Images de page
PDF
ePub

serrant le peintre dans ses bras; allez chercher vos pinceaux, et une toile; vous peindrez devant moi, et si je reconnais en vous l'inspiration d'un artiste, Marguerite sera votre fiancée.

Jéhan de Gourdon, ne se possédant plus de joie, courut à son logis, et revint quelques instans après, armé de pied en cap; il prépara ses couleurs, disposa ses pinceaux, et suspendit une toile.

- A l'œuvre, mon ami, lui dit Clément Marot. - J'ai choisi pour sujet du premier tableau que je compose sous vos yeux, l'image chérie de celui qui peut seul assurer mon bonheur: je vais peindre le poète de la France, le père de Marguerite.

Une demi-heure suffit à Jéhan de Gourdon pour esquisser la tête de Clément Marot; en peu de temps les traits devinrent plus distincts, et le poète apparut sur la toile, le front ceint du laurier immortel, les yeux enflammés par l'inspiration, les lèvres légèrement contractées, la barbe noire et touffue, les épaules à peine couvertes d'une toge romaine.

-Admirable! admirable! s'écria maître Clément... par Apollon et les neuf sœurs, vous êtes un grand artiste, Jéhan de Gourdon.

Ganfanelli, fatigué du rôle passif qu'il jouait à la porte, rentra au moment où le poète s'extasiait devant son portrait.

CLEMENT MAROT.

-Dites-moi, Ganfanelli, s'écria maître Clément ; si ce portrait ne ferait pas honneur à vos fameux peintres d'Italie.

-C'est la nature prise sur le fait, rendue avec une expression admirable.

-Jéhan de Gourdon, peut-il prétendre à la main de Marguerite?

-Il pourrait épouser une princesse, répondit le ciseleur.

Profitant du moment ou Ganfanelli examinait le portrait de plus près, le poète, dit à voix basse à Jéhan de Gourdon.

-Maître Jéhan, ce soir je serai au logis de Marguerite à la neuvième heure; soyez fidèle au rendezvous, et surtout gardez-vous de dévoiler le secret que le hasard vous a fait connaître.

Le peintre et le ciseleur sortirent ensemble, et maître Clément passa le reste de la journée à écrire plusieurs lettres qu'il devait envoyer au roi François 1er, à la reine de Navarre, à la duchesse de Ferrare.

II.

CINQ FLEURS DE LYS.

J'abandonnai sans avoir commis crime,
L'ingrate France, ingrate, ingratissime,
A son poète; et en la délaissant,

Fort grand regret ne vint mon cœur blessant;
Tu mens, Marot; grand regret tu sentis,
Quand tu pensas à tes enfants petits.

(Clément MAROT; Épître à François Ier.)

Marguerite lut et relut en pleurant de joie, la lettre qui lui révélait enfin une partie du secret de sa naissance; elle la cacha soigneusement à dame Bérengère sa gouvernante; mais aussitôt que Blanchefleur, fille d'un homme de loi de Cahors, et sa compagne chérie, vint lui rendre visite sur le soir, elle s'enferma avec elle dans son oratoire, et lui fit connaître son bonheur.

-O Blanchefleur, ma tant douce amie, la bonne Vierge a eu pitié de moi, s'écria-t-elle je connais maintenant le nom de mon père; je le verrai avant la dixième heure; on ne m'appellera plus Marguerite l'orpheline.

-Je te disais bien qu'un jour viendrait où ce mystère te serait dévoilé, répondit Blanchefleur. Connais-tu aussi le nom de ta mère?

-Non, s'écria Marguerite en poussant un profond soupir.

[graphic]

- Puisque tu as retrouvé ton père, le ciel te rendra aussi aux caresses de celle qui la première te pressa sur son sein.

-Que la bonne Vierge t'entende, Blanchefleur, et que tous les saints du paradis intercèdent pour moi.

La bonne, la naïve, la fidèle Blanchefleur prit part aux transports de joie de son amie: Les deux filles, au cœur ardent comme deux chérubins, belles comme les vierges que le pinceau de Raphaël fixa sur la toile, s'agenouillèrent ensemble dans l'oratoire de Marguerite, et récitèrent leurs oraisons à notre Dame-desRochers, de tout temps vénérée par les habitans du Querci. Leur prière était à peine terminée, lorsque

Marguerite entendit du bruit à la porte extérieure; au mème instant, dame Bérengère entra dans l'oratoire. - Damoiselle Marguerite, dit-elle à voix basse, il y a ici deux étrangers qui veulent vous parler : j'ai tout fait pour les congédier; je n'ai pu réussir.

