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roi était si grand, que bien des gens l'attribuaient à la magie; Henri n'agissait, ne pensait, ne respirait que par elle; et, tandis que l'épouse légitime, Catherine de Médicis, végétait obscurément sans crédit à la cour, le roi se parait glorieusement de l'orgueilleuse devise qu'il avait donnée à Diane: c'était une lune naissante, ou croissant, par allusion à la Diane de la Mythologie, avec cette légende :

Donec totum impleat orbem :

Jusqu'à ce qu'elle remplisse l'univers.

Le chiffre de Dianne était entrelacé avec celui de Henri II sur tous les frontons, sur toutes les frises des édifices de ce temps: on le voit encore vingt fois reproduit sur la plus belle des façades du Louvre, entre les merveilles du sculpteur Jean Gougon. >>

Le premier usage que fit Diane de Poitiers de son ascendant sur l'esprit du roi Henri II fut d'exiler la duchesse d'Étampes, son ancienne rivale à la cour de François Ier; elle lui laissa pourtant tous ses biens, mais tous ceux qu'elle avait protégés, au temps de sa faveur, furent dépouillés des divers emplois qu'ils occupaient. La duchesse faillit même encourir un procès de haute trahison pour les relations qu'elle avait entretenues avec l'empereur en 1544: elle dut sa grace à un reste d'égards que le jeune roi conservait encore pour la mémoire de son père.

Non contente de la cruelle disgrace de sa rivale, madame Diane de Poitiers changa tout dans le conseil, dans le ministère et dans le parlement. On ne fit aucun cas des dernières paroles de François Ier. Pierre Lizet fut privé de sa place de premier président au parlement de Paris le chancelier Olivier se vit indignement chassé de la cour, et les sceaux passèrent entre les mains de Bertrandi. Le connétable de Montmorency lui-même, sur le point d'être disgracié, s'humilia honteusement devant la superbe Diane, et le plus fier des gentilshommes de France, ploya le genou devant la favorite de Henri II: il conserva ainsi sa puissance et son crédit.

Jamais maîtresse de roi n'avait opéré un bouleversement si complet et si subit. Le faible Henri n'avait d'autre désir, d'autre volonté que le désir et la volonté de la belle Diane. Les nouveaux courtisans se disputaient avec une honteuse avidité la curée des pensions, des honneurs, et des emplois.

«Ils étaient quatre, dit Vieilleville dans ses mémoi>> res, qui dévoraient le roi, comme un lion sa proie; » savoir: le duc de Guise, Claude qui avait six enfans; » le connétable avec ses parens; madame Diane de » Poitiers, avec ses filles et ses gendres; le seigneur de » Saint-André qui était entouré d'un grand nombre de »> neveux et d'autres parens tous pauvres. L'humeur » dépensière et fastueuse de madame Diane, épuisait à » elle seule le trésor royal. »>

Un an après la mort de François Ier, Henri II monarque trop débonnaire, désespérant de pouvoir satisfaire les désirs de sa chère Diane, lui donna à vie le duché de Valentinois. La grande sénéchale se qualifia depuis du titre de duchesse de Valentinois, et pour s'unir plus étroitement avec la famille des Guise, alors une des plus puissantes du royaume de France, elle maria une de

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ses filles avec le troisième des fils du duc Claude : elle arrachait chaque jour à la libéralité, ou pour mieux dire à la faiblesse du roi, de grosses sommes qu'elle prodiguait en sottes dépenses: elle employa pourtant une grande partie des dons que lui fesait son royal amant, à embellir le nouveau castel de Chenonceaux-sur-Cher. La favorite toute puissante aimait et savait apprécier les chefs-d'œuvre des arts; les poètes, les peintres, les statuaires, les architectes, trouvèrent toujours en elle une bienveillante protectrice. Dans l'automne de l'année 1555, elle réunit un grand nombre d'artistes français et italiens dans la belle habitation de Chenonceaux..

III.

POÈTES ET ARTISTES.

A la voix de la belle Diane, les plus belles dames de la cour, de puissans seigneurs partirent de Fontainebleau, montés sur leurs grands chevaux et leurs mules blanches; le brillant cortége se dirigea vers la Touraine. Le castel de Chenonceaux était alors le rendez-vous de de tout ce qu'il y avait de noble, de grand, de titré, dans le royaume de France.

