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chaque jour la nièce du maire Guiton, commit l'imprudence de dévoiler ce secret à la malheureuse Catherine. La jeune fille n'osa d'abord se livrer à sa douleur; elle avait à craindre l'infatigable surveillance du ministre. Mais aussitôt qu'elle fut libre de s'abandonner à ses transports, elle pleura amèrement.

-Pauvre Philippe! se dit-elle en sanglottant, ils le tueront.

à celle qu'Alexandre, roi de Macédoine, fit construire ↑
devant Tyr. Le fameux architecte Gabriel Métezeau
fut chargé de cette entreprise dont l'exécution nous
paraîtrait impossible si on n'en voyait encore les res-
tes (1). Les résultats de cet immense travail se firent
bientit sentir; les vivres, les munitions manquèrent;
la famine devint affreuse. Les Rochellois envoyèrent
plusieurs ambassadeurs en Angleterre; mais le roi ir-❘
rité de ce que la première flotte n'avait pu pénétrer
dans le port de la ville assiégée, refusait de nouveaux
secours. Le seul duc de Buckingham qui avait à répa-
rer les fautes de sa première expédition fesait d'immen-
ses préparatifs; il était sur le point de mettre à la voile
lorsqu'il fut assassiné à Portsmouth. Un nommé Gros-pagneras à l'hôtel-de-ville.
setière porta cette triste nouvelle à ses concitoyens.

- Messieurs, dit-il aux échevins réunis dans l'hôtel-de-ville, j'arrive de Portsmouth, et j'ai vu le duc de Buckingham tomber sous le poignard d'un assassin. M. de Soubise ne cessait depuis quelque temps de l'exhorter à mettre à la voile; il lui promit qu'il partirait le lendemain, et l'invita à déjeuner avec lui. Au moment où il se levait de table, le chevalier Thomas Freyard lui présenta un plan à examiner. Pendant qu'il le considérait attentivement, un jeune Écossais, lieutenant dans une compagnie, plongea un long couteau dans la poitrine du duc et se perdit dans la foule. Milord Buckingham mit l'épée à la main;

«Ah, chien, cria-t-il, tu m'as tué!

Au même instant, il tomba et ne donna plus signe de vie. On a cherché à découvrir la cause de ce funeste attentat; les perquisitions n'ont eu pour résultats que de vagues soupçons. M. de Soubise m'a dit que le roi d'Angleterre n'est pas étanger à l'assassinat du duc de Buckingham.

-Nous venons de perdre le plus fidèle de nos alliés, s'écria le maire Guiton. Nous sommes trahis en France, en Angleterre! Grand Dieu, toi qui donnas la force et le courage aux habitans de Samarie, n'abandonne pas les réformés de la Rochelle.

On pria publiquement pour le duc; le même peuple, les bourgeois coururent aux armes ; chacun voulait occuper le poste le plus périlleux; le dévouement s'était changé en délire; les ministres prèchaient sur les places, et les combattans exaltés par leurs prédications n'aspiraient qu'au bonheur de mourir martyrs de leur croyance. Le maire Guiton se trouvait partout; on eût dit que cet homme se multipliait; sa seule présence rendait la résignation aux vieillards, aux femmes et aux enfans.

VI.

LE POURPOINT GRIS.

L'arrestation de Philippe de Surgères fut bientôt connue de tous les habitans de la Rochelle; la veille du jour fixé pour l'exécution du criminel, une multitude innombrable se pressait déja sur la place de l'échafaud. Le ministre Silvan qui avait reçu ordre d'aller voir

(1) A marée basse, on voit encore les restes de la digue de Ja Rochelle. C'est un long empierrement qui s'étend de la pointe de Coreille, à celle du fort Louis, éloignée d'environ 1,500 mètres et dont le milieu donne passage aux vaisseaux.

Cette horrible pensée la glaça de terreur; le désir de sauver son amant lui rendit l'espérance; elle appela sa fille Pétronille.

-Ma chère Pétronille, lui dit-elle en essuyant ses larmes, il faut que je sorte à l'instant; tu m'accom

Ma bonne maîtresse, que votre volonté soit faite; mais il me semble que le moment n'est pas propice pour sortir la multitude encombre les places publiques et les rues.

