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sentation directe, et partant sans influence immédiate.

Qu'était-ce donc qu'une assemblée qui ne représentait ni le clergé, ni la noblesse, ni le tiers-état? Et, si nous pénétrons plus au fond des choses, qu'était-ce qu'une assemblée où le tiers-état n'avait pas plus de voix que le clergé et la noblesse réunis ? Cela était bon quand les prêtres et les seigneurs possédaient à peu près seuls la science et la richesse; mais depuis que de nouvelles lumières et de nouveaux intérêts avaient

créé de nouveaux droits, il s'était formé quelque chose qui n'était ni le clergé, ni la noblesse, ni le tiers-état, mais la nation, c'est-à-dire la réunion de tous les hommes éclairés et directement associés à la chose publique.

La discipline intérieure des Etats n'était pas moins surannée que leur composition. Le président prenait place dans un fauteuil richement orné, sur une estrade élevée de trois degrés, et sous un dais de velours bleu garni de galons et de franges d'or. Les évêques étaient assis à sa droite et les barons à sa gauche : les évêques prenaient rang selon la date de leur sacre. Parmi la noblesse il y avait quatre places fixes, la première pour le comte d'Alais, la seconde pour le vicomte de Polignac, la troisième pour le baron de tour du Vivarais, la quatrième pour le baron de tour du Gévaudan; le reste de la noblesse prenait rang selon la date des réceptions. La maison de Lévis-Mirepoix, dont le chef portait le titre de maréchal héréditaire de la foi, protestait tous les ans contre cette disposition qui la confondait parmi les autres baronnies: formalité d'autant plus puérile, que celui qui l'accomplissait savait d'avance qu'elle demeurerait sans résultat.

Au pied du fauteuil du président, autour d'une grande table couverte d'un tapis de velours bleu brodé en or, siégeaient les trois syndics généraux, deux greffiers et un trésorier, officiers de la province; dans le plain-pied de la salle, et au-dessous des bancs supérieurs occupés par la noblesse et le clergé, régnait un autre banc élevé de deux pieds, formant le tour des trois côtés du carré : là se plaçaient les députés des villes épiscopales, à l'exception des cinq premières, dont les députés avaient un banc à dossier qui fermait le carré. Un capitoul de Toulouse et un ancien capitoul que la ville députait avec lui occupaient le milieu du banc, vis-à-vis le président des Etats, et, de part et d'autre, sur le même banc, les députés de Montpellier, de Carcassonne, de Nîmes et de Narbonne. Derrière ce banc en étaient cinq sans dossier pour les députés diocésains qui prenaient place chacun selon le rang du diocèse qu'il représentait le tout offrait un aspect assez imposant, et ce qu'il y avait de mieux ordonné dans les Etats, c'était la salle de leurs délibérations.

Les plus minutieux détails de l'étiquette étaient réglés d'avance avec un soin scrupuleux. Le goût pour la représentation hiérarchique, qu'une sorte de fureur d'égalité nous fait trop négliger de nos jours, était poussé dans l'ancien régime jusqu'au ridicule. Ce n'était pas tout d'assigner à chaque ordre et à chaque membre sa place dans les Etats, d'élever de quelques pieds le siége du clergé et de la noblesse, de distinguer entre les bancs à dossier et ceux qui n'en avaient pas, on savait encore combien de marches il fallait descendre MOSAÏQUE DU MIDI. 3o Année.

pour aller au-devant des commissaires du roi, où devait s'arrêter le clergé, où la noblesse, où le tiers, où les syndics généraux; et toutes ces misères étaient discutées avec plus d'importance que les plus hautes questions de l'administration.

