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à la suite de ces galeries, une chapelle, un hôpital, puis, par dessous, d'autres galeries souterraines, des cachots humides et impénétrables. D'épais barreaux de fer en ferment toutes les ouvertures, de nombreuses baïonnettes en défendent l'approche, et, sur toutes les avenues de ce repaire redoutable, la société a braqué des obusiers chargés à mitraille pour y maintenir la paix. Le roi de cet empire est le commissaire du bagne; son sceptre est un fouet ou un bâton, son armée le corps des gardes-chiourmes, organisé en compagnies; ses sujets, au nombre de plusieurs milliers, sont le rebut de toutes les classes. C'est dans ce séjour maudit que vient se naturaliser le forçat. Si cette terre ne lui est point étrangère, ou, pour me servir du langage consacré des habitans, s'il est vieux fagot, il se voit à l'instant entouré, serré, embrassé, porté en triomphe par ses anciens compagnons; il raconte ses courses vagabondes, ses hauts faits, sa gloire et sa chute; il termine par une nouvelle méthode de tromper l'argousin. Mais si le condamné apparaît pour la première fois dans cette enceinte de bannis, si son nom n'y a pas encore été apporté par la renommée, s'il est bois verd, en un mot, ou jeune fagot, il subit un interrogatoire, et on l'initie à la morale du lieu, morale brûlante comme un

:

fer rouge, et dont l'horrible langage trouve le moyen d'éveiller un dernier rayon de pudeur au front même de l'homme qui a laissé toute honte sur la sellette des assises. Dans les enseignemens qu'il reçoit, tout remords s'efface; il prend confiance en lui-même; la réprobation universelle cesse de peser sur son ame; il trouve des amis, des frères, car, je le répète, l'infamie n'a pas de nom au bagne, et son ame se façonne et se trempe complètement dans cette atmosphère du crime. L'existence ne lui est point un fardeau il a toujours une pierre pour reposer sa tête, un toit quí l'abrite contre l'injure des nuits pénibles de l'hiver; une providence infaillible lui apprète chaque jour une nourriture simple, mais suffisante; son travail, comme celui de l'esclave, est moins une fatigue qu'une distraction; est-il malade ? la charité chrétienne lui ménage tous les adoucissemens de l'humanité; une réunion d'hommes de son choix remplace pour lui l'intimité de la famille. Combien de paysans sont condamnés à une destinée plus âpre! Que lui manque-t-il ? la considération publique ? mais la flétrissure a muré son cœur contre le regret de cette perte: la liberté? c'est un trésor inestimable, mais l'imagination en rehausse le prix; tous les hommes habitués à la vie claustrale di

navire désarme, il faut les voir rôder par bandes aux environs, se précipiter comme des corbeaux sur les immondices que les matelots jettent en dehors: ils y déterrent des morceaux de cuivre ou d'acier. Si quelque malheureux chat tombe au milieu de la horde : (( Tayau sur le griffon!» et, en un clin d'œil, la pauvre bête est assommée, écorchée, mise en civet. Survient-il une grande catastrophe, l'àme du forçat, avide d'émo

ront qu'il est bien facile de s'en passer. Le soir, quand il est rentré, il soupe, cause et badine, puis, au coup de sifflet d'un adjudant de chiourmes, il se tait et s'endort. C'est au milieu de ses ébats du soir qu'il faut étudier le forçat; ses causeries sont des cours complets de vol et d'assassinat, le récit de forfaits inouïs, et tout cela fait d'une voix rauque et sauvage, car il faut qu'elle traverse les aigres vibrations de la chaine; il n'y a que là qu'on entend des sons ou plutôt des cristions fortes, s'élève et semble se purifier : on n'oubliera de cette nature; son badinage fait peur; on craint toujours que du poids de ses fers il ne broie la tête qu'il semble caresser; mais le lourd bâton du garde de service plane sans cesse sur lui et prévient tout dénouement tragique. Parfois, ces scélérats fameux s'apostrophent et engagent une conversation à tue-tête: ce sont les héros. La tourbe idolâtre se lève attentive; l'assassin, le faussaire, le voleur de grands chemins, le suborneur atroce, se chargent tour à tour de peindre la société, sa justice et ses lois : l'affreux tableau que celui de notre monde pris du point de vue du bagne! Si quelque grande image saisit l'auditoire, si quelque inspiration a éclaté capable de dissoudre tous les liens sociaux d'une nation, un murmure profond et flatteur, des rires tels que nulle part ailleurs oreille humaine n'en entendit, un hosannah de l'enfer, emplissent l'air; le bagne devient une serre-chaude dont le souffle dévore le dernier germe de vertu.

