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royaume. Elle fut sécularisée par le 1 epe Pie IV, en 1561, et on y avait établi primitivement une école qui fut une des plus renommées de France (1).

Plus tard la ville fut affranchie; elle nomma ses magistrats municipaux qui prirent le titre de consuls et qui eurent pour successeurs des magistrats royaux. Les guerres civiles et religieuses ont nui long-temps à l'accroissement d'Aurillac. Pendant le xive et le xve siècles, l'Auvergne eut beaucoup à souffrir des bandes de routiers que les rois d'Angleterre avaient disséminées dans toute la France. Après quelques années de paix, Aurillac devint le théâtre des cruelles dissentions des catholiques et des protestans; la ligue fut une époque de calamités pour la capitale de la HauteAuvergne qui fut prise et reprise huit fois. Aussi, de tous ses anciens monumens, il ne reste que l'église de Saint-Géraud qui faisait partie de l'ancien monastère, et le château Saint-Etienne qui domine la ville à l'ouest; encore ne reste-t-il des temps anciens qu'une tour carrée; les autres parties sont plus modernes. Cette grosse

(1) Statistique du Cantal 1817.

tour forme sa masse principale qui est irrégulière et décrépite. Ce château, ancienne habitation des comtes d'Auvergne, a soutenu plusieurs siéges, et a été saccagé à diverses époques.

La forteresse est aujourd'hui divisée en deux parties, les bâtimens qui les unissaient, ayant été démolis du faîte de la tour, on voit toute la vallée de la Jourdanne, à l'extrémité de laquelle s'élèvent les cimes neigeuses du Cantal. Quand on a visité ces beaux restes de l'antique demeure des comtes d'Auvergne, on connaît à proprement parler toute la ville ancienne; il faut excepter néanmoins quelques églises; l'abbaye des bénédictins située dans le faubourg de Bouis, l'église de Notre-Dame-des-Neiges, édifice du XIIIe siècle, orné de beaucoup de tableaux et dont la voûte est très belle (1).

La ville moderne est petite pour sa population; mais elle est généralement bien bâtie, quoique mal percée, mal pavée, sombre et désagréable à parcourir: heureusement, la plupart de ses rues étroites et tortueuses,

(1) Guide pittoresque du voyageur en France.

font arrosées par des ruisseaux qui entretiennent la propreté et assainissent l'air.

Le plus grand des édifices d'Aurillac est le collége, formé de quatre corps de logis et d'un beau pavillon. L'hôtel de la préfecture est petit mais élégant. L'hôtelde-Ville, avantageusement situé sur la place du même nom, est spacieux, et la façade est décorée des bustes de douze de nos principaux écrivains. On remarque aussi la halle au blé, précédée d'une place où l'on voit un beau bassin de serpentine de deux pieds de diamètre; la salle de spectacle; le pont sur la Jordanne; la colonne élevée pour perpétuer la mémoire de M. de Montyon, dont le nom est justement révéré dans la contrée; la grande place du marché; l'hyppodrome, situé à un quart de lieue de la ville, destiné aux courses de chevaux, auxquelles concourent tous les déparpartemens du Midi (1).

Le commerce, l'industrie, les fabriques prospèrent depuis plusieurs années à Aurillac, et préparent un brillant avenir au chef-lieu du département du Cantal: dans quelques années, cette ville n'aura rien à envier aux autres métropoles de nos contrées méridionales, et son histoire confondue avec les annales de la province est féconde en beaux souvenirs (2).

Avant de terminer notre excursion, visitons l'antique château du Carlat, qui passait pour un des plus anciens manoirs de France, et la plus forte place

(1) Dictionnaire statistique du Cantal; par Déribier du Châtelet.- France Pittoresque. - Guide du Voyageur.

(2) Aurillac compte parmi ses célébrités Saint Géraud, le pape Sylvestre II, le professeur d'hébreu Jean-de-cinq. Arbres, Piganiol de la Force, auteur d'une Description de la France, le général Destaing, qui s'illustra eu Egypte, en Italie; le général de division Belzons, mort en Russie.

d'Aquitaine. Sous Charlemagne, il était le chef-lieu héréditaire d'une comté, et on assure que long-temps avant, sous la domination romaine, il fut possédé par la famille prétorienne de Farréol. Les historiens en ont laissé de longues et pompeuses descriptions, et le petit bourg a été à différentes époques le théâtre de grands drames historiques. Clovis, Louis-le-Débonnaire, les Anglais, les Armagnacs, Nemours et Louis XI, assiégèrent tour-à-tour, prirent et saccagèrent le château de Carlat. Plus tard les catholiques et les religionnaires se disputèrent ce magnifique manoir dont ils firent une place de guerre. Mais écartons ces souvenirs de guerre pour ne voir dans le château de Carlat qu'un lieu d'exil, où Marguerite de Valois, première femme d'Henri IV, expia les scandales de sa mauvaise co.iduite. Les ruines gothiques rappellent encore l'héroïsme de madame de Morera qui s'empara de la forteresse, et, ne la rendit qu'en échange de la liberté de son mari, arrêté par ordre du roi.

