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LA DANSE DU CHEVALET.

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la reine « Seigneur, lui dit-il, parmi les plaisirs de la >> chasse, nous pourrions bien pousser jusqu'à Mire» vaux, et voir la reine notre bonne maîtresse; votre » majesté passerait la nuit avec elle, nous veillerions le cierge à la main, si vous vouliez, et Dieu, par sa

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On sait que le midi de la France s'est toujours distingué par la vivacité de ses allures, et l'originalité, si non le bon goût de son esprit. Cette originalité, on la retrouve dans tous les temps à des degrés divers, mais jamais elle ne fut mieux marquée qu'à cette époque où le pays de Languedoc régi par les coutumes particu-bonté, vous donnerait un fils de bénédiction. » Lo lières, et vierge encore de toute importation voisine, n'avait pu rien perdre de lui-même, ni rien emprunter aux autres. Non-seulement la langue n'était point la même que celle des provinces du nord, mais de plus tout ce qui sert à déterminer la physionomie distinctive d'un pays dans son ensemble le plus complet, c'est-àdire tous les détails de mœurs et d'usages, les institutions morales, et aussi les jeux, les amusemens, les exercices du corps, etc., y existaient sous des formes qu'on n'eût point retrouvées ailleurs.

La ville de Montpellier semblait encore renchérir, si c'est possible, sur toutes les autres du même pays, pour la précieuse distinction de ses mœurs. Restée pendant plusieurs siècles sous la domination de ses seigneurs, et réunie à la couronne seulement sous Philippe-le-Bel, elle dut sans doute à son indépendance, de rester long-temps elle-même. Aussi, nulle part peutêtre, mieux que dans ses coutumes, aperçoit-on, sous un relief plein de naturel et de franchise, les saillies ingénues d'une organisation toute spéciale.

Mais un des traits distinctifs qui recommandent le plus sûrement la ville de Montpellier, et qu'elle a gardés avec le plus de constance, c'est le goût prononcé de ses habitans pour le chant et la danse, ces deux grandes passions des peuples méridionaux, nées ensemble d'une éducation toute extérieure et toute physique, sous l'influence d'un ciel généreux.

La danse, notamment, a toujours fait les plus chères délices des habitans de Montpellier, qui ont obtenu sur ce point une réputation d'autant plus méritée, qu'elle a survécu à ses causes premières. Or, parmi toutes les sortes de danses particulières à ce pays, j'en veux choisir une plus singulière que toutes les autres, non moins par son caractère même que par son origine, et qui est connue sous le nom populaire de Danse du Chevalet. Voici ce qui y donna lieu.

Pierre II, roi d'Aragon, qui était devenu seigneur de Montpellier par son mariage avec Marie, fille de Guillaume, s'était bientôt dégoûté de sa femme, au milieu des dissipations de toute sorte où il se complaisait suivant la coutume de ses pareils. Pour faire diversion au chagrin qu'elle éprouvait de cet abandon, la reine Marie allait souvent à Mirevaux où elle se plaisait beaucoup à cause du voisinage de Maguelonne, qui était aussi tout près de Montpellier. Un jour qu'elle s'y trouvait, le roi de son côté fut se promener à Lattes où le plaisir de la chasse et la curiosité de voir les haras l'attiraient souvent. Or, comme il lui advint de se trouver en cette occasion, d'une grande gaîté, un gentilhomme de sa suite que Zurita appelle Dom Guilhem d'Alcala, et qui était fort avant dans ses bonnes grâces, voulut profiter de ce moment favorable à l'avantage de

roi touché de ses paroles, lui dit en riant: « Je le veux » bien, et je prie Dieu qu'il soit ainsi que vous le dites. »> La réconciliation des deux époux fut entière, et, suivant ce que la reine a avoué depuis, ce fut probablement dans cette nuit que le ciel lui donna le roi Jacques, comme ce prince l'écrivit lui-même, dans ses commentaires rapportés par Benter.