-Le temps presse, suis-moi... ma bonne Pétronille, sais-tu si dans cette maison il reste quelque habit d'homme ?

-Un seul, ma maîtresse; celui que M. votre père portait la veille du jour où il fut massacré par les catholiques.

-Prends-le et viens avec moi.

Catherine s'enveloppa de la tète aux pieds dans sa cape blanche et s'éloigna de la porte Maubec; elle traversa les rues sans être reconnue; arrivée à l hôtelde-ville, elle eut beaucoup de peine à se faire jour jusqu'au perron.

—M. l'échevin dit-elle à un vieillard, où est le cachot de l'hôtel-de-ville?

-Descendez l'escalier à gaucho, répondit l'échevin. Guidée par un soldat du guet, la nièce de Guiton parcourut à pas lents l'escalier tortueux; le soldat s'arrêta à la porte du cachot :

Mademoiselle, dit-il, voici la porte du cachot : le geolier s'avance vers vous; que le bon Dieu vous protége.

Que venez-vous faire ici, mademoiselle? cria le
geolier d'une voix presque menaçante.
-Je veux voir le prisonnier catholique.
Impossible, mademoiselle.

J'ai une permission de M. le maire.
J'en doute, ma fille.

-Lisez :

Le geolier prit des mains de Catherine un parchemin scellé aux armes de la Rochelle dès qu'il reconnut le sceau de la municipalité, il s'empressa d'ouvrir, alluma un flambeau et accompagna Catherine jusqu'à l'entrée du cachot.

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Et il se précipita dans les bras de son amante. Il n'y avait pas un seul instant à perdre: le peuple hurlait déja hors des portes, et gourmandait la lenteur des bourreaux.

-Le temps presse, dit Catherine en s'arrachant des bras de Philippe; je suis venue pour te sauver. -Je n'ai plus aucun espoir, ma chère Catherine; je ne sortirai de ce cachot que pour aller au gibet. -Ne désespère pas ainsi de la bonté du ciel et de l'amour d'une pauvre fille. J'ai apporté un costume de soldat huguenot, et je crois qu'à l'aide de ce travestissement tu échapperas à la vigilance du geolier.

Quelques instans suffirent à Philippe de Surgères pour dépouiller ses habits et revêtir le pourpoint gris

de Guillaume Guiton.

-Tu es méconnaissable, dit Catherine.

-La porte roule sur ses gonds ajouta Pétronille. En effet, le geolier entra et cria par trois fois :

-Mademoiselle sortez; il ne doit plus rester dans cette prison que le patient et le bourreau.

-Pars, dit Catherine, en embrassant Philippe et que le ciel te protége.

-A demain, mon ange consolateur, à demain si je parviens à me sauver.

Il sortit précipitamment, et le geolier en le voyant passer, récita ses prières; it crut voir Guillaume Guiton, dont la ressemblance était frappante,

Mademoiselle, dit-il à Catherine, je crains qu'il n'arrive quelque grande catastrophe à notre bonne ville de la Rochelle; j'ai vu passer l'ombre de M. Guillaume Guiton; que le bon Dieu tienne son âme en paix et lui fasse miséricorde !

Catherine était trop émue pour répondre au geolier; elle se contenta de glisser dans sa main une pièce d'or, et se håta de monter le grand escalier. Quand elle entra dans la grande salle de l'hôtel-de-ville, elle vit deux bourreaux qui se dirigeaient vers le cachot accompagnés de quelques soldats. Envain elle s'efforça de fendre la foule pour sortir; elle se vit contrainte de rester.

-Messieurs, s'écria un des bourreaux, messieurs les échevins, le prisonnier n'est plus dans le cachot. Le second bourreau entra au même instant avec le geolier qu'il traîna devant le maire.

Misérable! lui dit Guiton, qu'est devenu le pri

sonnier?

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VII.

UN PAIN NOIR.