L'ouverture des Etats avait lieu d'ordinaire vers la fin de Novembre la session durait quarante jours; mais les commissaires du roi avaient le droit de la prolonger. Le premier jour, qui devait être un jeudi, "discours des commissaires du roi et du président des États; le vendredi, vérification des pouvoirs; le samedi, prestation du serment; le dimanche, messe solennelle du Saint-Esprit et procession du Saint-Sacrement, auxquelles toute l'assemblée assistait; le lundi, rapport sur le cérémonial: là finissaient les opérations préliminaires des Etats. Le mardi, les commissaires du roi exprimaient les demandes de la couronne et se retiraient; puis l'assemblée délibérait, se divisait en commissions, examinait les affaires des sénéchaussées sur le rapport des syndics généraux, discutait le cahier à présenter au roi, etc. Le plus ancien évêque de l'ordre du clergé prenait la parole le premier, et ainsi de suite. Le vote avait lieu par tête, et les décisions étaient prises à la pluralité des suffrages.

La session commençait par le vote du don gratuit, et se terminait par celui de la taille, du taillon, et des autres impositions de la province. On appelait don gratuit la somme accordée au roi par les Etats à titre de présent, ou pour mieux dire, comme prix annuel de leurs priviléges. Les Etats y mettaient pour condition principale que nulles impositions ne pourraient être levées sur la province sans leur consentement, et les commissaires acquiesaient au nom du roi à cette condition; de sorte que ce prétendu don n'était en réalité qu'un marché entre le roi et la province. Depuis 1690, le don gratuit était de trois millions. De nos jours ce ne serait pas acheter la liberté fort cher; mais trois millions valaient alors beaucoup plus qu'aujourd'hui. Le total des deniers royaux, taille, taillon, vingtièmes, droits abonnés, capitation, etc., ne s'élevait en 1789 qu'à près de treize millions.

Les deniers provinciaux n'étaient cette même année que de 1,624,720 livres; pour frais d'administration des Etats 272,420 liv.; pour encouragement aux sciences, aux arts et à l'industrie, 128,330 liv.; pour travaux publics, 1,071,216 liv., pour rentes et intérêts d'emprunts, 152,755 liv. On conçoit peu au premier abord comment, avec des ressources si restreintes, la province a pu exécuter de grands travaux et se distinguer même par sa magnificence; mais quand on songe à la misère du peuple avant la révolution, et conséquemment au bas prix de la main-d'œuvre, ces résultats paraissent à la fois moins étonnans et moins admirables. Quant aux 272,000 liv. affectées aux frais des Etats, leur distribution donnait lieu tous les ans aux plus honteux gaspillages. Il y avait des gratifications pour chaque membre, des honoraires pour le président, des épices pour toutes les commissions, des indemnités pour le gentilhomme qui portait à la cour la délibération du don gratuit, pour la grande ambassade qui présentait au roi le cahier des doléances de la province enfin, les membres des Etats s'étaient habitués à considérer leur titre comme une bonne affaire,

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dont ils tiraient sans scrupule tout l'argent qu'ils pou- | plus l'effort et puissant pour la briser. L'assemblée qui

vaient.

Immédiatement après la tenue des Etats, les assemblées diocésaines étaient convoquées pour faire l'assiette ou la répartition des impositions du diocèse. Cette opération avait lieu sous les yeux d'un délégué des commissaires qui avaient présidé pour le roi aux Etats de la province. Ces assemblées diocésaines n'étaient rien par elles-mêmes on ne les considérait en quelque sorte que comme des sous-commissions des Etats.

Tout cela ne se pratiquait que pour les contributions directes; les Etats n'exerçaient aucune action sur les autres. Le total des impôts directs payés par la province en 1789 était de 44,415,731 liv., deniers royaux et provinciaux réunis; mais l'ensemble des contributions du Languedoc, tant directes qu'indirectes, s'élevait, selon MM. Necker et de Calonne, à trente-sept millions.