Au retour, le roi ne voulant pas laisser la reine à Mirevaux, la mit en croupe sur son palefroi, et la ramena à Montpellier. Leur entrée dans la ville fut vraiment triomphante, et devint l'objet d'une fête improvisée. A peine les habitans surent-ils la venue du roi et de la reine d'Aragon, qu'ils coururent au devant d'eux pour être témoins d'une circonstance si heureuse et si inattendue. Cette rentrée en grâce de leur souveraine qu'ils avaient ardemment désirée sans l'espérer beaucoup, émut vivement leur cœur, et la pensée qu'un successeur du roi pourrait naître enfin d'un semblable rencontre, ne contribuait pas médiocrement à l'expression de leur plaisir. Aussi n'est-il sorte de réjouissance qu'ils ne témoignassent, s'empressant beaucoup et même dansant autour du cheval blanc qui portait la reine. Il faisait beau voir sans doute ces joyeux habitans de Montpellier, gambader et folâtrer de la sorte, comme eussent fait de vrais saltimbanques de carrefour! Mais peut-être, faut-il dire que ce genre d'hommage, tout grotesque qu'il fût, était encore préférablo au cérémonial étudié de nos courtisans modernes.

L'année suivante, on voulut célébrer l'anniversairo d'un événement si important pour la ville, en renouvelant les mêmes plaisirs et les mêmes jeux. Les habitans, reconnaissans du bonheur de leur souveraine, demandèrent et obtinrent du roi cette haquenée blanche qu'ils avaient tant fêtée, et qui dès-lors leur était devenue si précieuse. Ils imposèrent à la ville la charge de la nourrir et d'en prendre soin; et elle vécut ainsi pendant vingt ans, ne paraissant qu'un seul jour dans l'année, celui de la rentrée du roi. Ce jour là, on la promenait autour de la ville, les chemins étaient parsemés de fleurs et toute la jeunesse était occupée autour de la haquenée, à chanter ou à danser, ce qui était un exercice naturel aux habitans du pays. Ce renouvellement d'un jeu sans caractère bien déterminé d'abord, n'eut pas dans le commencement l'importance d'une institution régulière; mais bientôt les habitans de Montpellier prirent si bien goût à cette fète, que quand la pauvre bète qui en était l'objet eût assez vécu, ils imaginèrent de remplir sa peau de foin, et de ramener, tous les ans à peu-près, la mème cérémonie. C'est de cette peau empaillée que le chevalet prit naissance, et s'est perpétué jusqu'à nos jours.

Dès lors, il n'y eût point d'événement heureux ou

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solennel dans la famille de la reine Marie, qui ne fût célébré par la danse du chevalet. Lors du mariage du roi Jacques avec Éléonore de Castille, sœur de la reine Blanche, la danse du chevalet fut remise en honneur avec une importance toute nouvelle; car le peuple de Montpellier étant persuadé que le roi devait sa naissance à la nuit qui avait précédé l'entrée de son père à Montpellier, voulut lui marquer combien cette circonstance lui était chère, en faisant revivre le souvenir qui la consacrait.

Une autre fois, après la conquête de Maïorque, et l'expédition dans le royaume de Valence, le roi Jacques fit un séjour de plusieurs mois à Montpellier, pendant lequel il reçut la visite du comte de Provence, du comte de Toulouse et de plusieurs seigneurs et barons de France. Zurita nous dit aussi (1) qu'en cette occasion, ses vassaux lui firent une grande fète, à son château de Lattes : « Fue recebido con grande regozijo et » fiesta de sus vasallos en el Castillo de Lattes. » Cette fête n'était autre que la danse du chevalet. Le cheval, farci de paille, fut mené à Lattes où était le roi; et là furent répétés les mêmes réjouissances et les mêmes jeux qui avaient eu lieu sur le chemin de Mirevaux. Or, soit que la fête plùt au roi, comme Zurita le fait entendre, soit que le peuple se passionnåt de plus en plus pour cette danse, elle devint dès-lors tout-à-fait populaire et accoutumée.

