Mais il ne refte un fils. Vous faurez quelque jour, Madame, pour un fils jusqu'où va notre amour : Mais vous ne faurez pas, du moins je le fouhaite, En quel trouble mortel fon intérêt nous jette, Lorfque de tant de biens, qui pouvoient nous flatter, C'est le feul qui nous refte, & qu'on veut nous l'ôter. Hélas! Lorfque, laffés de dix ans de misere, Les Troyens en courroux menaçoient votre mère, J'ai fçu de mon Hector lui procurer l'appui ; Vous pouvez fur Pyrrhus ce que j'ai pu fur lui. Que craint-on d'un enfant qui furvit à fa perte? Laiffez-moi le cacher en quelque ifle déferte. Sur les foins de fa mêre on peut s'en affurer; Et mon fils avec moi n'apprendra qu'à pleurer. HERMIONE.
Je conçois vos douleurs : mais un devoir austère, Quand mon père a parlé, m'ordonne de me taire. C'est lui qui de Pyrrhus fait agir le courroux. S'il faut fléchir Pyrrhus, qui le peut mieux que vous? Vos yeux affez long-temps ont régné fur fon ame. Faites-le prononcer, j'y foufcrirai, Madame.
SCENE V.
ANDROMAQUE, CÉPHISE.
ANDROMA QUE.
UEL mépris la cruelle attache à fes refus! CEPHISE.
Je croirois fes confeils, & je verrois Pyrrhus. Un regard confondroit Hermione & la Grèce.... Mais lui-même il vous cherche.
PYRRHUS, ANDROMAQUE, PHŒNIX, CÉPHISE.
PYRRHUS à Phænix.
OÙ donc eft la Princeffe?
Ne m'avois-tu pas dit qu'elle étoit en ces lieux ?
ANDROMA QUE à Céphife.
Tu vois le pouvoir de mes yeux.
PYRRH U S.
'Allons, Seigneur, marchons fur les pas d'Hermione.
Qu'attendez-vous? Forcez ce filence obftiné
ANDRO MAQUE.
CEPHISE.
Il ne l'a pas donné.
ANDRO MAQUE.
Non, non, j'ai beau pleurer, fa mort eft réfolue,
Daigne-t-elle fur nous tourner au moins la vue? Quel orgueil !
ANDRO MAQUE.
Je ne fais que l'irriter encor.
Allons aux Grecs livrer le fils d'Hector
ANDROMA QUE fe jestant aux pieds de Pyrrhus. Ah, Seigneur, arrêtez! Que prétendez-vous faire ? Si vous livrez le fils, livrez-leur donc la mère. Vos fermens m'ont tantôt juré tant d'amitié ; Dieux, ne pourrai-je au moins toucher votre pitié! Sans efpoir de pardon m'avez-vous condamnée ?
Phoenix vous le dira, ma parole est donnée.
ANDROMA QUE.
Vous qui braviez pour moi tant de périls divers ?
J'étois aveugle alors, mes yeux fe font ouverts. Sa grace à vos defirs pouvoit être accordée ; Mais vous ne l'avez pas feulement demandée. C'en eft fait.
ANDROMA QUE.
Ah, Seigneur, vous entendiez affez
Des foupirs qui craignoient de fe voir repouffés! Pardonnez à l'éclat d'une illuftre fortune
Ce refte de fierté qui craint d'être importune. Vous ne l'ignorez pas : Andromaque, fans vous, N'auroit jamais d'un maître embrassé les genoux.
Non, vous me haïffez; & dans le fond de l'ame, Vous craignez de devoir quelque chose à ma flammeż Ce fils même, ce fils, l'objet de tant de foins, Si je l'avois fauvé, vous l'en aimeriez moins. La haine, le mépris, contre moi tout s'affemble; Vous me haïffez plus que tous les Grecs ensemble. Jouiffez à loifir d'un fi noble courroux.
Allons rejoindre mon époux.
CEPHIS E.
ANDROMA QUE.
Et que veux-tu que je lui dife encore?
Auteur de tous mes maux, crois-tu qu'il les ignore?
Seigneur, voyez l'état où vous me réduisez. J'ai vu mon père mort & nos murs embrafés. J'ai vu trancher les jours de ma famille entière, Et mon époux fanglant traîné fur la pouffière, Son fils, feul avec moi, réservé pour les fers. Mais que ne peut un fils! Je respire, je sers. J'ai fait plus. Je me fuis quelquefois confolée Qu'ici plutôt qu'ailleurs le fort m'eût exilée; Qu'heureux dans fon malheur, le fils de tant de Rois, Puifqu'il devoit fervir, fùt tombé fous vos loix. J'ai cru que fa prifon deviendroit fon afyle. Jadis Priam foumis fut refpecté d'Achille. J'attendois de fon fils encor plus de bonté. Pardonne, cher Hector, à ma crédulité. Je n'ai pu foupçonner ton ennemi d'un crime; Malgré lui-même, enfin, je l'ai cru magnanime.. Ah, s'il l'étoit affez, pour nous laiffer du moins Au tombeau qu'à ta cendre ont élevé mes soins ; finiffant-là fa haine & nos miferes, Il ne féparât point des dépouilles fi chères !
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