Cependant l'extrêmité des Rochellais étant en son dernier point, dit l'auteur des mémoires du cardinal de Richelieu, n'ayant plus d'herbe à manger sur leurs contrescarpes, de cuir de bœuf ou de cheval, de courroies, de bottes, de souliers, de ceintures de pendans, d'épées, de pochettes dont ils faisaient des gelées avec de la cassonade et des bouillies sucrées pour se nourrir, ils résolurent d'envoyer demander miséricorde. Le maire Guiton instruit de cette détermination convoqua ses concitoyens à l'hôtel-de-ville.

:

Habitans de la Rochelle, s'écria-t-il lorsque je consentis à être maire, ce fut à condition qu'il me serait permis de plonger mon poignard dans le cœur de celui qui le premier parlerait de se rendre.

-

-Nous mourons tous de faim, cria la multitude. · Pourquoi avez-vous bravé la colère de Louis XIII, si vous ne vous sentiez pas la force d'affronter le martyre? s'écria Guiton... Je suis votre maire, vous devez m'obéir; résistons à l'armée royale, jusqu'à ce qu'il ne restera plus dans la Rochelle un homme en état de porter les armes.

Il descendit du perron et se perdit dans la foule qui n'osait murmurer en présence de son premier magistrat. Au détour d'une rue, il rencontra une femme qui lui demanda l'aumône et tomba au même instant

morte d'inanition.

La famine décime les malheureux défenseurs de la Rochelle, dit un échevin.

- Pourquoi plaindre cette femme, répondit Guiton; dans quelques jours nous mourrons comme elle. On ne peut pas vous parler de capituler.

- Vous n'avez pas oublié, M. l'échevin, le serment que je fis quand vous m'élutes maire de cette ville. Je m'en souviens, et j'aurai le courage de supporter les horribles tourmens que j'endure, dit le vieillard.

Guiton précipita le pas; la présence de Catherine à l'hôtel-de-ville, l'évasion de Philippe de Surgères, avaient fait naître dans son ame d'étranges soupçons: néanmoins il trouva sa nièce seule et si faible qu'elle ne put se lever pour le saluer.

J'ai faim! bien faim! dit-elle; mon oncle, un peu de pain ou je meurs.

- Du pain, Catherine, répondit le maire, je n'en ai pas.

Il faut donc mourir ?

Guiton, touché de compassion, n'osa parler à sa nièce de la fuite du prisonnier; il s'efforça de la consoler et promit d'apporter le soir quelques alimens qu'il acheterait au poids de l'or. Sa parole fut assez puissante pour calmer le désespoir de la malheureuse Catherine; content de ce premier succès, il se disposait à sortir, lorsque Philippe de Surgères entra subitemont.

-Catherine, cria le soldat catholique, j'apporte du pain.

posa sur la table un petit pain noir.

La jeune fille, qui depuis plusieurs jours était en proie aux affreux tourmens de la faim, saisit avec

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Mon oncle, j'ai bien faim, cria la jeune fille.
Ce pain a été pétri avec le sang de ton père !
Je sens un feu brùlant qui dévore mes en-
trailles.

-Tu mourras comme ton père, comme ton oncle, si Dieu détourne sa main de nous.

A ces mots, Guiton s'approcha de la fenêtre et jeta le pain noir.

-Homme insensible, dit Philippe de Surgères, tu n'as donc pas pitié de ta nièce! tu veux qu'elle meure!

-Son séducteur ne lui survivra pas, répliqua Guiton; les soldats envoyés par les échevins cernent cette maison: tu ne peux échapper à notre vengeance.

Philippe tira son épée du fourreau et sortit avec précipitation; arrivé à la porte extérieure, il se vit entouré par plusieurs soldats qui le menèrent à l'Hôtelde-Ville pieds et poingts liés le soir même il eut la tête tranchée. Guiton assista lui-même à l'exécution de l'infortuné gentilhomme, et se promit d'en raconter les moindres détails à sa nièce Catherine. Quand la nuit fut venue, il retourna à la porte Maubec; il trouva la fidele Pétronille en pleurs.

Qu'est-il arrivé? lui dit-il.

Mademoiselle Catherine est morte.

