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MADAME DE POMPADOUR.

1.

JEANNE POISSON.

Je vais esquisser les principales scènes de la vie d'une femme qui résuma à elle seule le siècle de Louis XV, siècle infàme, âge de feu pour les mœurs, pour les gens de bien, age d'or pour les courtisannes, les maîtresses royales et les roués de Versailles. Nommer la célèbre marquise de Pompadour, c'est rappeler ler aventures galantes que les Narcisse de l'OEil-deBoeuf savaient si bien varier pour charmer les ennuis, les dégoûts du monarque le plus débauché qui ait jamais occupé un trône. Et pourtant cette femme qui règna pendant quelques années sous le nom de son royal amant, qui fut toute-puissante comme la Maintenon sur la fin du règne de Louis XIV, partit de bien bas pour arriver au faîte des grandeurs.

Vers l'an 1720, l'administration des vivres des armées comptait au nombre de ses commis, un petit homme, grêle, timide, presque ridicule, qui servait souvent de jouet à ses nombreux collègues. Plus d'une fois, les hauts employés avaient voulu congédier le grotesque personnage; mais une féc invisible déjouait leurs projets, et François Poisson conserva toujours son modeste emploi. Le pauvre commis avait eu le bonheur d'épouser une des plus jolies femmes de PaParis, et sous le règne de Louis XV, on n'avait rien à craindre quand on pouvait produire à la cour une jolie protectrice. La haute finance se fesait surtout remarquer par sa ponctualité à imiter les débauches du roi. Les deniers de l'état qu'ils détournaient à leur gré, servaient à séduire les femmes des honnêtes bourgeois qui n'osaient se plaindre et trouvaient des consolations dans l'espoir de quelques emplois lucratifs. Madame Poisson peu habituée à la rigidité des mœurs, ne résista pas long-temps aux sollicitations de M. de Tourneheim, fermier-général. Ce gentilhomme normand vécut presque publiquement avec la jeune dame dont il protégeait le mari; cette scandaleuse union venait d'etre conclue, lorsque l'épouse du commis Poisson accoucha d'une fille qui reçut le nom de Jeanne-Antoinette. Le fermier-général, de plus en plus épris de la jolie bourgeoise, poussa l'imprudence jusqu'à s'arroger une paternité fort équivoque. Poisson fut assez complaisant, ou plutôt assez lâche pour supporter cet affront.

-M. le commis, lui dit le fermier-général, je suis dans l'intention de demander pour vous un emploi plus élevé; je n'y mets qu'une seule condition : je ferai élever la petite Jeanne comme ma propre fille.

Poisson depuis long-temps avili par ses honteuses obsequiosités, n'eut garde de refuser une si scandaleuse proposition. Jeanne fut transportée à l'hôtel de M. de Tourneheim. Son père putatif ne négligea rien pour son éducation. Dès son plus bas âge, la petite Jeanne monMosaïque du M101. - 3 Anuće.

tra les plus heureuses dispositions; des maîtres habiles furent appelés pour achever ce que la nature avait si heureusement commencé. Leur jeune élève fit de rapides progrès dans les belles-lettres, la musique, la déclamation, le dessin, la gravure sur cuivre et sur les pierres fines. Le fermier-général était enchanté ; dans les réunions les plus brillantes, il ne manquait jamais de produire sa protégée qu'il appelait sa fille. Jeanne Poisson se fesait déja remarquer par une figure charmante, une tournure parfaite, et surtout par l'art de se mettre avec un goût exquis. Ces dons de la nature, plutôt que ses rares talens, lui valurent en peu de temps les adorations des gentilshommes qu'elle voyaît chaque jour dans les salons du riche financier, son père adoptif. Jeune, légère, frivole, elle fesait à peine attention aux soupirs de ses nombreux adorateurs. Cette fille, née dans la mansarde d'un pauvre commis, élevée, par le plus grand des hasards, dans le palais d'un fermier-général ne connut jamais la médiocre fortune sous les auspices de laquelle Mme Poisson l'avait mise au monde. Son berceau fut environné des pompes du luxe le plus raffiné; elle fit ses premiers pas sur de moëlleux tapis. Aussi, se montra-t-elle plus tard très circonspecte, très difficile quand il fallut faire un choix parmi ses prétendans.

-Jeanne, ma jolie, ma petite Jeanne, lui disait souvent le fermier-général, je veux te marier. Me marier! répondait la jolie pupille, je suis si jeune encore!