(1) Annales de la Corona de Aragon.

Voici comment s'exécutait au bon temps la danse du chevalet.

Un jeune homme monté sur un petit cheval de carton, proprement équipé, et semblable à ceux qu'on introduisit plus tard dans les ballets, lui faisait faire le manège au son des hauts-bois et des tambours : un de ses camarades tournait autour de lui, ayant un tambour de basque dans lequel il faisait semblant de vouloir donner de l'avoine au chevalet. L'adresse consistait en ce que le chevalet devait paraître éviter l'avoine, pour ne point se détourner de son exercice, tandis que l'affectueux danseur de civade devait le suivre dans toutes ses caracoles, sans s'embarraser avec lui, ce qui se faisait avec beaucoup d'agilité et toujours en cadence. Vingt-quatre danseurs vêtus à la légère, avec des grelots aux jambes, et conduits par deux capitaines, entouraient ces deux-ci, et s'entrelaçaient de plusieurs façons, en dansant toujours le même rigaudon que le chevalet.

Un des privilèges de la danse du chevalet, c'est de n'avoir jamais été soumise à l'entrave des règlemens consulaires, ainsi que le furent les jeux de l'oie, de l'arc, et autres semblables, qui pouvant renfermer des abus, étaient à ce titre du ressort de la censure administrative, laquelle en fixait à son gré l'organisation, la durée et le retour, suivant qu'elle le jugeait temporairement utile ou inutile. La municipalité de Montpellier a toujours reconnu les franchises les plus étendues au chevalet, en considération de son origine:

'était d'ailleurs un amusement qu'on savait être de out point inoffensif, et dont le peuple se donnait le olaisir quand il voulait aussi ne s'en faisait-il point faute; et, pendant une longue suite d'années, le chevalet a été l'honneur, la distinction et la joie des ha bitans de Montpellier.

Il semblerait qu'une danse d'un tel caractère, si propre aux habitans de Montpellier, et tirée d'une circonstance toute locale, ne dùt jamais franchir les murs où elle prit naissance. Cependant il n'en est rien, et, chose digue de remarque, la danse du chevalet parut un jour en grande cérémonie au milieu des pompes de la cour de Louis XV. C'était pendant la convalescence du roi dont les jours avaient été mis gravement en danger.

Le rétablissement de la santé royale donna lieu en cette circonstance à tant de fêtes, et fit éclore un si grand nombre de pièces de poésie, que le Mercure d'alors déclara impossible d'en donner le détail exact au public. Ce furent partout des Te deum, des illuminations, et des adresses congratulatoires de toutes les formes et de tous les styles. Il n'y eut pas jusqu'à Marseille, qui venait de subir la peste, et avait éprouvé pendant une année entière les plus grandes calamités, qui n'eut le cœur de se réjouir. Chaque localité, en un mot, témoigna sa joie officielle suivant la mesure de ses ressources et selon la nature particulière de son esprit, mettant à contribution ce que ses usages lui fournissaient de plus original et de plus saillant. Quant à la ville de Montpellier, elle ne trouva rien de mieux pour son compte que d'envoyer son chevalet et ses danseurs, afin de réjouir le roi, et lui témoigner ainsi la satisfaction qu'éprouvait sa bonne ville du retour de sa santé.