— Encore une victime! dit le maire en s'efforçant de retenir ses larmes. Je suis cause de la mort de ma nièce; le pain noir du soldat royaliste lui eût suffi pour subsister pendant quelques jours; mais il est écrit que tous les défenseurs de la Rochelle doivent périr comme les habitans de Tyr et de Samarie : grand Dieu, protège ton peuple et détourne l'oppression !

VIII.

CAPITULATION.

vices qu'ils avaient rendus à Henri IV, son père. Louis XIII et le cardinal, après les avoir sévèrement réprimandés, envoyèrent des gens de guerre pour se saisir du fort de Tadon, des portes, des tours de la Rochelle, des canons et des munitions; on ne trouva dans la place que soixante-quatre Français et quatrevingts-dix Anglais en état de porter les armes; les autres étaient morts de misère et de faim. Le 30 octobre le roi et le cardinal firent leur entrée; le maire, contraint de céder au vœu général de ses concitoyens, s'avança à la rencontre du roi avec six archers.

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Dites au maire de la Rochelle, s'écria le cardinal, qu'en punition de sa révolte et de ses méfaits, je lui ordonne de congédier ses archers, de ne plus se qualifier maire, sous peine de mort.

Guiton obéit et s'humilia devant le cardinal-ministre. Si vous voulez passer au service du roi d'Angleterre, lui dit le cardinal, je vous donnerai un saufconduit.

«<- Monseigneur, répondit Guiton, il vaut mieux » se rendre à un roi qui a su prendre la Rochelle, qu'à » un autre qui n'a pas su la secourir. »

IX.

DEMOLITION DES FORTIFICATIONS DE LA ROCHELLE.

Le lendemain, le cardinal conseilla au roi d'envoyer le maire hors de la ville (1), à cause de la grande inhumanité dont il avait usé envers ses concitoyens, ayant mieux aimé les laisser misérablement périr de faim, que d'avoir recours à la clémence royale, pour mettre fin à leurs misères; d'envoyer à Niort madame de Rohan, la douairière, comme étant indigne que sa majesté la vit, pour avoir été le flambeau qui avait consumé le peuple. Il fit ensuite démolir les fortifications et murailles de la ville, et ne conserva que le petit fort de la Prée, afin d'avoir toujours une porte assurée pour faire, quand on voudrait, descendr edes troupes dans l'ile de Rhé.

Le siége avait duré quatorze mois dix-huit jours; douze mille hommes étaient morts de faim: la vengeance du cardinal fut terrible: il abolit à perpétuité

« La ville était pleine de morts (1), dans les cham-l'échevinage et la communauté de la ville. bres, dans les rues, dans les maisons, dans les places publiques; la faiblesse de ceux qui restaient, était venue à un tel point, et le nombre de ceux qui mouraient était si grand qu'ils ne se pouvaient enterrer les uns les autres, et laissaient leurs morts gisant à l'endroit où ils avaient expiré, sans que pour cela l'infection fùt grande; atténués par la famine, dès qu'ils étaient morts, ils se desséchaient et ne pourrissaient pas. »

Cette déplorable victoire avait coûté quarante millions.

Le conseil de la ville se réunit, à l'insu du maire, et d'un commun accord il fut arrêté qu'on accepterait les conditions du cardinal de Richelieu. Le 27 octobre 1628, ils envoyèrent une ambassade au camp de l'armée royale; le 28, le traité fut signé, et le lendemain douze députés se rendirent auprès du roi, qu'ils supplièrent de leur pardonner, et de se souvenir des ser

(1) Mémoires du cardinal de Richelieu, tom. II.

Jusqu'au règne de Louis XIV, la Rochelle ne présenta qu'un amas de ruines; ce prince, comprenant l'importance de sa position, la fit reconstruire et fortifier par Vauban. A dater de cette époque, le cheflieu de la Charente-Inférieure n'a cessé de prospérer.

<< Cette place maritime, dit M. Albert Deville, est dans une situation très avantageuse pour le commerce; sur l'Océan, au fond d'un petit golfe qui lui sert d'avant-port, l'acces en est défendu par deux tours d'un bel aspect. En face, les deux îles de Rhé et d'Oleron, forment une immense rade, dont l'entrée est le pertuis d'Antioche le port est sûr et commode, garanti par une puissante jetée; on y a ajouté, dans ces derniers temps, un vaste bassin où les vaisseaux

:

(1) Mémoires du cardinal de Richelieu.

