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Mon cœur même en conçut un malheureux augure,
L'ingrat, d'un faux refpect colorant son injure,
Se leva par avance; & courant m'embraffer,
Il m'écarta du trône où je m'allois placer.
Depuis ce coup fatal, le pouvoir d'Agrippine

Vers fa chûte, à grands pas, chaque jour s'achemine,
L'ombre feule m'en refte; & l'on n'implore plus
Que le nom de Sénèque, & l'appui de Burrhus.

ALBINE.

Ah, fi de ce foupçon votre ame eft prévenue,
Pourquoi nourriffez-vous un venin qui vous tue ?
Allez avec Céfar vous éclaircir du moins.

AGRIPPIN E.

Céfar ne me voit plus, Albine, fans témoins.
En public, à mon heure, on me donne audience.
Sa réponse eft dictée, & même fon filence.
Je vois deux furveillans, ses maîtres & les miens,
Préfider l'un ou l'autre à tous nos entretiens.
Mais je le pourfuivrai d'autant plus qu'il m'évite.
De fon défordre, Albine, il faut que je profite.
J'entends du bruit, on ouvre. Allons fubitement
Lui demander raifon de cet enlevement.
Surprenons, s'il fe peut, les fecrets de fon ame
Mais quoi, déja Burrhus fort de chez lui ?

SCENE II.

AGRIPPINE, BURRHUS, ALBINE.

BURRH U S.

M

ADAME

Au nom de l'Empereur j'allois vous informer
D'un ordre, qui d'abord a pu vous allarmer;
Mais qui n'eft que l'effet d'une fage conduite,
Dont Céfar a voulu que vous foyez inftruite.

AGRIP PINE.

Puifqu'il le veut, entrons, il m'en instruira mieux.

BURRH US.

Céfar, pour quelque temps, s'eft souftrait à nos yeux.
Déja par une porte au Public moins connue,
L'un & l'autre Conful vous avoient prévenue,
Madame. Mais fouffrez que je retourne exprès...

AGRIP PINE.

Non, je ne trouble point fes auguftes fecrets. Cependant voulez-vous qu'avec moins de contrainte L'un & l'autre une fois nous nous parlions fans feinte?

BURRH U S.

Burrhus pour le menfonge eut toujours trop d'horreur.

AGRIPPINE.

Prétendez-vous long-temps me cacher l'Empereur?
Ne le verrai-je plus qu'à titre d'importune?
Ai-je donc élevé fi haut votre fortune,

Pour mettre une barrière entre mon fils & moi?
Ne l'ofez-vous laiffer un moment sur sa foi?
Entre Sénèque & vous disputez-vous la gloire,
A qui m'effacera plutôt de fa mémoire ?
Vous l'ai-je confié pour en faire un ingrat?
Pour être, fous fon nom, les maîtres de l'État?
Certes, plus je médite, & moins je me figure
Que vous m'ofiez compter pour votre créature;
Vous, dont j'ai pu laisser vieillir l'ambition
Dans les honneurs obfcurs de quelque légion;
Et moi, qui fur le trône ai fuivi mes ancêtres,
Moi, fille, femme, foeur, & mère de vos maitres.
Que prétendez-vous donc ? Pensez-vous que ma voix
Ait fait un Empereur pour m'en imposer trois ?

Néron n'eft plus enfant. N'eft-il pas temps qu'il regne?
Jufqu'à quand voulez-vous que l'Empereur vous craigne?
Ne fauroit-il rien voir qu'il n'emprunte vos yeux?
Pour fe conduire enfin n'a-t-il pas les ayeux?
Qu'il choififfe, s'il veut, d'Auguste ou de Tibère
Qu'il imite, s'il peut, Germanicus mon père.
Parmi tant de Héros, je n'ofe me placer :
Mais il eft des vertus que je lui puis tracer.

Je puis l'inftruire, au moins, combien fa confidence
Entre un fujet & lui doit laiffer de distance.

BURRH U S.

Je ne m'étois chargé dans cette occafion
Que d'excufer Céfar d'une feule action.
Mais puifque, fans vouloir que je le justifie¿

Vous me rendez garant du refte de fa vie; ! Je répondrai, Madame, avec la liberté

D'un foldat, qui fait mal farder la vérité.
Vous m'avez de Céfar confié la jeuneffe ;
Je l'avoue, & je dois m'en fouvenir fans ceffe.
Mais vous avois-je fait ferment de le trahir?
D'en faire un Empereur qui ne fçût qu'obéir?
Non. Ce n'est plus à vous qu'il faut que j'en réponde;
Ce n'eft plus votre fils, c'est le Maître du monde.
J'en dois compte, Madame, à l'Empire Romain,
Qui croit voir fon falut, ou fa perte en ma main.
Ah, fi dans l'ignorance il le falloit instruire,
N'avoit-on que Sénèque & moi pour le féduire ?
Pourquoi de fa conduite éloigner les flatteurs?
Falloit-il dans l'exil chercher des corrupteurs?
La Cour de Claudius, en Efclaves fertile,

Pour deux que l'on cherchoit, en eût présenté mille,
Qui tous auroient brigué l'honneur de l'avilir ;
Dans une longue enfance ils l'auroient fait vieillir.
De quoi vous plaignez-vous, Madame? On vous révère.
Ainfi que par Céfar, on jure par fa mère.

L'Empereur, il eft vrai, ne vient plus chaque jour
Mettre à vos pieds l'Empire, & groffir votre Cour.
Mais le doit-il, Madame? Et fa reconnoiffance
Ne peut-elle éclater que dans fa dépendance?
Toujours humble, toujours le timide Néron
N'ofe-t-il étre Augufte & Céfar que de nom?
Vous le dirai-je enfin? Rome le justifie.

Rome à trois affranchis fi long-temps affervie,

A peine respirant du joug qu'elle a porté,
Du regne de Néron compte fa liberté.

Que dis-je? La vertu semble même renaître.

Tout l'Empire n'est plus la dépouille d'un Maître.
Le peuple au champ de Mars nomme fes Magiftrats.
Céfar nomme les Chefs fur la foi des Soldats.
Thraféas au Sénat, Corbulon dans l'armée,
Sont encore innocens, malgré leur renommée.
Les déferts, autrefois peuplés de Sénateurs,
Ne font plus habités que par leurs délateurs.
Qu'importe que Céfar continue à nous croire,
Pourvu que nos confeils ne tendent qu'à fa gloire ?
Pourvu que, dans le cours d'un regne florissant,
Rome foit toujours libre, & Céfar tout-puiffant?
Mais, Madame, Néron fuffit pour fe conduire.
J'obéis, fans prétendre à l'honneur de l'instruire.
Sur les ayeux, fans doute, il n'a qu'à fe régler ;
Pour bien faire, Néron n'a qu'à fe reffembler.
Heureux, fi fes vertus l'une à l'autre enchaînées
Ramènent tous les ans fes premières années!

AGRIPPINE.

Ainfi fur l'avenir n'ofant vous afsurer,

Vous croyez que, fans vous, Néron va s'égarer.
Mais, vous, qui, jufqu'ici, content de votre ouvrage,
Venez de ses vertus nous rendre témoignage,
Expliquez-nous, pourquoi, devenu raviffeur,
Néron de Silanus fait enlever la fœur,

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