«La langue qu'on parle là a son dictionnaire et sa grammaire, argot dégoûtant, plein de comparaisons fangeuses, où étincellent aussi d'effrayantes métaphores, des onomatopées terribles.

«Si le bagne était peuplé de crimes de courage, si tous ces démons se vouaient au désordre par un pacte sacré, le génie du mal qui s'appuierait sur eux aurait un pouvoir irrésistible: mais là tout est ignominie et Jacheté; le fanatisme, la vanité, l'énergie abandonnent bien vite l'homme dans les chaines; la trahison mine tout, c'est le grand levier du gouvernement de leur chef. A l'aide de quelques primes offertes à la délation, il se tient au courant des plus sourds complots. L'esclave abruti que l'on nomme un forçat se borne à une existence retrécie : il cherche à résister à l'action continuelle de longues privations. L'honnête homme, qui juge des mots du galérien par son imagination et sa propre sensibilité, ne voit pas tout ce que ces âmes émousssées savent se créer de ressources dans leur dégradation; il résume d'un seul coup-d'œil les souffrances de toute une vie, les grandit, et son cœur se tort devant la réflexion : « Ah! si j'étais réduit à cette misérable condition! » Le forçat sent autrement; l'abrutissement brise en lui la vivacité du désir; le cercle de ses plaisirs et de ses douleurs est très petit; pour lui, la pudeur et l'honneur ne sont plus une barrière ou un aiguillon; les coups de bâton ne réveillent pas son orgueil, il ne les mesure qu'au taux de la douleur physique. Mais toute son apathie disparaît au flair d'une mauvaise action; ses yeux sont des crimes; il va quêtant sans cesse le conscrit ou le voyageur badaud, pour lui escamoter sa montre et son argent; il s'agit de plumer l'oison, et alors il déploie une adresse et une activité prodigieuses: cependant, il ne résiste pas à la menace des coups de corde quand il est découvert; le vol, au bague, n'est qu'un délit de discipline. Quand un

pas que quand Sidney Smith vint incendier nos vaisscaux à Toulon, ce furent les forçats qui sauvèrent Tarsenal. Pendant le choléra, au moment où la peur fesait oublier les devoirs les plus chers, c'était eux qui ramassaient et enterraient les cadavres; ils jouaient avec la mort, et comme alors ils étaient l'objet de soins particuliers, dans leur reconnaissance diabolique, ils criaient: «Vive le choléra!» Dernièrement, quand L'incendie du vaisseau à trois ponts le Trocadero, éclata à la porte de leur bagne et l'enveloppa d'un tourbillon de flammes, ils brisaient leurs chaînes comme du verre, couraient au danger, et mille témoins oculaires lattesteront, laissaient bien loin derrière eux, pour le zèle et l'intrépidité, tous les ouvriers du port et les soldats. Nul d'eux ne s'est enfui, et, en général, l'évasion des forçats est assez rare il ne leur suffit pas d'avoir franchi l'enceinte de l'arsenal, il leur faut de l'argent pour gagner un asile. Parfois, nos lois pénales leur donnent le spectacle d'un drame sanglant exercé sur eux-mêmes; elles élèvent une guillotine dans l'intérieur du bagne, et tranchent la tête de quelque galérien au milieu de ses silencieux compagnons : c'est ainsi que lon leur inculque le principe de l'inviolabilité du garde-chiourme.

--A l'expiration de leur châtiment, l'autorité leur donne 12 fr. pour se procurer un vêtement; le pécule qu'ils ont amassé dans leurs années de captivité leur est payé à domicile. Mais le bagne est un tourbillon qui absorbe tout ce qui a mis une fois le pied dans sa sphère d'activité. Que fera le forçat libéré? objet des craintes ou des dégoûts de tout le monde, il ne peut que rarement trouver du travail pour exister; la société le force à la guerre, et il va de nouveau, entraîné par une force invincible, peupler le bagne, qui ne lâche que rarement sa proie pour long-temps.

