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costume est original, poétique, comme leur histoire. La Provence est la terre classique des plaisirs, des jeux, des divertissemens. L'étranger qui assiste pour la première fois à une fête publique, qui voit danser les jeunes filles d'Aix ou de Marseille, croit entendre les pas cadencés des vierges napolitaines qui dansent le voluptueux fandango aux pieds du Vésuve.

Lorsque nous décrirons les mœurs des Provençaux, | culier, et qu'on chercherait vainement auleurs; leur il nous sera facile de démontrer la vérité de ces rapprochemens historiques. La terre de Provence est une des plus belles provinces du royaume de France; ses villes ont joué un rôle bien glorieux dans la civilisation ancienne; Marseille avec sa colonie de Phocéens, Arles avec ses proconsuls romains, Aix avec ses troubadours, groupés autour du trône du bon roi Réné, ne connaissent pas de rivales en gloire. Leur ciel est presque toutours pur; leurs habitans ont conservé un type parti

Hippolyte VIVIER.

FÊTES POPULAIRES A MARSEILLE.

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et quelques autres destinés à recueillir les vaincus, ou à porter secours en cas de besoin. Les bateaux jouteurs sont des bateaux de pêche dits Eyssagos: ils sont en nombre pair, équipés chacun de huit rameurs, d'un patron et d'un brigadier. Ils sont divisés en deux flctilles, distinguées par des couleurs. Les bateaux sont peints en blanc avec des bandes de la couleur qui leur est attribuée. Les rameurs sont aussi en blanc, avec des rubans de la couleur et des chapeaux de paille. A l'arrivée des bateaux jouteurs sont placées des espèces d'échelles appelées Tintainos, qui saillent en dehors d'environ trois mètres par l'extrémité supérieure. Le

Les habitans de Marseille conservent encore certains usages transmis aux peuples de Provence par les Phocéens, et plus tard par la civilisation romaine. Sur les bords de la Méditerrannée on retrouve des types frappans d'origine grecque. Le langage, le costume, les mœurs, les fêtes publiques, tout rappelle une civilisation primitive qui a disparu au milieu du cahos du moyen-âge; quelques coutumes transmises plus ou moins fidèlement de siècle en siècle, sont les seuls vestiges d'une splendeur, d'une puissance qui fut éclipsée, depuis long-temps, pour faire place aux constitutions d'une génération nouvelle. Les jeux, et les divertissemens publics portent une empreinte d'antiquité d'au-sommet de l'échelle est terminé par une planche fort tant plus originale qu'on la retrouve rarement même dans nos provinces méridionnales. Le jeu de la Targue se célèbre encore annuellement à Marseille. Nous emprun tons à M. le comte de Villeneuve, auteur de la statistique des Bouches-du-Rhône, la description de la Targue, telle qu'on la célébrait autrefois.

« La Targue est le nom qu'on donne en Provence à la joute de mer. C'est de tous les jeux qui se font dans le pays, le plus magnifique et le plus imposant. La Targo est usitée à la Ciotat, Cassis, Marseille, Martiques, Arles et Tarascon, soit dans les fêtes patronnales, soit dans les occasions solennelles. Marseille étant le lieu du département où cet exercice se fait avec le plus d'éclat, nous nous y plaçons pour la description que nous avons à faire et qui servira de type à celle des autres pays. On forme dans le port une vaste enceinte avec des barques et des pontons, sur lesquels on construit un pavillon pour les autorités et les personnes de distinction. De chaque côté du pavillon, sont des gradins formant un amphithéâtre destiné aux dames et aux personnes qui reçoivent des billets. L'enceinte est sous la surveillance du capitaine du port qui n'y admet que le vaisseau des prud'hommes, ceux des jouteurs

étroite sur laquelle le jouteur se tient debout. Il porte à la main gauche un bouclier de bois, et il tient de la droite une lance terminée pour un bouton ou une plaque. Tous les ports de mer sont admis à fournir les candidats pour la Targo; ils se font inscrire au bureau des prud'hommes, et joutent d'après les rôles d'inscription. Les tambourins sont placés dans les bateaux et exécutent des airs nationaux propres à exciter les combattans. Indéperdamment de cette musique nationale, il y a dans l'amphithéâtre la musique militaire, qui joue chaque fois qu'il y a joute, comme pour proclamer le triomphe du vainqueur. Les prud'hommes sont les juges du combat; ils sont dans leur bateau, revêtus du costume de cérémonie, qui est l'habit noir, avec le manteau de soie, et le chapeau à la Henri IV.