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n'était bruit dans Paris que du mariage de la fille adop- I tive de M. de Tourneheim avec M. d'Étioles. Cependant, rien n'était encore plus incertain; le fermier-général osait à peine s'informer de l'impression que la première entrevue avait produite sur Jeanne Poisson.

-Tu connais maintenant mon neveu, lui dit-il d'une voix émue, tant il craignait un refus.

-Mon bon papa, répondit Jeanne, M. d'Étioles est un gentilhomme charmant; vos grandes dames disaient tout bas qu'il est gauche, timide comme un paysan de Basse-Normandie; mais je n'ai pas eu de peine à me convaincre que M. votre neveu est un homme

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rivée à Paris, le fermier-général son oncle lui jeta pour ainsi dire dans les bras, la plus jolie, la plus aimuable femme de la Capitale. Le jeune époux fesait profession d'une régularité de mœurs inconnue à la cour depuis que Louis XIV et son petit ils Louis XV avaient mis les maîtresses en honneur. Il aima sa femme de l'amour le plus passionné; prévenances, soins, petits égards, lout fut poussé jusqu'au dévouement, jusqu'à l'abnégation de soi-même. Une parcille conduite captivait le cœur de la jeune dame qui se voyait, comme par enchantement, en possession d'une fortune brillante, de titres honorables, du droit d'entrée à la cour. Pendant la première année de leur mariage, les deux époux vécurent en parfaite intel igence; Me d'Etioles aima quelque temps son mari; elle lui devait tout, et la reconnaissance lui fesait un devoir de mener une conduite irréprochable. Malheureusement, persé vérer dans le bien était alors chose presaue impossible. Environnée d'hommages, de séductions, Mme d'Etioles cessa bientôt de se contraindre, et se livra à la frivolité de son caractère : He était mère, elle était épouse; cette double qualité lui imposait les plus saints devoirs: la bonne fortune lui tourna la tête; elle finit par se persuader qu'elle était destinée aux plus grandes choses, et suivant la première impulsion de la vanité, elle franchit la barrière qui la séparait encore de la corruption de Versailles. Néanmoins, son mari ne se désista pas du tendre attachement qu'il lui avait voué; il supportait ses caprices, se pliait à ses fantaisies, allait au devant de ses moindres désirs: Mme d'Étioles ne s'y montra plus sensible, et elle osa dire à son époux :

— M. d'Étioles, vous m'aimez trop; vos prévenanccs nous exposeront à la risée de la ceur; vous oubliez que vous n'êtes plus en province, et qu'à Paris les personnes qui fréquentent le beau monde ne s'amusent plus à roucouler comme d'innocentes tourterelles.

toi....

Puis-je trop aimer une femme aussi jolie que

-Jolie, oui très jolie; je me souviens que ma mère me disait souvent : « Ma fille tu seras un jour un morceau de roi (1). »

Ces dernières paroles durent convaincre M. d'Étioles des malheurs qui étaient à la veille de troubler sa vie conjugale. Mais il dissimula, et résolut d'attendre avant de condamner sa femme. D'ailleurs Mme d'Étioles n'était pas encore criminelle; les fètes, les plaisirs, le luxe, les soins de la parure absorbaient tous ses instans. Artiste par caractère, elle réunit dans ses salons les illustrations de la cour et de l'académie. Voltaire, le plus fécond génie de son siècle lui dédia, des vers; plusieurs auteurs mirent leurs livres sous sa pretection; les hommes les plus éminens dans la robe et l'épée ployèrent leurs genoux devant la reine du jour qui, une année auparavant, n'était que Me Poisson, fille d'un pauvre commis, adoptée par M. de Tourncheim. Me d'Étioles se mit bientôt à la hauteur de sa nouvelle position; son instruction variée, son aptitude aux beaux-arts la mettaient à même d'apprécier les philosophes, les poètes et les artistes qui formaient sa petite cour. Vantée, adorée, comblée d'honneurs, elle ber

(1) Ili: torique.

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Cependant, ce dernier cri de la vertu prête à succomber, se fit entendre encore au milieu du tumulte des passions. Elle hésitait; elle rougissait d'elle-même, elle tremblait à la seule idée d'avouer sa faiblesse. Elle feignait d'ignorer qu'une femme est perdue dès qu'elle est indécise, et se surprenait très souvent à désirer la royauté in partibus, qui avait clôturé d'une manière si brillante la vie romanesque de Me de Maintenon. Les choses en étaient là, lorsque, dans une de ses réunions, quelques gentilshommes de la cour annoncèrent la mort de Mae de Châteauroux.

- Mme de Châteauroux est morte, s'écria Mme d'Ftioles...

