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Eft toujours d'un grand cœur la dernière fcience;
On le trompe long-temps. Mais enfin, je te croi,
Ou plutôt je fais vœu de ne croire que toi.
Mon père, il m'en fouvient, m'affura de ton zèle;
Seul de fes affranchis tu m'es toujours fidèle;
Tes yeux, fur ma conduite inceffamment ouverts,
M'ont fauyé jufqu'ici de mille écueils couverts,
Va donc voir fi le bruit de ce nouvel orage
Aura de nos amis excité le courage.
Examine leurs yeux, obferve leurs difcours ;
Vois fi j'en puis attendre un fidèle secours.
Sur-tout, dans ce Palais remarque avec adreffe,
Avec quel foin Néron fait garder la Princesse.
Sache fi du péril fes beaux yeux font remis,
Et fi fon entretien m'eft encore permis.
Cependant de Néron je vais trouver la mère
Chez Pallas, comme toi, l'affranchi de mon père.
Je vais la voir, l'aigrir, la fuivre; &, s'il fe peut,
M'engager fous fon nom plus loin qu'elle ne veut,,

Fin du premier Acte.

ACTE I I.

SCENE PREMIERE.

NERON, BURRHUS, NARCISSE,

GARDES.

NERON.

N'EN doutez point, Burrhus, malgré ses injustices,

C'est ma mère, & je veux ignorer ses caprices.
Mais je ne prétends plus ignorer, ni souffrir
Le miniftre infolent qui les ofe nourrir.
Pallas de fes confeils empoisonne ma mère ;
Il féduit chaque jour Britannicus mon frère;
Ils l'écoutent lui feul; & qui fuivroit leurs pas,
Les trouveroit peut-être affemblés chez Pallas.
C'en eft trop. De tous deux il faut que je l'écarte.
Pour la dernière fois qu'il s'éloigne, qu'il parte,
Je le veux, je l'ordonne; & que la fin du jour
Ne le retrouve pas dans Rome, ou dans ma Cour.
Allez, cet ordre importe au falut de l'Empire.
Vous, Narciffe, approchez.

(aux Gardes.)

Et vous, qu'on fe retire,

SCENE I I.

NÉRON, NARCISSE.

NARCISSE.

GRACES aux Dieux, Seigneur, Junie entre vos

mains

Vous affure aujourd'hui du refte des Romains.
Vos ennemis, déchus de leur vaine espérance,
Sont allés chez Pallas pleurer leur impuissance.
Mais que vois-je? Vous-même inquiet, étonné,
Plus que Britannicus paroiffez confterné.

Que préfage à mes yeux cette trifteffe obfcure,
Et ces fombres regards errans à l'aventure?
Tout vous rit. La Fortune obéit à vos vœux.
NERON.

Narciffe, c'en eft fait: Néron eft amoureux,

Vous?

NARCISSE.

>

NERON.

Depuis un moment; mais pour toute ma vie,

J'aime, que dis-je aimer ? j'idolâtre Junie.

NARCISSE.

Vous l'aimez?

NERON.

Excité d'un defir curieux,

Cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux,

Trifte, levant au Ciel fes yeux mouillés de larmes,
Qui brilloient au travers des flambeaux & des armes ;
Belle, fans ornement, dans le fimple appareil
D'une Beauté qu'on vient d'arracher au fommeil.
Que veux-tu? Je ne fais fi cette négligence,
Les ombres, les flambeaux, les cris & le filence,
Et le farouche aspect de fes fiers raviffeurs,
Relevoient de fes yeux les timides douceurs.
Quoi qu'il en foit, ravi d'une si belle vue,
J'ai voulu lui parler, & ma voix s'eft perdue;
Immobile, faifi d'un long étonnement,
Je l'ai laiffé paffer dans fon appartement.
J'ai passé dans le mien. C'est-là que, folitaire,
De fon image en vain j'ai voulu me diftraire.
Trop préfente à mes yeux je croyois lui parler.
J'aimois jufqu'à fes pleurs que je faifois couler.
Quelquefois, mais trop tard, je lui demandois grace.
J'employois les foupirs, & même la menace.
Voilà comme occupé de mon nouvel amour
Mes yeux, fans fe fermer, ont attendu le jour.
Mais je m'en fais peut-être une trop belle image.
Elle m'eft apparue avec trop d'avantage;

Narciffe, qu'en dis-tu ?

NARCISSE.

Quoi, Seigneur, croira-t-on

Qu'elle ait pu fi long-temps fe cacher à Néron?

NERON.

Tu le fais bien, Narciffe. Et foit que fa colère

M'imputât le malheur qui lui ravit fon frère ;
Soit que fon cœur, jaloux d'une auftère fierté,
Enviât à nos yeux fa naiffante beauté;

Fidèle à fa douleur, & dans l'ombre enfermée,
Elle fe déroboit même à fa renommée:

Et c'eft cette vertu, fi nouvelle à la Cour,

Dont la perfévérance irrite mon amour.

Quoi, Narciffe? Tandis qu'il n'eft point de Romaine
Que mon amour n'honore, & ne rende plus vaine;
Qui, dès qu'à fes regards elle ofe fe fier,

Sur le cœur de Céfar ne les vienne effayer;
Seule, dans fon Palais, la modeite Junie
Regarde leurs honneurs comme une ignominie,
Fuit, & ne daigne pas peut-être s'informer
Si Céfar eft aimable, ou bien s'il fait aimer?
Dis-moi, Britannicus l'aime-t-il ?

Seigneur ?

NARCISSE.

Quoi, s'il l'aime,

NERON.

Si jeune encor, fe connoit-il lui-même ?

D'un regard enchanteur connoît-il le poifon?

NARCISSE.

Seigneur, l'amour toujours n'attend pas la raison.

N'en doutez point, il l'aime. Inftruits par tant de char

mes;

Ses yeux font déja faits à l'ufage des larmes.
A fes moindres defirs il fait s'accommoder;

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