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LES

PLAIDEURS,

COMEDIE,

Q

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UAND je lus les Guefpes d'Ariftophane, je ne fongeois guère que j'en duffe faire les Plaideurs. J'avoue qu'elles me divertirent beaucoup, & j'y trou vai quantité de plaifanteries qui me tentèrent d'en faire part au Public; mais c'étoit en les mettant dans la bouche des Italiens, à qui je les avois destinées comme une chose qui leur appartenoit de plein droit. Le Juge qui faute par les fenêtres, le Chien criminel, & les larmes de fa famille me fembloient autant d'incidens dignes de la gravité de Scaramouche. Le départ de cet Acteur interrompit mon deffein, & fit naître l'envie à quelques-uns de mes amis, de voir fur notre Théâtre un échantillon d'Aristophane. Je ne me rendis pas à la première propofition qu'ils m'en firent. Je leur dis que quelque efprit que je trouvaffe dans cet Auteur, mon inclination ne me porteroit pas à le prendre pour modèle, fi j'avois à faire une Comédie; & que j'aimerois beaucoup mieux imiter la régularité de Ménandre & de Térence, que la liberté de Plaute & d'Ariftophane. On me répondit que ce n'étoit pas une Comédie qu'on me demandoit, & qu'on vouloit feulement voir fi les bons mots d'Ariftophane auroient. quelque grace dans notre langue. Ainfi, moitié en m'encourageant, moitié en mettant eux-mêmes la main à l'œuvre, mes amis me firent commencer une Pièce qui ne tarda guère à être achevée.

Cependant la plupart du monde ne fe foucie point de l'intention, ni de la diligence des Auteurs. On examina d'abord mon amusement comme on auroit fait une Tragédie. Ceux mêmes qui s'y étoient le plus divertis eurent peur de n'avoir pas ri dans les règles, & trouvèrent mauvais que je n'eusse pas songé plus férieusement à les faire rire. Quelques autres s'imaginèrent qu'il étoit bienféant à eux de s'y ennuyer, & que les matières de Palais ne pouvoient pas être un fujet de divertiffement pour les Gens de Cour. La Piéce fut bientôt après jouée à Versailles. On ne fit point de fcrupule de s'y réjouir, & ceux qui avoient cru fe deshonorer de rire à París, furent peut-être obligés de rire à Verfailles, pour fe faire honneur.

Ils auroient tort, à la vérité, s'ils me reprochoient d'avoir fatigué leurs oreilles de trop de chicane. C'est . une langue qui m'eft plus étrangère qu'à perfonne, & je n'en ai employé que quelques mots barbares, que je puis avoir appris dans le cours d'un Procès, que ni mes Juges, ni moi, n'avons jamais bien entendu.

Si j'appréhende quelque chofe, c'eft que des perfonnes un peu férieufes ne traitent de badineries le Procès du Chien & les extravagances du Juge. Mais enfin je traduis Ariftophane, & l'on doit se souvenir qu'il avoit affaire à des Spectateurs affez difficiles, Les Athéniens favoient apparemment ce que c'étoit que le fel attique: & ils étoient bien sûrs, quand ils avoient ri d'une chofe, qu'ils n'avoient pas ri d'une fotife.

Pour moi, je trouve qu'Ariftophane a eu raifon de pouffer les chofes au-delà du vrai-femblable. Les Juges de l'Aréopage n'auroient pas peut-être trouvé bon qu'il eût marqué au naturel leur avidité de gagner les bons tours de leurs Secrétaires, & les forfanteries de leurs Avocats. Il étoit à propos d'outrer un peu les Perfonnages pour les empêcher de fe reconnoître. Le Public ne laiffoit pas de difcerner le vrai au travers du ridicule, & je m'affure qu'il vaut mieux avoir occupé l'impertinente éloquence de deux Orateurs, autour d'un Chien accufé, que fi l'on avoit mis fur la fellette un véritable criminel, & qu'on eût intéreffé les Spectateurs à la vie d'un homme.

Quoi qu'il en foit, je puis dire que notre fiècle n'a pas été de plus mauvaise humeur que le fien, & que fi le but de ma Comédie étoit de faire rire, jamais Comédie n'a mieux attrapé fon but. Ce n'eft pas que j'attende un grand honneur d'avoir affez long-temps réjoui le monde. Mais je me fais quelque gré de l'avoir fait, fans qu'il m'en ait coûté une feule de ces fales équivoques, & de ces malhonnêtes plaifanteries, qui coûtent maintenant fi peu à la plûpart de nos Écrivains, & qui font retomber le Théâtre dans la turpitude, d'où quelques Auteurs plus modeftes l'avoient tiré.

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