-Oui, Madame, répondit un cadet de Bret:.gne; la dernière des trois sœurs Mailly a laissé vacante la couche royale du roi Louis XV.

- La place sera bientôt prise...

Binet, le premier valet de chambre du roi, est un habile pourvoyeur, ajouta le cadet de Bretagne.... Binet est mon parent, s'écria Mme d'Étioles avec colère... et vous êtes bien insolent d'oser caloninier un homme que le roi honore de son affection.

Me d'Etioles était rouge d'indignation; elle sortit brusquement du salon, et les convives si étrangement congédiés, se retirèrent presqu'en même temps sans mot dire. III.

LE PREMIER VALET DE CHAMBRE DU ROI.

Un écrivain a dit qu'il n'y a pas de grand homme aux yeux d'un valet de chambre; devant lui chaque soir, chaque matin,.

Le masque tombe; l'homme reste Et le héros s'évanouit.

Si cet axióme est d'une vérité peu contestable en parlant des princes en général, il l'était surtout dans les appartemens secrets de Louis XV. Que devait penser son premier valet, lorsque la majesté royale, déposant le manteau de pourpre qui voilait sa hideuse nudité, laissait voir un cadavre usé par la débauche, courbé sous une vieillesse précoce. Ah! maître Binet, si, comme les valets de chambre de nos grands seigneurs, vous aviez été possédé de la manie d'écrire des mémoires, vous nous auriez révélé de scandaleuses aventures. Qui pourrait dire par combien de bienfaits votre maître acheta votre silence!...

Ce Binet, proche parent de la famille Poisson, était très puissant dans le palais. Mme Chateauroux le redoutait plus qu'un ministre. Ce fut à ce personnage que Me d'Etioles s'adressa pour l'exécution d'un projet qu'elle méditait depuis long-temps.

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-Tous les soirs, avant de s'endormir, il me parle d'affaires, comme si j'étais son premier ministre.

-Savez-vous s'il est dans lintention de choisir une autre femme qui succède à Me de Châteauroux. -Louis XV est si blasé, ma chère parente, qu'il n'a pu être fixé par aucune des beautés que lui ont fournies la cour et la haute magistrature.

-C'est bien... je croyais, répondit Mme d'Étioles, un peu embarrassée et presque honteuse, d'avoir ainsi dévoilé ses desseins.

- Je comprends, s'écria Binet, après quelques instans de silence, vous voulez voir le roi... Je ne vous cacherai pas que je suis l'agent secret de ses plaisirs... Comptez sur mon dévouement. Je vous indiquerai les jours, les heures et les lieux de chasse de sa majesté, ses promenades; je vous introduirai au château les jours de grand couvert.

Le valet de chambre tint parole; Me d'Étioles fut de toutes les fêtes de la cour. Elle ne négligea rien pour fixer l'attention du monarque par l'élégance recherchée de sa mise et de son équipage. Quelques mois s'écoulèrent ainsi, et elle n'avait pas encore obtenu un regard; elle s'en plaignit amèrement à Binet.

Ma chère et jolie parente, lui répondit le valet de chambre, vous en serez pour vos frais de coquetterie et peur vos courses, si je ne me mêle de cette affaire: vos agaceries n'obtendraient aucun résultat ; laissezmoi agir; je vous rappellerai au souvenir de sa majesté.

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Binet voulait à quelque prix que ce fut obtenir pour Me d'Étioles les faveurs de la couche royale; il espérait ainsi augmenter son crédit : aussi ne laissa-t-il pas échapper la première occasion.

Binet, lui dit le roi avant de se mettre au lit, je suis bien fatigué de voir tous les jours de nouveaux visages, sans trouver une seule femme à laquelle je puisse m'attacher. Il n'est pas de mince bourgeois dans a bonne ville de Paris, qui soit plus contrarié que moi en amour.

-Sire, s'écria le valet de chambre, je connais une belle dame que je croirais digne de votre affection royale, si elle n'était pas ma parente et mariée; elle vous aime éperdûment, mais elle tient aussi à ses devoirs.

Je n'ai jamais vu cette belle dame. -Vous l'avez rencontrée très souvent, sire, dans vos chasses au bois de Sénart.

-En effet, je me rappelle l'avoir vue... Binet, je t'ordonne de me procurer un entretien secret avec ta parente.

Aussitôt que le roi se fut endormi, le valet de chambre courut annoncer cette heureuse nouvelle à Mme d'Étioles. Le lendemain, il la conduisit au palais par une porte dérobée; le roi passa la nuit avec elle, et la congédia dès qu'il fut jour. La parente de Binet attendit impatiemment pendant un mois un nouveau rendezvous; allarmée de l'indifférence du roi, elle fit part de ses craintes à Binet.

