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Dans le moyen-âge, la ville de Bressuire qui compte à peine aujourd'hui 1,947 habitans, était une place forte, défendue par un château. Prise par les Anglais, pendant la captivité du roi Jean, elle devint un poste si important que le général Grandson en confia la garde à sir John Backstin, célèbre par son courage et sa férocité parmi les routiers que le Prince Noir avait amenés d'Angleterre, de Normandie et des Marches de Bretagne.

Sir John Blackstin, dit un chroniqueur poitevin, ne tarda pas à s'attirer la haine des paysans du voisinage par ses exactions et ses perfidies. Il enlevait les filles des gentilshommes et des manouvriers et les abandonnait à la lubricité de ses routiers. La damoiselle Anne de la Trémouille tomba entre ses mains et fut emmenée captive au manoir de Bressuire; cette jeune fille devint en peu de temps maîtresse absolue du féroce lieutenant du Prince Noir. Sir Blackstin épris des charmes de la damoiselle de la Trémouille, résolut de l'épouser et de l'emmener en Angleterre.

-Reine de mes pensées, lui disait-il souvent, lorsque le roi d'Angleterre, mon gracieux souverain, aura conquis ce beau royaume de France, nous irons à Londres, et je vous épouserai en présence de toute la noblesse de Westminster.

Attendons encore, sir John Blackstin, répondait Anne de la Trémouille; le connétable Duguesclin est de retour de son expédition contre Pierre de Castille ; hier, un prisonnier m'a raconté ses exploits; le connétable est déja maître de tout le Poitou, et demain peut-être il assiégera le monoir de Bressuire.

Je défie Charles de France et son connétable s'écria John Blackstin; le léopard d'Angleterre n'a qu'à ouvrir une de ses redoutables griffes pour écraser à jamais la belle fleur-de-lys.

Songez-y bien, John Blackstin; le connétable a rallié sous sa bannière l'élite de la noblesse Française; qu'il agite l'oriflamme; qu'il crie: Montjoie Saint-Denys! et les braves sortiront de sous terre.

Le roi Jean fit entendre ce cri le jour de la bataille de Poitiers, belle damoiselle de la Trémouille, et pourtant la victoire resta à mou seigneur le Prince Noir.

-Dieu protège la France, sir John Blackstin, répondit la damoiselle en cherchant à prendre congé du chef des routiers.

-Vous voulez me quitter, reine de mes pensées? s'écria le soudard en étreignant avec force une des mains de mademoiselle de la Trémouille; le soleil se couche à peine, n'aurez-vous pas le temps de dormir? la nuit sera si belle! Chantez une de ces ballades qui me font pleurer d'amour, et vous rendent comparable à l'archange saint Michel.

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Une ballade, sir John Blackstin.... Je me rappelle une vieille chanson que ma nourrice me répétait aux jours de mon enfance. Le poète déplore les malheurs d'une jeune châtelaine captive comme moi; forcée comme moi d'habiter avec un homme qu'elle déteste.

- Qu'entend-je, damoiselle!.. s'écria sir John.
Ne m'interrompez pas, je commence.

Dans un château de la Bretagne, sous le règne » du roi Arthur, un chevalier traître au serment de

» courtoisie qu'il avait prêté en ceignant l'épée d'hon» neur, retenait une jeune damoiselle qu'il avait prise » en temps de guerre. La jouvencelle pleura beau» coup en entrant dans sa prison; elle conjura le >> chevalier de lui rendre la liberté.

» Le vautour lâche-t-il la colombe qu'il a prise dans » l'air, répondit le chevalier discourtois; vous êtes » ma prisonnière, je vous aime, et vous serez ma >> châtelaine.

» Mourir, plutôt mourir, s'écria la jouvencelle. » Mourir, lorsque l'hymen tresse pour vous ses >> plus belles fleurs!

» Quelques mois s'écoulèrent; le chevalier, dans » un transport d'amour, s'efforça de triompher de la » vertu de sa captive, mais la jouvencelle était du >> plus pur sang de la Bretagne; elle savait qu'une » fille de gentilhomme doit conserver sa robe virgi>> nale blanche comme l'hermine; elle résista, la bonne » vierge la protégea, et le chevalier n'osa plus la per>> sécuter.