<< Tout étant disposé, deux bateaux se détachent et rament avec le plus de vitesse possible l'un contre l'autre les patrons ont soin d'éviter l'abordage, mais ils se rapprochent assez pour que les deux jouteurs puissent se porter mutuellement un coup de lance. Le plus faible est précipité dans la mer et gagne, tout honteux à la nage, le premier bateau qu'il rencontre. Quelquefois le jouteur perd sa lance ou son bouclier; dans

ce cas il est également forcé de céder sa place à un autre. Tous les jouteurs qui sont parvenus à faire tomber trois fois de suite leurs rivaux, sans tomber euxmêmes, sont proclamés fraïrés, c'est-à-dire candidats. Au coucher du soleil aucun nouveau jouteur ne peut entrer en lice. Les fraïrés ont seuls droit de paraître et de jouter entre eux. Alors seulement le prix est disputé. Celui qui a renversé tous ses concurrens est proclamé vainqueur. Conduit par les prud'hommes, il est présenté aux magistrats, ou, dans les circonstances extraordinaires, à la personne en l'honneur de qui se donne la Targo. Les mariniers improvisent une chanson en l'honneur du vainqueur, et ils le promènent en triomphe dans toute la ville. On répète encore à Marseille, le premier couplet d'une de ces chansons improvisées à la Targo qui fut donnée au comte de Provence en 1777.

Qu'a gagna la Targo? N'es patroun Cayoou; De vin de la Marego Bughen tous un coou; A-n aque ou targaïré, Dur coum'un peyrar, Qu'a munda lei fraïré Buouré din la mar.

Qui gagne la Targue? C'est patron Caillou ;

De vin de la Malgue Buvons tous un coup: Pour lui vidons nos verres, Lui qui d'un bras de fer, Envoya les frères,

Boire dans la mer.

La pompe qui accompagne cette joute, la multitude prodigieuse des spectateurs qui entoure l'enceinte, les fanfares et les tambourins qui excitent au combat, ou qui célèbrent le triomphe, tout concourt à rendre magnifique et imposant ce spectacle, qui rappelle les naumachies des anciens. La Targo n'est pas une naumachie romaine, mais une naumachie grecque. Tout concourt à faire présumer qu'elle a été apportée par les Phocéens, et que Marseille, qui n'avait pas d'amphithéâtre comme les colonies romaines, suppléait aux exercices des arènes par le spectacle non moins imposant des joutes sur

mer. »

L'opinion émise par M. le comte de Villeneuve nous paraît d'autant plus probable, que Marseille a été dans tous les temps une ville à physionomie grecque; les peuples qui habitent les bords de la Méditerranée eurent pour aïeux les hardis aventuriers de la Phocide; ils ne pourront jamais oublier leur glorieuse origine; dans leurs jeux, dans leurs fêtes revivra éternellement le souvenir de leur mère patrie!

L. MOUNIE.

LA FÊTE DU SOLEIL, DANS LES HAUTES-ALPES.

Les récits des premiers navigateurs qui visitèrent le Nouveau-Monde, sont pleins de description, consacrées aux fètes que les Péruviens célébraient en l'honneur du soleil. Sous le ciel de notre France méridionale, le flambeau du jour ne sourit pas à ia terre avec cet amour qu'il semble vouer aux riantes vallées de Cusco. Dans les gorges des Pyrénées et des Alpes, plusieurs villages sont privés pendant plusieurs jours de la vue du soleil; aussi les habitans attendent-ils impatiemment le retour du printemps. A cette époque si désirée, dans plusieurs localités on se livre à des réjouissances, qui tiennent à la fois des fêtes religieuses du paganisme et des cérémonies péruviennes.