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Dans notre Provence à peine connue de ses enfans, visitée, on le dirait, seulement par occasion, et presque dédaignée par les étrangers; il est des spectacles d'autant plus ignorés qu'ils sont plus près de nous, et qui n'auraient besoin que d'ètre connus pour rivaliser de renommée avec ceux auxquels les récits des voyageurs en ont prété le plus.

La nature a eu beau déployer ses merveilles, dérouler le grandiose de ses créations, entasser miracle sur miracle; on ne lui en a pas tenu compte, et c'est à peine si de loin en loin quelques voix aussi généreuses que rares, se sont élevées pour chanter un hymne en son honneur.

C'est que la nature, comme tout noble ouvrier, a conçu en silence, a créé loin des yeux profanes, et

que pour découvrir son travail, il eût fallu deviner ses mystères, ou les percer à force de persévérance.

Il eut fallu escalader des rochers, gravir les montagnes dont elle entoura son laboratoire, et franchir les précipices sans nombre à l'abri desquels elle travailla pendant des siècles.

Or le provençal, quoique ne manquant pas du sentiment du beau, est naturellement paresseux, et il s'écarte peu volontiers des chemins fréquentés : l'idée de la fatigue l'effraie, et la perspective d'un pélerinage, le frappant d'indifférence, le fait tomber de nonchalance à l'ombre de ses oliviers. - Il n'est donc pas étonnant que le chiffre de nos merveilles connues soit très restreint il est en rapport avec celui des recherches et des découvertes.

Le défaut de publicité est aussi un ennemi terrible, qui ne contribue pas peu à condamner à l'oubli certaines localités, dont on pourrait faire des pages magnifiques car, si parmi nous quelque génie s'éveille, il s'y trouve à l'étroit, et n'attend pas que ses ailes soient fortes pour s'envoler vers la capitale, d'où il nous envoie à peine quelques reflets d'une gloire étrangère.

travers la verdure des arbres et des prés, reluisait au soleil comme un ruban métallique, ou scintillait comme les écailles d'un reptile en mouvement.

Un rocher de quelques toises de haut, et un arbuste incliné à son sommet; une tresse de lierre à la jambe d'un frêne, ou courant le long d'un puits; un ruisseau se laissant choir d'un mur; le tronc d'un arbre frappé de la foudre, ou déraciné par l'ouragan; un grain de sable tant soit peu différent des autres; les ailes poudreuses d'un papillon, le vel mystérieux du ténébrionite, ou la trace lumineuse d'une mouche luisante; le poisson se jouant dans la transparence de la rivière; le heunissement du cheval se cabrant sous l'éperon de son cavalier; le coassement des grenouilles dans les herbes du réservoir, ou celui des rainettes au haut d'une treille; le guirigui du grillon pendant une belle soirée; l'eau qui, tombant goutte à goutte, tinte sur les toits long-temps encore après l'orage; tout enfin, jusqu'au piédestal dégradé d'une croix de mission, éveillait en moi des sensations indicibles, qui jetaient sur ma figure d'enfant le sérieux de celle d'un homme.

Quelques-uns ont voulu consacrer leurs talens à leur pays, mais tous, peintres ou littérateurs, ont amplement bu à la coupe des dégoûts, des désappointemens et des humiliations: il se sont vus forcés de renoncer à une entreprise qui ne leur donnait que le découragement en perpective, et l'isolement pour récompense (1). D'autres, et c'est le plus grand nombre, croiraient indigne de l'étincelle de génie que Dieu plaça sur leur fronts, d'en consacrer la plus petite parcelle à dédier à leur pays une couronne de célébrité, tressée avec des matériaux pris dans son sein. Un jeune artiste au noble cœur et aux généreuses pensées, plein de talent, d'amour pour son pays, et de foi dans l'avenir, les comparait à ces villageois érudits, dont l'amour-propre mal entendu leur fait La possession d'une branche irrégulière, un peu dédaigner tout ce qui n'a pas déja un cachet de cé-mousseronnée; la trouvaille d'une pauvre petite conlébrité. Ils croient fermement, s'écriait-il, qu'il y ait impossibilité de dire quelque chose d'intéressant sur le clocher ruiné de leur église, et s'obstinent à penser que leur pays, précisement parce qu'il est leur pays, ne saurait en aucune manière prêter de l'intérêt à une narration! Il n'y a rien, selon eux.... les barbares!... Qu'ils se donnent donc la peine de jeter un coup-d'œil investigateur sur les murs de cette église; qu'ils s'écartent un peu de la grande route; qu'ils tournent la montagne derrière laquelle ils voient le soleil se lever ou se coucher; qu'ils marchent pendant quelques jours, seuls avec la terre et avec le ciel, et alors, peut-être !.. renonceront-ils à leurs préjugés.