Cette organisation politique et économique du Languedoc, où nous avons pu remarquer tant d'abus, était pourtant supérieure à tout ce qui existait en France avant 1789. C'était là du moins une constitution incontestable et réelle, tandis que dans l'oubli général des traditions et le cahos des prétentions contradictoires, on doutait alors qu'il y eût même jamais eu en France une constitution nationale. L'institution des Etats-Généraux du Languedoc ne tirait pas seulement son origine des Romains, elle avait encore été perfectionnée par les plus grands rois de la monarchie française, saint Louis, Charles VII, François 1er et Louis XIV. L'œuvre de ces législateurs d'une province avait servi de modèle aux assemblées provinciales que Necker voulait établir dans tout le royaume, et l'on en trouve encore des traces sensibles dans l'organisation actuelle des conseils-généraux et d'arrondissement.

Pourquoi donc les Etats-Généraux du Languedoc ont-ils disparu de la société française? Parce que d'abord leur constitution était fondée sur le privilége, et qu'en suite le premier besoin de la révolution était de créer une France compacte, une nation. En détruisant tout ce qui s'opposait à l'irrésistible progrès des idées et des faits, l'Assemblée Constituante a fait son devoir; en essayant de reconstruire sur un nouveau plan l'édifice écroulé, nous ferions peut-être le nôtre; et quoique d'autres provinces, telles que la Bretagne, la Provence et la Bourgogne, aient eu aussi des simulacres d'Etats, ceux du Languedoc, comme les mieux constitués, devraient être particulièrement étudiés et reproduits.

Quand les préjugés et les abus sont profondément enracinés, ils se refusent à admettre de simples réformes, et rendent nécessaires ces convulsions sociales qu'on appelle des révolutions. Ainsi, quand la noblesse du Languedoc demanda à être représentée dans les assemblées de la province par des mandataires de son choix, et non par vingt-trois barons héréditaires, cette sage et naturelle prétention fut repoussée par les Etats comme une atteinte criminelle à leur constitution. Ainsi encore, quand il fut question pour la première fois dans les conseils de la couronne de donner à l'administration française plus d'harmonie et d'uniformité par une nouvelle division du territoire, l'esprit étroit de localité protesta contre une amélioration qui était devenue inévitable. Plus la résistance est opiniâtre,

n'avait pas voulu admettre la représentation réelle a été dissoute; les provinces qui avaient refusé de se fondre sans secousse dans la grande unité, ont été violemment fractionnées en départemens. Deux forces éminemment révolutionnaires, l'égalité civique et la centralisation administrative, ont déblayé la société française de tous les débris que quatorze siècles y avaient accumulés.

Il n'y a plus, Dieu merci, ni séparation des ordres, ni distinction entre les biens nobles et les biens ruraux, ni baronies d'Etats, ni évêchés privilégiés, pas plus que de provincialisme exclusif et de vieilles haines féodales. Il a fallu bien du temps et du mal pour en venir là; mais enfin toute vie est devenue la vie commune, et l'on ne trouve plus que des Français en France et des citoyens dans l'état. Il n'est pas à craindre que des abus si bien effacés se reproduisent d'euxmêmes. Or le régime administratif que la révolution a imposé à la France, régime en quelque sorte tout militaire, n'était bon que pour une époque de guerre et de vengeance : qu'il disparaisse donc avec elle, et que les vieilles franchises reviennent au jour, puisqu'elles sont enfin en harmonie avec l'ordre universel. Toute leur rouille s'en est allée dans le frottement terrible de ces derniers temps; il ne leur restera plus, si vous les renouvelez, que l'énergie primitive de leurs origines, tempérée par l'action bienfaisante et pacifique de la civilisation.

