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LE MINISTRE DU SAINT EVANGILE ET JEAN LE PARICIDE ENTRENT DANS LA CAVERNE.

Cet homme était Jean. Il fut chassé du château par les catholiques. Dès qu'il se vit libre, il marcha nuit et jour avec une rapidité incroyable, et arriva vingt-quatre heures après à cinquante lieues de là, dans les montagnes du Rouergue où le duc de Rohan chef suprême des religionnaires, avait conduit son armée. Tout haletant encore de sa course forcée, il entra subitement un soir dans la tante du duc, lui raconta son horrible aventure, et lui demanda un commandement. Rohan connaissait les hommes; il n'hésita pas. Le parricide portait déja sur son front cette effrayante immobilité qui ne le quitta plus. Dès qu'il tint dans sa main un ordre signé du duc pour Saint-Blancard, qui commandait les rebelles du pays de Foix, il repartit avec la même célérité, sans nourriture, sans sommeil, sans repos, et trois jours après la prise de Bonnac, il commandait dans les Pyrénées un corps redouté de parti

sans.

Depuis ce temps, le Parricide était devenu le plus implacable ennemi du nom catholique. Son nom seul n'était prononcé qu'avec effroi par les plus intrépides.

Les protestans eux-mêmes avaient pour lui une sorto de vénération mêlée d horreur. On se serait cru souillé de toucher ses vêtemens, et on lui obéissait avec une confiance aveugle. Depuis qu'il exerçait son commandement, on ne se souvenait pas de l'avoir entendu parler; ce silence obstiné ajoutait encore à l'impression qu'il avait faite sur les imaginations. Il séjournait d'ordinaire dans une petite chambre, pratiquée au fond de cette seconde grotte qui s'ouvre au-dessus de la première, et dont les abords sont presqu'inaccessibles. On y trouve encore des restes de murailles, mais les ténèbres de ce triste lieu sont si profondes, le sol en est tellement labouré de crevasses et d'aspérités, que l'on. n'y peut marcher qu'à l'aide d'une torche et en s'accrochant aux angles des rochers. C'est là, c'est dans ces sombres cavités ou le fumier des chauves-souris exhale éternellement une deur nauséabonde; c'est parmi des abîmes ouverts de toutes parts, des ponts de pierre, des pointes de roc, que les malheureux réfugiés avaient choisi leur dernière retraite en cas d'échec. Toutes les munitions de guerre et de bouch

qu'ils avaient pu recueillir y étaient soigneusement accumulées, et leur chef y veillait dans l'ombre, comme ces dragons de la fable qui gardaient dans d'affreux souterrains des trésors cachés.

Dès que le Parricide se montra dans la grande caverne, à la lueur des torches embrâsées, il se fit un silence, profond. A ses côtés, marchait un ministre du saint Évangile, tenant une bible ouverte dans ses mains. Ces deux personnages descendirent lentement au milieu de la foule; les fronts s'inclinèrent partout sur leur passage. Jean ne dit pas un mot; mais il fit un signe tout-à-coup les flambeaux s'éteignirent, les armes des protestans jetèrent une dernière étincelle et disparurent dans les ténèbres. Hommes, femmes, enfans, tout s'agenouilla la face contre terre, sans en excepter le chef, et le ministre prononça d'une voix perçante, ces fanatiques paroles qui ne se perdirent qu'à-demi dans le bruit de la rivière et les profondeurs du souterrain: « Enfans d'Israël, disait-il d'abord, ceignez vos reins de l'épée, et que l'impur Amalécite tombe sous vos coups! » Puis, abandonnant brusquement les formes bibliques, il s'écria: « On dit que leurs cuirasses étincellent au soleil, que leurs chevaux bondissent, que leur pesante artillerie ébranle le sol, que leurs généraux sont éprouvés par cent victoires! ici, point de cuirasses, mais de måles poitrines; point de canons, mais des balles qui vont droit au cœur ; point de soleil, mais la nuit, la nuit menaçante et éternelle; point d'habiles généraux, mais Dieu! » Haines religieuses, bravades soldatesques, fureurs populaires, toutes les passions à la fois fermentaient dans l'âme du prédicateur. « Venez, dit-il enfin, venez, mes beaux gentilhommes! Le loup montagnard vous attend dans l'ombre, et il a des ongles, mes maîtres, pour vous déchirer vivans, il a des dents pour vous dévorer morts! >>