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-Tout espoir n'est pas perdu; je parlerai de vous au roi, sitôt qu'une occasion favorable se présentera, dit Binet.

Le moment tant désiré ne se fit pao attendre longtemps; Louis XV avait pris l'habitude de se livrer avec son premier valet de chambre à des causeries intimes, mais toujours vagues; dans un de ces entretiens, il lui demanda par hasard des nouvelles de sa parente. « Ah Sire! s'écria le valet, Mme d'Etioles ne » fait que pleurer elle n'aime sa majesté que pour » elle-même, et nullement par ambition, ni par inté» rêt; sa position est brillante, sa fortune considéra»ble. Sans son amour pour sa majesté elle serait heu

>> reuse.

» — Eh! bien, si cela est, je serai charmé de la re» voir. »

Ce second rendez-vous était décisif: dès ce jour, Mme d'Etioles se rendit plus fréquemment au palais, et son mari connut bientôt son déshonneur. Il mit tout en œuvre pour ramener sa femme qu'il aimait tendrement, à ses devoirs d'épouse: elle résista aux prières, aux menaces, et Mme d'Étioles, pour se soustraire ses reproches, courut à Versailles où on avait déja préparé pour elle de riches appartemens. M. d'Étioles commit l'imprudence de se plaindre hautement de la conduite du roi : un matin, à son lever, un gentilhomme du palais lui annonça:

«Que le roi l'exilait à Avignon, et lui défendait d'en >> sortir. >>

– On m'exile, s'écria d'Étioles, parce que j'ai condamné le conduite d'un roi qui se fait un jeu d'enlever les jolies femmes à leurs maris!

Forcé d'obéir, il prit la route du Comtat Vénaissain où il ne resta pas long-temps; il obtint la permission de retourner à Paris; le roi le combla de faveurs, lui donna des sommes considérables et appaisa ainsi sa colère conjugale.

-Vous obtiendrez ce que vous voudrez pour vous et pour vos amis, lui dit-on de la part du roi; on vous défend seulement de fréquenter les lieux ou vous pourriez rencontrer votre femme.

D'Étioles méprisait son épouse; du mépris à l'indifférence, il n'y a qu'un pas; aussi supporta-t-il avec assez de résignation ce qu'il appelait sa catastrophe conjugale. Il n'exista plus entre lui et la maîtresse de Louis XV que des relations épistolaires; mais la favorite s'appelait toujours Mme d'Etioles, et le roi exigea qu'elle abjurât jusqu'au nom de son mari. Jamais momarque ne trouva femme plus prompte à lui obéir. La fille du commis Poisson avait vu plusieurs de ses rèves se réaliser; elle enviait des titres, elle ne mettait plus de bornes à son ambition.

IV.

LA MARQUISE DE POMPADOUR.

<«< Les historiens contemporains, dit M. Dufey, (de l'Yonne), ne sont pas d'accord sur le portrait qu'ils ont fait de Mme de Pompadour, que l'on ne peut comparer à celle qui lui succéda que sous le rapport des sonimes énormes qu'elle a coûtées à l'état. Il y a de la Pompadour

à la Dubarry toute la distance qui sépare une bourgeoise spirituelle et de bonne compagnie, d'une grisette parvenue et du plus mauvais ton. M. de Lévis refuse à Mae de Pompadour une figure expressive; il est démenti sur ce point par tous les auteurs contemporains. L'abbé Soulavie que l'on accusera peu de flatterie, et qui a tracé d'une manière sévere le tableau de sa vie politique et privée, la peinte ainsi, dans ses belles années :

« Outre les agrémens d'une belle figure pleine de vivacité, Mae de Pompadour possédait encore au suprème degré, l'art de se donner un autre genre de figure; et cette nouvelle composition également savante était un autre résultat des études qu'elle avait faites des rapports de son âme ct de sa physionomie. Ce ton langoureux et sentimental qui plaît à tant d'individus, ou qui plaît au moins dans beaucoup de circonstances, à tous les hommes sans exception, Mine de Pompadour savait le créer, le manier et le reproduire au besoin, au point qu'elle avait ce qu'on a le moins à la cour, et que l'écriture appelle le don des larmes: mais, ce don, la dame ne l'avait que comme les comédiens habiles en présence d'un public observateur de l'impression qu'ils éprouvent. Louis XV à cet égard était le public de Mme de Pompadour.