La duchesse de Valentinois avait promis une fête plus magnifique que toutes celles qui avaient égayé le carnaval de la cour. Les poètes de Bellay, Boulard, le Pelletier, le célèbre architecte Philibert Delorme, le primatice élève de l'immortel Jules Romain, se rendirent avec empressement aux désirs de madame Diane. Pendant plusieurs jours, les fêtes, les réjouissances se succédèrent sans interruption. La duchesse de Valentinois, avant de congédier ses nombreux convives, les réunit dans une des salles du château de Chenonceaux :

- Nobles dames et vous messeigneurs, dit-elle avec ce sourire enchanteur qui lui captivait le cœur de ses ennemis les plus implacables, vous savez tous que j'aime et protége les arts. Aussi je n'ai pas voulu laisser partir les plus chers de mes convives sans leur donner un gage de mon admiration.

A vous, Ronsard, je donne cette lyre d'or; vous êtes l'Orphée de la France, et vous n'oublierez pas dans vos chants Diane de Poitiers.

-Je perdrai plutôt le souvenir de monseigneur Apollo et des chastes sœurs du mont Parnassus, répondit le jeune poète.

A vous, du Bellay et le Pelletier, je donne ces deux chaînes achetées à un joaillier de Venise; et à vous, élève de Jules Romain, que demanderez-vous à votre protectrice, ajouta Diane en inclinant gracieusement la

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Dans quelques mois, madame la duchesse, vous pourrez aller faire votre séjour dans votre nouvelle habitation, et je prends le ciel à témoin qu'il n'existe pas au monde un plus gentil manoir.

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- Je suis plus heureuse aujourd'hui qu'au milieu de La duchesse de Valentinois quitta pour toujours son tout l'éclat des fêtes royales de Fontainebleau. Ici, je habitation de Chenonceaux, et fixa son séjour au châsuis riche; ici, je protége les beaux-arts; ici, j'ai réuni | teau d'Anet. Philibert Delorme, le primatice, les élè les illustrations de France et d'Italie; et pourtant on ves de Michel-Ange et de Jules Romain, les grands peindit partout que la duchesse de Valentinois est une tres, les grands statuaires de l'Italie avaient été appelés favorite insolente qui épuise par ses prodigalités les tré- pour orner des chefs-d'œuvre de l'art, le château de la sors de Henri. Oh! que ne suis-je assez riche pour vous favorite d'Henri II. Delorme en dirigea l'architecture, combler tous des dons les plus précieux. J'ai dépensé tout et ce qui reste encore des constructions d'Anet soutient ce que j'ai obtenu de la libéralité du roi de France à em - l'idée qu'on en avait à l'époque où les portes en furent bellir divers monumens, à encourager les beaux-arts. ouvertes aux grands seigneurs de France. Les poètes Pouvais-je en faire un plus noble emploi ? célébrèrent à l'envi ce séjour enchanté, et qu'ils appelèrent Dicenet du nom de la duchesse de Valentinois.

Non, madame la duchesse de Valentinois, s'écria le jeune Ronsard émerveillé de l'enthousiasme de Diane de Poitiers aussi Henri II vous aime de jour en jour plus tendrement.

:

- Et on dit que pour captiver les bonnes graces du roi, j'ai eu recours à la magie; on a renouvelé le vieux conte de l'anneau enchanté de l'empereur Charlemagne.

- La magie de madame Diane, s'écria le primaticcio, fut toujours le charme de l'esprit, du talent, des graces, uni à la plus parfaite beauté qui ait jamais brillé sur le front d'une femme.

- Vous avez deviné, seigneur primatrice, répondit en souriant la duchesse de Valentinois. Aussi tiens-je fort à cœur d'être toujours magicienne comme par le passé. Mes très chers convives, en attendant que l'esprit malin me suggère quelque nouveau moyen d'ensorceler le roi de France et toute sa cour, je vous invite tous à une nouvelle fête que je veux donner à mes amis dans mon habitation d'Anet.