et

Cette danse fut exécutée le 21 août de l'an 1721, dans la salle à manger du roi, et tout ceux qui y prirent part étaient, dit-on, de Montpellier. Le Mercure, dans son numéro d'octobre de la mème année, après avoir fait le récit de la plupart des amusemens qui furent donnés au poi pour fêter sa convalescence, ajoute que, malgré sa crainte que ce nouveau détail ne paraisse trop long, il ne peut résister à la démangeaison de dire un mot du chevalet qui mérite d'y tenir sa place par la vivacité de son exécution et par la singularité de son origine. La description qu'il en donne, après ce préliminaire, est tout-à-fait conforme à ce que nous avons déja raconté, sauf quelques détails secondaires que nous avons omis. Mais il n'en est pas de mème pour ce qui concerne les causes qui donnèrent naissance au chevalet, et la narration du Mercure, fort ingénieuse d'ailleurs, se trompe évidemment sur quelques points d'histoire relatifs à cette danse ainsi, par exemple, en nommant au lieu de Pierre d'Aragon, un Ferdinand V, qui ne fut jamais seigneur de Montpellier; 2o en le faisant roi de l'île de Maïorque, qui ne fut conquise que par son successeur Jacques I, surnommé le conquérant, 3 en mettant le mariage de la reine Marie en 1251, tandis qu'il s'était fait en 1204; 4 en la nommant fille de Guy, comte de Montpellier, au lieu de Guillaume qui ne prit jamais, non plus que ses prédécesseurs, le titre de comte, mais seulement celui de seigneur, comme firent les rois d'Aragon qui lui succédèrent dans cette eigneurie;

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5o en mettant à la place de la reine Marie sur la croupe du cheval de Pierre d'Aragon, sa maîtresse Catherine Rebuffie, jeune veuve de Montpellier, que le roi aima éperdùment, etc. Ces faits, du reste, sont purement accessoires, et ne touchent en rien le fond meme du sujet.

Le journal assure, en terminant, que sa majesté Louis XV fut assez contente du chevalet; elle écouta aussi avec plaisir la chanson languedocienne que le conducteur de la troupe lui chanta, sur l'air d'un des rigaudons qu'ils avaient dansé. Cette chanson est curieuse en effet, et pour être entièrement vrais, nous devons dire que le langage de la flatterie y surpasse peut-être dans son patois naïf ce que la courtisannerie la plus raffinée pourrait trouver de traits les plus ingénieux. A ce compte, il n'est pas étonnant que le roi le plus accessible à ce genre dhommage, ait dù se montrer satisfait, surtout s'il pùt en saisir tous les détails de l'expression.

La danse du chevalet a eu encore de beaux jours depuis cette circonstance mémorable; les habitans de Montpellier essentiellement voués au culte de la monarchie, pour ne pas dire du despotisme, ont fait servir le chevalet à célébrer toutes les époques consacrées, et tous les anniversaires des fastes monarchiques. Tous les rois, princes ou princesses qui ont eu occasion de traverser les murs de Montpellier, ont rencontré inévitablement le chevalet sur leur passage, et un instant leur front soucieux s'est déridé devant cette pantomime à la fois spirituelle et grotesque.

Cependant, toute gloire humaine est périssable; une si grande prospérité ne pouvait durer toujours, et nous voici maintenant obligés de raconter sa triste fin.

On peut dire que la dernière aurore du chevalet s'est éteinte avec la restauration. Nous-même avons été témoin, dans notre enfance, des derniers efforts du chevalet mourant: mais hélas! combien il était dégénéré! combien l'agile quadrupede s'était alourdi et trivialisé, au point d'en devenir méconnaissable! Quantùm mutatus ab illo! Le chevalet, à cette époque, n'était déja plus que l'ombre de lui-même; une sorte de contrefaçon et de parodie grossière de sa physionomie primitive. C'était bien encore, si vous voulez, le même dessin de danse, les mêmes costumes, les mémes accessoires; mais la couleur, l'originalité, la poésie de tout cela n'existait plus la lettre était restée, mais l'esprit était mort pour jamais.