Les départemens sont de trop petites fractions, relativement à l'étendue totale du sol national. Les anciennes circonscriptions sont également vicieuses; mais il serait facile de corriger le présent par le passé, et réciproquement. On a proposé de diviser la France en douze provinces parfaitement égales d'importance ou d'étendue, ayant chacune leurs Etats particuliers, sous l'autorité d'une assemblée supérieure, formée des députés de toute la nation; et cette division serait en effet la meilleure pour asseoir solidement les libertés locales, sans nuire à la sainte unité que la révolution nous a léguée. Il faudrait soigneusement consulter sur ce point les vœux des populations et les configurations du territoire; cr il est vrai en fait que la communauté des intérêts a déja créé plusieurs de ces provinces en dehors des combinaisons politiques. Il suffirait en quelque sorte de constater et de nommer. Toute la ligne des Pyrénées, par exemple, forme naturellement la base d'un triangle dont la pointe vient tomber audessus de Toulouse: ce serait là le nouveau Languedoc. L'unité territoriale de ce beau pays n'a pas besoin d'être démontrée. Les anciens Etats y avaient préparé des travaux publics qui seraient probablement repris ou remplacés par les nouveaux : les ports de Bayonne et de Port-Vendres, les canaux des étangs et des Pyrénées, les travaux pour la navigation de l'Ariége, de la Garonne et de l'Adour, les grandes voies que le génic de l'Empereur voulait ouvrir dans les montagnes qui nous séparent de la Péninsule, tout cela ne dépendrait plus d'une volonté négligente et lointaine. Le pays s'administrerait lui-même, et il en serait de même de toutes les autres provinces.

Car la représentation nationale aurait gagné en importance et en réalité plus le mandataire est rappro

ché du commettant, plus la volonté du commettant est comprise et exprimée par le mandataire; plus le nombre des représentans est considérable, plus il y a de chances pour que tous les intérêts et tous les besoins soient représentés; plus enfin le territoire à administrer est circonscrit et limité, plus l'intelligence complète des localités est exigible de l'administrateur. Or, si au lieu de se concentrer à Paris entre les mains de trois ou quatre cents votans, les attributions actuelles de la chambre des députés s'exerçaient par douze assemblées locales composées chacune d'une centaine de députés, le tout sauf révision d'une chambre unique, représentative de l'unité nationale, tous les avantages de l'ordre actuel seraient conservés et de plus agrandis. Ce ne serait pas changer le principe, ce serait l'appliquer plus rigoureusement. En effet le nombre des électeurs s'étendant toujours, le nombre des élus doit s'étendre aussi, car toute représentation cesse dès qu'un trop grand nombre est appelé au choix d'un seul, et l'expérience a prouvé que l'élection indirecte ou à plusieurs degrés n'est pas une véritable élection. La bonne politique dans un pays libre est d'associer à la chose publique le plus grand nombre possible de citoyens. Si toutes

les nécessités avaient une expression légale dans l'état, les révolutions, qui ne sont que l'expression d'une nécessité hors de l'ordre établi, cesseraient naturellement.

Le Languedoc a déja doté la France entière de son régime municipal et de ses Etats-Généraux du quatorzième siècle; il nous a conservé, au travers des siècles et des bouleversemens, le droit romain, cette raison écrite qui fait maintenant la base de notre législation, et dont la révolution a substitué les sages principes aux coutumes barbares du droit féodal. Il serait étrange que cette même province, poursuivant son apostolat d'ordre et de liberté, renouvelât encore aujourd'hui par ses antiques exemples le systême chancelant de la représentation publique; elle prendrait là une belle revanche de la guerre d'extermination que le Nord lui a toujours faite tomber par la force et se relever par l'esprit, ce serait une glorieuse destinée. Et ces résultats n'ont heureusement rien de commun avec aucun des partis qui divisent aujourd'hui la France: l'établissement des assemblées provinciales peut avoir lieu sous quel gouvernement que ce soit. Léonce de LAVergne,

VOYAGE DANS LA HAUTE-AUVERGNE.

La contrée qui forme aujourd'hui le département du Cantal, fesait autrefois partie de la province d'Auvergne; ses habitans subirent pendant plusieurs siècles linfluence de la métropole, et l'histoire de la HauteAuvergne se trouva liée à toutes les vicissitudes de la grande province. Nous avons déja esquissé dans la Mosaïque du Midi (1), les principaux faits, les principales époques de ses annales. Aussi, nous bornerons-nous maintenant à parcourir plutôt en voyageur qu'en historien, les villes, les villages, les châteaux, les manoirs de la Haute-Auvergne. En visitant rapidement le département du Cantal, nous entraînerons avec nous le lecteur d'événemens en événemens, et la curiosité ne sera pas émoussée par la monotonie, compagne inséparable des essais historiques.

