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domestique effleure avec mobilité les visages sourians des jeunes pages; mais l'attention de l'assemblée redouble Silence! encore une fois silence !.... Le barde languedocien ressaisit l'instrument docile, et préludant sur un mode plus gracieux et plus tendre, soupire le lai d'amour, pour raconter ensuite, dans un gai faLliau, les fraudes adroites de deux amans qui sont d'intelligence pour tromper un maître ombrageux ou un père jaloux de son autorité. A ce récit naïf, maint damoisel, que le hasard a placé sans doute près de la beauté touchante, orgueil du manoir héréditaire, lui adresse furtivement un regard qu'elle seule peut comprendre, délices inexprimables du mystère, qui aime à se glisser jusqu'au milieu du bruit et de la pompe des fetes, tant les hommes se ressemblent dans tous les siècles! Tant les prestiges de la scène encore naissante présageaient les séductions du théâtre, agrandi, perfectionné par les merveilles de la civilisation!

Ce qui caractérise surtout les poètes méridionaux du moyen-âge, c'est l'heureuse alliance des talens et de la valeur. Le troubadour était quelquefois chevalier, ou quelquefois homme d'armes attaché à la fortune d'un grand vassal; et, quand ses mains victorieuses déposaient la lance et le bouclier, pour ressaisir la lyre, c'était afin de chanter des exploits auxquels son courage n'était jamais étranger. Rien de semblable ne s'observe dans les littératures des nations avancées dans la civilisation les poètes et les guerriers y forment deux classes distinctes, ou qui, du moins, ne se confondent que très-rarement; deux classes également vouées à la gloire, il est vrai, mais à une gloire diverse, et destinées en un mot, l'une à faire des actions d'éclat et l'autre à les célébrer. Voyez la Grèce, voyez l'Italie, voyez la France; Achille a besoin d'un Homère : Enée d'un Virgile; Henri IV d'un Voltaire aux troubadours seuls appartient la gloire d'avoir été à la fois dans les luttes féodales et les chantres et les héros.

Les travaux historiques, qui assureront à notre siècle une gloire d'autant plus durable qu'elle doit accélérer le mouvement du progrès humanitaire; ces travaux commencés et soutenus avec tant d'ardeur et de constance, nous ont appris à connaître le moyenâge et à l'absoudre de bien des crimes ou des erreurs qui lui avaient été injustement imputés. Pour moi, dans le point de vue purement littéraire où je me suis placé, je ne puis qu'approuver un gouvernement de cette nature, qui a favorisé de tout son pouvoir le développement des facultés les plus aimables et les plus brillantes de l'esprit humain.

Mais, de tous les élémens dont se composait le régime féodal, l'institution des cours d'amour est, à mon sens, le plus extraordinaire; jamais les femmes n'ont rien tenté de plus hardi pour assurer leur émancipation sociale; jamais elles n'ont été plus près de reconquérir par la force de l'opinion publique ce que leur a constamment fait perdre la prédominance des hommes dans les affaires de ce monde. Ces tribunaux extrajudiciaires, mais dont l'autorité était si grande dans l'esprit du temps, le code qui les régissait, la jurisprudence consacrée par leurs arrêts, tout cet ensemble de législation sentimentale dévoile bien mieux le cœur des

femmes que ne le saurait faire tout l'art des moralistes et des romanciers. Qu'on parcoure, en effet, ce répertoire d'un nouveau genre; qu'on examine attentivement tous les articles de cette charte galante, qui a proclamé, pour la première fois, l'indépendance du sexe le plus faible; qu'y trouve-t-on ? Le mari sacrifió à l'amant toujours et partout; l'un possédant la personne et l'autre le cœur; l'amour, la fidélité, l'obéissance posées comme premières bases, comme vertus principales de ce nouvel évangile; en un mot, un essai du despotisme féminin se trahissant à son tour et luttant avec quelque succès contre une tyrannie bien plus manifeste, bien plus puissante, et surtout bien moins

transitoire.

