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DEUX HAINES ET DEUX AMOURS.

Épisode des GUERRES DE LA FRONDE DANS L'ANGOUMOIS.

I.

UNE ASSEMBLÉE DE FRONDEURS.

Le prince de Condé tout-puissant dans la province de Guienne, régnait depuis quelques mois à Bordeaux, grâce à l'activité, au zèle de plusieurs seigneurs dévoués à la fronde. De ce nombre était le duc de la Rochefoucauld qui, après avoir acquis une brillante renommée parmi les perturbateurs de Paris, voulait prendre part au dernier acte de la comédie chevaleresque qui se joua't en ce moment dans le midi de la France. Il n'eut pas de peine à soulever la noblesse de l'Angoumois, et Gourville, son protégé, le servit avec autant d'habileté que de succès dans cette ciconstance.

Né de parens pauvres à la Rochefoucault, à peine âgé 25 ans, ce jeune aventurier, que nous verrons plus tard entrer en négociation avec le cardinal Mazarin, parcourut les villes et les villages, gagnant à l'armée des princes, les gentilhommes et les bourgeois. Quand il vit que l'Angoumois pouvait fournir au duc son protecteur et son maître, un grand nombre de frondeurs, il écrivit au prince de Condé qui donna ordre à la Rochefoucauld de se transporter à Angoulême.

L'infatigable Gourville attendait impatiemment avec les principaux seigneurs du pays; le duc arriva enfin, et 1 fut arrêté qu'on se réunirait le soir même pour délibérer sur les chances de la guerre; on choisit pour tenir cette assemblée, la maison de M. de Villoutreys.

Les gentilshommes frondeurs s'y rendirent en grand nombre; Gourville, fier d'avoir si bien rempli la mission que lui avaient confiée les princes, dit au duc de la Rochefoucauld :

-Monseigneur, tous les gentilshommes réunis ici sont nos amis; ils ont juré de répandre jusqu'à la dernière goutte de leur sang, pour faire triompher la fronde et venger les princes de l'injuste persécution de la Reine mère.

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Le prince de Condé peut compter sur le dévoucment des Bordelais, répondit le duc de la Rochefoucauld; il arrivera dans quelques jours; il est déja maître de tout le littoral de la Charente, à l'exception de la ville de Cognac que nous assiégerons aussitôt que nos forces seront réunies.

- Qui commande dans cette place?

-Le comte de Jonzac, lieutenant du roi en Saintonge.

-Messeigneurs, s'écria Gourville, le comte de Jonzac partage nos projets; il s'est réfugié à Cognac dans le dessein de se servir de cette position pour traiter plus avantageusement avec nous, si ses intérêts exigent qu'il favorise plus ouvertement les entreprises du

prince de Condé.

Nous ne pouvons donc compter sur lui, dit un gentilhomme périgourdin.

-Triomphons d'abord, s'écria Gourville, et nous verrons aussitôt, comtes, marquis et barons, se rallier sous la glorieuse bannière de la fronde.

M. de Villoutreys qui, jusqu'à ce moment, avait écouté, sans prononcer une parole, les discours des principaux frondeurs, commença à se repentir de leur avoir permis de tenir leur asssemblée dans sa maison. Partisan zélé des idées purement monarchiques, il se sentit saisi d'un effroi volontaire, quand il connut les projets des gentilshommes intéressés au triomphe du prince de Condé.

-Monseigneur de la Rochefoucauld, dit-il en s'approchant du duc, il ne m'a pas fallu long-temps pour me convaincre que vous êtes à la veille de vous mettre à la tête des frondeurs de l'Angoumois. Je vous avouerai que l'idée scule de la guerre civile m'effraye; j'arrive de Paris, où j'ai vu des factieux outrager publiquement la majesté royale. Les cris de mort à Mazarin, ne pourraient-ils pas se traduire par les mots horribles, de mort au jeune roi, mort à la reinemère.

Les gentilshommes se levèrent subitement pour protester contre les soupçons de M. de Villoutreys; le duc de la Rochefoucauld tira son épée du fourreau qu'il posa solennellement sur un crucifix.

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de la cour les Italiens qui dévorent les trésors de la France.

Les dernières paroles du duc de la Rochefoucauld furent couvertes d'applaudissemens; M. de Villoutreys, un peu déconcerté, saisit une des mains du duc, et la serra avec effusion.