» Cependant de nombreux guerriers parcouraient » la campagne, brûlant les hameaux et les castels; » le cruel châtelain en se promenant un jour sur les >> remparts de son manoir, vit flotter au loin des ban»nières de diverses couleurs, il appela sa captive et » lui dit :

» Jouvencelle, reconnaissez-vous ces bannières ? Si » je ne me trompe, les chevaliers Bretons viennent » m'assiéger dans mon castel.

» Je reconnais le pennon de mon frère, répondit » la jeune captive; il accourt à la tête de ses cheva»liers, il vient me délivrer, et demain vous serez >> pendu à la plus haute de ces tours.

» A ces mots la damoiselle s'éloigna et se ferma » dans son cachot pour échapper au courroux de son » oppresseur; elle pria pendant toute la nuit Notre>> Dame de Bon-Secours, et le lendemain son frère >> entra triomphant dans le sombre manoir: on brisa >> ses fers et elle épousa son fiancé. »>

Je vous comprends, damoiselle, dit Blackstin; votre ballade est une histoire faite à plaisir; mais je jure par le léopard d'Angleterre que le sire de la Trémouille n'entrera pas dans le château de Bressuire, et que jamais vous n'épouserez votre fiancé.

Le fier châtelain donna ordre au capitaine de ses routiers de conduire sa prisonnière à son cachot; puis il rassembla sa garnison et leur montra du doigt les chevaliers poitevins qui arrivaient à franc étrier.

Je reconnais la bannière de Duguesclin, dit un routier, c'est le connétable; nous sommes perdus.

Perdus! s'écria Blackstin.... Je n'aime pas les soudards qui ne croient point à la bonne fortune du roi d'Angleterre, notre seigneur.

Et d'un coup de sa hache d'armes il étendit le routier mort à ses pieds.

En quelques instans les bannières françaises se déployèrent près des remparts extérieurs du château de Bressuire; on dressa une tente magnifique pour le connétable, et lorsque l'armée eut établi son camp, un héraut d'armes s'avança vers la grande porte du manoir.

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Je serai fidèle au roi d'Angleterre, et demain je brûlerai vos tentes. Héraut d'armes, retire-toi, si tu ne veux que la flèche d'un de mes arbalétiers Normands te frappe au cœur.

Le connétable instruit des dispositions du chef de la garnison Anglaise, hâta les préparatifs du siége, et au point du jour le château de Bressuire fut investi de tout côté. Les routiers firent d'abord bonne contenance; Blackstin fascinait ses soldats par son audace et son intrépidité. Le premier sur les remparts, il bravait du matin au soir les traits des assiégeans, et le connétable avoua que jamais il n'avait trouvé manoir défendu par une garnison plus intrépide; néanmoins les nombreuses attaques des Français décimaient les routiers; Blackstin lui-même ne se montrait plus si hardi, si entreprenant ses soudards le surprenaient souvent seul à l'écart, triste, comme un homme qui, accoutumé à des succès, se laisse abattre par le moindre revers.

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Le siége durait depuis trois jours, et Anne de la Trémouille, seule dans son cachot, ne savait rien de ce qui se passait dans l'intérieur et hors du château. Sir John Blackstin se chargea lui-même de lui porter ces heureuses nouvelles; il entra vers minuit dans la prison, suivi d'un routier qui portait deux torches.

Damoiselle de la Trémouille, lui dit-il en souriant affreusement, vous êtes née la nuit de la Noël entre onze heures et minuit; vous avez le don de seconde vue vous êtes prophétesse.

-Que me dites-vous, sir John Blackstin?

-Vous êtes magicienne; la ballade que vous avez chantée il y a trois jours sur les remparts du château va s'accomplir. Le connétable Duguesclin presse le siége de Bressuire; j'ai perdu la moitié de mes soldats; demain je serai forcé de me rendre... mais que dis-je ? sir John Blackstin ne capitulera pas, et il sera pendu. -Ah grand Dieu? fit Anne de la Trémouille... vous venez donc à mon secours...

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Ne joue pas ainsi avec la colère d'un gentilhomme, s'écria le routier en changeant tout-à-coup de rôle et de langage; je suis Jacques de Châtillon, le fiancé de mademoiselle de la Trémouille; pour la sauver je me suis déguisé en routier; j'ai combattu sous ta bannière, et je suis prêt à te prêter serment de fidélité si tu consens à respecter les jours de cette noble damoiselle.