Le beau ciel du vallon d'Arcambie, le doux Climat de Maurs retiennent long-temps les étrangers dans cette petite ville qui fut long-temps le chef-lieu d'une des quatre prévôtés de la Haute-Auvergne. Vic-surCère, avec ses cascades, ses plateaux couronnés de verdure, ses eaux minérales, est aussi un charmant séjour; mais notre voyage est trop rapide pour entrer dans les détails que nécessite ce genre d'exploration; les mines immenses du Cantal sont déja bien loin d'arriver à nous; la nature grandiose et pittoresque disparaît, nous ne voyons que les montagnes boisées du Rouergue et les collines grisâtres du Haut-Querci.

Ernest BRIANÇON.

LE BAGNE DE ROCHEFORT.

Per me si va tra la perduta gente; Lasciate ogni speranza, voi ch'entrate ! Le DANTE. (Divina Comedia.)

Au commencement du xvIIe siècle, un vieux château que le roi Henri III avait donné à un de ses officiers, une chétive bourgade qui s'était formée dans les marais autour du manoir féodal, occupait l'emplacement où on a construit depuis la ville de Rochefort. En 1664, Louis XIV, pressé par les instances de ses ministres qui comprenaient de quelle grande utilité serait un fort militaire sur cette partie des côtes de la France, en ordonna la construction. On resta long-temps indécis sur le choix du lieu. Soubise attira d'abord l'attention des commissaires royaux; mais le duc ne voulut céder à aucun prix ce terrain qui lui appartenait. Les ingénieurs remontèrent le cours de la rivière, cherchant un autre endroit propre à l'exécution des projets du roi;

la petite ville de Tonnay-Charente, son agréable position, la profondeur de la rivière, son port déja commode et très-fréquenté, plusieurs autres avantages réunis furent regardés par les ingénieurs comme autant d'élémens de succès pour l'entreprise dont ils avaient été chargés. On se mit à l'ouvrage: les travaux étaient déja avancés, lorsque le duc de Montmartre refusa de vendre Tonnay-Charente; les établissemens qui avaient été commencés furent transférés à Rochefort.

En moins d'une année, le vieux château, le petit village, disparurent; les marais furent desséchés, et quelques édifices s'élevèrent sur les bords de la Charente. On commença à creuser le port: les travaux que nécessita la création de la ville projetée furent prodi

gieux, et les dépenses immenses. Le génie militaire ne | aussi grande profondeur; elle est de vingt pieds à ma s'était pas encore créé, sous Louis XIV, les innombra- rée basse, et de près du double à marée haute; les bles ressources dont il se sert aujourd'hui pour triom- plus gros vaisseaux de ligne y sont à flot en tout temps. pher de tous les obstacles, et pour vaincre la nature elle-Plusieurs forts défendent l'embouchure de la Charente même. Néanmoins, les ingénieurs et les commissaires royaux, surmontèrent heureusement les difficultés du sol, et un an plus tard, les capitaines des navires étrangers qui vinrent prendre leur chargement de cognac à Tonnay-Charente, ne virent pas sans surprise, sans admiration, la ville qui s'était élevée, comme par enchantement, sur la rive droite de la rivière. On travaillait sans relâche, et Vauban entoura de fortifications l'enceinte de la nouvelle cité.

Fille de Louis XIV, la ville de Rochefort jouit encore de toute la grace, de toute la fraîcheur de la jeunesse: c'est une des villes de France, les plus propres, les plus jolies; c'est la plus moderne, la plus régulièrement båtie et la mieux percée : les rues sont droites, larges et bien pavées, et presque toutes se coupent en angle droit; une d'elles qui sert de marché, et conduit à l'arsenal, est bordée de peupliers. Les maisons sont toutes bâties avec une élégante simplicité, mais elles sont en général peu élevées, ce qui les rend peu imposantes; peu de constructions particulières attirent l'attention des étrangers; les édifices publics sont grands et beaux. Au centre de la ville, est la Place d'Armes régulièrement carrée, bordée de chaque côté d'une double rangée d'ormes, dont la longueur est de deux cents pieds on y remarque une belle fontaine, décorée d'un frontispice qui porte deux statues gigantesques dont le travail est médiocre. Elles représentent la Charente donnant la main à l'Océan. Plusieurs autres fontaines publiques reçoivent les eaux de la rivière, qui y sont conduites par une pompe à feu; elles servent à l'arrosement journalier de la ville, et y entretiennent la propreté, sans laquelle Rochefort serait inhabitable.