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(4) Philibert Delorme naquit à Lyon, vers le commencement du xvie siècle. Il alla étudier l'antiquité en Italie; de retour dans sa patrie, il construisit le portail de SaintMizien. Le cardinal du Bellay l'attira à Paris et l'introduisit à la cour de Henri II. Le fer à cheval de Fontainebleau fut son premier ouvrage ; il donna ensuite les plans des chateaux d'Anet, de Meudon, et travailla à la tour des Valois, à Saint-Denis, et au palais des Tuileries; ce fut dans la construction de ce dernier édifice que Delorme déploya surtout les richesses de son génie. Il a laissé un petit ouvrage intitulé: Nouvelles inventions pour bien batir et à peu de frais. Philibert Delorme mourut en 1577; il contribua beaucoup rétablir en France le bon goût de l'antiquité; ce célèbre architecte est une de nos plus belles gloires méridionales,

La beauté de Diane se conserva long-temps encore; elle mettait tous ses soins à retarder les ravages des années, et elle y réussit.

<< Jamais, disent les auteurs de la Biographie Universelle, Diane de Poitiers ne fut malade : dans le temps des plus grands froids, elle se lavait le visage avec de l'eau de puits: éveillée le matin à six heures, elle montait à cheval, fesait une ou deux lieues, et venait se remettre dans son lit ou lisait jusqu'à midi. Ses traits étaient réguliers, son teint le plus uni et le plus beau qu'il füt possible de voir; ses cheveux, tantôt bouclés, tantôt relevés en bandeau étaient d'un noir de jais.

<< Brantôme qui la vit peu de temps avant sa mort, assure qu'elle était encore belle. L'historien Mezerai qui traite fort mal les favorites de nos rois, ne ménage point Diane. Le président de Thou lui attribue tous les malheurs du règne de Henri II, la rupture de la trève avec l'Espagne qui entraîna la perte de la bataille de Saint-Quentin, et causa des maux infinis à la France: il l'accuse aussi d'avoir suscité les persécutions contre les protestans.

<< Il paraît, en effet, par la haine que témoignent contre elle tous les écrivains calvinistes, que Diane contribua à inspirer à Henri ces cruelles idées d'intolérance qui semblaient poussées à l'excès sous le règne d'Henri II. Ennemie déclarée de la réforme, Diane, dans son testament, déshérite ses filles dans le cas où elles embrasseraient les nouvelles opinions.

«< On prétend, mais ce fait n'est point attesté, que la duchesse de Valentinois eut une fille d'Henri II, et que le prince ayant voulu la légitimer, Diane s'y opposa en lui disant avec fierté :

Sire, j'étais née pour avoir des enfans légitimes de vous; j'ai été votre maîtresse, parce que je vous aimais, je ne souffrirais pas qu'un arrêt me déclarât votre concu

bine.

« Cette réponse, où il y aurait eu un peu de jactance, est rapportée par Brantôme, dont le témoignage ne nous parait pas suffisant pour constater la naissance de cette prétendue fille. »>

Elle conserva toute sa puissance à la cour jusqu'à la mort du roi, son amant, 1559. L'âge de Diane qui rendait son empire sur le roi Henri II si extraordinaire, dit M. Jules Sandeau, fit croire à quelques-uns de ses contem

porains, qu'elle avait recours à la magie pour perpétuer sa beauté. Disons qu'elle n'avait d'autre magie que la science de l'amour. A mesure que les années effaçaient les plus beaux traits de son visage, les graces de son esprit augmentèrent de telle sorte, qu'à l'âge de trentecinq ans, alors qu'elle eut dù quitter la qualité de belle pour prendre celle de bonne, elle se rendit maîtresse absolue du cœur du roi. Ce n'est pas chose très merveilleuse de voir un esprit ainsi charmé sans sortilége; on trouve souvent une infinité de faits semblables dans l'histoire, et si voulez en connaître les raisons, lisez Ovide qui était un si grand maître en l'art d'aimer. Les exemples de grand pouvoir exercé par une vieille courtisane, ne sont pas rares: madame de Maintenon et tant d'autres en font foi.

à sa grande puissance à la cour, Diane de Poitiers dé-
ploya une fermeté qui fait honneur à son caractère.
Le chroniqueur Brantôme a consacré quelques lignes
à cet événement qui fut suivi d'une révolution subite
parmi les courtisans et les grandes dames du palais.

« Il fut dit et commandé à la duchesse de Valenti»> nois, dit Brantôme, sur l'approchement de la mort du » roi et le peu d'espoir de sa santé, de se retirer en » son hôtel de Paris. Étant retirée, on lui envoya de» mander quelques bagues et joyaux qui avaient appar» tenu à la couronne: elle demanda sur-le-champ à » M. l'harangueur si le roi était mort.