La révolution de juillet qui a changé tant d'habitudes en France, et dérouté tant d'allures, a porté au chevalet un dernier et terrible coup dont il ne se relèvera plus. Aujourd'hui, la danse du chevalet, non plus que toute autre coutume d'ancienne origine, n'est possible à Montpellier. Cette ville est devenue, sous le niveau d'une civilisation uniforme, en tout point semblable aux autres villes de France. En perdant leurs qualités natives, ses habitans n'ont gardé que les vices communs à tous les temps et à tous les pays, et ils attendent, comme tout le monde, les bienfaits de la science politique moderne, si lents à s'accomplir. Trop heureux encore, si nous pouvions racheter, par les conquetes de la raison pratique, ce que nous avons perdu à jamais du côté de la poésie et de l'imaginațion! Francis REGINAL.

LA CAVERNE DES PROTESTANS.

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CHRONIQUE PYRÉNÉENNE.

Le Mas-d'Azil, joli bourg du pays de Foix, est assis au milieu d'une vallée étroite, et si bien fermée de toutes parts, que la rivière de la Rise n'a pu y pénétrer, qu'en se creusant un passage sous une montagne. Cette magnifique galerie naturelle est célèbre dans tont le pays sous le nom de Grotte du Mas. Elle peut avoir environ un quart de lieue de long; sa hauteur et sa largeur sont immenses. De ses deux ouvertures, celle qui regarde le bourg est la plus basse; on y entre de plain pied en remontant la rivière. Après quelques pas, l'obscurité commence et va toujours s'épaississant jusqu'à plus du tiers de la caverne. La Rise coule sur un côté, mais la plus grande partie du sol est à sec, les eaux tendant toujours à creuser dans le roc et découvrant de plus en plus leur ancien lit. Un énorme pilier naturel soutient la voûte, dont le cintre gigantesque s'exhausse et s'élargit à mesure qu'on avance. Enfin, arrive un angle, la grotte tourne brusquement à droite, et l'on respire dans un air plus pur et mieux éclairé. De ce détour, la vue intérieure du souterrain est admirable : d'un côté, une issue large, grandiose, tapissée de verdure et toute pleine des rayons du soleil; de l'autre, une longue et ténébreuse galerie qui n'a un peu de jour qu'à son extrémité. Ces deux lumières ainsi venues des deux bouts du passage, l'une faible et lointaine, l'autre éclatante et rapprochée, produisent par leurs contrastes les plus imposans effets. Devant soi, on voit parfaitement venir la Rise, bondissant au milieu des rochers; plus loin, on la devine plutôt qu'on ne la distingue à l'œil, fuyant vers le grand jour sous d'antiques ombres. Des corridors latéraux viennent déboucher çà et là; mais une nuit impénétrable en cache les profondeurs. Une de ces cavités est surtout remarquable en ce qu'elle s'ouvre dans la voûte même et forme ainsi une seconde grotte au-dessus de la première. De toutes ces anfractuosités, s'échappent des murmures sourds, des grondemens solennels et menaçans c'est le bruit de la rivière dans ces solitudes.

Mais ce souterrain n'est pas moins sublime pour l'imagination que pour le regard. Tout homme libre doit être fier en y entrant. Pendant ces funestes guerres de religion qui marquèrent d'une trace de sang le commencement du règne de Louis XIII, le maréchal de Thémines fut chargé par Richelieu, de réduire les protestans du pays de Foix. Le chef catholique parcourut le pays, brùlant les villes, rasant les châteaux et passant les habitans au fil de l'épée. La population MOSAIQUE DU MIDI. 3 Année.

des vallées voisines, fuyant de toutes parts les dévastations de ses persécuteurs, se réfugia dans la grotte du Mas-d'Asil, au nombre d'environ trois mille personnes de tout âge et de tout sexe, et y soutint un siége contre le maréchal. Les abords en avaient été fortifiés d'avance par la bonne reine Jeanne d'Albret, et les murailles qui avaient été élevées pour fermer les deux issues, y augmentaient encore l'horreur de l'obscurité. Mais pour la liberté, toute retraite est belle, pourvu qu'elle soit sûre. Ce n'était pas la première fois que de pareils asiles avaient été l'espérance des opprimés.