O toi qui présidas si souvent les cours d'amour, et qui fus sans doute l'un des plus aimables législateurs de ce code abrogé, mais non pas aboli; toi qu'on vit successivement l'épouse de deux rois, dont l'un ne fut jamais à tes yeux qu'un moine, et l'autre qu'un obstacle à tes vœux les plus chers, tendre amante du plus gracieux de nos troubadours, Eléonore d'Aquitaine, tu n'accordas que trop bien, il est vrai, ta conduite avec la témérité de tes opinions; mais si dans tes erreurs, tu ne craignis pas de prodiguer trop souvent, hélas ! le double avantage de la puissance et de la beauté, ce fut du moins pour couronner l'amour et le génie.

L'enthousiasme de l'amour, cet enthousiasme purement instinctif, donne à la poésie languedocienne de cette époque un caractère de force et de vérité qu'il est peut-être impossible de surpasser, non que ce genre de mérite ne soit balancé par des imperfections qui ne sont, il faut l'avouer, que trop frappantes. Le même fond de pensées et de sentimens qui a inspiré les troubadours se retrouve avec une exécution plus savante et plus parfaite dans les littératures traditionnelles dont l'origine remonte à l'antiquité grecque. Le cœur de l'homme étant toujours le même, la forme seule a pu changer, et c'est uniquement sous ce rapport qu'il est essentiel de distinguer les poésies des troubadours des ouvrages du même genre qui appartiennent à des époques de perfectionnement: la vérité, l'énergie du sentiment, le luxe des images, la spontanéité du trait, l'incorrection du dessin, je ne sais quoi d'incomplet,. de heurté et presque de sauvage, tels sont les signes caractéristiques auxquels il est facile de reconnaître la muse moderne ou romantique; tandis que la justesse et l'élégance des proportions, la perfection des détails, la richesse et l'à-propos des développemens, le choix des termes et des figures, une témérité prudente, une sorte de symétrie jusque dans le désordre même, tous ces attributs du génie dompté par la raison, et soumis au frein des régles, sont également ceux de la muse classique. Un air de jeunesse et de fraîcheur embellit la première; la seconde se fait admirer par l'éclat et par la régularité de ses traits: celle-là s'abandonne sans réserve à toute l'indépendance de la pensée; l'essor de celle-ci n'est que trop souvent comprimé par l'esprit d'imitation; et, pour tout dire en un mot, l'une semble obéir aux seules inspirations de la nature, et l'autre se montre plus docile aux exigences de l'art.

A une littérature à part, comme l'est celle des troubadours, à une littérature sans modèle, sans tradition,

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et qui semble ne tenir par aucun lien au passé ni à l'avenir, à une littérature qui apparaît au milieu du moyen-âge, dont elle est la fidèle expression, comme l'obélisque du désert élégamment élancé vers les cieux, mais dont la beauté majestueuse et solitaire n'excite plus que l'admiration et les regrets du voyageur, à une littérature originale il fallait une spécialité dans son application, il fallait des genres créés pour elle et par elle, des formes, des combinaisons artistiques, nouvelles, inattendues; c'était le Tenson, espèce de dialogue où l'on agitait des questions de controverse amoureuse, conformément aux usages de l'époque; c'était le Sirvente, pièce satirique divisée d'ordinaire en couplets; c'était le lai plaintif et le gai Fabliau; c'était enfin la Nouvelle et la Ballade, qui fleurissent encore de nos jours aussi bien que le Roman, cette épopée, ce tableau sans cesse renaissant de la société moderne, ce nouveau monde ajouté au monde de la littérature et des arts, ce rival du théâtre, ce délassement de tous les âges, et de toutes les conditions, le triomphe surtout et les délices des femmes, le commentaire ingénieux, le flambeau de l'histoire, et qui, naguères, vient de ressusciter sous la plume de Walter-Scott le moyenâge, avec ses créneaux et ses cathédrales, avec ses tournois et ses carrousels, avec ses mœurs si naïves et si fortement tranchées, en un mot avec toute sa pompe chevaleresque.