« Il existe dans la commune de Guillaume-Pérouse dans les Hautes-Alpes, dit un voyageur (1), un village nommé Les Andrieux, dont les habitans sont privés pendant cent jours de la vue du soleil, qui reparaît le 10 février. Ce jour est marqué par une fête singulière. Dès l'aube, quatre bergers l'annoncent au son des fifres et des trompettes; chacun des habitans prépare une omelette. Le plus àgé, qui prend en cette occasion le titre

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de vénérable, les réunit sur la même place où, leur plat d'omelette à la main, il forment une chaîne et exécutent autour de lui une farandole; ensuite, précédés des bergers qui continuent à jouer de leurs instrumens, tous se rendent en cortége sur un pont de pierre, situé à l'entrée du village. Là, chacun dépose son omelette sur les parapets du pont, et se rend dans un pré voisin, où les farandoles recommencent, jusqu'au moment où arrivent dans la prairie les premiers rayons du soleil. Alors les danses cessent, chacun reprend son omelette et l'offre à l'astre du jour. Le vénérable, tète nue, tient la sienne baissée entre ses deux mains. Dès que la clarté du soleil a brillé sur tout le village, on retourne en cortége sur la place, on reconduit le vénérable chez lui, et chacun rentre dans sa maisou, pour manger l'omelette en famille. La fête se continue, dure le reste du jour et se prolonge même dans la nuit. »>

Cette réjouissance patriarchale qui rappelle la simplicité des mœurs primitives, se termine toujours sans bruit, sans querelle; on y danse la bacchurer, espèco de danse pyrrhique, qui s'est conservée surtout dans l'arrondissement de Briançon.

Frédéric Nicole.

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Quand on parcourt pour la première fois les quais qui retiennent dans leur lit les eaux de la Saône et du Rhône, l'imagination et la vue sont subitement frappées du magnifique panorama qui se déploie dans toute l'é

Car, à deux époques de l'année, dit M. Perin (1), à Pâques et à la Pentecôte, l'ile Barbe est un but de promenade vers lequel se dirige une partie de la population de la ville de Lyon, et des campagnes environnantes. On élève alors sous les arbres qui ombragent la pointe de l'île, un grand nombre de tentes où s'établissent, comme dans les fètes foraines, des marchands de comestibles, des orchestres, des jeux, des danses: l'affluence y est prodigieuse; la rivière peut à peine contenir l'immense quantité de barques qui la traversent, la montent et la descendent continuellement. Les quais des Augustins, de Saint-Benoit, de Serin, et les chemins qui hordent les deux rives de la Saône, sont couverts de gens à pied, à cheval, de carrioles et de brillans équipages. On ne peut voir sans

sexe et de tout âge, se dirigeant sur un même point, et s'y livrant à la plus franche gaîté.