-Monseigneur, lui dit-il, les nobles paroles que vous venez de prononcer, ont dissipé toutes mes craintes; mais je vous préviens que vous ne devez pas compter sur mon secours : mon âge, et mes convictions me défendent de prendre part à une guerre dont on ne peut prévoir les suites.

-Cette guerre bouleversera la France, si nous no nous hâtons d'y mettre fin, s'écria Jean Guymard, sieur du Jalleys et du Baucher, maire de la ville d'Angoulême.

Nous sommes trahis...dit Gourville.

-Vous n'êtes pas trahis, mes seigneurs, répliqua Jean Guymard; le secret de votre conspiration sera inviolablement gardé; il y a des traîtres dans cette assemblée; mais ce sont les gentilshommes qui vont courir les hasards d'une guerre déjà si funeste à nos provinces méridionales.

Le maire de la ville d'Angoulême est libre de sortir, dit le duc de la Rochefoucauld qui ne put s'empêcher de rendre hommage à la noble fermeté du magistrat.

-Je sors, monseigneur, et mon seul regret est de ne pouvoir entrainer avec moi tant de braves gentilshommes qui demain peut-être mouront sur un champ de bataille, pour favoriser la folle ambition du prince de Condé.

Gourville accompagna Jean Guymard jusqu'à la porte, et quand il rentra dans la salle, il trouva les frondeurs, tristes et silencieux. Le duc de Laroche foucauld lui-même ne pouvait cacher son mécontentement; il se promenait à grands pas, prononçant des paroles entrecoupées que personne n'entendait.

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Te voilà !.... dit-il brusquement à Gourville, quand il aperçut son protégé qui se tenait à quelques pas de lui, tremblant, la tète baissée... Tu m'as done trompé ! Tu me disais que le peuple d'Angoulême prendrait parti pour la fronde.

Les gentilshommes ici présens ne font-ils pas foi de mes promesses, monseigneur?

- Tu savais que Jean Guymard est un royaliste.... Monseigneur, il s'est introduit clandestinement dans cette assemblée, et je vous jure par l'écharpe de la duchesse de Longueville, que le maire d'Angoulême n'a reçu de moi aucune communication. Je ne puis pas répondre de tous les conjurés. Le Christ n'avait que douze disciples, et pourtant il fut trahi par Judas Iscariote.

Quelques-uns des seigneus se moquèrent de la citation historique employée assez maladroitement par Gourville pour sa justification; les autres, groupés autour du duc de Larochefoucauld, discutaient sur les mesures à prendre. En ce moment, on frappa à la porte extérieure. Gourville, qui seul connaissait le mot d'ordre, ouvrit, après quelques paroles échangées à voix basse.

-Messeigneurs, dit-il aux gentilshommes, je vous

présente un jeune baron qui apporte à M. le duc de Larochefoucauld une lettre du comte de Jonzac.

Le duc de Larochefoucauld prit la lettre des mains du baron, rompit le sceau, et lut à haute voix : «< Cognac, le 13 juillet 1650.

>> Mon cousin,

>> J'ai appris que le prince de Condé vous a envoyé >> en Angoumois pour gagner à la fronde la noblesse » de la province. Vous savez que je n'aime pas le car» dinal, et j'ai voué une haine éternelle aux ambitieux >> qui nous arrivent d'Italie. Néanmoins, je ne puis » encore me ranger sous le drapeau du prince. Je suis >> lieutenant du roi en Saintonge, et je dois fidélité à la » reine-mère, jusqu'au moment où j'aurai la conviction » qu'elle ne veut pas la prospérité de la France. En >> attendant, comptez sur mon amitié, très-cher cousin, » et sur mon dévouement aussitôt que la reine-mère >> m'aura mis en droit d'oublier mes sermens. » Que Dieu vous soit en aide!

>> Le comte DE JONZAC. »>

La lecture de cette lettre donna lieu à de longues discussions dans l'assemblée; les uns disaient que le comte jouait le rôle d'espion; les autres affirmaient que le lieutenant du roi livrerait la ville et le château de Cognac au prince de Condé, le jour même où l'armée paraîtrait sur les bords de la Charente. Après de longs pourparlers, il fut résolu qu'on ménagerait la susceptibilité du comte, pour se servir de son influence au besoin, et le duc de Larochefoucauld lui fit la réponse la plus amicale.

Mes amis, dit le duc, quand l'envoyé du comte fut sorti de la salle, nous n'avons pas un seul instant à perdre; les ordres du prince sont formels; il faut gagner la noblesse et enrôler les bourgeois.

Une proclamation ne serait-elle pas nécessaire ? dit Gourville.