Il dit, et un coup de canon du dehors répondit comme un éclat de tonnerre, à ces incohérentes déclamations. Le boulet passa par-dessus le rempart, frappa le haut de la caverne, dont il détacha un quartier de roc, et alla s'éteindre en sifflant dans la Rise. « Pouple, relevez-vous, s'écria le ministre, le Dieu des batailles vous bénit! » Les hugnenots se relevèrent en silence; ce fut d'abord un léger cliquetis d'armes, mais chacun ayant pris la place qui lui avait été désignée d'avance, tout se tut on aurait dit d'énormes stalactites debout sur le sol.

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Ils descendirent en effet de rocher en rocher vers le lit de la Rise, entre la grotte des protestans et la batterie qui en foudroyait l'entrée. Ils étaient tous à pied, excepté Merville, dont le fougueux coursier s'indignait sous le frein et n'obéissait qu'en frémissant à la main de son téméraire cavalier. Des plaisanteries, des éclats de rire, des cris joyeux, sortaient pêle-mêle de ce groupe d'étourdis, pendant leur périlleuse descente le long d'une pente escarpée et toute hérissée de blocs roulés. Les boulets de l'artillerie catholique passaient en sifflant devant eux.

Ils s'arrêtèrent tout à coup. Une balle qui semblait partir du ciel, venait de couper le panache de Merville; une autre effleura sa cuisse droite et en tira quelques gouttes de sang. Le blessé leva la tête; il aperçut une sentinelle ennemie à demi cachée derrière une saillie du rocher qui s'élève à pic au-dessus de la grotte. Le huguenot se voyant découvert, voulut courir le long de l'étroite corniche, pour rentrer dans la montagne par une des ouvertures pratiquées dans ce but. Mais le pied lui manqua au milieu du trajet, son arquebuse échappa de ses mains; il tomba les bras ouverts au pied du rempart l'armée catholique accueillit sa chute par des acclamations, et les eaux de la Rise recouvrirent en murmurant son cadavre déchiré.

Cependant l'artillerie tonnait toujours. Un énorme pan de muraille se détacha et roula par débris dans la rivière; la brèche fut élargie en peu d'instans, et l'abord de la caverne devint assez facile. Cornusson qui n'attendait que ce moment, donna ordre à sa troupe de descendre la montagne; Merville lança son cheval dans le lit même de la Rise, et précéda l'épée à la main les bataillons toulousains. Pendant tous ces mouvemens, aucun bruit ne sortait du souterrain ; les protestans semblaient plongés dans une inexplicable stupeur. Mais au moment où les premiers rangs des catholiques arrivèrent devant la brèche, un concert solennel, formé de trois mille voix, commença subitement dans l'intérieur de la caverne et s'éleva vers le ciel. C'était un de ces cantiques de Marot, si naïfs et quelquefois si vulgaires, mais qui devenaient sublimes quand ils étaient ainsi chantés en face de la mort. Ce chœur gigantesque étonna les assaillans; l'ardent Merville lui-même se sentit troublé. La religieuse harmonie, pleine de calme et de grandeur, grossie encore par le bruit de la rivière et les échos de la montagne, mais adoucie par la pieuse expression des voix, ressemblait à un chant d'esprits surnaturels. Pas une âme vivante n'apparaissait aux yeux du fond de ces ténèbres : au lieu du fracas des batailles, il ne s'en échappait que des sons mystiques qui se répandaient dans les airs comme une céleste rosée et qui rappelaient involontairement à l'imagination, les accords éternels des âmes des justes devant le trône de Dieu.

Ce moment d'hésitation fut court. Le régiment de Ventadour se précipita vers la grotte, à la voix du senéchal, mais des mèches d'arquebuses brillèrent dans l'ombre comme des feux épars; une grèle de balles jeta par terre un grand nombre de soldats et força le reste à reculer; le cheval de Merville se cabra. Trois fois les Toulousains revinrent à la charge, et trois fois ils furent repoussés par leurs invisibles ennemis. Les chants

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ne cessaient pas; seulement ils étaient suspendus de momens en momens pour les décharges, et recommençaient ensuite avec plus d'énergie. Transporté de fureur, Merville enfonçait ses éperons dans le ventre de son cheval, et le piquait même de la pointe de son épée: l'animal désespéré franchit enfin les débris du rempart, et les flancs sanglans, les crins échevelés, emporta son maître au galop dans la caverne. D'Honous, d'Hauterive, toute la jeune noblesse, le suivit en criant: tue! tuel et la mêlée commença.