Malheureuse, fit Marguerite en s'élançant hors de l'oratoire, vous refusiez l'hospitalité à mon père ! -A votre père? s'écria dame Bérengère. Qu'entends-je! sommes-nous encore au temps des miracles! Pendant que Bérengère manifestait sa surprise par les exclamations les plus incohérentes et les plus bizarres, l'impatiente Marguerite parcourait à pas précipités une grande salle à l'extrémité de laquelle se trouvait une petite chambre, sorte de parloir où de nobles servans d'amour, avaient obtenu quelquefois le rare bonheur d'un court entretien avec la belle orpheline.

Marguerite, aussitôt qu'elle eût ouvert la dernière porte, s'arrêta un instant, jeta un regard sur les deux étrangers; pour la première fois elle voyait son père, et pourtant elle n'hésita pas: Elle courut vers le poète qui la reçut dans ses bras, la serra à plusieurs reprises contre son sein, et mèla ses larmes aux larmes de sa fille. Lorsque ce premier transport fut un peu calmé, maître Clément s'assit dans un large fauteuil, et prit Marguerite sur ses genoux.

Ma fille chérie! douce amie de mon âme, dit le poète en glissant ses doigts sous la toque de velours qui cachait la noire chevelure de Marguerite! tu n'espérais pas voir ton père aujourd'hui.

- Le ciel nous envoie le bonheur au moment où nous ne l'attendons pas, répondit la damoiselle : Tu viendras avec moi à la cour de France? -Oui, mon père, mais vous emmenerez aussi Jéhan de Gourdon que j'aime...

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]
[blocks in formation]

Que ces puissantes dames me combleraient un jour de bienfaits.

- Dame Bérengère te trompait, ma chère Marguerite.

Je n'ai pas ajouté foi à ses paroles.

Clément Marot craignant de trahir un secret qu'il avait promis de garder inviolablement, entraîna sa fille dans la grande salle et lui parla du tendre amour que Jéhan de Gourdon lui avait voué comme à la seule et unique dame de ses pensées. Le souvenir du jeune peintre fit sourire l'heureuse Marguerite qui ne mère. songea plus à questionner le poète sur le nom de sa

Tu épouseras Jéhan de Gourdon, s'écria maître Clément; tu es ma fille, seul j'ai le droit de t'imposer

ma volonté.

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

C'est mon portrait.

Maître Clément s'approcha avec un flambeau et examina attentivement ce petit chef-d'œuvre, créé sous la double inspiration de l'art et de l'amour.

- Jéhan de Gourdon mérite d'obtenir ta main, Marguerite, ma fille, si tendrement chérie et adorée, s'écria le poète.

-Monseigneur le sénéchal veut que j'épouse messire Hébrard de Saint-Sulpice, son parent.

Rassure-toi, je connais Galiot de Genouillac, je combattis sous sa Lannière à la journée de Pavie; il se souviendra de Clément Marot François d'Angouque lème a comblé de ses faveurs royales, qui sait à la fois, chanter les exploits du plus grand roi du monde, et occire ses ennemis dans un jour de bataille. Le sénéchal du Querci donne ce soir une fète aux damoiselles de Cahors, tu y viendras avec moi; Jéhan de Gourdon y sera aussi; va, ma douce Marguerite, va te parer de tes plus riches atours; il faut que la fille du poète de François 1er soit belle parmi les belles.

Que de bonheur en un jour, mon père ! s'écria Marguerite. Vous me faites espérer que monseigneur le sénéchal du Querci consentira à mon mariage avec Jéhan de Gourdon! Courons à la fête, mon père; une nouvelle vie commence déja pour moi!

[ocr errors]

IV.

DEUX STATUETTES.

Or, adieu donc, noble dame, qui uses
D'honnesteté toujours avec les muses.
Adieu, par qui les muses désolées,
Souventes fois ont été consolées,
Adieu, qui voir ne les peult en souffrance.
Adieu, la main qui de Flandres en France,
Tira jadis Jean le Maire Lelgeois
Qui l'àme avait d'llomère le grégois!
(Clément MAROT; Épître à Me de Soubise.)