Le temps, qui perfectionne les institutions politiques et les monumens des arts, ne saurait guères leur rendre toutefois cet éclat, cette fraîcheur de jeunesse qui entoure le berceau des peuples. Quoi de plus touchant et de plus auguste à la fois que les assises du bon roi Saint-Louis dans le bois de Vincennes! Quoi de plus gracieux que les luttes littéraires sur des tapis de fleurs et de verdure! Gardons-nous de rabaisser jamais la justice et la poésie improvisées sous un chêne et sous un ormeau, car c'est la vraie poésie et la bonne justice.

Du moment où l'académie des jeux floraux, la société du Gai Savoir, bannit de son sein la langue maternelle pour adopter la langue française; du moment où elle répudia l'héritage de gloire que lui avait transmis la première, dans les poésies des troubadours et de Clémence Isaure elle-même, cette société célèbre consentit à descendre au second rang, au lieu de se maintenir au premier, dont la possession lui était pleinement assurée, soit par l'antiquité de son origine, soit par l'avantage incontestable d'avoir à diriger une littérature, qui entrait déja dans la voie du perfectionnement, d'une littérature qui avait traversé avec éclat la première période de son existence, l'âge d'or de la poésie lyrique; tandis que sa rivale, dans le timide essor d'une tardive aurore, luttait encore avec assez peu de succès contre la rudesse de la langue d'Oil, si fortement empreinte d'un caractère de barbarie.

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L'académie des jeux floraux, en s'opposant avec persévérance à la puissance monarchique, pour défendre, pour consacrer la nationalité de la langue d'Oc, aurait travaillé plus efficacement qu'on ne le croit à assurer l'indépendance de nos provinces méridionales. Que d'autres se bornent à considérer l'Académie française comme une institution purement littéraire; pour moi, je la regarde comme le trait le plus caractéristique du despotisme du cardinal de Richelieu, comme l'acte de son ministère qui a eu la plus grande portée politique. Certes, il faudrait être homme de peu de sens pour ne voir dans le dictionnaire de l'Académie française, ce grand niveleur du langage, cet autre code civil des Français, qu'une œuvre d'érudition et de critique littéraire.

L'universalité de la langue est une chaîne de fer dont se sert la centralisation pour garroter la France entière au profit de la capitale.

De grands souveni: s semblaient toutefois devoir nous défendre de cette invasion de l'idiome septentrional. Deux puissantes reines, qui avaient reçu la naissance sous notre beau ciel, Constance, épouse de Robert, et Eléonore, qui s'unit à Louis-le-Jeune, parurent à la cour de France environnées d'un brillant cortège de troubadours, qui firent naître le goût de la poésie sur cette terre, depuis si féconde en grands poètes, mémorable époque d'initiation littéraire, où l'avantage appartient encore tout entier à la muse languedocienne, et qui nous montre dans l'éclat de ses premiers essais T'origine de la civilisation française. Quelles sont les vicissitudes des choses humaines! L'Europe nous payait alors un juste tribut d'admiration; à notre exemple, l'Italie avait des troubadours, le nord de la France des trouvères; tout suivait l'impulsion que nous avions donnée aux arts de l'esprit. De cette glorieuse influence que nous reste-il aujourd hui? rien qu'un souvenir immortel. L'anéantissement de la féodalité fut l'extinction de la littérature méridionale; l'unité monarchique fut mortelle à l'essor de la pensée créatrice dans nos contrées. La centralisation a commencé par le despotisme royal et a été définitivement organisée par la camaraderie.