un

Le 12 Septembre 1625 fut un grand jour pour les assiégés. Ils avaient appris par leurs espion que le maréchal s'apprêtait pour un assaut, et ils se préparèrent de bonne heure à le soutenir avec vigueur. Dès le point du jour, les remparts crénelés qui défendaient les ouvertures de la grotte furent couverts d'hommes armés. De hardies sentinelles se logèrent derrière toutes les saillies du rocher extérieur, sur d'étroites et hautes corniches qui communiquaient avec le souterrain par des ouvertures pratiquées dans la montagne. Dans la caverne même, c'était un bruit, mouvement, et presqu'un tumulte inoui. Des vieillards priaient à haute voix; d'ardens prédicateurs haranguaient la foule; des enfans nettoyaient de vieilles hallebardes; des femmes éplorées apportaient à leurs maris le frugal repas qui devait soutenir leurs forces pendant le combat. Les hommes allaient et venaient; les uns roulaient de grands quartiers de rochers au milieu des passages, les autres fondaient des balles d'arquebuses ou aiguisaient des couteaux de chasse, des haches et des faulx. De longues torches fumeuses brùlaient çà et là, et éclairaient à demi cette scène sauvage. Les chauve-souris, réveillées dans leurs asiles par cette lumière inaccoutumée, se détachaient de la voûte et volaient en groupes de toutes parts.

Cependant l'armée royale s'avançait en bon ordre, en remontant la Rise, autant que le permettait la difficulté du chemin. En tète, marchait le régiment de Ventadour, composé de quinze cents hommes de nouvelle levée, et commandé par le seigneur de Cornusson, sénéchal de Toulouse; puis, venait l'artillerie, dont les roues pesantes s'embarrassaient à tout mo-. ment dans les rochers; puis les deux maréchaux-decamp de l'armée, le marquis de Ragny et le comte de Carmaing, à la tète de la grosse infanterie; et enfin le maréchal de Thémines lui-même, avec ses six cents chevaux, et auprès de lui le jeune vicomte de Merville, fils du comte d'Aubijoux, les jeunes d'Honous, d'Au¬

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terive, et une foule de brillans seigneurs du pays. Ces six mille hommes gravissant la montagne par une route étroite et tortueuse, avec leurs casques, leurs cuirasses et leurs hallebardes d'acier, ressemblaient à un long serpent dont les écailles mobiles luisent au soleil. Le maréchal paraissait soucieux; il avait reçu des nouvelles de la cour qui l'inquiétaient sur son commandement, et son expédition de la journée ne lui offrait que peu de chances de succès. Tout-à-coup, l'armée fit halte, le maréchal piqua des deux pour rejoindre l'avant-garde, et passa le long de toute la ligne avec un gros de cavaliers dont les panaches flottaient

au vent.

Hé bien, Cornusson, où sont les hérétiques? -Là, Monseigneur, répondit le sénéchal, en lui montrant du doigt la sombre ouverture d'où s'échappait la Rise; ils sont cachés là comme des loups dans leur

antre.

- Ou comme des hibous dans une vieille muraille, dit Merville à demi-voix.

-Sur mon âme, reprit le maréchal, ceci n'est pas un jeu d'enfant il n'est pas facile de chasser le loup de son antre et le hibou de son trou. D'Hauterive, faites-moi venir les maréchaux-de-camp.