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- Tant qu'il lui restera un doigt de vie, répondit» elle, je veux que mes ennemis sachent que je ne les » crains point, et que je ne leur obéirai pas tant qu'il » sera vivant. Je suis encore invincible de courage; » mais lorqu'il sera mort, je ne veux plus vivre après lui,

Diane ne resta pas étrangère aux idées d'intolérance religieuse que le règne d'Henri II vit éclater sur tous les points de la France. On a même prétendu que la duchesse de Valentinois fut cause de la division qui survint entre l'amiral de Coligny et le duc de Guise, et» et toutes les amertumes qu'on pourra me donner, no sequ'elle accéléra par son influence le massacre de la SaintBarthélemy. Toutes les accusations ont été recueillies avec un soin presque minutieux par plusieurs écrivains calvinistes; Bayle, le plus habile et le plus hardi défenseur de la réforme, a pourtant rectifié un grand nombre de ces faits, et il résulte de sa critique assez impartiale, que Diane de Poitiers poussa quelquefois jusqu'au fanatisme son zèle pour le maintien de la religion catholique, mais qu'elle était bien éloignée de penser que les controverses des prélats de Rome et des ministres de Genève finiraient par une épouvantable boucherie.

Il n'est pas étonnant que la duchesse de Valentinois, douée d'un esprit supérieur, d'une fermeté de caractère que les obstacles ne rébutaient jamais, ornée de toutes les graces qu'il est possible de trouver chez la plus belle des femmes, ait fasciné un prince aussi faible, aussi irrésolu que le fils de François I. Henri II poussa même sa complaisance pour Diane de Poitiers jusqu'à des faveurs qui devinrent scandaleuses: le conseiller Anne du Bourg lui dit un jour avec l'énergie qui le caractérisait :

Vous persécutez ceux de vos sujets qui pratiquent la religion réformée; vous les poursuivez avec toute la rigueur des lois. Eh quoi!.. le blasphème, le parjure, l'adultère, la débauche, se commettent chaque jour à la face du ciel, et chaque jour on invente de nouveaux supplices contre des hommes dont le seul crime est de s'éclairer des lumières de l'Écriture Sainte, et de demander une salutaire réformation.

Le roi ne put se méprendre sur le sens des paroles d'Anne du Bourg; il comprit qu'elles étaient une allusion au scandale de son amour pour Diane de Poitiers; il punit cruellement le hardi conseiller au parlement; mais il n'eut pas la force de secouer le joug honteux que lui avait imposé la belle duchesse de Valentinois qu'il appelait sa douce amie: il le porta jusqu'à sa mort, 10 juillet 1559. Je n'ai pas besoin de rapporter ici les circonstances qui précipitèrent dans la tombe le jeune Henri II. Personne n'ignore qu'il fut blessé dans un tournoi par Montgoméri l'un des capitaines de ses gardes, et qu'il expira onze jours après, ayant fait célébrer, la veille de sa mort, le mariage de sa sœur Marguerite avec le duc de Savoie.

En apprenant cette horrible nouvelle qui mettait fin

>> ront que douleurs au prix de ma perte; et par ainsi, >> mon roi vif ou mort, je ne crains point mes ennemis. >> Aussitôt qu'elle apprit que le roi venait d'expirer, elle fit ses préparatifs de départ; elle connaissait trop bien la cour, pour croire à la reconnaissance de ceux qu'elle avait élevés par son crédit.

Je suis disgraciée, se dit-elle; plus j'étais puissante, plus terrible sera ma chute.

Elle disait vrai tous les amis qu'elle avait à la cour de France l'abandonnèrent, à l'exception du connénétable de Montmorency qui resta fidèle à sa bienfaitrice dans sa disgrace. Diane se montra plus grande, plus noble dans l'adversité qu'elle ne l'avait jamais été aux beaux jours de sa faveur. Catherine de Médicis attendit à peine que Henri eût fermé sa paupière, pour se venger d'une rivale qu'elle abhorrait depuis plusieurs années. Elle lui enleva le château de Chenonceaux-surCher, et parvint à la dépouiller de tous les biens qu'elle avait reçus de son amant.