Hors de la ville, et sur un terrain élevé où on arrive par une belle avenue, se trouve l'hôpital de la Marine, formé de neuf bâtimens isolés qui s'alignent autour d'une vaste cour; placée au centre, cette cour est fermée par une grille en fer reposant sur un parapet, bordé d'un large fossé, dont l'eau se renouvelle à volonté. Les principaux bâtimens contiennent 1,200 lits, distribués dans de belles salles parfaitement aérées. On remarque encore la belle rotonde de l'amphithéâtre de chirurgie, le cabinet d'anatomie, la pharmacie et le jardin de botanique; l'hôpital de la Marine est le plus beau bâtiment de Rochefort. La promenade des remparts est très agréable; quoiqu'on n'y jouisse pas d'un vaste horizon, ni de la vue de la mer qu'on n'aperçoit pas, malgré sa proximité. L'Ecole de la Marine renferme tous les grands établissemens, ateliers et magasins destinés à la construction, à l'équipement et à l'armement des plus gros vaisseaux de ligne. Les hangars ou chantiers couverts sous lesquels on construit les vaisseaux à trois ponts, étonnent par leur grandeur, leur élévation et leur légèreté; les bassins de construction, par l'heureuse idée de forcer la mer à venir y chercher les vaisseaux. Le bâtiment de la Corderie est vaste, imposant par son étendue, et étonnant par la sévérité de son architecture: sa longueur est de 1,200 pieds, et sa largeur de 24. Le port de Rochefort est le troisième port militaire de France; peu de ports ont une

et en protègent les arrivages. De grands sacrifices ont été faits pour assainir Rochefort; mais on n'y a réussi qu'imparfaitement; malgré le desséchement des marais, la stricte propreté de la ville, et l'abondance des eaux dont elle est pourvue, les mois d'été y sont encore insalubres. En 1834, et pour essayer de diminuer la mortalité parmi les troupes, on a fait camper, pendant les grandes chaleurs, la garnison de Rochefort, sous des tentes, à une demi-heure de la ville; le camp était placé sur la colline de Pijarre (1).

La ville de Rochefort dans son ensemble, surtout lorsqu'on l'aperçoit du bâteau à vapeur, en arrivant de Saintes, offre l'aspect le plus riant et le plus varié ; les beaux arbres du jardin public, la tour du télégraphe marin, les mats des vaisseaux de ligne qui stationnent dans la Charente, les vastes chantiers de construction, charment la vue des étrangers: la propreté des rues, de longues files de maisons neuves, de jolies places, augmentent encore l'illusion. Mais tout-à-coup le regard est offusqué par des hommes coiffé du hideux bonnet rouge; on frémit en entendant le bruit lugubre et presque cadencé des longues chaînes que les condamnés traînent dans leur marche pénible. Leurs traits sont livides, leur regard est sombre et presque menaçant; leurs corps paraissent tombés sous le poids d'une précoce vieillesse; ils inspirent à la fois l'horreur et la pitié ces hommes, cc sont les galériens ou forçats.

Des gardiens connus sous la triste dénomination de gardes chiourmes, autrefois argouzins, sont préposés à la garde de l'infâme troupeau, toutes les fois que la chaîne sort pour le travail; ils ont pour vêtement une informe capote de drap gris, et pour arme un briquet ou un bâton.

Lorsque, pour la première fois, on voit passer des forçats dans les rues de Rochefort, on se hâte de s'informer où est la sombre demeure de ces infortunés qui ont tout perdu, même l'espérance : allez au bagne, vous répondent les personnes que vous questionnez, allez au bagne; vous y verrez la prison et le lieu de repos des forçats.

Poussé par le vif instinct de la curiosité, vous parcourez dans toute sa longueur la plus belle rue de Rochefort, pour vous arrêter devant un magnifique portail décoré d'emblèmes maritimes, sur la frise duquel vous lisez en grosses lettres: ARSENAL.

Vous vous attendez à voir le redoutable guichet s'ouvrir au premier signal; mais la consigne est plus sévère à la porte de l'arsenal de Rochefort que sur les remparts d'une ville assiégée; avant d'entrer, il faut obtenir une permission du capitaine - commandant. Muni de ce laissez-passer, vous franchissez enfin la barrière; un garde-chiourme se présente à vous, et, dans l'espoir d'une modique rétribution, il s'offre à vous servir de guide.

