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JOCASTE, ETEOCLE, ANTIGONE,

CREON, OLYMPE.

CREON.

Seigneur, votre fortie a mis tout en allarmes,

Thèbes, qui croit vous perdre, eft déja toute en larmes,
L'épouvante & l'horreur regnent de toutes parts,
Et le peuple effrayé tremble fur fes remparts.

ETEOCLE.

Cette vaine frayeur fera bientôt calmée.
Madame, je m'en vais retrouver mon armée ;
Cependant vous pouvez accomplir vos fouhaits,
Faire entrer Polinice & lui parler de paix.
Créon, la Reine ici commande en mon absence;
Difpofez tout le monde à fon obéiffance;
Laiffez, pour recevoir & pour donner fes loix,
Votre fils Ménécée, & j'en ai fait le choix.
Comme il a de l'honneur autant que de courage,
Ce choix aux ennemis ôtera tout ombrage,
Et fa vertu fuffit pour les rendre affurés.

(à Créon.)

Commandez-lui, Madame. Et vous, vous me suivrez.

Quoi, Seigneur...

CREON.

ETEOCLE.

Oui, Créon, la chofe eft réfolue.

CREON.

Et vous quittez ainfi la puiffance abfolue?

ETE OCL E.

Que je la quitte ou non, ne vous tourmentez pas;
Faites ce que j'ordonne, & venez sur mes pas.

SCENE V.

JOCASTE, ANTIGONE, CREON, OLYMPE.

Q

CREON.

U'avez-vous fait, Madame, & par quelle conduite Forcez-vous un vainqueur à prendre ainsi la fuite? Ce confeil va tout perdre.

JOCAST E.

Il va tout conferver;

Et par ce feul confeil Thèbes se peut fauver.

CREON.

Et quoi, Madame, & quoi, dans l'état où nous sommes,
Lorfqu'avec un renfort de plus de fix mille hommes,
La Fortune promet toute chose aux Thébains,
Le Roi fe laiffe ôter la victoire des mains?

JO CAST E.

La victoire, Créon, n'est pas toujours fi belle ;
La honte & les remords vont souvent après elle.
Quand deux frères armés vont s'égorger entr'eux,
Ne les pas féparer, c'eft les perdre tous deux.
Peut-on faire au vainqueur une injure plus noire,

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JO CAST E.

Ils regneront auffi,

CREON.

On ne partage point la grandeur fouveraine,
Et ce n'est pas un bien qu'on quitte & qu'on reprenne.

JOCAST E.

L'intérêt de l'Etat leur fervira de loi.

CREON.

L'intérêt de l'Etat eft de n'avoir qu'un Roi,
Qui, d'un ordre conftant gouvernant ses Provinces,
Accoûtume à fes loix & le peuple & les Princes.
Ce regne interrompu de deux Rois différens,
En lui donnant deux Rois lui donne deux tyrans.
Par un ordre fouvent l'un à l'autre contraire,
Un frère détruiroit ce qu'auroit fait un frère.
Vous les verriez toujours former quelque attentat,
Et changer tous les ans la face de l'Etat.

Ce terme limité que l'on veut leur prescrire,
Accroît leur violence en bornant leur empire.
Tous deux feront gémir les peuples tour-à-tour
Pareils à ces torrens qui ne durent qu'un jour,

plus leur cours eft borné, plus ils font de ravage, Et d'horribles dégâts fignalent leur paffage.

JOCAST E.

On les verroit plutôt, par de nobles projets,
Se difputer tous deux l'amour de leurs Sujets.
Mais avouez, Créon, que toute votre peine
C'eft de voir que la paix rend votre attente vaine;
Qu'elle affure à mes fils le Trône où vous tendez,
Et va rompre le piége où vous les attendez.
Comme, après leur trépas, le droit de la naissance
Fait tomber en vos mains la fuprême puiffance,
Le fang qui vous unit aux deux Princes mes fils,
Vous fait trouver en eux vos plus grands ennemis,
Et votre ambition, qui tend à leur fortune,
Vous donne pour tous deux une haine commune;
Vous infpirez au Roi vos confeils dangereux,
Et vous en servez un pour les perdre tous deux.

CREON.

Je ne me repais point de pareilles chimères, Mes respects pour le Roi font ardens & fincères ; Et mon ambition eft de le maintenir

Au Trône où vous croyez que je veux parvenir. Le foin de fa grandeur eft le feul qui m'anime; Je hais fes ennemis, & c'eft-là tout mon crime; Je ne m'en cache point : mais, à ce que je voi, Chacun n'eft pas ici criminel comme moi.

JOCAST E.

Je fuis mère, Créon, &, fi j'aime son frère,

La perfonne du Roi ne m'en est pas moins chère.
De lâches Courtifans peuvent bien le hair,
Mais une mère enfin ne peut pas fe trahir.

ANTIGONE.

Vos intérêts ici font conformes aux nôtres ;
Les ennemis du Roi ne font pas tous les vôtres;
Créon, vous êtes père, &, dans ces ennemis,
Peut-être fongez-vous que vous avez un fils.
On fait de quelle ardeur Hémon fert Polinice.

CREON.

Oui, je le fais, Madame, & je lui fais justice;
Je le dois, en effet, diftinguer du commun,
Mais c'est pour le haïr encor plus que pas un ;
Et je fouhaiterois, dans ma jufte colère,
Que chacun le hait comme le hait son père.

ANTIGONE.

Après tout ce qu'a fait la valeur de fon bras,
Tout le monde, en ce point, ne vous reffemble pas.

CREON.

Je le vois bien, Madame, & c'est ce qui m'afflige:
Mais je fais bien à quoi fa révolte m'oblige;
Et tous ces beaux exploits qui le font admirer,
C'est ce qui me le fait juftement abhorrer.
La honte fuit toujours le parti des rebelles ;
Leurs grandes actions font les plus criminelles ;
Ils fignalent leur crime en signalant leur bras
Et la gloire n'eft point où les Rois ne font pas

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