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Et je tiendrois mes coups bien plus sûrs que les fiens.
Quel plaifir de venger moi-même mon injure,
De retirer mon bras teint du fang du parjure;
Et, pour rendre fa peine & mes plaisirs plus grands,
De cacher ma rivale à fes regards mourans!
Ah, fi du moins Orefte, en punissant son crime,
Lui laiffoit le regret de mourir ma victime!
Va le trouver. Dis-lui qu'il apprenne à l'ingrat,
Qu'on l'immole à ma haine, & non pas à l'Etat.
Chère Cléone, cours. Ma vengeance eft perdue,
S'il ignore, en mourant, que c'est moi qui le tue.
CLEON E.

Je vous obéirai. Mais qu'est-ce que je voi?
O Dieux, qui l'auroit cru, Madame, c'est le Roi!

HERMIONE.

Ah! cours après Oreste; & dis lui, ma Cléone,
Qu'il n'entreprenne rien fans revoir Hermione.

SCENE V.

PYRRHUS, HERMIONE, PHOENIX,

PYRRHUS.

Vous ne m'attendiez pas, Madame, & je vois bien

Que mon abord ici trouble votre entretien.
Je ne viens point, armé d'un indigne artifice,
D'un voile d'équité couvrir mon injustice.
Il fuffit que mon cœur me condamne tout bas ;

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Et je foutiendrois mal ce que je ne crois pas.
J'épouse une Troyenne. Oui, Madame, & j'avoue
Que je vous ai promis la foi que je lui voue.
Un autre vous diroit que, dans les champs Troyens,

Nos deux pères, fans nous, formèrent ces liens,

Et

que fans confulter, ni mon choix ni le vôtre,
Nous fumes, fans amour, engagés l'un à l'autre.
Mais c'eft affez pour moi que je me fois foumis.
Par mes ambaffadeurs mon cœur vous fut promis;
Loin de les révoquer, je voulus y foufcrire.
Je vous vis avec eux arriver en Épire;
Et, quoique d'un autre œil l'éclat victorieux
Eût déja prévenu le pouvoir de vos yeux,
Je ne m'arrêtai point à cette ardeur nouvelle.
Je voulus m'obftiner à vous être fidèle.

Je vous reçus en Reine, &, jusques à ce jour,

J'ai cru que mes fermens me tiendroient lieu d'amour.
Mais cet amour l'emporte ; &, par un coup funefte,
Andromaque m'arrache un cœur qu'elle déteste.
L'un par l'autre entraînés, nous courons à l'Autel
Nous jurer, malgré nous, un amour immortel.
Après cela, Madame, éclatez contre un traître,
Qui l'eft avec douleur, & qui pourtant veut l'être.
Pour moi, loin de contraindre un fi jufte courroux,
Il me foulagera peut-être autant que vous.
Donnez-moi tous les noms deftinés aux parjures.
Je crains votre filence, & non pas vos injures ;
Et mon cœur, foulevant mille fecrets témoins,

M'en dira d'autant plus que vous m'en direz moins.

HERMIONE.

Seigneur, dans cet aveu dépouillé d'artifice,
J'aime à voir que du moins vous vous rendiez juftice;
Et que, voulant bien rompre un nœud fi folemnel,
Vous vous abandonniez au crime en criminel.
Eft-il jufle, après tout, qu'un Conquérant s'abaisse
Sous la fervile loi de garder sa promeffe?

Non, non, la perfidie a de quoi vous tenter;
Et vous ne me cherchez que pour vous en vanter.
Quoi, fans ni ferment ni devoir vous retienne,
Rechercher une Grecque, amant d'une Troyenne?

que

Me quitter, me reprendre, & retourner encor
De la fille d'Hélène à la veuve d'Hector?
Couronner tour à tour l'Esclave & la Princeffe,
Immoler Troye aux Grecs, au fils d'Hector la Grèce !
Tout cela part d'un cœur toujours maître de foi,
D'un Héros qui n'eft point efclave de fa foi.
Pour plaire à votre épouse, il vous faudroit peut-être
Prodiguer les doux noms de parjure & de traître.
Vous veniez de mon front obferver la pâleur,
Pour aller dans fes bras rire de ma douleur.
Pleurante après fon char vous voulez qu'on me voie ;
Mais, Seigneur, en un jour, ce feroit trop de joie.
Et fans chercher ailleurs des titres empruntés,

Ne vous
fuffit-il pas de ceux que vous portez ?
Du vieux père d'Hector la valeur abbatue
Aux pieds de fa famille expirante à fa vue ;

Tandis que dans fon fein votre bras enfoncé
Cherche un refte de fang que l'âge avoit glacé ;
Dans des ruiffeaux de fang Troye ardente plongée ;
De votre propre main Polixène égorgée,

Aux yeux de tous les Grecs indignés contre vous;
Que peut-on refuser à ces généreux coups ?

PYRRH US.

Madame, je fais trop à quel excès de rage
La vengeance d'Hélène emporta mon courage.
Je puis me plaindre à vous du fang que j'ai verfé.
Mais, enfin, je confens d'oublier le paffé.

Je rends graces au Ciel, que votre indifférence
De mes heureux foupirs m'apprenne l'innocence.
Mon cœur, je le vois bien, trop prompt à se gêner,
Devoit mieux vous connoître, & mieux s'examiner.
Mes remords vous faifoient une injure mortelle ;
Il faut fe croire aimé, pour fe croire infidelle.
Vous ne prétendiez point m'arrêter dans vos fers.
Je craïns de vous trahir, peut-être je vous fers.
Nos cœurs n'étoient point faits dépendans l'un de l'au-

tre :

Je fuivois mon devoir, & vous cédiez au vôtre.
Rien ne vous engageoit à m'aimer en effet.

HERMIONE.

Je ne t'ai point aimé, cruel? Qu'ai-je donc fait ?
J'ai dédaigné pour toi des vœux de tous nos Princes:
Je t'ai cherché moi-même au fond de tes provinces;
J'y fuis
encor, malgré tes infidélités;

Et malgré tous mes Grecs, honteux de mes bontés.
Je leur ai commandé de cacher mon injure.
J'attendois en fecret le retour d'un parjure.
J'ai cru que tôt ou tard, à ton devoir rendu,
Tu me rapporterois un cœur qui m'étoit dû.
Je t'aimois inconftant, qu'aurois-je fait fidèle ?.
Et même, en ce moment, où ta bouche cruelle
Vient fi tranquillement m'annoncer le trépás,
Ingrat, je doute encor fi je ne t'aime pas.
Mais, Seigneur, s'il le faut, fi le Ciel en colère.
Réserve à d'autres yeux la gloire de vous plaire,
Achevez votre hymen, j'y confens. Mais du moins,
Ne forcez pas mes yeux d'en être les témoins.
Pour la dernière fois je vous parle peut-être;
Différez-le d'un jour, demain vous ferez maître.
Vous ne répondez point? Perfide, je le voi,
Tu comptes les momens que tu perds avec moi.
Ton cœur, impatient de revoir ta Troyenne,
Ne fouffre qu'à regret qu'une autre t'entretienne!
Tu lui parles du cœur, tu la cherches des yeux.
Je ne te retiens plus, fauve-toi de ces lieux.
Va lui jurer la foi que tu m'avois jurée.
Va profaner des Dieux la majefté facrée.
Ces Dieux, ces juftes Dieux n'auront pas oublié
Que les mêmes fermens avec moi t'ont lié.
Porte aux pieds des Autels ce cœur qui m'abandonne.

Va, cours. Mais crains encor d'y trouver Hermione.

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