Elle fut horrible. En arrivant sur les protestans, Merville tira ses deux coups de pistolet dans leur première ligne, deux hommes tombèrent presqu'en même temps. Des cris de rage s'éleverent alors de toutes parts. Aux cantiques saints, succédèrent les imprécations. Dans le premier étonnement de cette brusque attaque, les protestans avaient laissé forcer le passage, et les quinze cents hommes de Cornusson entraient en foule. Derrière eux, venaient déja le maréchal de Thémines, avec les contingens du Haut-Languedoc et du pays de Foix, et derrière le maréchal, l'artillerie. Rien ne peut rendre la lutte affreuse qu'il y eut alors sur ce champ de bataille étroit, obscur, sans lumière et presque sans air, où plusieurs milliers de combattans se heurtaient sans se voir.

Les yeux des protestans, mieux accoutumés à l'obscurité, leur donnaient de grands avantages sur leurs ennemis. Toutes les armes leur étaient bonnes et chacun d'eux se servait de celles dont il avait le plus d'habitude. De terribles moissonneurs, le dos appuyé à des quartiers de roc, promenaient leurs larges faulx dans la melée; des bûcherons, venus des montagnes voisines, leurs haches à la main, abattaient çà et là les soldats catholiques comme les arbres de leurs forêts; les pâtres et les laboureurs, avec leurs aiguillons armés d'un fer aigu et semblable aux longues piques des cosaques, enfonçaient dans les rangs les plus pressés ces pointes ensanglantées; d'autres, mieux armés, frappaient de la dague et de la hallebarde, tandis que de jeunes chasseurs, accoutumés à lutter avec l'ours des Pyrénées, saisissaient corps à corps les assaillans et leur plongeaient dans le flanc leurs couteaux bien affilés. De leur côté, les troupes royales se battaient avec l'acharnement qui distingue les guerres civiles et religieuses; les coups mortels étaient donnés et reçus en silence; le sang se ramassait en larges mares sur le sol inégal; les mourans étaient écrasés sous les pieds des vainqueurs ou roulaient dans la Rise. La lumière courte et vive d'un coup de pistolet éclairait de temps en temps quelques points de cette scène de meurtre, mais en général, les armes à feu étaient inutiles, tant les deux partis se serraient de près. Chaque rocher de la caverne était une forteresse qu'il fallait emporter d'assaut, ceux qui les défendaient ne quittaient prise que lorsque la mort venait appesantir leurs bras et vaincre leur inflexible │volonté; tous gardaient encore en mourant la place qu'ils avaient occupée pendant leur vie. Pour comble d'horreur, le ciel couvert de nuages pesans ne laissait échapper qu'une lumière faible et blafarde. Quelques rayons jaunes vinrent frapper les parois de la grotte et s'arreter à l'entrée, illuminant à demi d'un reflet orageux le sombre théâtre du carnage. Les Grecs auraient dit, dans leur langage poétique, que le soleil reculait de

terreur. Une violente tempête éclata bientôt après; un vent furieux s'engouffra dans les cavités de la montagne; des torrens de pluie tombèrent au dehors, et les ténèbres de la caverne s'en épaissirent encore, mais la rage des combattans ne fut pas ralentie.