tendue de l'horizon. D'un autre côté le Rhône roule ses flots bleus, comme le ciel sous lequel le fleuve prit naissance. Son cours majestueux et précipité, participe du caractère des monts, sommets culminans de l'Europe, où mille torrens se réunissent pour le former. La Saône, modeste comme une épouse qui va bientôt se jeter dans les bras de son fiancé, laisse couler paisiblement une eau verte, comme les campagnes qu'elle arrose, comme les collines qui s'y réfléchissent, tiède comme les belles vallées qu'elle parcourt. Il est difficile de trouver un plus beau point de vue que la jonction de ces deux vastes cours d'eau. Le voyageur s'arrête long-intérêt cette foule d'habitans, de tout rang, de tout temps à le contempler; puis, poursuivant le cours de ses riantes investigations, il s'éloigne à petit pas de la ville, remonte à une demis heure au-dessus de Lyon L'histoire de l'ile Barbe est célèbre dans les chronipour voir Tile Barbe, si célèbre dans les chronique ques et légendes lyonnaises. Sous la domination gauméridionales, et se dirige vers le port de la Feuillée. loise, lorsque les Druides arrosaient de sang humain Ce port, dit un auteur qui a beauconp écrit sur le les autels de leurs dieux, l'ile Barbe fut, dit-on, un départemeut du Rhône, est la station ordinaire des lieu consacré à la retraite des prêtres de Teutatès. Là, Bèches, petits bateaux munis de cerceaux, recouverts s'élevaient sous de verts ombrages, des écoles renomd'une toile qui servent à conduire les voyageurs ou les mées dans la Gaule orientale; dans des grottes inacceshabitans de Lyon à l'ile Barbe et dans les campagnes sibles aux rayons du soleil, de jeunes sacrificateurs environnantes. Ce sont ordinairement des femmes qui s'exerçaient à immoler sans frémir des victimes huexercent la profession de batelières dans toute la partie maines. Pendant les belles nuits d'été, les Druidesses, de la Saône, qui s'étend depuis le port de la Feuillée, vêtues de blanc comme les Velléda de la vieille Armojusqu'à 1île Barbe. Ces batelières sont des femmes de rique, remontaient, dans des barques légères, les ondes tout age, ou des jeunes filles souvent remarquables tranquilles de la Saône, en répétant en chœur leurs par leur beauté, qui aident à leurs mères, et qui chants mystiques. Plus tard, lorsque la ville de Lyon même, quelquefois, conduisent seules à deux rames ; prit part aux bienfaits du christianisme, l'ile Barbe leur habillement est blanc, d'une propreté recherchée, abandonnée par les prêtres des faux dieux, servit d'asile et ressemble à peu près, à celui des paysannes du aux disciples des premiers apôtres de l'Evangile. LorsLyonnais, à l'exception de la coiffure, qui est un que Septime-Sévère alluma dans toute la Gaule le feu grand chapeau de paille, orné d'un ruban, noué sous le de la persécution, les chrétiens de Lyon qui eurent le menton. Les jours de dimanche et de fête, toutes les bonheur d'échapper aux massacres ordonnés à l'occabatelières sont assises sur le parapet du quai, à la file sion des fêtes décennales, se réfugièrent dans l'île où les unes des autres, cherchant à deviner au costume et gisaient épars les débris des temples païens. Etienne à la démarche des passans, s'ils arrivent pour faire une et Péregrin, si célèbres dans l'histoire de la primitivepromenade sur la Saône; elles les engagent, les pres- église y appelèrent leurs frères, et le nombre de leurs sent par des phrases caressantes et sonores, et leur prosélytes augmenta de jour en jour. L'île Barbe fut vantent les agrémens d'un voyage par eau. Des famil-bientôt peuplée de ces malheureux proscrits; on y fond'a les entières ou des sociétés d'amis se placent dans ces bateaux, les uns pour se promener sur la Saône, d'autres pour se rendre à leurs campagnes. Souvent des amateurs s'y embarquent pour faire de la musique, et parcourent ordinairement, avec des bateaux éclairés où Ten place des pupitres, toute cette belle partie de la rivière qui s'étend de l'ile Barbe à Lyon. Le mouvement de toutes ces Bèches illuminées, d'où partent des sons agréables, produit un effet délicieux.

Depuis quelques années, un beau pont suspendu, joignant les deux rives de la Saône, ajoute aux agrémens de l'ile Barbe et facilite les pélerinages artistiques et les parties de plaisir.

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une abbaye qui fut richement dotée par le roi Dagobort et son fils. Le monastère prospérait à l'ombre de la protection royale que les Merovingiens no cesserent de lui accorder. Mais l'invasion des Sarrasins fut pour les chrétiens de l'île Barbe une époque bien funeste. Les barbares pillèrent l'abbaye, incendièrent les habitations et mirent tout à feu et à sang. Le savant Leygerade fit reconstruire le monastère et y ajouta de nombreux et vastes édifices. Charlemagne, pendant ses expéditions dans le midi de la France, voulut voir l'abbaye de l'île Barbe et fit exprès un voyage à Lyon:

(1) Notice géographique de l'ile Barbe; in-8°. Paris 1820.