D'ailleurs, le pays que nous allons parcourir est si riche en sites pittoresques, en beautés de toute espèce que la nature a jetées à pleines mains dans ses profondes vallées, sur les sommets escarpés des plus hautes montagnes! Quand on a vu les plaines brûlantes de la Provence, les bords si accidentés du Rhône, les rives toujours fleuries de la Garonne, on trouve une admirable

(1) Mosaïque, tome 2.

:

diversion dans le spectacle que présente dans le département du Cantal, la nature tantôt sauvage, tantôt parée de toute sa grace, de toute sa magnificence. Aux pieds des montagnes volcaniques s'étendent de riantes vallées près des roches arides, s'élèvent d'épaisses forêts à côté des vieilles tours du manoir crenelé, la flèche d'une vieille église soutient dans les airs la modeste croix de fer que le montagnard salue de loin en récitant dévotement sa prière : l'œil attristé par des ruines, est tout-à-coup réjoui par l'aspect riant d'un village, dont les maisonnettes sont suspendues comme autant de Chalets aux flancs de la montagne !

« Le département du Cantal, dit un voyageur dont nous avons analysé le récit, est hérissé de montagnes qui composent la majeure partie de son sol. La principale est le Cantal, connue des anciens sous le nom de mons Celtorum. Le mont, dont l'énorme base s'étend du Nord au Sud dans une longueur de trois lieues, est environné d'audacieux rivaux d'une étonnante élévation, quoique subordonnée à la sienne. Ces énormes aspérités réunies dans un rayon de moins de trois lieues de diamètre, sont autant de cônes aigus qui s'élèvent avec audace au-dessus des hautes montagnes dont elles sont environnées, et qui ne sont peut-être que leurs débris.

!

Cette courte et rapide description de l'aspect général qu'offre à l'attention du voyageur la région comprise autrefois dans la Haute-Auvergne, description faite à vol-d'oiseau, n'est qu'une faible esquisse, qu'un croquis informe de ce magnifique panorama. Parcourons nousmêmes cette belle partie de l'ancien royaume des Bituitus, arrêtons-nous sous les remparts de chaque ville pour en étudier l'histoire; reposons-nous à la porte de tous les châteaux pour connaître les noms des fiers paladins qui les habitaient; asseyons-nous sur le seuil des antiques monastères, nous découvrirons peut-être sur les dalles les noms de quelques célèbres cénobites, et les filles du village nous répèteront, dans leur langage naïf, la légende d'une jeune religieuse qui s'ensevelit dans le cloître par dépit d'amour, et y mourut en odeur de

L'escarpement de ces cônes rend leur accès presque impraticable. Quand on considère du village des Chares le Puy-de-Griou, entièrement coupé à pic de ce côté, tandis qu'en face le plomb du Cantal s'élance jusqu'au nues avec une égale raideur, l'aspect menaçant de ces formidables escarpes répand dans l'âme une involontaire terreur on est tenté de fuir; on oublie presque que le globe les supporte. Mais après ce premier mouvement, si la curiosité innée dans l'homme, réveille sa témérité, et qu'il parvienne, par exemple, au sommet du Puy-de-Griou, c'est alors, qu'avec plus de raison, il est permis de trembler. A peine le plateau que l'on trouve à la cîme, a-t-il six pied de large. Le moindre étourdissement, l'espèce d'ivresse où plonge l'immensité qui se développe sous vos yeux, cette vibration qu'éprouvent les jambes à la suite d'une longue et pé-sainteté puis, nous demanderons aux villes les noms nible montée, la moindre distraction, le plus léger faux pas, peuvent vous précipiter au fond des abîmes ouverts à vos pieds. On est vraiment suspendu entre la vie et la mort.