»-Le mariage du bagne n'est point indissoluble: souvent, deux existences antipathiques se trouvent fixées à la même chaine; de là, d'effroyables haines, des querelles, des luttes qui aboutiraient à de sanglantes conclusions; alors le divorce est prononcé; d'autres unions se cimentent, le même lien étreint le vieux scélérat relaps et retors, et l'adolescent, novice encore au crime, dont les traits sont à peine dénaturés par l'atmosphère du bagne. Ces combinaisons sont les plus favorables: le contact de la faiblesse et de la force, de la fraîcheur de la jeunesse et des rides du crime vieilli, forme souvent un heureux couple.

-((

- Nulle femme n'entre au bagne : nulle, excepté la religieuse hospitalière qui s'est dévouée à toutes les agonies de Thumanité; là, il y a des passions dont le nom seul tuerait la pudeur.

»

Quand une grave maladie saisit le forçat, un prêtre, l'aumonier de l'établissement, l'assiste dans ses derniers momens si meurt, on l'enveloppe d'un

linceul, mais la tombe ne recueille pas sa dépouille mortelle. La terre serait trop légère au banni de la société : son cadavre, étendu sur la pierre d'une salle d'anatomie, exerce le scalpel d'un étudiant en médecine.

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-Ainsi vit, ainsi meurt le galérien. »>

Quel tableau effrayant! quelles couleurs! quelle énergie! et pourtant le bagne est plus affreux encore qu'il n'est possible de le dire. Lorsqu'on entre dans ses longues salles, infectes par les mauvaises odeurs de la nuit, mal éclairées; lorsqu'on a compté les grabats avec leurs chaînes, on a la poitrine péniblement oppressée. Mais c'est surtout pendant la nuit que le bagne est hideux. Figurez-vous deux salles très longues, chacune avec deux rangées de grabats; 1,500 condamnés, le rebut, la honte de la société, couchés sur leurs lits de

douleurs, ne pouvant faire le moindre mouvement sans être au même instant éveillés par le bruit de leurs chaînes; quelques lampes suspendues de loin en loin, comme des torches funèbres; deux portes de fer près desquelles veillent sans cesse les gardes-chiourmes cerbères placés par la justice humaine, sur le seuil de cet enfer, et vous aurez une faible idée du bagne (1) de Rochefort.

Hippolyte VIVIER.

(1) Le bagne, s'il faut en croire quelques chercheurs d'origine, vient de l'italien bagno, parce qu'à Constantinople il y avait des bains dans les prisons d'esclaves, auxquels ont succédé les galériens.

LE CLUB DE L'ORMÉE.

TROUBLES DE LA FRONDE A BORDEAUX.

Les grandes villes furent dans tous les temps jalouses de leurs droits municipaux; pour défendre les priviléges consacrés par des siècles, priviléges de famille, de foyer, elles ont bravé la colère des rois, et de ces tristes débats ont surgi des guerres civiles, guerres toujours sanglantes, toujours criminelles, toujours fécondes en déplorables représailles.

Une agglomération d'hommes qui a joui pendant long-temps des larges immunités que les Suzerains du moyen-âge accordaient quelquefois aux grandes cités, contracte des habitudes de liberté, et ce qui ne fut d'abord qu'une faveur, devient une propriété, par une sorte de droit de prescription. Dans les vieilles annales de nos provinces, il n'est pas rare de trouver de longs récits de séditions, de troubles, d'assauts, de massacres, de catastrophes qui eurent pour cause première le désir, la ferme volonté de conserver les franchises municipales. L'histoire de ces insurrections est devenue depuis quelques années le principal objet des études auxquelles se livrent certains hommes qui cherchent à découvrir les faits partiels de l'histoire des provinces, pour en former plus tard le grand faisceau des annales françaises; assurément, le champ sera large et la moisson abondante, si les ouvriers ne manquent pas pour les recueillir: sous le ciel du midi où l'amour de l'indépendance s'est toujours développé avec plus d'intensité que dans le nord. Les grandes cités du Languedec et de l'Aquitaine jouirent, plusieurs siècles après l'invasion des Romains, de nombreux et glorieux priviléges que les rois de France respectèrent de gré ou de force. Parmi les fières municipalités qui déployèrent

