l'Univers à qui vous vous devez.

JUNIE.

Seigneur, avec raison je demeure étonnée.
Je me vois, dans le cours d'une même journée,
Comme une criminelle amenée en ces lieux;
Et lorfqu'avec frayeur je parois à vos yeux,
Que fur mon innocence à peine je me fie,
Vous m'offrez, tout d'un coup, la place d'Octavie.
J'ofe dire pourtant que je n'ai mérité

Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité.
Et pouvez-vous, Seigneur, fouhaiter qu'une fille,
Qui vit, prefque en naiffant, éteindre sa famille
Qui, dans l'obscurité nourriffant fa douleur

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S'eft fait une vertu conforme à fon malheur;
Paffe fubitement, de cette nuit profonde,

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Dans un rang qui l'expofe aux yeux de tout le monde ; Dont je n'ai pu de loin foutenir la clarté,

Et dont une autre, enfin, remplit la majesté.
73 NÉRON.

Je vous ai déja dit que je la répudie:
Ayez moins de frayeur, ou moins de modeftie.
N'accufez point ici mon choix d'aveuglement ;
Je vous réponds de vous, confentez seulement.
Du fang dont vous fortez rappellez la mémoire,
Et ne préférez point, à la folide gloire
Des honneurs dont Céfar prétend vous revêtir,
La gloire d'un refus fujet au repentir.

JUNIE.

Le Ciel connoît, Seigneur, le fond de ma pensée ;
Je ne me flatte point d'une gloire insensée :
Je fais de vos préfens mesurer la grandeur.
Mais plus ce rang fur moi répandroit de splendeur,
Plus il me feroit honte, & mettroit en lumière
Le crime d'en avoir dépouillé l'héritière.
NERO N.

C'est de fes intérêts prendre beaucoup de foin,
Madame, & l'amitié ne peut aller plus loin.

Mais ne nous flattons point, & laissons le mystère.
La fœur vous touche ici beaucoup moins que le frère;
pour Britannicus....

Et

JUNIE.

Il a fçu me toucher, Seigneur, & je n'ai point prétendu m'en cacher.

390

Cette fincérité, fans doute, eft peu difcrette;

Mais toujours de mon cœur ma bouche est l'interprète.
Abfente de la Cour, je n'ai pas dû penfer,
Seigneur, qu'en l'art de feindre il fallut m'exercer.
J'aime Britannicus; je lui fus destinée

Quand l'Empire devoit fuivre fon hymenée.
Mais ces mêmes malheurs qui l'en ont écarté,
Ses honneurs abolis, fon Palais déferté,
La fuite d'une Cour que fa chûte a bannie,
Sont autant de liens qui retiennent Junie.
Tout ce que vous voyez conspire à vos désirs ;
Vos jours, toujours fereins, coulent dans les plaisirs ;
L'Empire en est pour vous l'inépuisable fource:
Ou, fi quelque chagrin en interrompt la course,
Tout l'Univers, foigneux de les entretenir,
S'empreffe à l'effacer de votre fouvenir.

Britannicus eft feul. Quelque ennui qui le preffe,
Il ne voit, dans fon fort, que moi qui s'intéresse;
Et n'a pour tout plaisir, Seigneur, que quelques pleurs,
Qui lui font quelquefois oublier fes malheurs.

NERON.

Et ce font ces plaifirs & ces pleurs que j'envie ;
Que tout autre que lui me paieroit de sa vie,
Mais je garde à ce Prince un traitement plus doux.
Madame; il va bientôt paroître devant vous.

JUNIE,

Ah, Seigneur, vos vertus m'ont toujours raffurée.

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