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Ils trouveront d'amples dédommagemens dans leurs courses, de même qu'avec un peu de persévérance, et même dans leur église, fût-elle la plus obscure et la plus lézardée du monde !... Un morceau de pierre vulgaire, enrichi par la conception et par le travail des hommes du passé, pourra se trouver sans doute caché dans l'encoignure de son portail mutilé; dans une niche masquée par de vieux bois; entre deux colonnettes enfouies sous les toiles d'araignées, ou le long de la frise d'un ordre båtard... qui sait ?.... peut-être, dans l'escalier tortueux du clocher ou dans son poudreux grenier.

Et en effet, ceci a été pour moi une vérité que m'a toujours confirmée la vie errante de ma première jeunesse. Je pourrais parler par expérience de longue date, car le désir de chercher et de voir ce qui était inconnu se développa de bonne heure chez moi.

L'insouciance de l'enfance était le seul bien sous les auspices duquel j'essayais de la vie, que déja mon œil brillait, et les veines de mon front se gonflaient quand, parvenu au sommet d'une colline, je découvrais un horizon plus vaste, quelques maisons de plus, un coin de mer, ou les replis du torrent qui, se glissant à

(1) Les faits à l'appui de ce que j'avance sont assez nombreux pour me dispenser d'en citer des exemples.

crétion; l'acquisition d'une pierre tassière, dentelée, ouvragée et déchiquetée comme la façade d'une vieille cathédrale; la racine fantastique du roseau, un coléoptère bien noir, avec des cornes bien longues, ou avec des tenailles bien redoutables; tout cela était pour moi le suprême bonheur. Que l'on comprenne ma joie, lorsqu'un de mes oncles me fit cadeau d'une belle et énorme typolithe!

Quand, au soir de mes courses dans la campagne, je rentrais avec a' ondante moisson, j'entassais mes pierres de manière à former des grottes; je plantais mes roseaux et mes branchillons dans leurs interstices; je disposais de mes insectes, traversés par une épingle, comme d'un monde créé par moi; je leur assignais des places conformes à leurs structures et à leurs habitudes, et quand j'avais tout fait, je trouvais à faire encore. A genoux, devant mon œuvre, comme devant une crèche de l'enfant Jésus, je passais des heures entières à l'arranger et à le déranger, pour l'arranger encore. Le sanctuaire de ces innocens plaisirs était un cabinet ouvert à moi seul. Le plancher n'en était pas très solide, et un jour je crus mourir d'angoisse en l'entendant craquer et en le voyant disparaître sous mes pieds avec toutes les richesses dont je le chargeais depuis 28 mois.

La visite d'une caverne de quelques mètres de profondeur, était un événement majeur pour moi; j'en inscrivais la date sur un des murs du cabinet dont j'ai parlé : la veille je faisais des préparatifs immenses, et le lendemain j'avais tout l'orgueil d'un général d'armée, quand, à la tête de quelques enfans électrisés par mes promesses enthousiastes, je marchais au soleil, sautant les fossés, traversant les ruisseaux avec mes bas et avec mes souliers sous le bras, et allant à la découverte d'un nouveau monde. - Quand la terre promise tardait à nous apparaître, a nous trempés et noirs de sueur, et que le découragement venait à gagner mes camarades, alors je les arrêtais brusquement et les faisais asseoir : je priais, je suppliais, et, comme

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