moins exclusive, moins partiale, moins tyrannique, il s'en faut bien, que la centralisation littéraire en matière de légalité, un provincial est un citoyen français ; en matière de gout, il n'est qu'un barbare. Dans les républiques et les états confédérés, au contraire, chaque cité un peu importante brille d'un éclat qui lui est propre, et qu'on voudrait en vain lui ravir ou partager avec elle, et il n'en est aucune qui ait sur toutes les autres le privilége de la gloire des arts; le mérite y reçoit par tout d'utiles encouragemens, et ce qu'on doit regarder comme préférable, y est l'objet de l'estime et de l'admiration publiques; inappréciables avantages qui le dispensent habituellement de chercher ailleurs les récompenses dues à ses heureux efforts. Qu'ai-jo besoin de rappeler ici la rivalité des sept villes de l'ancienne Grèce, qui se disputaient l'honneur d'avoir vu naître Homère, de signaler ensuite Thèbes si fière d'avoir été la patrie de Pindare, et Lesbos qui ne craignait pas d'opposer les grands noms d'Alcée et de Sapho à ceux des plus beaux génies d'Athènes? Qu'ai-je besoin d'évoquer les souvenirs de l'histoire littéraire de l'Italie moderne et de montrer la gloire de l'Arioste, se réfléchissant tout entière sur la cour de Ferrare, que ses beaux vers rendirent à jamais célèbre, tandis que, pour consoler le Tasse des horribles persécutions qui abrégèrent ses jours, Rome, si long-temps l'arbitre du bon goût, ne sut lui réserver que la déception d'un triomphe posthume?

Il me serait facile d'étendre cette nomenclature à la confédération germanique, cet imposant débris des institutions politiques du moyen-âge, aux Etats-Unis d'Amérique et à la Suisse; je me borne à une seule observation qui renferme, selon moi, l'argument le plus décisif contre la centralisation, soit littéraire, soit gouvernementale la Grèce libre a plusieurs dialectes, le monde soumis aux Romains parle la même langue, celle de ses maîtres.

Le régime féodal, tyrannique dans l'ordre politique, fut vraiment républicain sous le rapport littéraire; ces mille petits despotes qui torturaient leurs vassaux, honoraient les lettres, en protégeant les troubadours. Ils réparaient à leur égard les torts de la fortune; ils les attachaient à leur personne et les admettaient dans leur intimité; ils faisaient plus encore, ils attribuaient uniquement à leur exaltation poétique des aveux souvent téméraires, qui offensaient la chasteté de leurs épouses ou la pudeur de leurs filles; et, plus indulgens dans leur puissance bornée et à demi barbare que ne le fut

vraient d'un pardon généreux les mêmes fautes qui coùtèrent tant de pleurs à Ovide, et le firent exiler chez les Sarmates des bords de l'Euxin.

L'histoire l'a suffisamment démontré: monarchie et centralisation sont deux choses intimément unies entre elles; république et uniforme répartition de tous les avantages sociaux, sont deux choses également inséparables. Un roi puissant, une cour brillante, forment un centre d'attraction qui appelle dans son sein, avec une force irrésistible, tous les talens, toutes les riches-Auguste lui-même, arbitre du monde civilisé, ils couses, toute la substance de l'état; et pour accumuler tous les prodiges des arts et de l'industrie sur un point du territoire, dépouille et appauvrit tout le reste. Dans la France monarchique, un homme de génie appartient avant tout à la capitale, qui l'adopte, qui s'en empare, et qui l'enchaîne pour jamais dans ses murs: c'est à peine si l'on daigne se souvenir, à sa mort, de sa véritable patrie, et consigner dans son article nécrologique le nom de la province ou du département où il reçut le jour. De là un préjugé aussi ridicule qu'injuste, un préjugé que le monopole parisien exploite tous les jours à son profit, avec un dédain superbe pour toutes les productions qui n'ont pas cu le bonheur d'éclore sur les Lords de la Seine. La centralisation politique est