-Non, non, s'écria sir John; je suis trahi, je veux me venger.

-Il faudra me renverser mort avant d'arriver jusqu'à ta victime, dit Châtillon.

Et il se précipita entre la damoiselle et le chef des routiers.

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-Ton amour, chef de routiers! s'écria Châtillon.... Ces paroles raniment toute ma rage: nous allons commencer un combat à mort; mademoiselle de la Trémouille appartiendra au vainqueur.

Les épées des deux combattans heurtèrent l'une contre l'autre; le sang coula et la victoire resta pendant quelques instans incertaine. Enfin le sire de Chatillon désarma son terrible adversaire et le frappa si rudement à la tête qu'il tomba sans mouvement et presque sans vie. Le vainqueur n'avait pas un instant à perdre; il se fit reconnaître de la damoiselle de la Trémouille; lui raconta comment il s'était mis au service de sir John, et lui promit avec serment de revenir aussitôt qu'il aurait ouvert les portes du manoir aux soldats du connétable.

- Et sir John? dit Anne de la Trémouille...

-Le routier est mort, vous n'avez rien à craindre. Il se hata de sortir; il trouva toute la garnison dans un affreux tumulte; les assiégeans avaient déja escaladé les murailles extérieures. Pour ranimer leur courage, Châtillon arbora sur une des tours une bannière aux armes de France: le connétable l'aperçut le premier; dans un transport de joie il s'écria:

-Les nôtres ont déjà pénétré dans la place, après avoir forcé la porte du nord; ne leur cédons ni en courage ni en bonne renommée, car telle n'est pas notre coutume.

-Les troupes redoublèrent d'ardeur, et avant la neuvième heure du matin la porte du midi céda à leurs efforts; ils se précipitèrent dans la forteresse et massacrèrent tous les routiers. Le connétable fit chercher sir John dont la tête avait été mise à prix; on ne lo trouvait point, et il désespérait de prendre le lieutenant

du Prince Noir, lorsque Châtillon accourut de la prison suivi d'Anne de la Trémouille.

-Monseigneur le connétable, s'écria-t-il, en se jetant à ses pieds, je suis Jacques de Châtillon; je vous accompagnai au delà des monts, et je servis sous vos ordres pendant que vous guerroyiez contre Pierre de Castille.

-Comment t'es-tu sauvé? D'où viens-tu? répondit le connétable en donnant l'accolade à son jeune servant d'armes...

-Vous savez, Monseigneur, que le sire de la Trémouille me promit la main de sa sœur à notre retour d'Espagne. Ce brave gentilhomme fut massacré dans son château par sir John Blackstin, qui amena prisonnière Anne de la Trémouille sa fille. J'ai voulu sauver ma fiancée; j'ai pris du service dans les armées anglaises, déterminé à faciliter une victoire à nos preux de France. J'ai réussi, monseigneur, j'ai été assez heureux pour contribuer à la prise du château de Bressuire.

Charles, notre sire, vous récompensera, Jacques de Châtillon; maintenant courons à la chapelle du château rendre grâces à Dieu de notre victoire.

-Où est sir John Blackstin, dit un chevalier languedocien...

- J'ai réservé un bout de corde pour pendre le soudard, ajouta le sire de Thouars.

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-Sir John est dans la prison du château, s'écria Jacques de Châtillon; mes amis, suivez-moi; si le chef des routiers vit encore, vous le verrez s'agiter au haut d'une potence.

Les chevaliers suivirent les pas de Jacques de Châtillon; après avoir parcouru de longs corridors, ils pénétrèrent dans un cachot ou sir John gisait encore sous le poids de la blessure.

Le routier n'est pas mort? s'écria le sire de Thouars.

En effet sir John se dressa subitement sur la pointe de ses pieds et menaça les chevaliers avec son épée. Jacques de Châtillon se précipita sur le lieutenant du Prince Noir, lui lia les mains derrière le dos et s'écria : -Sir John Blackstin, je te disais, il y a à peine quelques instans faites grâce à la damoiselle de la Trémouille et vous trouverez en moi un puissant intercesseur auprès du connétable Duguesclin. Tu n'as pas écouté ma prière; maintenant je suis sourd à tes larmes.

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- La mort la plus prompte.