Devant vous s'élève un moulin à planches dont les

(1) Guide du voyageur - France Pittoresque - Mémoire pour servir à l'Histoire de Rochefort; par M. Thomas,

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larges ailes sont presque toujours en mouvement; à quelques pas plus loin, coule la Charente, sillonnée, d'heure en heure, par des bâtimens marchands, et couverte très souvent de vaisseaux de guerre dont les hauts mâts dominent tous les édifices de la ville. La vaste étendue du port est occupée par divers bâtimens, par les chantiers, par les divers ateliers, par les navires en construction; de distance en distance on aperçoit les forçats, les uns, occupés à divers travaux, les autres, allant et venant sous la conduite des gardes-chiourmes, sortes de démons, compagnons inséparables de ces damnés: à droite, est le bagne proprement dit; il se compose de deux corps de bâtimens alignés et très spacieux; ils peuvent contenir 2,400 condamnés; mais le nombre des forçats est presque toujours moindre.

L'intérieur du bagne de Rochefort, dit M. Appert, est à peu de chose près comme celui de Toulon, excepté toute fois les localités flottantes, qui n'y existent pas. Le bâtiment est assez beau, mais on retrouve le vice principal des établissemens de ce genre, qui confond beaucoup trop de criminels dans une même salle dans l'arsenal, les travaux sont moins compliqués qu'à Toulen.

MOSAIQUE DU MIDI. 3 Année.

Les récompenses journalières produisent un bon effet sur les condamnés, lorsqu'elles sont distribuées avec justice; elles consistent dans la cessation de l'accouplement, dans l'emploi de fers plus légers, dans la distribution de postes plus doux, qui procurent quelque argent, en gratifications semestrielles, accordées par le conseil d'administration de la marine, aux détenus qui ont réuni à une bonne conduite le plus de zèle et d'aptitude pendant les travaux.

Les punitions de simple police autres que celles prévues par les lois sont :

1o Le retranchement du vin pour un jour seulement, excepté dans la saison caniculaire.

2o Le ramas, les menottes, le cachot, la souche et la garcette :

3 La privation des douceurs accordées;

4° La remise en couple pour un temps plus ou moins long.

Les fautes les plus ordinaires au bagne, sont les vols, l'insubordination, les tentatives d'évasion, les voies de fait envers les camarades, les déguisemens, l'altération des effets d'habillement, les trafics d'objets défendus, la confection d'outils propres à faciliter les évasions, les jeux de hasard, les lettres qu'ils appel

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lent Circassiennes de Jérusalem ou pseudonymes, tendant à escroquer de l'argent à des individus crédules. Le mouvement journalier de la chiourme est ainsi réglé au bague de Rochefort.

Au coup de canon de la Diane, on commence à déferrer la fatigue et ensuite la consigne; au son de la cloche de l'embauchée, la chiourme sort des salles; la visite des fers et la fouille se font avec attention, et la chiourme est envoyée sur les travaux :

Le 1er mars, la chiourme rentre dans les salles à 11 heures et demie; chaque homme reçoit sa ration de vivres.

A une heure un quart, la chiourme sort des salles el est renvoyée sur les travaux elle rentre toujours une demi-heure avant la débauchée des ouvriers.

Chaque homme reçoit à la rentrée du soir 48 centilitres de vin (la ration sans travail ne comporte pas de vin.)

Du 1er avril au 1er novembre, la chiourme sort des salles à une heure trois quarts après-midi; du 1er novembre, au 31 mars, la chiourme sort des salles à sept heures un quart, et rentre à trois heures du soir; toujours une demi-heure avant la débauchée des ouvriers. La rentrée totale de la chiourme est annoncée par le son de la cloche; alors, chaque sous-adjudant de garde fait compter les hommes de la salle; cette mesure est nécessaire, et se fait à la rentrée du matin comme à celle du soir.

Au coup de canon de retraite, l'appel nominal se fait dans les salles; une heure après, les sous-adjudans, chacun dans sa salle donnent un coup de sifflet pour annoncer le silence, qui a lieu peu de temps après, et qui dure jusqu'au lendemain.

L'habillement des forçats du bagne de Rochefort est déterminé par l'ordonnance du 5 février 1823, et le réglement ministériel de la même date. Pendant les 4 mois d'hiver, le condamné porte un pantalon de drap rouge, une casaque de la même étoffe; pendant l'été, on lui donne deux pantalons de toile à la place de son pantalon d'étoffe; il a deux chemises, une paire de guêtres, un bonnet et une vareuse pour l'hiver.