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ce puissant monarque fut enchanté d'une habitation | de longueur, et trois cents dans sa plus grande l située dans une île si tranquille et si agréable.

<< Mon père, dit-il au célèbre moine Alcuin, cette >> île est un lieu de paix et de délices; ici, on peut vivre >> loin du tumulte du monde; père, je viendrai sou>> vent dans cette riante solitude, me reposer des fati>> gues du trône et oublier les embarras de la souve>> raine puissance. »>

L'empereur déterminé à accomplir ce projet aussitôt que les affaires de ses vastes états le lui permettraient, donna des ordres pour qu'on lui préparât une habitation particulière; il chargea Alcuin de rassembler une belle bibliothèque. Ce précieux trésor resta intact dans l'abbaye jusqu'en l'année 1562. Les calvinistes s'emparèrent de l'île Barbe, pillèrent et brûlèrent la bibliothèque qui renfermait sans doute les chartes des rois mérovingiens et des premiers carlovingiens. Depuis cette époque, le monastère n'a pas recouvré son ancienne splendeur; néanmoins, plusieurs rois de France ont visité ces antiques constructions qui datent des premiers siècles du christianisme.

De nos jours, l'île Barbe a douze cents pas environ

geur; la nature et l'art se sont plu à embellir ce fortuné séjour. Environnée de collines qui forment un vaste et riant amphitéâtre, l'ile paraît, au premier aspect, placée au fond d'un vallon arrosé par des eaux paisibles comme celles d'un lac. La Saône serpente avec amour autour de de l'île Barbe; ses flots semblent la caresser, et lui ramener les beaux jours du printemps, lorsque l'hiver règne encore sur les bords du Rhône. Au milieu, s'élève l'antique abbaye; une partie de ses vastes bâtimens se cache mystérieusement sous des arbres; l'autre se montre au-dessus de belles masses de verdure, et offre un point de vue très-pittoresque. Tant de souvenirs historiques et religieux se rattachent à ce petit coin de terre, qu'aucun voyageur ne quitte Lyon sans avoir visité l'ile Barbe. Pour l'étranger, ce court trajet est une sorte de pélerinage; pour les lyonnais c'est une partie de plaisir, surtout aux fêtes de Pâques et de la Pentecôte. A cette époque de l'année, l'île Barbe réalise la poétique et riante description de l'île de Calypso!

Théodere DELPY.

FRAGMENS HISTORIQUES.

DES ÉTATS GÉNÉRAUX DU LANGUEDOC AVANT LA RÉVOLUTION DE 1789.

Quand le désordre des finances, l'épuisement de l'état et la multitude des abus rendirent nécessaire et légitime la révolution de 1789, l'ancien régime dut disparaître tout entier, car ses moindres parties étaient solidaires du tout et responsables de la souffrance universelle. Sans doute, on rencontrait encore dans la société d'alors quelques débris imposans de la grande liberté du moyen-âge; mais avilies, défigurées par les attouchemens du pouvoir absolu, ces institutions n'étaient plus que des noms vides, des souvenirs impuissans. Ce qu'il y a de mieux dans mon royaume, disait le faible mais bon Louis XVI, c'est l'administration des intendans et celle des pays d'Etat, et il avait raison. Cependant, ces formes mêmes ne purent trouver grace devant l'Assemblé Nationale, inflexible instrument des nécessités révolutionnaires. C'est qu'en effet elles s'étaient souillées dans la corruption générale des mœurs et des lois; c'est que les intendances n'étaient plus que le prix de l'intrigue, le jouet de la faveur, le marche-pied des jeunes maîtres des requêtes qui prétendaient à de plus hautes dignités; c'est que les Etats, dans toutes les provinces qui en avaient conservé, étaient devenus une représentation inutile et fastueuse, une sorte de comédie dérisoire où l'on se moquait du peuple en lui prenant son argent; c'est que le sol social, inégal et mouvant, avait besoin d'être bouleversé de fond en comble pour se niveler, s'affermir, et supporter l'édifice nouveau de la constitution publique. La Constituante s'est malheureusement trompée sur quelques questions, et ses erreurs ont amené les excès de 1793; mais à coup sûr, quand elle a brisé les pompeux mensonges qui cachaient de bien tristes réalités, elle n'a mérité que la reconnaissance et les applaudissemens de la postérité.