Cependant le bruit courait dans la paisible cité de Cahors, que maître Clément Marot, le poète du roi de de France, était descendu à l'hôtellerie du Grand Ours, et qu'il assisterait à la fête du sénéchal du Querci. Galiot de Genouillac, qui ne s'attendait guère au bonheur de posséder un si illustre convive, n'en fut pas plutôt instruit qu'il se transporta au logis habité par dame Bérengère et damoiselle Marguerite. Suivi de cinquante hommes d'armes, il voulut honorer publiquement le favori de François 1, qui plusieurs fois dans les guerres d'Italie, avait joué le double rôle d'Homère et de Tyrthée.

[ocr errors]

Soyez le bien venu, maître Clément, s'écria le vieux guerrier en donnant au poète l'accolade fraternelle.... Vous arrivez enfin, cher nourrisson des neuf sœurs! j'avais prévu que François Irr, notre sire, vous rappelerait de l'exil.

-

Je viens des pays de Navarre, seigneur sénéchal, et dans quelques jours je partirai pour Paris.

Marguerite de France est toujours belle comme madame Vénus, la mère des gråces?

Toujours digne des adorations des plus galans et intrépides chevaliers de France et de la Langued'Oc.

Elle vous a acceuilli comme un frère?

Elle a été ma divinité protectrice.

Et les Muses.... vous sont-elles toujours fidèles? Les chastes sœurs m'ont consolé dans tous mes malheurs.

Où est votre fille Marguerite?

Elle vient vers nous, seigneur sénéchal; vous seul connaissez le mystère de sa naissance je vous conjure, par tout ce que vous avez de plus cher, de garder ce secret.

- Ne doutez pas un seul instant de ma discrétion, maitre Clément par le temps qui court, il est tant de choses que nous devons couvrir d'un voile impénétrable aux regards du vulgaire.

Marguerite, parée de ses plus beaux habits, resplendissante d'or et de pierreries, s'inclina respectueusement vers le sénéchal, sitôt qu'elle fut assez près pour être entendue; puis elle livra à son père une de ses blanches mains, et partit avec lui pour se rendre à la fête de monseigneur Galiot de Genouillac. La fleur de la noblesse du Querci, s'y trouvait déja réunie; les gentilhommes étaient vêtus de petits justaucorps de velours, enrichis d'or, d'argent et de pierreries; chacun voulait surpasser ses rivaux en magnificence mais le plus beau, le plus jeune, le plus noble de tous ces chevaliers, était Hébrard de Saint

[merged small][merged small][merged small][ocr errors]

porte.

Marguerite entrait dans la salle, s'appuyant légèrement sur un des bras de son père; elle marchait avec une grâce, à la fois si simple, si naïve et si voluptueuse, qu'il n'y eut qu'un cri d'admiration pour la saluer et l'accueillir. Hébrard de Saint-Sulpice ne fut pas des derniers à lui offrir ses hommages; mais quel ne fut pas son étonnement quand il se vit presque repoussé par la damoiselle; long-temps il la poursuivit de ses regards courroucés puis, pour cacher sa douleur et son indignation, il s'assit à une table de jeu; la fortune ne lui fut pas plus favorable que l'amour. Un accident inattendu vint mettre le comble à son désespoir. Ganfanelli, le ciseleur italien, avait été invité à la fête par le sénéchal; pour lui témoigner sa reconnaissance, il lui offrit deux statuettes, si bien modelées, exécutées avec tant d'art, que maître Clément lui-même, si sévère quand il s'agissait de prononcer sur un chef-d'œuvre, embrassa Ganfanelli :

[ocr errors]

Monseigneur, dit le ciseleur au sénéchal, je vous offre ces deux statuettes; l'une représente le grand-maître d'artillerie de François Ier, assis sur un canon il est vêtu à l'antique, comme le dieu Mars, et défie les ennemis de la France.