« La nature semble communément traiter en marâtre les hautes montagnes, et ne composer leur draperie que des attributs lugubres et majestueux de sa sévérité et de son courroux. C'est ce qu'elle a fait à l'égard du groupe le plus élevé du Cantal. Mais les montagnes inférieures, et les plateaux qui lui servent d'appendices, ont été plus favorisés. Quoique couvertes de neige, pendant cinq mois de l'année, elles se parent de verdure à la belle saison, et offrent d'excellens pâturages. L'herbe la plus riche, le gazon le plus touffu les tapissent les violettes, les hyacinthes, les muguets sauvages, les marguerites de tout genre, les princerolles, les œuillets champêtres, émaillent et parfument, à Tenvi, cette verdure délicieuse dont la délicate saveur appelle, au printemps, les troupeaux avides d'en jouir. Mais ce n'était pas assez de ces dons, et, plus généreuse encore, c'est là qu'elle a caché ces plantes, ces simples salutaires dont le baume a plus d'une fois rappelé à la vie le montagnard mourant. Cette région est semée de petites maisons appelées Burons, servant de demeure, après la fonte des neiges, aux bergers chargés de la garde des vacheries et de la manipulation des fromages célèbres, connus sous le nom de fromage du Cantal.

La plupart des vallées offrent l'aspect le plus agréable; vivifiée par des rivières et des sources qui jaillissent de toutes parts, la végétation s'y développe avec une étonnante vigueur des bosquets, des haies vives, des clôtures de toute espèce, et des chemins, divisent et subdivisent, à l'infini, cette terre couverte de riches moissons, de prairies verdoyantes et émaillées de fleurs des jardins et des vergers entourent les habitations modestes, mais propres, et dominées par le clocher du village, par les ruines d'anciens châteaux forts, souvent aussi par des rochers énormes, à la cîme desquels est une chapelle ou un hermitage. Tous ces objets sont, par les souvenirs qui s'y rattachent, autant de dieux Pénates qui ramenent sans cesse l'Auvergnat voyageur au sein de sa patrie, et qui le console dans son exil momentané (1).

(1) Voyage dans la Haute-Auvergne ; par une Société de gens de lettres et de géographes.

des grands hommes qui ont vu le jour dans leurs en

ceintes....

Voyez-vous quelques maisons agglomérées à l'horizon sur ce plateau basaltique? c'est Saint-Flour, c'est la ville noire, la vieille cité construite comme un phare sur le roc escarpé et coupé à pic. Les matériaux dont se compose le sol décèlent une terrible histoire; tout porte à croire qu'un torrent de matières enflammées, sorti des flancs volcaniques des monts du Cantal, parcourut une espace de cinq lieues, s'arrêta où il trouva une obstacle à son cours, s'y refroidit, et laissa une énorme masse de basalte, curieux monument de l'une des plus grandes convulsions du globe. Bientôt les eaux courantes dégarnirent le terrain qui avait servi de digue au torrent volcanique; la masse basaltique résista et se maintint à peu près telle qu'on la voit aujourd'hui : sa hauteur au-dessus du sol est d'environ soixante-seize pieds; pour monter du faubourg à la ville, on a pratiqué dans le roc, autour de la montagne un fort beau chemin ou rampe. On ignore lépoque des premiers établissemens faits sur ce rocher; on sait seulement que dans les temps anciens, il était désigné comme un lieu de rendez-vous ou un signal pour les voyageurs égarés. Saint-Flour (1) ne s'accrut guère avant l'époque ou le pape Jean XXII érigea la ville en évêché. Le nombre de ses habitans augmenta par la suite; mais la triste cité, pavée de laves, construite avec les débris vomis par les volcans, a été longtemps appelée par les montagnards la ville triste, la ville noire. Elle eut beaucoup à souffrir en 1793; il s'y opéra des changemens qui ont tourné à l'avantage de la localité. Saint-Flour possède aujourd hui plusieurs édifices publics remarquables et sa position est à la fois majestueuse et pittoresque; mais hâtons-nous de quitter la ville épiscopale, après avoir salué les mânes de ses nobles enfans: Pierre Contel qui fut président du grand Conseil sous François Ier, Buirette du Belloy l'auteur du Siége de Calais. Partons; la ville noire nous servira de phare dans notre excursion.