Parmi cette famille brillante de troubadours, de poètes ingénieux, qui ont su immortaliser la langue romane, apparaissent des célébrités rivales des plus rares génies de l'école classique: Bertrand de Born peut être proclamé le Tyrthée féodal; Rambaud d'Orange rappelle quelquefois l'élégante précision et l'épicuréisme d'Horace; Bernard de Ventadour est le Tibulle de notre Occitanie; Pierre Vital en est le Properce, et Clara d'Anduze ne me semble pas indigne d'être comparée à la tendre amante de Phaon. La différence des époques et des écoles une fois ad

mise, ce rapprochement ne doit pas être considéré comme une vaine recherche, un artifice du style, mais comme l'expression de la vérité. Qu'on me dise si, en parcourant les poésies de Bertrand de Born, on ne croit pas entendre retentir la trompette guerrière dont les sons se mêlent confusément aux cris des combattans et aux hennissemens des chevaux; qu'on me dise si la délicatesse, la grâce ou le délire de l'amour le plus tendre, ne respirent pas dans les vers de ce Rambaud d'Orange, qui maniait le luth des troubadours avec autant d'habileté que la lance des preux; de ce Bernard de Ventadour, amant aimé d'Eléonore d'Aquitaine; de ce Pierre Vidal, que son imagination romanesque précipitait quelquefois dans des entreprises aussi brillantes qu'insensées; qu'on me dise, enfin, si les accords brùlans de Clara d'Anduze n'éveillent pas dans les cœurs la même sympathie que les accens passionnés de la muse de Lesbos.

Quoi de plus animé, de plus héroïque, de plus éclatant que les chansons guerrières de Bertrand de Born, vicomte de Hautefort!....

Si la poésie languedocienne était aussi connue qu'elle mérite de l'être, j'aurais considérablement abrégé l'appréciation de ses beautés; mais elle a besoin de produire ses titres de gloire pour recouvrer sa popularité, car elle fut souvent contrariée ou même arrêtée dans son essor; telle qu'une eau bienfaisante et limpide, qui rencontre, non loin de sa source, un abîme où elle s'engloutit, ou plutôt semblable à un arbre vigoureux et plein de sève qu'un art ennemi condamne à ramper en espalier, quand la nature l'avait destiné à élever majestueusement sa tête verdoyante dans les airs.

Le tableau que je viens de retracer suffira peut-être pour faire apprécier le génie méridional dans l'éclat de ses premiers essais ce qui distingue surtout ce génie de celui de l'antiquité, c'est une tendance aujourd hui généralement reconnue vers un ordre d'idées plus nobles, plus élevées, plus épurées, moins asser

vies à l'empire des sens et de la matière; c'est la source inépuisable du sublime, la gloire éternelle de la religion chrétienne, je veux parler du spiritualisme. Ce principe, autrefois renfermé dans la philosophie de Platon et devenu de nos jours une vérité pratique, a changé la face du monde et des arts. Le Génie du Christianisme de M. de Chateaubriand, ce monument immortel, aussi admirable dans le genre auquel il appartient, dans la haute critique, que l'Esprit des lois, dans la législation, que l'Emile dans la philosophie, a proclamé, a consacré l'influence de la croyance évangélique dans le domaine de la pensée créatrice. S'il est vrai, comme il l'a soutenu, que les écrivains du siècle de Louis XIV, instinctivement soumis à cette iufluence, lui aient dû souvent les plus beaux traits de leurs chefs-d'œuvre, lors même qu'ils adoptaient par un esprit de système le merveilleux du paganisme, combien cette observation n'a-t-elle pas plus de force et de justesse, si l'on en fait l'application aux chants des troubadours, de ces poètes musiciens, les Orphées et les Linus de la France, de ces véritables maîtres de gai savoir, qui, dédaigneux ou ignorans du passé, se livraient sans étude et sans art à l'inspiration de la muse chrétienne, et qui s'honorant d'être tour-àtour les chantres ou les émules des preux chevaliers, avaient pris la même devise: Dieu, le Roi, les Dames! La critique contemporaine a rendu d'éclatans hommages à cette littérature primitive de l'Europe, interrompus, mais non pas anéantie par l'imitation exclusive de l'antiquité, et qui, depuis quelques années, a semblé renaître pour rajeunir la littérature française et pour lui rendre, avec ses grâces naïves, son enthousiasme chevaleresque et son idéalisme chrétien, ce caractère de vérité, de nationalité, dont la gloire n'est pas toujours le dédommagement, et dont il eùt été à désirer sans doute qu'elle ne se fût jamais dépouillée. Théodore ABADIE.