Je vous sais gré de votre courtoisie, maître Ganfanelli, s'écria Galiot de Genouillac, ému jusqu'aux larmes je garderai cette statuette, qui sera transmise de père en fils à mes derniers descendans; et celle-ci, ajouta le sénéchal, après avoir examiné la seconde statuette Qui représente-t-elle ? Est-ce Vénus, Pallas, Junon, ou quelque autre divinité de la fable?

Non, monseigneur; c'est Marguerite, fille de maître Clément Marot, mon glorieux ami, et le cher enfant des Muses françaises.

Le sénéchal chercha des yeux la belle Marguerite; il l'aperçut enfin au milieu d'un groupe de damoiselles; il l'appela et lui remit la statuette:

-Ce petit chef-d'œuvre vous appartient, damoiselle Marguerite; vous devez le garder soigneusement.

[ocr errors]

Non, seigneur sénéchal, répliqua maître Clément; je veux que Marguerite donne sa statuette au chevalier, gentilhomme ou bourgeois qui a su conquérir

son cœur.

- Ceci me rappelle l'histoire du berger Pâris, dit le sénéchal.

-Les rôles sont intervertis, seigneur, répondit Clément Marot; ici c'est la femme qui va donner la pomme de la discorde.

Marguerite presque tremblante, les yeux baissés, hésita long-temps; Hébrard de Saint-Sulpice était à

[graphic][ocr errors][merged small]
[blocks in formation]

de Saint-Sulpice réunit tous ses compagnons d'armes et de plaisirs, pour les consulter, sur les moyens qu'il devait employer pour tirer une terrible vengeance du mépris de Marguerite. Les uns disaient, que la jolie orpheline ne valait pas la peine qu'un gentilhomme, mit son esprit à la torture et son épée hors du fourreau; les autres affirmaient que Gaspard de Thémines avait été outragé, qu'il fallait venger l'honneur de la noblesse du Querci. Gaspard suivit ce dernier conseil : il emmena Guillaume de Vassal, le baron de Saint-Clair, et quelques autres de ses amis à son logis, situé près de la tour du pape Jean. On délibéra long-temps, et au lever du soleil, le sénat occulte n'avait encore pris aucune détermination. Cependant, Gaspard de Thémines n'avait pas renoncé à ses funestes projets, et voyant que ses compagnons tergiversaient, il les congédia sous prétexte qu'il avait besoin de dormir. Dès qu'il se vit seul, il s'enveloppa de la tête aux pieds de sa casaque militaire, et se dirigea à pas précipités vers les Badernes, espèce de faubourg, infect alors comme aujourd'hui, habité par la populace. Dans une des rues les plus tortueuses, les plus boueuses, les plus obscures, s'élevait une maison d'assez belle ap

parence, maison maudite, maison devant laquelle les, vieilles femmes ne passaient jamais, sans se signer dévotement; elle servait d'asile à un espagnol, nommé Pédro de Las Barcas, marchand aragonais ruiné, qui remplissait à Cahors, les ignobles fonctions de valet du bourreau. Rarement on frappait à la porte de Pédro de Las Barcas; aussi fut-il très étonné, quand il vit entrer un gentilhomme.

Que la Sainte Vierge et les anges du paradis, vous soient en aide, monseigneur, lui dit-il, en s'inclinant presque jusqu'à terre... Le valet du bourreau peutil quelque chose pour vous?

On m'a dit, que pour une forte somme d'argent, tu ne craindrais pas d'assassiner un homme...

Monseigneur n'a qu'à m'acheter, je jure, par les plaies du Christ, que je lui appartiendrai corps

[blocks in formation]

Cinq cents écus au soleil, et tu me suivras.
Marché conclu, monseigneur.

Connais-tu la maison de maître Clément Marot? Elle est habitée aujourd'hui par Marguerite l'orpheline, et la jeune fille aime un peintre nommé Jéhan de Gourdon.

[ocr errors]

C'est le peintre qu'il faut immoler à ma vengeance.

-Un peintre! le combat sera bien inégal : partons, monseigneur.

-Je te donnerai une armure de chevalier pour qu'on ne te reconnaisse pas.

-Peu m'importe, monseigneur; le valet du bourreau est au-dessus de la calomnie.