Laissons le village d'Alleuse avec les ruines de son vieux manoir qui servit long-temps d'asile au fameux Mérigol Marcel, capitaine de routiers. Auriac et son beau château, Brezous et sa voie romaine, Chaliers et son antique seigneurie, ne doivent pas nous arrêter; nous avons hâte d'arriver à Chaudes-Aigues dont les

(1) Voyage dans la Haute-Auvergne; par Legrand.

eaux minérales appelées Calentes aquæ par Sidoine Apollinaire, étaient déja fameuses au ve siécle; la ville est petite; elle renferme trois cents maisons et pourrait au besoin recevoir cinq à six cents étrangers. L'arrondissement de Mauriac présentera peut-être à notre imagination des points de vue moins tristes que les cônes basaltiques de Saint-Flour. Déja nous apercevons sur la rive droite de la Dordogne les ruines de l'antique château de MIREMONT, où Madelaine de Saint-Nectaire, Veuve de Guy de Saint-Exupéris, soutint un long siége en 1574; plus loin est le joli bourg de FONTANGES, situé dans la plus belle des vallées du Cantal. Sur une petite éminence on aperçoit les ruines du château ou nâquit la belle duchesse de Fontanges une des maîtresse de Louis XIV; en moins de deux heures nous arriverons à Mauriac, petite ville connue dès l'an 377, époque à laquelle l'empereur Gratien y fit construire un palais pour s'y délasser des fatigues de l'empire et y jouir des plaisirs de la chasse. Avant de partir, entrons dans l'église gothique de NotreDame-des-Miracles, fondée, dit-on, par Théodéchilde, fille de Clovis, et (1) reconstruite vers le commencement du XIIe siècle. Sur une des collines qui avoisinent la ville, se voient encore les restes de l'antique chapelle de Saint-Mary ou Marins apôtre de la HauteAuvergne. Le village de Meallet avec sa grotte où vécut Saint-Calupard; Riom-es-Montagnes avec ses urnes cinéraires, ses médailles romaines; Scorailles avec sa forteresse, connue dans l'histoire sous le nom de Castrum Scorallum, qui résista long-temps aux armes de Pépin-le-Bref; Sartiges, d'où l'œil embrasse la chaîne des montagnes qui s'étend du cantal au MontDore, sont les sites les plus pittoresques de l'arrondissement de Mauriac, et les lieux les plus célèbres dans l'histoire de la province d'Auvergne.

La ville de Murat bâtie au pied du mont Cantal sur la rive droite de l'Alagnon, ne doit pas rester inaperçue aux yeux du voyageur, quelque pressé qu'il soit d'arriver à Aurillac le chef-lieu du département.

>> On marche d'abord entre deux chaînes de rochers; on s'élève ensuite vers les hautes régions, à travers la forêt de Liorant, dont les sombres sapins attirent la vue de ce côté, tandis que le bruit des cascades retentit sur tous les points. On doit parcourir cette route à cheval, pour bien jouir du spectacle imposant qu'elle présente. C'est une allée tortueuse tracée au milieu de gorges effrayantes, et qui suivant toujours le pied des montagnes, en fait parcourir toutes les sinuosités et offre aux yeux mille contrastes. Après avoir franchi le pas de Compain, passage fameux dans le pays; après avoir cent fois mesuré de l'œil, tantôt avec frémissement, tantôt avec admiration, les crêtes chenues d'énormes aspérités, et les abimes profonds qui sont à leurs pieds, on arrive sous la douce influence de l'air du midi, dans des vallons rians, frais, couverts de bois verdoyans, arrosés par la Cére, dont le bruissement n'est plus celui d'un torrent, mais le cours d'une onde pure, qui va caressant les fraîches prairies qu'elle fertilise. Arrivé dans cette belle vallée, l'esprit se repose des volcans, des enfers, des orages, des caux furieuses, et de la triste verdure des sapins (1). »