-Tes vœux seront accomplis: cette corde est assez forte et assez longue; viens, viens, sir John, ravisseur de filles, tu seras pendu aux créneaux de ce manoir.

Le chef des routiers entraîné par les chevaliers, sortit au milieu des huées des soldats français qui l'accompagnèrent jusqu'au lieu du supplice. Sir John vit sans frémir les apprêts de la mort, et expira en protestant de sa fidélité au roi d'Angleterre son seigneur et légitime suzerain. Quelques heures après, Jacques de Châtillon marcha à l'autel avec sa fiancée Anne de la Trémouille; le connétable assista au festin nuptial. Le sauveur de la France ne pouvait cacher sa joie; le château de Bressuire dont il venait de se rendre maitre était une des places les plus importantes du Poitou; il y séjourna deux jours pour se reposer de ses fatigues et repartit pour reconquérir la Saintonge sur les Anglais qu'il repoussa jusqu'aux confins de la Guienne. Le château de Bressuire resta depuis sous la domination des rois de France, et ne fut le théâtre d'aucun événement remarquable jusqu'à l'époque des guerres de religion. Les chefs protestans en firent alors leur quartier-général. Aussi les habitans eurent beaucoup à souffrir sous le règne de Louis XIV; la révocation de l'édit de Nantes porta un coup mortel au commerce et à l'industrie de la petite ville qui ne sortit de son inaction qu'au moment ou éclatèrent les guerres de la Vendée. Elle fut détruite en 1793; réduite en cendres, il ne resta qu'une seule maison et l'église dont le clocher est un des monumens d'architecture gothique dans le département des Deux-Sèvres. Quant au château, il est presque totalement ruiné, et ses nombreux décombres ne servent qu'à attester les malheurs que la petite ville a éprouvés à diverses époques.

Les vieux manoirs du Poitou, comme les châteaux de la Vendée, portent tous les profondes cicatrices imprimées par les troubles de religion et la guerre civile. Bressuire n'est plus qu'une bourgade remarquable par une haute tour dont la construction date du moyenâge. Lucien MOUREAU.

1.

LE MAIRE DE LA ROCHELLE.

L'ARMÉE ROYALE.

Le cardinal de Richelieu qui gouvernait depuis quelque temps la France à l'ombre du trône de Louis XIII,

et régnait de fait sous le nom de ce faible monarque, hâtait l'accomplissement des grandes choses qui devaient le rendre immortel. L'année 1628 venait de s'écouler; elle avait laissé le royaume en guerre avec l'Angleterre, en assez bonne intelligence avec les Espagnols, qui n'attendaient que le moment favorable

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-Sire, les papiers de l'anglais Montaigu et plusieurs autres découvertes font clairement voir que l'Angleterre, la Savoie, la Lorraine, l'empereur, les hérétiques de France ont formé contre nous une ligue offensive et défensive; ils veulent attaquer par terre et par mer, en Poitou et en Normandie. Le voyage de madame de Rohan à Venise, en compagnie avec le sieur de Candale, n'avait pour but que d'armer contre votre majesté la reine de l'Adriatique. Le mal est grand, invétéré, je n'y connais qu'un seul remède hâtonsnous de prendre la ville de la Rochelle; cette ville, entourée de nombreuses fortifications, sera toujours le repaire de l'hérésie portons le fer et la flamme dans l'antre, et l'hydre du calvinisme y périra.

:

Les projets du cardinal étaient trop grands, trop féconds en résultats pour ne pas mériter l'approbation de Louis XIII; aussi ce faible monarque, qui ne put jamais rien faire par lui-même, suivit dans cette circonstance, comme dans plusieurs autres, l'impulsion du ministre. Le siége de la Rochelle fut résolu; les préparatifs se firent avec tant de diligence, que les Rochellais eurent à peine le temps d'envoyer un des leurs vers le roi d'Angleterre, pour le supplier de les prendre sous sa protection, et les assister jusqu'à ce qu'ils fussent délivrés de l'oppression qu'ils disaient souffrir. Le monarque anglais promit de les secourir par mer et par terre, jusqu'à ce que les ports de l'île de Ré et ceux d'alentour de la Rochelle seraient rasés; mais lorsque l'envoyé des Rochellais porta ces heureuses nouvelles à ses coreligionnaires, leur ville était déja investie par l'armée royale depuis le 10 août 1627. Le roi, le duc d'Orléans, le cardinal de Richelieu, le maréchal de Bassompierre, tous les hommes de guerre les plus distingués prenaient part à ce siége, si mémorable par l'énergique résistance des Rochellais et les prodiges enfantés par le génie du cardinal. Le puissant ministre de Louis XIII réunit dans sa tente les chefs de l'armée pour leur communiquer ses projets; depuis long-temps on n'avait vu assemblée composée de personnages plus renommés : le roi Louis XIII y assista.