Quoique tout couvert de blessures, le cheval de Merville bondissait au milieu des huguenots, et broyait sous ses pieds ceux qui ne pouvait atteindre la bonne épée de Tolède du jeune gentilhomme. Pour Jean-le-Parricide, armé d'une hache énorme, il se jetait par intervalles sur les plus hardis et laissait après lui une large trace. Le seul choc de son corps suffisait à renverser ceux qu'il heurtait en passant, et le tranchant de son arme tournoyait comme la foudre autour de lui. Les catholiques le reconnaissaient dans l'obscurité à l'impétuosité de ces attaques, et à ce seul cri: le Parricide! ils se précipitaient de toutes parts pour l'accabler; mais lui, disparaissant comme par magie, se remontrait aussitôt sur un autre point, toujours inattendu, toujours homicide. Les assaillans avançaient néanmoins sur toute la ligne; une heure après leur entrée dans le souterrain, ils étaient parvenus au pilier gigantesque qui sépare la grotte en deux galeries; le Parricide lui-même reculait en frémissant, et Merville, ivre de joie, ne cessait de répéter: Point de quartier aux hérétiques! Au nom de Dieu, dit une voix d'en-haut, lâchez les cordes!

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Aussitôt, une énorme quartier de roc sembla se détacher de la voûte et vint tomber avec un bruit épouvantable sur les bataillons coulousains. Plus de cent soldats furent écrasés en même temps. Les cuirasses fracassées retentirent et le sang rejaillit de toutes parts. Des cris de joie sauvages s'élevèrent parmi les protestans l'armée catholique fut saisie de stupeur, et le chef huguenot en profita pour se précipiter avec tous les siens au milieu des rangs. Mais au moment où les moins braves commençaient à lâcher pied, un évènement subit vint changer la face du combat. Des cris partis de l'autre extrémité du souterrain apprirent aux catholiques que le marquis de Ragny, avec l'infanterie du bas Languedoc, était enfin parvenu à forcer le passage. Ce fut alors aux protestans de reculer leurs ennemis les chargèrent avec vigueur, et en peu d'instans, le désordre s'étant mis parmi eux, ils furent refoulés jusqu'à ce détour de la caverne, où la voùte est plus large et mieux éclairée. Merville y arriva en même temps que les fugitifs : il leur apparaissait, galoppant au milieu d'eux, dans les ténèbres, comme un démon suscité contr'eux par l'enfer.

IV.

:

A moi! à moi! cria une voix tonnante qu'on entendait pour la première fois : c'était celle de Jean. A moi! reprit-il avec fureur, et il s'élança en brandissant sa hache au devant de Merville.

Les deux adversaires comprirent que de l'issue de leur lutte dépendait celle du combat. Chacun d'eux recueillit toutes ses forces pour soutenir dignement l'honneur de son parti: Réforme et liberté disait Jean. L'Église et le Roi! répondit Merville. Les deux armées répétèrent ces cris, et s'arrêtèrent debout sous les armes pour attendre le résultat. Au dehors, l'orage

grondait toujours, la pluie tombait avec une abondance croissante, mais la lumière était assez forte sur le point de la caverne où se rencontrèrent les champions pour éclairer à demi les coups qu'ils allaient se porter. Le maréchal de Thémines trembla pour les jours de son favori, il s'élança pour retenir l'imprudent jeune homme, mais il n'était plus temps.

Le Parricide bondit comme un léopard, tomba devant les pieds du cheval de son ennemi, et lui enfonça toute sa hache dans le poitrail. Vaincu par la douleur, le généreux animal se leva de toute sa hauteur sur les pieds de derrière, et s'abattit sur son cavalier. Des acclamations de joie sortirent des rangs des huguenots; Thémines fit quelques pas en avant et s'arrêta de

nouveau.

Jeune et agile, Merville s'était dégagé sur-le-champ, il reparut l'épée à la main en face du chef hérétique. L'acharnement était égal des deux parts, mais la façon de combattre était bien différente. Habile dans tous les secrets de l'escrime du temps, le gentilhomme multipliait les feintes, calculait les moindres coups, et maniant son arme avec autant de science que de grâce, étonnait les yeux par la variété de ses attaques, sans rien perdre de l'élégance de ses mouvemens. L'homme du peuple au contraire, lourd, immobile et confiant dans sa force, tenait sa massue tranchante dans ses deux mains, en portait à tort et à travers des coups terribles, et ressemblait plus à un boucher qu'à un soldat. Tout à coup, par une passe heureuse, Merville lui traversa le bras d'un coup d'épée. Les catholiques poussèrent un cri de joie; mais, presqu'au même instant, l'énorme hache descendit avec fureur, effleura le casque du jeune homme, tomba sur l'épaule droite et en fit jaillir des flots de sang : les catholiques consternés se turent.

enfans réfugiés dans la grotte supérieure, commencerent à s'élever au-dessus des cris de guerre des hommos. Les malheureux ne combattaient plus que par désespoir, quand un accident imprévu vint à leur

secours.