L'agréable position d'Aurillac, les eaux de la Jourdanne, la vallée pittoresque qu'elle arrose, l'aspect riant de la ville dissiperont entièrement les idées tristes qui nous ont assaillis pendant tout le temps qu'a duré notre voyage. Un peu au-dessous de la ville, la vallée de la Jourdanne s'élargit insensiblement et s'unit au vallon de la Cére; l'œil est enchanté, tout lui sourit, et les extrémités des chaînes du Cantal qui apparaissent au nord et à l'ouest, rendent le tableau plus riant, plus pittoresque : la ville s'élève sur une côte à pente douce et dont la Jourdanue baigne le pied. Les historiens n'ont pu jusqu'à ce jour préciser l'époque de son origine; quelques auteurs la font remonter à Marcus-Aurélius-Antonius; mais l'opinion la plus vraisemblable est celle des chroniqueurs qui disent que la fondation d'Aurillac ne remonte pas au-delà du 1xo siècle. L'ermite Saint-Géraud, issu de la noble maison d'Auvergne, fit dit-on, construire, sur la colline, un monastère de l'ordre de Saint-Benoît. Après la béatification du Saint, plusieurs maisons s'élevèrent en peu d'années autour du monastère, et les abbés successeurs de Géraud prirent le nom de comtes d'Aurillac. Quelques auteurs affirment que la ville comptait déja de nombreux habitans lorsque saint Géraud s'y établit avec ses religieux; saint Odilon, abbé de Cluny, contemporain de saint Géraud et qui a écrit sa vie, assure que ce prince était né à Aurillac. La ville existait donc déja, et cela paraît si vrai qu'à l'époque de la fondation de l'abbaye on comptait à Aurillac quatre églises; SaintBenoît, Saint-Lazare, Sainte-Marie-Madelaine et Saint

<< Murat, disent les géographes que j'ai déja cités, est la ville la plus mal-propre du Cantal. Elle est défendue des vents du nord et du nord-ouest par des roches basaltiques composées de colonnes prismatiques qui ont depuis quatre jusqu'à quarante pieds de longueur, et qui, vues de loin, offrent l'aspect d'un jeu d'orgue. Son château fort qui avait titre de vicomté fut confisqué par Charles VI, sur Renaud II, vicomte de Murat, au profit de Jean, Seigneur de l'Isle : le comte d'Armagnac la posséda jusqu'à sa mort, arrivée en 1477. Louis XI s'empara alors de la forteresse de Murat et la fit raser de fond en comble. Reconstruite vers la fin du xvi° siècle, elle fut démolie en 1633, pendant les guerres contre les protestans. Cette opéra-Clément, où fut inhumé le comte. Géraud, père de tion fut longue et dispendieuse; la ville fut souvent exposée par le jeu de la mine qu'il fallut employer pour faire sauter les fortifications.

» A une lieue de Murat le petit village de Moissac offrira à notre curiosité artistique l'énorme rocher de Laval presqu'entièrement taillé à pic: mais suivons la route d'Aurillac à travers les monts du Cantal.

(1) Mauriac a vu naître plusieurs hommes célèbres; Saint Odilon, abbé de Cluny; l'astronome Chappe; Vacher de Tourne mine membre de plusieurs assemblées législatives.

Saint-Géraud, mort long-temps avant ladite fondation. Si enfin l'on remonie au principe des grandes habitations, on trouvera aussi que la position d'Aurillac est la plus avantageuse de la Haute-Auvergne, et que par conséquent les colons s'établirent de préférence dans cet endroit. Quoi qu'il en soit de l'antiquité de cette ville, il est certain que l'abbaye fondée par saint Gé raud, était une des plus célèbres et des plus riches du

(1) Relation de la Haute Auvergne ; par Reynaquet.

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