Messieurs, dit le cardinal, vous savez que le roi, notre maître, vous a appelés sous les murs de la Rochelle pour lui préter secours et main forte pendant tout le temps que durera le siége: la ville que nos lignes de circonvallation cernent déja de toutes parts, fut toujours et sera long-temps le boulevard de l'hérésie, si nous ne nous hâtons de raser les fortifications qui mettent les huguenots à l'abri de la vengeance royale.

Les Rochellais ont dépêché vers le roi d'Angleterre, qui leur a promis un prompt et puissant secours, dit le duc d'Orléans.

Le roi de la Grande-Bretagne s'est ligué contre nous, monseigneur, répondit le cardinal: en prêtant

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-

Le zèle que j'ai toujours montré pour le service du fils de Henri IV, pour le maintien de l'unité catholique, m'a suggéré un grand projet que je vous communiquerai plus tard, ajouta le cardinal; en attendant, messieurs, veillez sur vos régimens, faites exécuter promptement les ordres que sa majesté daignera vous transmettre, et si je ne me trompo la Rochelle succombera.

- Quelle ville pourrait résister à une si puissante armée, commandée par le roi de France et par monseigneur le cardinal-ministre, dit Pompée Targon celui de tous les chefs de l'armée royale qui promettait le plus et fesait le moins.

M. Targon, répondit Louis XIII, ne promettez pas tant, et que le cardinal ait moins à se plaindre à l'avenir de votre conduite. Messieurs, ajouta le roi, en s'adressant tour-à-tour à chaque membre de l'assemblée, je souffre beaucoup depuis un mois, et mon intention est de faire un voyage à Paris.

-Sire, dit le duc d'Orléans, votre santé est plus chère à la France que toute autre chose, et vous devriez en avoir un très grand soin.

Le cardinal qui savait apprécier l'influence que la présence du roi exerçait sur l'armée, s'efforça de lui persuader que son absence nuirait au succès du siége. Pressé par ses argumens et ses prières, Louis XIII lui répondit:

:

-M. le cardinal, je suis certain que nul en mon absence ne fera si bien aller mes affaires que moi par ma seule présence aussi je m'offre à demeurer encore pour empêcher autant que je pourrai à ce qu'il n'arrive aucun changement aux travaux si heureusement commencés.

Richelieu ne négligea rien pour entretenir le roi dans cette détermination; mais Louis XIII était de ces hommes qui tergiversent dans les plus grandes occasions; les instances du cardinal lui devinrent suspectes.

- Vous voulez me retenir malgré moi, M. le cardinal, s'écria-t-il dans une accès de dépit et de colère... pourtant je suis seul maître dans le royaume de France; je partirai, tel est mon bon plaisir, vous resterez ici ; vous poursuivrez le siége de la Rochelle: je vous laisse mon intrépide noblesse, avec elle, il ne vous sera pas difficile d'emporter d'assaut une ville défendue par quelques bourgeois hérétiques.

Et qui attend d'un jour à l'autre une flotte anglaise qui fait déja voile vers la France sous le commandement du duc de Buckingham, répondit Richelieu.

Rien ne pouvait retenir Louis XIII; le lendemain 10 février, il sortit du camp de la Rochelle; il ne

put s'empêcher d'admirer la fermeté, la constance de Richelieu qu'il laissait seul aux prises avec une ville bien fortifiée et protégée par une garnison intrépide. Le cardinal accompagna le roi à une distance de deux lieues. La séparation fut des plus tristes; Louis XIII ne put retenir ses larmes et dit tout bas à un homme de sa suite:

J'ai le cœur si serré que je ne puis parler du regret que j'ai de quitter M. le cardinal, dans la crainte qu'il ne lui arrive quelque accident. Dites-lui de ma part que s'il veut que je croie qu'il m'aime, il ménage sa personne, il n'aille pas incessamment aux lieux périlleux comme il fait tous les jours; qu'il pense en quel état seraient nos affaires si je l'avais perdu. Je sais combien de gens se sont employés pour l'empêcher de se charger d'un si pesant fardeau. Mais j'estime si fort ce service que je ne l'oublierai jamais.