Pendant le combat, la Rise, grossie par la pluie d'orage, avait commencé à franchir ses bords. En ce moment, des torrens d'eau fangeuse se précipitèrent dans la grotte et grondèrent en se brisant parmi les rochers. Des rivières d'une heure, des lacs subits, s'étaient formés dans la montagne et se versaient de toutes parts au fond de cet antre, réservoir commun des eaux du pays. En peu d'instans, l'inondation devint effrayante. La pluie redoublait de violence, les cavités lointaines des Pyrénées retentissaient de murmures sourds et menaçans, le ciel mélait ses fureurs et la terre ses plaintes aux plaintes et aux fureurs des hommes. Les soldats catholiques virent avec terreur que la retraite allait leur être coupée par les flots qui s'élevaient derrière eux comme des montagnes. A tout moment, de nouveaux affluens, venus de loin et du haut, débouchaient dans le souterrain et se mêlaient au bouillonnement de la rivière débordée. A voir cet épouvantable tumulte, à entendre tout ce fracas, on aurait dit qu'un de ces lacs immenses qui remplissent les profondeurs des montagnes, avait brisé tout à coup ses digues et s'était répandu par une large écluse dans les vallées.

Le ministre huguenot parut sur la pointe d'un rocher. -Toutes les sources du grand abime, s'écriait-il d'une voix terrible, se sont rompues à la fois, et les cataractes du ciel se sont ouvertes, et la pluie est tombée pendant quarante jours et quarante nuits, et les eaux ont grossi prodigieusemeut sur toute la terre, et les plus hautes montagnes sous le ciel en sont couverMerville blessé ressaisit son arme de la main gauchetes, et l'arche flotte au-dessus des eaux! et continua le combat. Le Parricide levait encore une fois sa hache, réunissant toutes ses forces pour ce dernier coup, quand son adroit adversaire lui échappa per un bond léger, et la pesante masse heurtant un rocher s'y brisa en mille éclats. Merville triomphant se jeta l'épée haute sur le huguenot désarmé; mais au moment où il allait lui plonger sa lame dans le cœur, un coup d'arquebuse retentit dans la caverne : le malheureux jeune homme tomba à la renverse, le front brisé par une balle, et Jean le Parricide, avec un rire infernal, put fouler encore une fois sous ses pieds le cadavre d'un catholique.

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Ranimés par ces bibliques paroles, les protestans s'élancèrent de nouveau sur leurs ennemis. Les catholiques étonnés reculèrent, et la déroute se mit bientôt parmi eux. En vain le maréchal lui-même se jetait l'épée à la main au milieu des fuyards, en répétant les mots jadis magiques de religion et d'honneur. Une crainte superstitieuse fermait toutes les àmes au sentiment du devoir. L'inondation remplissait peu à peu la caverne : cette sombre image du déluge universel avait suffi pour briser les courages. Les vagues furieuses soulevaient les cadavres des morts et les roulaient dans leurs tourbillons. Des deux entrées du souterrain, celle qui s'ouvre vers le Mas n'offrait déja plus qu'un large fleuve qui passe sous un pont de rocher; l'autre toute embarrassée de blocs irréguliers et jetés en désordre l'un sur l'autre, était remplie d'écume, de chutes, de ressauts et de bruit. Les soldats royaux jetaient leurs armes pour fuir les uns se lançaient à la nage, les autres bondissaient de roc en roc; ceux des protestans qui s'étaient mis a leur poursuite n'avaient que la peine de frapper de l'épée ou d'ajuster de l'arquebuse; le maréchal de Thémines, fugitif à son tour n'échappa qu'avec peine à tous les dangers.

Pendant que cette scène de désordre se passait dans le souterain, le gros des religionnaires, réunis à l'entrée de leur asile supérieur et groupés en amphithéâtre le long de la rampe qui y conduit, avaient en

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» L'ennemi a dit : Je poursuivrai et j'atteindrai ; je partagerai leurs dépouilles, et mon âme sera remplie de joie; je tirerai mon glaive, et ma main les tuera. Votre esprit a soufflé, et ils ont été enveloppés par la mer; ils ont été submergés comme un plomb par les eaux violentes.