le

en diverses circonstances une grande fermeté pour maintien et la conservation de leurs prérogatives, la ville de Bordeaux occupera toujours le premier rang. Municipe sous la domination romaine, la capitale de la deuxième Aquitaine sut défendre plus tard sa liberté contre les barbares qui se disputèrent la Gaule méridionale les rois francs ne purent y affermir leur puissance et, avant la chute de la première race, on vit se développer le germe des franchises municipales. La suzeraineté des ducs de Guienne, ne fut point un fardeau pour les Bordelais, et la domination anglaise, si funeste aux autres provinces, fut pour les habitans des bords de la Gironde une époque de prospérité. Les rois d'Angleterre ne se fixèrent jamais à Bordeaux, et la vieille municipalité, n'ayant pas à craindre la surveillance de ses maîtres, devint presque indépendante comme les grandes communes de Flandres. Les choses subsistèrent en cet état jusqu'au jour ou le léopard d'Angleterre fut repoussé de la Guienne et prit la fuite en rugissant de fureur. Charles VII envoya à Bordeaux le comte Dunois son lieutenant, qui, au nom du roi de France: jura sur les Evangiles de conserver les priviléges, libertés, lois, coutumes, observances de Bordeaux; mais le serment fut bientôt violé. On établit un parlement dans la province de Guienne, et cette cour royale eut mission de lutter contre le pouvoir municipal. En moins d'un demi-siècle elle accapara les suffrages de la haute bourgeoisie qui se sépara du peuple, et prépara ainsi la ruine de la

commune.

Cependant, la municipalité bordelaise, semblable à

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un arbre qui a pris de fortes racines, qui croit sur un sol fertile, et brave pendant plusieurs siècles la fureur des ouragans, luttera plusieurs années encore contre les envahissemens du pouvoir royal, et l'ascendant tout-puissant de l'unité nationale en vain, les guerres civiles et religieuses se liguent pour saper sa constitution; en vain, le maréchal d'Albret, éxécuteur d'une sentence de mort contre la commune de Bordeaux, fait abattre les murailles de la capitale de Guienne; les Bordelais, héritiers de la noble fierté de leurs ancêtres prendront les armes, lorsque sonnera l'heure du péril; ils s'arrêteront devant la vieille tour de leur

hôtel-de-ville, et, en contemplant ce monument ou demeure encore suspendue la cloche municipale, ils se souviendront que leurs pères ne craignirent pas de verser leur sang pour conserver leurs franchises municipales; ils marcheront sous la bannière de l'insurrection, devenue pour eux un devoir, et Louis XIV, Louis XIV le grand roi, dont la volonté fait tout plier, se verra contraint à renvoyer le cardinal Mazarin son fourbe ministre, à pardonner aux rebelles et à promettre, avec serment, de conserver les priviléges dont ils ont joui sous tous les rois de France.

Entendez-vous les longs tintemens de la cloche de

l'hôtel-de-ville (1)? c'est le tocsin qui appelle le peuple aux armes. Le canon de la fronde a déja retenti dans la province de Guienne et le duc d'Epernon créature de Marie de Médicis est devenu l'objet de l'exécration publique.

Avant de décrire les principales scènes du drame connu dans l'histoire de Bordeaux sous le nom de club de l'Ormée, il faut prendre les choses de plus haut, et remonter à l'origine de l'exaspération qui pendant plus de deux ans fit couler le sang à grands flots dans une des plus importantes villes de France.

Les Bordelais eurent beaucoup à souffrir de la sévérité des édits royaux pendant les guerres de la Ligue: plusieurs séditions qu'on aurait pu calmer en employant de simples mesures de haute police attirèrent sur la capitale de la province de Guienne, la vengeance de la cour. Le cardinal de Richelieu, non content d'exiger des Bordelais de nombreux renforts pour les travaux da siége de la Rochelle, inonda la ville de ses espions, et les principaux habitans ne purent se soustraire que par une soumission aveugle à la politique soupçonneuse du cardinal-ministre : plus tard le duc d'Epernon fut investi du gouvernement de la province; ses exactions, ses discussions avec le premier président et les autres membres du parlement laissèrent bientôt entrevoir les malheurs qu'entraînerait la rapide promotion du favori de la reine-mère.

neur de la province. Néanmoins, les négociations furent reprises quelque temps après, et le conseil de ville, désespérant d'obtenir ce qu'il demandait, ordonna de continuer les préparatifs de guerre. Le peuple dont l'impatience ne pouvait se plier à de si longues tergiversations, se révolta de nouveau et, dans le tumulte do l'émeute, le premier président du parlement fut maltraité.

Nous voulons qu'on démolisse la citadelle de Libourne, criait la foule, qui se pressait sous les fenetres de l'hôtel où était logé le marquis d'Argenson.