Gaspard de Thémines et Pedro de Las Barcas se dirigèrent vers le palais du pape Jean, et le gentilhomme donna au valet du bourreau de quoi s'armer de pied en cap. Pendant que le malheureux Gaspard hâtait ces funestes préparatifs, la belle Marguerite, seule dans son oratoire, rendait grâces au ciel de son bonheur inespéré. Sa robe nuptiale, son voile blanc comme la neige, sa jolie tête encadrée dans un bonnet de soie verte, tout contribuait à lui donner l'aspect d'une de ces beautés que nous rêvons dans les premières années de notre jeunesse, et que nous ne retrouvons jamais sur cette terre. Elle avait prié long-temps; elle laissa son livre d'heures ouvert sur son prie-Dieu, et s'assit sur un petit tabouret.

Jéhan m'a promis qu'il viendrait prier avec moi, se dit-elle à voix basse... Je l'attends encore... Aurait-il

oublié son serment.

pa

Le jeune peintre frappait à la porte de l'oratoire au moment où Marguerite prononçait ces dernières roles. La jeune fille se hâta d'ouvrir, et Jéhan de Gourdon ne put maîtriser un premier mouvement de crainte religieuse en entrant dans ce petit sanctuaire éclairé par une lampe d'argent.

-Je commençais à désespérer, lui dit Marguerite... Je croyais que tu ne viendrais pas.

Ne t'ai-je pas promis que je viendrais prier... ―J'ai douté de la sincérité de ton amour; pardonne MOSAÏQUE DU MIDI. 3e Année.

[ocr errors]

moi, Jéhan, mon doux ami, et prions ensemble la Vierge pour que notre mariage soit heureux.

Les deux fiancés s'agenouillèrent, et jamais vœux plus purs, plus ardens ne s'élevèrent vers le trône de la Reine des anges.

-Je suis sans crainte maintenant, dit Marguerite... tu sais, Jéhan mon doux ami, que mon père nous marie demain.

-J'en ai reçu la promesse, répondit Jéhan; maître Clément a déja donné des ordres pour les préparatifs de la fête nuptiale; j'entrevois le bonheur, et une voix secrète me dit à chaque instant que je n'en jouirai pas. La nuit dernière, j'ai fait un rève affreux. Un spectre couvert de fer se précipitait entre toi et moi, et j'ai senti le fer d'un poignard pénétrer dans

mon cœur.

-Tu te laisses effrayer par un vain songe, dit Marguerite en plongeant les deux mains dans les noirs cheveux de son fiancé...

-Je n'y pense plus maintenant que je suis avec toi, ma douce et tendre amie. Recommençons la prière, que nous avons coutume de réciter tous les jours, car il me semble que je suis au moment d'un très rand péril.

Pendant qu'ils récitaient dévotement leur oraison, la porte de l'oratoire s'ouvrit avec grand bruit : un homme apparut couvert d'une lourde armure, le visage caché sous la visière d'un casque. Jéhan de Gourdon se leva saisi de frayeur :

-Marguerite! s'écria-t-il, voilà le fantôme que j'ai vu la nuit dernière.

-Achève ta prière, eune homme, dit l'homme aux armes noires; demande pardon à Dieu, car tu vas mourir.

Un large poignard étincela dans sa main.

-Qui es-tu, cria Jean de Gourdon, en reculant d'effroi?

[blocks in formation]

Qui a reçu cinq cents écus au soleil pour t'assassiner!

Au même instant une lutte acharnée s'établit entre

Pedro de Las Barcas et sa victime. Jéhan résista d'abord à son terrible adversaire, qui parvint enfin à lui porter un coup mortel, et le renversa expirant à ses pieds.

Marguerite immobile et debout près de son prie-Dieu, contemplait en frémissant cette scène épouvantable : elle n'avait pas la force de proférer n seul cri; pas une larme ne coulait de ses yeux : ses regards fixés sur la victime et sur l'assassin, exprimaient à la fois l'horreur et la démence lorsqu'elle vit le bourreau prêt à franchir le seuil de l'oratoire, elle fit un dernier effort d'énergie et lui cria :

Lâche assassin de Jéhan de Gourdon, qui es-tu? Dis-moi ton nom pour que je le livre à l'opprobre et à la malédiction?

-Pedro de Las Barcas, répondit froidement le valet du bourreau.

-Qui t'a envoyé ici?

-Un noble et puissant seigneur, qui m'a bien

payé.

47

« PrécédentContinuer »