» Qui d'entre les forts est semblable à vous, Seigneur? Qui vous est semblable, à vous magnifique dans votre sainteté, terrible et digne de toute louange, et qui faites des prodiges? - Vous avez étendu votre main, et la terre les a dévorés ! »

Ces chants religieux remplissaient le souterrain, et se mêlaient aux voix tumultueuses des vagues, pour couvrir les derniers cris des mourans.

A l'extérieur, les débris de l'armée royale se réunissaient autour du corps de M. de Carmaing. Les fugitifs arrivaient sans armes, sans enseignes, sans chefs, tout souillés de boue et de sang. D'Hauterive, blessé, était porté par des soldats; d'Honous avait été tué; le maréchal lui-même avait perdu son épée en traversant les eaux; en apprenant la fin malheureuse de son fils, le

comte d'Aubijoux tomba mort: il venait aedre l'unique héritier de son nom. Un seul incident vint faire diversion à la consternation générale on vit venir, au milieu d'un groupe de soldats, un homme fortement garrotté avec des écharpes, des baudriers, et retenu encore par plusieurs bras vigoureux. Un cri de triomphe s'éleva, quand on reconnut Jean-le-Parricide. Malgré sa blessure, et n'écoutant que son aveugle haine, il s'était laissé emporter trop avant à la poursuite des fuyards. Il avait déja de l'eau jusqu'à mi-corps, comme l'Achille de l'Iliade, qu'il frappait encore des coups terribles autour de lui. Enfin, en heurtant contre une pierre submergée, il était tombé: plus de trente ennemis s'étaient jetés sur lui et l'avaient maîtrisé malgré ses efforts. Son visage avait repris dès ce moment son immobilité accoutumée.

- Un gibet et une corde pour le Parricide! dit le maréchal avec dédain.

Le farouche sectaire ne répondit pas un mot. Les soldats firent avec lenteur les apprêts de son supplice, il ne précipice, une des plus hautes branches fut chargée d'un parut pas s'en occuper. Un noyer s'élevait au Lord du noeud coulant, et le chef des huguenots y fut sus pendu. La mort n'ajouta rien à la hideuse expression de ses traits.

Quelques momens s'écoulèrent. L'armée royale commença sa retraite. L'artillerie ouvrait la marche, puis venaient les restes de l'infanterie du haut et du bas Languedoc, la cavalerie suivait. L'artillerie et la cavalerie semblaient en bon état, malgré le tems affreux qu'elles avaient essuyé pendant plusieurs heures, mais l'infanterie était dans le plus complet désarroi. Toutes ces troupes se retirèrent en silence, et l'on n'entendit plus devant l'ouverture de la caverne que les cliquetis de la pluie, le mugissement de la Rise débordée, le murmure lointain du pieux concert des hérétiques et le bruit sourd d'un cadavre insensible qui se balançait au vent. Henri SAINT-M.

ARCHÉOLOG IE.

LE CLOITRE DE SAINT-ÉTIENNE DE TOULOUSE".

Sur l'un des côtés du chœur de la cathédrale de Toulouse. Existait autrefois un vaste cloître formant un carré parfait, dont chaque côté avait plus de 120 pieds de longueur. Un colonnade en marbre en formait le pourtour et soutenait des arcs à plein-ceintre décorés avec la plus grande recherche. Au milieu du vaste es

(1) Cet article faisait partie du Musée du Midi, dont la publication a été suspendue par suite de l'acquisition que M. Paya en a faite pour l'éteindre. (N. du D.)

pace formé par cette colonnade, paraissait une fontaine soutenue par huit tronçons de colonnes de marbre noir antique, qui avaient fait partie d'un monument dont on a plus tard retrouvé, sur le sol même, les importantes ruines. A chaque angle du cloître un bloc de marbre blanc formait un pilier chargé de bas-reliefs. L'un de ces piliers avait d'un côté l'image du prince des apotres, et on lisait au-dessus de sa tète les mots SANCTUS PETRUS; de l'autre côté était la figure de saint Saturnin, de ce premier évêque de Toulouse, qui se

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