L'envoyé du roi publia plusieurs ordonnances qui furent toutes infructueuses. Les Bordelais marchèrent en armes sur Libourne et résolurent de prendre cette ville d'assaut. Les troupes que le duc d'Epernon avait réunies sur ce point, livrèrent bataille aux insurgés et les taillèrent en pièces. La nouvelle de cette défaite répandit une terreur panique parmi les habitans de Bordeaux et les partisans du duc d'Epernon se livrèrent aux transports de la joie la plus frénétique. Le parlement ne prit point part à la frayeur générale; il se réunit en séance solennelle, et ordonna qu'on fit des levées pour remettre au complet le régiment dont le commandement fut confié au marquis de Lusignan. L'archevêque fut en même temps chargé de négocier la paix, et se rendit à Castres où il eut une entrevue avec le duc d'Epernon : il ne put rien obtenir; le gouLa province était depuis long-temps accablée d'im- verneur deveuu plus insolent depuis l'affaire de Lipôts; les esprits se disposaient insensiblement à la ré-bourne, accueillit si mal les députés bordelais que le volte qui éclata enfin à l'occasion d'un nouvel impôt sur les hôteliers et cabaretiers, qui refusèrent de payer la taxe imposée, et se rassemblèrent en armes dans le cimetière de Sainte-Eulalie. Le vieux duc d'Epernon parvint à calmer cette première révolte, se retira en Angleterre, et revint quelque temps après en France où il mourut dans un âge très avancé. Le duc de Lavalette prit le nom de son père, et lui succéda dans le gouvernement de la province de Guienne; de nouveaux démélés ne tardèrent pas à s'élever entre le jeune gouverneur et les Bordelais. Le duc d'Epernon fit construire une citadelle à Libourne. Les jurats s'assemblèrent à l'hôtel-de-ville, et les hostilités commencèrent de part et d'autre; la municipalité bordelaise leva des troupes, Vaires fut assiégé et Camblanes tomba au pouvoir des insurgés.

Pendant que les deux armées étaient presque en présence, le marquis d'Argenson arriva à Bordeaux pour négocier la paix : On discuta sur les propositions qui ne furent pas acceptées, parce que les Bordelais déclarèrent qu'ils ne consentiraient à aucun traité de pacification tant que le duc d'Eperuon serait gouver

(1) Cet édifice fut construit à l'époque de la domination anglaise et porta d'abord le nom de Tour Saint-James. Cette dénomination et cette origine ne doivent pas réveiller un sentiment pénible; la Guienne était échue par droit d'héritage à la maison des Piantagenet, et les Bordelais ne se laissèrent jamais traiter en vaincus par des Suzerains étrangers. La commune de Bordeaux ne fut jamais plus puissante qu'à cette époque. Ce monument qu'elle éleva se composait d'abord de quatre tours il était surmonté d'un lion doré. La cloche municipale dit encore aux Bordelais leurs joies et leurs alarmes, et annonce aux jours d'élection qu'ils ont des devoirs à remplir.

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(Album du voyageur à Bordeaux, n. 72).

conseil de ville résolut de résister jusqu'à la dernière extrémité. Le duc ne craignit pas d'entrer dans Bordeaux; mais les craintes que lui inspirèrent les murmures, les cris des habitans, le forcèrent à sortir en toute hâte, et, pour se venger de cet affront, il fit publier une ordonnance par laquelle il imposait une taxe sur les paroisses et sénéchaussées du ressort, pour la subsistance de ses troupes. Ces vexations augmentèrent l'exaspération des Bordelais, et le peuple commença à se réunir en assemblées tumultueuses. Pendant que les orateurs de rues discouraient sur les places publiques, appelant les Bordelais aux armes, le parlement fit partir pour Paris le jurat Ardant avec ordre de négocier la paix auprès du roi.

Le député bordelais avait été devancé par les émissaires du duc d'Epernon, qui était alors en grande faveur auprès du cardinal Mazarin. Le roi ne voulut pas même accorder une audience au jurat Ardant et à ses collègues, qui furent relégués à Senlis. Le duc obtint gain de cause contre le parlement qui fut mis en interdit. D'Epernon, qui ne doutait plus de sa toute-puissance, se rendit à Bordeaux, avec le comte de Comminges, délégué pour faire exécuter l'ordonnance royale. Chose extraordinaire, et qui se voit rarement dans le temps des guerres civiles, le favori de Mazarin, le gouverneur, ne fut pas insulté par le peuple qui se contenta de crier :

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