Comment donc pouvait résister à l'empire d'une telle comédienne un roi nul et apathique, quand cette femme était, suivant les circonstances, ou même à son gré, belle et jolie tout à la fois. Ces différens caractères étaient, au besoin, des variétés de son visage : elle était à sa volonté, superbe, impérieuse, calme, friponne, lutine, sensée, curieuse, attentive, suivant qu'elle imprimait à ses regards, sur ses lèvres, sur son front, telle inflexion ou tel mouvement; si bien que sans déranger (1) Fattitude de son corps, son visage était un parfait Protée. Elle se multipliait pour plaire à son royal amant: elle se travestissait, suivant les circonstances, en jardinière, en sœur grise, en fermière, eu princesse. Ses lèvres étaient pâles et flétries, suite de la triste habitude qu'elle avait contractée de les pincer et de les mordre. Ses yeux étaient châtains et brillans, ses dents très belles, ses mains parfaites elle avait inventé les négligés que la mode avait adoptés, et qu'on appelait les Robes à la Pompadour, dont les formes semblables aux vestes turques, pressaient le cou; elles étaient boutonnées au dessus du poignet, adaptées à l'élévation de la gorge et collantes sur les hanches (2).

Louis XV ne pouvait rien refuser à l'adroite Syrène qui trouvait chaque jour de nouveaux moyens pour l'enchanter; il allait même au devant de ses désirs. Dans un moment d'expansion, le roi lui dit avec cette bienveillance, cet abandon qu'il savait si bien affecter. -Mon amie, n'êtes-vous pas fatiguée de vous entendre toujours appeler Mme d'Étioles.

-Sire, je voudrais oublier jusqu'au nom de mon mari pour ne plus penser qu'à votre majesté!

(1) L'abbé Soulavie, Vie Politique et Privée de Mme de Pompadour.

(2) Les Robes à la Pompadour ont été reproduites par Mile Mars dans la pièce intitulée : la Suite d'un Bul; presque toutes les actrices ont suivi l'exemple de l'habile comédienne du théâtre français.

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- Sire, lui fut-il répondu, il est dans le BasLimousin un marquisat dont le dernier héritier måle est mort en 1710. C'est la terre de Pompadour.

-Pompadour, répondit le roi... C'est un beau nom; Me d'Etioles, demain à votre petit lever on vous saluera marquise de Pompadour.

La volonté de Louis XV fut promptement exécutée, et, quelques jours après, on ne parlait plus dans les sallons de Paris que de la marquise improvisée. Son royal amant lui donna des sommes énormes pour faire bâtir, dans le Limousin, le beau château de Pompadour, qui est encore regardé comme une des premières constructions du xviie siècles.

V.

LES PETITS SOUPERS.

Ces éclatantes faveurs irritèrent la jalousie des grandes dames de la cour, qui ne purent voir sans dépit une femme de basse finance, une petite bourgeoise, préférée aux demoiselles des plus nobles familles de France. La Pompadour trembla un instant devant cette coalition féminine; mais douée de cette présence d'esprit qui fait prévoir les dangers et donne les moyens d'y échapper elle prit adroitement son parti.

-Les grandes dames me jalousent, se dit-elle; il n'est qu'un seul moyen de les appaiser: fesons leur partager nos faveurs, et notre crédit; ouvrons leur nos salons, et, si je ne me trompe, les plus irritées s'empresseront de grossir ma cour.

Le moyen réussit au-delà de ses espérances; elle se vit fêtée, adorée; en un mot elle devint presquereine de France. Mais de nouvelles craintes ne tarderent pas à troubler son bonheur. Elle connaissait l'inconstance de Louis XV; elle tremblait à la seule idée d'une disgrace. Dans cette difficile circonstance, elle eut recours au valet de chambre Binet qu'elle avait choisi pour son conseiller intime.

Mon cher parent, lui dit-elle, il me semble que le roi n'est plus si empressé: s'il cessait de m'aimer, je mourrais de douleur et de regret.

Il est un moyen d'enchaîner l'humeur capricieuse de Louis XV, répondit Binet il faut le distraire, l'arracher à ses préoccupations. Je sais que l'étiquette de la cour le gène, qu'il aime les réunions intimes. Que chaque soir soit marqué par un petit souper, chaque jour par un concert, par une partie de chasse.

Mme de Pompadour trouva le conseil bon. Alors, dit M. Dufey (de l'Yonne), commencèrent les spectacles des petits cabinets. La maîtresse de Louis XV choisit les acteurs, les actrices, les premiers danseurs et chanteurs parmi les notabilités de la cour. Des théâtres s'élevèrent dans les châteaux de Versailles et de Belle-Vue. M...e de

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