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De leur côté, les protestans continuaient avec énergie dans leur asile invisible, leurs préparatifs de défense. Instruits par leurs sentinelles de l'arrivée de l'ennemi, ils avaient encore redoublé d'activité, et tout était prêt, quand ces mots se répétèrent de l'un à l'autre dans toute l'étendue de la caverne : Voici le chef! Le chef parut en effet; c'était un homme d'en-Messieurs, leur dit-il quand ils se furent rendus viron quarante ans ses traits grossiers, farouches, près de lui, la position des huguenots est forte, comme et même repoussans, annonçaient une âme peu élevée, vous voyez, mais nous ne devons reculer devant au- mais forte, un homme du peuple dominé par des passions furieuses. Dans le froncement continu de ses cun obstacle quand il s'agit du service du roi et de notre sainte religion. Voici le dernier refuge de l'héré- épais sourcils, on devinait une pensée fixe, un remords sie dans les Pyrénées; il faut l'emporter à tout prix. peut-être, ou du moins un rêve de vengeance, et cette Vous, Monsieur de Ragny, avec l'infanterie du bas étrange immobilité donnait à sa physionomie une exLanguedoc, vous allez tourner la montagne et atta-pression indéfinissable. Rien ne s'agitait sur ce visage quer la caverne de l'autre côté; vous, Monsieur de Carmaing, faites placer l'artillerie dans la rivière, et qu'on batte en brèche le rempart pendant ce temps vous vous tiendrez sur la route avec votre corps pour empêcher ceux du Mas de faire une diversion; vous, Monsieur de Cornusson, vous attendrez ici que la brèche soit ouverte, et vous donnerez ensuite l'assaut avec vos braves Toulousains je vous soutiendrai. Quant à vous, mes enfans, vos chevaux sont inutiles ici; je vous engage à mettre pied à terre si vous voulez faire le coup de pistolet. Et maintenant, Messieurs, ajouta-t-il en tirant son épée, à la garde de Dieu et de notre mère l'Eglise ! Et point de quartier aux huguenots!

Les ordres du maréchal de Thémines s'exécutèrent avec promptitude et précision. Le jeune et ardent Merville, son favori, fut le seul qui fit quelque difficulté pour abandonner le beau genèt d'Espagne qu'il montait.

-Mais, Monseigneur, dit-il en se penchant avec grâce sur le cou du noble animal, cette caverne est bien assez haute pour qu'on y puisse entrer à cheval. Un gentilhomme à pied ne fait pas figure de gentilhomme, et je ne me soucie guère pour ma part de me montrer à cette canaille en si mince équipage: songez donc, Monseigneur, que ce serait déjà une victoire pour ces gens-là.

Vous êtes un fou, Merville; votre cheval ne passera jamais au milieu de ces rochers. Un homme de votre âge et de votre sang doit être brave, je le sais; mais l'imprudence n'est pas de race comme le courage.

-La prudence est sœur de la lâcheté, Monseigneur.

de pierre; on aurait dit un cadavre saisi par la mort dans le moment d'un effort désespéré : l'œil était terne, les lèvres serrées et livides, le front contracté; ajoutez à cet effrayant aspect une force de corps prodigieuse, même chez un montagnard, et vous aurez l'homme tout entier. Il se nommait Jean-le-Parricide: son histoire était horrible comme son nom.

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Le château de Bonnac, près Pamiers, dont les protestans s'étaient emparés, avait été assiégé et pris par le maréchal de Thémines dès son arrivée dans le pays de Foix tous ceux qui s'y trouvaient en armes furent passés au fil de l'épée, le reste fut condamné à être pendu. Par un raffinement de cruauté, assez caractéristique de cette triste époque, le maréchal promit de faire grâce à un homme du lieu, à condition qu'il pendrait tous les autres, et l'abominable marché fut accepté un homme se présenta, on lui amena successivement les habitans du château, il les exécuta sans paraître ému; cependant, quand vint le tour d'un vieillard, à cheveux blancs, la corde fatale échappa des mains du bourreau. - Mon fils, dit le vieillard, achevez votre ouvrage, et que je vous donne ma bénédiction avant de mourir. Le malheureux s'agenouilla, reçut avec respect les bénédictions du condamné, et, se relevant en silence, accomplit convulsivement son office de mort, puis tout-à-coup un cri d'horreur lui échappa: il venait de pendre son propre père (1)!

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