M. le cardinal ne cessera de se sacrifier au bonheur de la France et au service du roi son maître, répondit le sieur de Guton. Pandant que le monarque se dirigeait en toute hâte vers Paris, le gentilhomme revint rendre compte au cardinal de son dernier entretien avec Louis XIII.

- Le roi a pleuré, fit le cardinal ?.....

-Il m'a bien recommandé de vous exprimer toute sa reconnaissance et ses respects.

-La reconnaissance des rois est si stérile, répondit le cardinal-ministre.

II.

A LA PORTE MAUBEC.

Les Rochellais qui ne pouvaient voir sans crainte l'immense déploiement de forces qui environnait leurs murailles travaillaient nuit et jour pour mettre leur ville en état de défense. Leur zèle était sans cesse ranimé par les discours d'un intrépide bourgeois nommé Guiton qui chaque jour haranguait les correligionnaires du haut de l'escalier de l'hôtel-de-ville. Cet homme doué de cette constance, de cette fermeté qui ne se laissent point rebuter par les plus grands obstacles, qui peuvent s'imposer les plus pénibles sacrifices, et se changer au besoin en abnégation de soi-même, veillait à tout, se trouvait partout, et semblait destiné à devenir le héros providentiel de sa ville natale. Lorsqu'il apprit que le roi Louis XIII avait abandonné le camp de la Rochelle, il courut à l'hôtel-de-ville, et harangua, selon sa coutume, les nombreux spectateurs qui se réunissaient pour se ranimer au feu de sa parole énergique et puissante.

Mes frères, s'écria-t-il, lorsqu'il eut franchi le perron de l'hôtel-de-ville, le Dieu qui sauva Jérusalem, la ville sainte, des armes des rois idolâtres, nous a délivrés de la présence de Louis XIII. Le roi de France est parti pour Paris; il ne reste plus au camp que le cardinal de Richelieu et quelques gentilshommes; la discorde divise déja les catholiques, et si les Anglais nos auxiliaires n'arrivent bientôt, le siége sera levé sans que nous avons besoin de leur secours. Rendons grâces au ciel de son éclatante protection; prosternez-vous, mes frères, et prions ensemble.

La foule qui s'agitait tumultueuse, livrée aux transports de son enthousiasme, se calma tout-à-coup;

chacun ploya ses genoux, et les ministres chantèrent les premiers versets du cantique de Moyse sur le passage de la mer rouge :

-Le Seigneur a renvoyé les coursiers de Pharaon, s'écria Guiton, en fendant la multitude qui se pressait autour de lui, le Seigneur a précipité dans la mer les coursiers et les cavaliers.

De bruyantes acclamations l'accompagnèrent jusqu'au détour d'une petite rue; alors seulement l'intrépide Guiton put marcher à grands pas pour arriver à temps à la porte Maubec.

Où allez-vous, Guiton? lui dit un gentilhomme huguenot, nommé Vissouse.

-A la porte Maubec, mon gentilhomme.
-Avez-vous besoin de visiter ce poste?

Non; on est tranquille de ce côté; je vais voir ma nièce Catherine.

-La fille de votre frère Guillaume, si lâchement assassiné par les royalistes...

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La jeune fille s'empressa d'ouvrir. Un jeune homme, le front caché sous les ailes de son chapeau, enveloppé de la tête aux pieds dans un large manteau d'étoffe brune, entra dans la chambre.

-Ma bonne Catherine, dit-il, après avoir pris place au coin du foyer, je n'ai pu résister plus long-temps à l'impatience de te voir. J'ai bravé mille fois la mort. J'ai escaladé les remparts, traversé les fossés presque sous les yeux des sentinelles, et maintenant je suis le plus heureux des hommes, puisque je te revois; je passerai la journée auprès de toi, et ce soir quand la nuit sera bien sombre, je reviendrai au camp de l'armée royale.

-Malheureux Philippe! malheureuse Catherine; fit la jeune fille en pleurant...

Malheureux lorsque je suis à tes côtés, lorsqu'il

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