ARNAULD DE MARVIELL.

A

HISTOIRE DU XII SIÈCLE.

peu de distance de la ville de Castres, sur la rivière d'Agoût, dans les gorges formées par les montagnes, qui vont se réunir aux premières terrasses de la Montagne-Noire, s'élevait, dans le douzième siècle, un antique château, situé dans les domaines de la maison de Trencavel. Cette maison, la plus puissante de la province après la maison de Toulouse, possédait les vicomtés de Béziers, de Carcassonne, d'Alby et de Razès. Nous voyons par les actes et les chartes qui nous

ont été conservés, que les seigneurs de Trencavel t possesseurs d'un immense territoire, qui renfermai, dans ses limites un grand nombre de cités populeuses, conservèrent toujours une tendre prédilection pour la ville ou plutôt pour le petit bourg de Burlats, qui existe encore et qui est renommé pour l'excellence des fraises que l'on cultive dans ses vallons, qu'arrosent les eaux limpides de l'Agoût. Dans leurs testamens, les seigneurs de Trencavel disposaient ordinairement du bourg

et du territoire de Burlats, en faveur d'une épouse ché- | phétique et cruelle eût osé annoncer à la sensible Consrie, d'un fils bien-aimé, d'une fille objet de leur vive tance, qu'à la fleur de son âge, délaissée par son époux, tendresse. C'est au plus cher de leurs enfans qu'ils lé-elle irait dans une solitude profonde, consumer les belguaient le champêtre manoir. Placé dans un lieu soli- les années de sa vie dans les ennuis d'un amour maltaire, ses vieilles tourelles s'élevaient sur la crête des heureux ! rochers, dont les cimes étaient ombragées par des forets que la cognée ne mutila jamais; à ses pieds, l'Agoût en serpentant, mélait son murmure aux accens de l'oiseau du printemps, et formait de petites îles dont la verdure contrastait avec les rochers et les flancs noircis de la montagne. Telle est encore cette solitude dont les sites agrestes et l'aspect enchanteur rappellent à certains égards les vallées et les montagnes de la Suisse.

C'est dans ce lieu charmant, mais sauvage, que vivait dans les dernières années du x11° siècle, la vicomtesse Adelaïde, fille de Raymond V, comte de Toulouse, femme de Roger I, vicomte de Béziers, de Carcassonne, d'Alby et de Razès, et petite-fille du roi de France Louis-le-Gros. Sa mère, Constance de France, avait été mariée en premières noces à Eustache de Blois, fils d'Etienne, roi d'Angleterre. Après avoir été couronnée dans Londres en 1152 avec son époux, du vivant du roi Etienne, conformément aux usages pratiqués dans ce siècle, Constance eut le malheur de perdre son mari, qui mourut dans un temps où les révolutions qui agitaient l'Angleterre, allaient lui ravir une couronne, que lheureux chef de la race des Plantagenet enleva pour jamais à la maison des ducs de Normandie. Veuve couronnée d'un prince qui ne s'était pas assis sur le trône, Constance revint à la cour de France. Elle était alors dans tout l'éclat de la jeunesse et de la - beauté. Vingt princes se montrèrent jaloux d'obtenir sa main. Les grands vassaux de la couronne, rebelles à l'autorité royale, et qui, les armes à la main, combattaient pour faire de lempire français une république de princes feudataires, en résistant aux armées du monarque qui assiégeait leurs redoutables forteresses, semblaient réclamer un vasselage plus doux : les seigneurs de Montfort, de Nesle, de Couci, portèrent souvent dans leurs tournois les couleurs de la dame dont le père leur faisait redouter sa valeur sur les champs de bataille. Enfin, après avoir été sollicité par tout ce que la France avait de plus nobles princes et de plus vaillans chevaliers, Constance épousa en secondes noces Raymond V, comte de Toulouse.