Lorsque les forçats sont mis en liberté, ils reçoivent un chapeau ciré, une chemise neuve, un pantalon, un gilet rond en drap brun, une paire de guêtres, une paire de souliers; l'été, le pantalon est de toile au lieu d'être en drap. Après cette statistique si exacte et si fidèle de la vie du bagne, on ne lira pas sans éprouver quelque émotion le tableau de ses tristes habitans, vigoureusement tracé par M. lhéodore, Page qui reçut mission spéciale de visiter les bagnes de France en 1827 et en 1828.

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Un peuple hideux est sorti et s'est formé de toutes pièces de l'écume de nos sociétés; il s'attache comme une lépre, à la civilisation moderne; on en trouve des dépôts sur plusieurs points de nos frontières maritimes, où nos lois l'enchaînent et l'ont réduit à la condition d'un troupeau de bètes de servitude. L'infamie est le lien social des individus qui le composent ; elle a brisé en eux la fraternité qui les liait à leurs premiers concitoyens, et leur a donné de nouveaux frères, une nouvelle religion, une nouvelle patrie; car, au degré de l'échelle sociale où ils sont tombés, infamie de tous n'est plus l'infamie de personne;

un

l'ame qui les inspire est la haine des lois existantes, le désir de nuire à ceux qui s'y soumettent. Ces hommes (puisque, malgré la flétrissure que leur imprime la société, ils sont hommes encore aux yeux de la nature), ont un nom commun; on les appelle forçats ou galériens; le bagne est leur patrie adoptive. Quand un voyageur vient visiter nos grands arsenaux maritimes, son oreille est tout d'abord frappée d'un bruit de chaînes lentement traînées sur le pavé; ce bruit sinistre l'accompagne partout sur les quais, sous les voûtes des édifices où s'exécutent les travaux du port, le cliquetis de la chaîne tombe en cadence avec le bruit du marteau qui brise la pierre ou de la rame qui fend l'eau; puis, à chaque pas, il rencontre des hommes vêtus d'une manière étrange et accouplés deux à deux; un lien de fer les unit, rivé par chacune de ses extré– mités à la cheville de leurs pieds: des souliers informes, un pantalon en laine jaune, une chemise rouge bigarrée de jaune et marquée de numéros divers, sale bonnet avec une plaque de plomb numérotée, tel est leur accoutrement; et l'étranger qui s'arrête devant le passage de ces bandes d'hommes enchaînés ne demande pas même leur nom à son guide; il a reconna les galériens, il a lu leur condamnation, travaux forcés, dans les deux lettres T. F., imprimées sur le dos de de leur chemise. Un premier sentiment de pitié ou de douleur s'éveille au fond de son ame, quand il voit le garde, chargé de ramener au parc ces êtres, accélérer leur marche avec le bâton, et, semblable au chien du berger qui rôde en grognant autour du troupeau, rallier par d'effroyables menaces ou par des coups le trainard qui s'écarte des rangs; mais, s'il fixe un instant son œil sur toutes ces figure hâlées et bronzées, il frémit involontairement sous leur regard oblique et fauve; sa pitié s'efface et fait place à la crainte ou au dégoût; c'est que tous portent sur le front un stigmate de réprobation et de haine invétérée : c'est qu'il pressent instinctivement que cette horde de brigands, au milieu même du châtiment qu'ils subissent, ne cherche dans la nature entière que de nouveaux moyens, de nou

velles occasions de crime.

༥ Une fatale destinée préside à la vie du galérien : au sortir de la cour d'assises, on le pousse vers nos ports, emprisonné dans une chaîne de fer qui lui serre le cou et la cheville du pied, et, par un embranchement latéral, lie le poignet opposé à tout le système ; arrivé au point de sa destination, ce premier et sévère lien est brisé; on lui arrache ses vêtemens, dernier souvenir de la société qui le répudie; il endosse l'uniforme dégradant du forçat. On lui jette au hasard un compagnon, qui doit partager sa chaîne, son sommeil, ses travaux, sa nourriture, son repos, sou existence de tous les instans; on le marie... épousailles étranges! une chaîne de fer, rivée sous le marteau de l'exécuteur, est la bandelette sacrée du mariage du forçat un garde-chiourme est son dieu d'hyménée!... et alors, s'ouvrent devant lui les grilles du bagne. Savez-vous ce qu'est le bagne? un vaste édifice, dont l'intérieur est divisé en longues salles, au milieu desquelles s'élève un double lit de camp: là, chaque couple trouve un anneau qui l'arrête comme un animal pris au piége, une boîte pour renfermer sa couverture, un espace de deux mètres carrés pour s'étendre et dormir;

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