- Qui voudra la faire ? répliqua le duc.

M. Balzac, qui habite la plus jolie maison d'Angoulême, à quelques pas d'ici.

Allez, allez ! s'écrièrent les frondeurs.

- Vous le voulez, mes amis, dit le duc; jy cours; Gourville, suis-moi.

Un instant après, on n'eût pas trouvé un seul frondeur dans la maison de M. de Villoutreys, qui fit fermer les portes à double clé, et se rendit chez Jean Guymard pour lui rendre compte de la dernière détermination de l'assemblée.

II.

UN HOMME DE LETTRES AU XVII SIÈCLE. Dans une belle et spacieuse maison vivait alors à Angoulême, un homme qui, par ses écrits, avait rempli l'Europe de son nom. Jean Louis Guez Balzac, du fond de sa retraite, contribuait puissamment à la restauration de la langue française, que Pascal était appelé à finir plus tard. L'évêque de Luçon, si connu depuis sous le nom de cardinal de Richelieu, lui avait fait les plus belles promesses, qu'il ne songea pas à tenir lorsqu'il s'assit sur le trône de France, à côté de

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Louis XIII. Déchu de ses rêves d'ambition, Balzac chercha de bonne heure dans les belles-lettres et la philosophie, des espérances, des consolations qu'il n'avait pu trouver dans les palais des grands. La critique, la calomnie le poursuivirent encore, et l'illustre écrivain, pour échapper à la rage de ses envieux, craignant d'ailleurs la colère de la Sorbonne, qui avait condamné son livre intitulé le Prince, résolut de passer le reste de ses jours à Angoulême, sa patrie.

Il y coulait des jours heureux et tranquilles, lorsque le canon de la Fronde retentit dans les provinces méridionales. Il partageait les opinions des insurgés, mais il ne commit pas l'imprudence de se vendre corps et àme au prince de Condé.

-Attendons, disait-il à ses amis, qui le pressaient de prendre une décision; nous ne savons pas de quel

côté tombera la foudre.

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- « Oui, monseigneur; assez long-temps je fus le » jouet des grands. Je me rappelle encore ma première >> entrevue avec l'évêque de Luçon. Il me fit une in» finité de caresses, me traita d'illustre, d'homme rare, » et de personnage extraordinaire (1). M'ayant un jour » prié à dîner, il dit à force gens de qualité qui étaient » à table avec lui: — Voilà un homme (je n'avais alors » que vingt-deux ans) à qui il faudra faire du bien » quand nous le pourrons, et il faudra commencer par » une abbaye de dix mille livres de rente.... Toutefois, » les choses en sont demeurées là; M. le cardinal de >> Richelieu ne s'est pas souvenu de ce qu'avait dit l'é» vèque de Luçon. »

-Dieu soit loué, mon cher M. Balzac, dit l'évêque; on ne servit pas votre ambition, et nous avons le bonheur de vous voir à Angoulême.

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Vous m'honorez trop, monseigneur.

Je sais bien que les visiteurs ne manquent pas. «Non, monseigneur; je suis assassiné des civi» lités qui me viennent des quatre parties du monde, » et il y avait hier soir sur ma table cinquante lettres >> qui me demandent des réponses éloquentes, des ré»ponses à être montrées, à étre copiées, à être impri»mées : j'en dois même à des tétes couronnées; la » reine Christine est du nombre (1).

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Monseigneur, nous pouvons passer dans la chambre voisine. Vous, monsieur Gourville, pour vous distraire, choisissez dans ma bibliothèque le livre qui vous plaira le mieux.

Aussitôt que la porte fut fermée, Gourville s'empressa de chercher le sonnet de Clorinde parmi les nombreux papiers entassés sur la table. Il le trouva enfin, le lut et le relut, le porta à ses lèvres : il avait pour titre LES ENNUIS DE L'ABSENCE.

Elle pensait à moi ! s'écria Gourville, en pressant à plusieurs reprises contre ses lèvres le précieux papier qu'il eût acheté au prix de tout l'or qu'il possédait.... Mon Dieu! si je pouvais lui écrire, lui parler de mon amour.... Je ne le dois pas, ajouta-t-il en jetant le papier sur la table; son père me déteste, et je ne puis la compromettre.

Il resta muet, immobile, pendant quelques instans ; puis, pressé de relire encore les lignes tracées par sa bien-aimée, il dirigea instinctivement sa main vers la table: il prit par hasard une lettre; il tressaillit en

(1) Lettres de Balzac.

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