Les Toulousains célébrèrent le mariage de leur seigneur, par des joùtes et des tournois, qui attirèrent une affluence considérable de nationaux et d'étrangers, et qui durent inspirer à la princesse qui était l'objet de ces fêtes magnifiques une haute idée de l'amour et du dévouement qu'éprouvaient pour leurs souverains les peuples sur lesquels elle venait régner. Si de funestes pressentimens pouvaient s'offrir à la pensée, lorsque le cœur est ému par l'image du bonheur et par la vue d'un peuple empressé d'en faire jouir les êtres chers à sa reconnaissance, la fille infortunée de Louis-le-Gros aurait sans doute laissé échapper quelques larmes au milieu de ces fètes brillantes. Mais quelle triste et fatale connaissance de l'avenir aurait pu lui annoncer les infortunes de sa vie dans ces jours d'allégresse, et lorsque les arts, les plaisirs et la galanterie s'empressaient de réunir tous les moyens de lui plaire? quelle voix proMOSAIQUE DU MIDI.

- 3 Année.

Les premières années de leur mariage furent heureuses, mais le comte de Toulouse s'abandonna bientôt à son goût pour les plaisirs, que son âge et les séductions dont il était environné ne lui permettaient guère de vaincre. On passerait sous silence des désordres qui s'allient souvent dans une jeunesse ardente et fougueuse à des qualités honorables, et même aux plus nobles inspirations du cœur, si ces désordres n'avaient compromis le bonheur d'une auguste princesse, que ses vertus et le souvenir du diadème qu'elle avait porté rendaient si digne des égards et des respects de son époux. La cour de Rome retentit des plaintes d'une reine dont des courtisanes avaient profané le lit; la cour de France fit craindre les armes et la colère d'un roi qui ressentait vivement les injures faites à une sœur tendrement chérie; mais ni les menaces du roi Louis-le-Jeune, ni les censures du pontife romain, ne purent rétablir la bonne intelligence entre les deux époux. Tandis que la fille de Louis-le-Gros cachait ses infortunes dans la solitude de Burlats, et qu'elle allait même jusque dans la Palestine chercher dans les consolations religieuses un adoucissement aux amertumes dont elle était abreuvée, Raymond se livrait à de nouvelles amours.

Une fille était née de leur mariage; les malheurs de sa mère semblèrent présager les siens. Tendrement chérie du roi de France, Louis-le-Jeune, son oncle, elle fut mariée, en 1171 à Roger Ier, vicomte de Béziers, d'Alby, de Carcassonne et de Razès. C'est en considération de ce mariage, que Louis-le-Jeune écrivait à Roger les lettres les plus affectueuses, et qu'il lui fit don du château de Minerve. Mais cette union, formée sous d'heureux auspices, ne fut pas plus fortunée que le mariage de Constance. Pendant les cruels momens de sa séparation avec Raymond, Constance avait habité le château de Burlats; c'est au milieu des rochers de cette solitude, qu'une fille des rois de France nourrissait ses ennuis. Adelaïde, née dans ces lieux sauvages, conserva toute sa vie une tendre prédilection pour l'antique manoir où elle avait reçu les premières caresses maternelles. Dans la suite, lorsqu'une conformité de malheurs lui rappelait la destinée de sa mère, elle aimait à pleurer dans les mêmes lieux où Constauce avait pleuré. Dans les âmes tendres, la tristesse fait fermenter l'amour. Adelaïde l'éprouva; belle, la réputation de sa beauté attira auprès d'elle, une foule d'adorateurs qui briguèrent à l'envi le bonheur de lui plaire. On était alors dans les beaux jours de la poésie provençale; c'était le siècle des troubadours et des chevaliers, qui parcouraient les cours et les châteaux en chantant l'amour et les dames. Nulle part ils n'étaient accueillis avec plus de distinction qu'à la cour de Raymond V, père d'Adelaïde. C'est à cette cour que so rendaient des diverses provinces d'Espagne, de France et d'Italie, tous ces chevaliers, modèles de grâces et de courtoisie, qui ont fourni l'idée de ces caractères chevaleresques que les poètes et les romanciers ont tant célébré depuis, et que les contemporains des preux avaient admiré au milieu des fêtes galantes et magni

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