Aujourd'hui que l'œuvre de destruction est finie, et que quarante ans de révolutions ont assez fouillé la société française, pour en extirper jusqu'à la racine des anciens abus, nous pouvons sans crainte jeter un regard en arrière, et nous demander si dans toutes ces ruines qu'on nous a faites, il n'y aurait pas quelques matériaux encore sains pour des constructions à venir. Tout n'était pas mauvais, bien s'en faut, dans cette œuvre des siècles qu'on appelait du beau nom de monarchie française; œuvre informe, mais grandiose, où le travail des temps et je ne sais quelle force de cohésion avaient tout rattaché, tout confondu, sans ordre, sans liaison, mais non pas sans puissance. Ce qu'on appelait alors des priviléges, nous le nommons aujourd'hui des droits; et la seule différence de ces deux mots explique

assez-la différence des deux systèmes. Mais en modifiant le principe, l'essence et le but de certaines formes constitutionnelles du passé, il serait peut-être facile de les adapter avec succès à l'ordre actuel des choses, et parmi ces institutions à rajeunir figurent sans contredit au premier rang les Etats-Généraux du Languedoc.

Car les libertés publiques ne sont pas neuves sur notre sol méridional; elles y ont même précédé les Francs, dont le nom pourtant signifie libre, et qui n'ont dù qu'à cet heureux privilége l'honneur de donner leur nom à la nation tout entière. Tacite nous apprend, il est vrai, que les guerriers germains formaient dans leurs forêts des assemblées nationales; mais d'autres assemblées plus régulières avaient lieu en même temps dans les villes du midi de la Gaule sous la domination des Romains. Quand ces provinces furent cédées aux Visigoths, ces barbares y trouvèrent un ordre public, un code, des lois, des municipalités, des conseils provinciaux, une liberté organisée. Les souvenirs d'Arles et de Narbonne font foi de ces réunions annuelles, où les députés des villes venaient délibérer sur les affaires publiques. Les Visigots respectèrent les lois établies dans la Narbonnaise, et leur plus grand roi, Alaric, fit faire une interprétation ou bréviaire du code théodosien qui régissait la contrée.

Quand les armes de Clovis eurent triomphé des Visigoths de Toulouse, le droit germanique des vainqueurs vint encore une fois se briser contre le droit romain des vaincus. A l'indépendance sauvage et inquiète du Sicambre, le Gaulois du Midi opposa la législation écrite et savante qu'il avait reçue de ses premiers conquérans. Les rois de la première race reconnurent instinctivement cette distinction; ils se qualifiaient de chefs des Francs et du peuple romain: Francorum et populi romani principes; et en effet, les Francs n'étaient guère encore qu'une horde campée; les Gallo-Romains formaient un peuple. Le droit romain survécut parmi eux à toutes les invasions, à la conquête des Sarrasins comme aux guerres sanglantes de Charles Martel et de Pépin: tant une société assise et constituée a en elle d'élémens de force, de résistance et de vie! De là cette différence essentielle entre le nord et le midi de la France, qui s'est prolongée jusqu'à la révolution de 1789 : dans le nord, le droit coutumier, traditionnel, la loi personnelle du barbare; dans le midi, le droit écrit, philosophique, la loi réelle ou territoriale de Théodose et de Justinien.

Cependant, à côté du pouvoir civil il s'était formé un

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