Diane, retirée dans son château d'Anet, pleura longtemps Henri II: quand sa douleur se fut un peu calmée, elle chercha quelques consolations dans le commerce des artistes qu'elle continua de fêter comme au temps où ses désirs avaient force de loi à la cour de France : elle répétait souvent, quand le souvenir de sa grandeur passée se présentait à son esprit; ces deux vers d'un poète du temps:

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FORTIFICATIONS DU PORT DE MARSEILLE.

LE CHATEAU D'IF.

Le château d'If occupe to centro de la rade de Marseille. Ses fortifications sont parfaitement tracées et couronnent le rocher, en ceignant tout le contour de l'île à laquelle il doit son nom.

Il fut construit en 1529 par les ordres de François I"; ce prince qui avait tout à craindre de l'ambition de Charles-Quint, son redoutable rival, ne négligea rien pour mettre la Provence à l'abri d'une seconde invasion. Les les de Pomègue, d'Ifet de Ratoneau furent bientôt couvertes de châteaux-forts. Heureusement Charles d'Autriche ne tourna plus ses armes de ce côté là, et le château d'If fut primitivement une prison

d'état.

Vers la fin de l'année 1596, les Espagnols qui avaient résolu de s'emparer de toute la France, à la faveur des troubles de la ligue, se jetèrent dans la Provence, et leur premier soin fut de chercher à se rendre maîtres des fortifications de la rade de Marseille. Nicolas de Beausset était alors gouverneur du château d'If et commandait aussi les forts des îles de Pomègue et de Ratoneau; désespérant d'être secouru par le roi de France, trop occupé de mettre fin à la guerre civile, pour se transporter en Provence, le gouverneur du château d'lf, implora la protection du grand-duc de Toscane.

Dom Juan de Médicis, frère naturel du grand-duc, arriva quelque temps après avec plusieurs galères. Nicolas de Beausset croyait trouver dans les Italiens des amis et des auxiliaires; mais les Toscans ne se contentèrent pas de tenir la mer pour écarter les galères espagnoles; ils se rendirent maîtres du château d'If, et le gouverneur se vit contraint à abandonner l'île.

L'indignation des Marseillais se changea bientôt en exaspération, et il fut résolu d'un commun accord qu'on chasserait les Toscans. Dans l'espace de quelques jours, ils construisirent un fort dans l'île de Ratoneau pour battre le château d'If; l'attaque fut si prompte et si vive, que la garnison italienne ne pouvait résister long-temps. à l'impétuosité provençale; on parlait déja de capitulation, lorsque don Juan de Médicis revint avec ses galères; ce nouveau renfort rendit l'espérance aux Toscans, et le bâtard de Florence dirigea les premières attaques contre l'île de Pomègue, où les Marseillais s'étaient déja førtifiés. La lutte ne fut pas longue; l'héroïsme des Provençaux céda bientôt aux galères toscanes; dom Juan de Médicis leur laissa la vie sauve, leur permit de revenir à Marseille, et s'empara de l'île de Pomègue au nom du duc de Florence.

Elle resta au pouvoir des Toscans jusqu'en l'année 1598. Le duc de Guise, gouverneur de Provence, reçut ordre d'Henri IV de chasser les Italiens de la rade de Marseille. Le duc s'empressa d'obéir au roi de France; MOSAÏQUE DU MIDI. 5o Année.

et, secondé admirablement par le patriotisme des Marseillais, il parvint à introduire deux cents soldats dans le château d'If: quelques bateliers leur apportèrent des provisions pendant la nuit, et les Médicis furent dépossédés de leur conquête.

Cependant des galères toscanes ne cessèrent de harceler la garnison du château d'If; chaque jour c'étaient de nouvelles alarmes; enfin, Henri IV conclut avec le duc de Florence un traité par lequel Laurent de Médicis lui abandonna tout ce qu'il possédait sur les côte de Provence.

Depuis ce traité, le château d'If n'a été le théâtre d'aucun événement remarquable; la vieille forteresse, métamorphosée subitement en prison d'état, a vu peutêtre mourir sous ses voûtes sombres et lézardées que!que grand personnage sacrifié à des coups d'état, et le voyageur qui court y chercher des souvenirs, n'y trouve plus qu'une masse informe et bizarre; c'est pourtant un des plus étranges points de vue qui forment le magnifique panorama de la rade de Marseille.

« C'est en parvenant aux dernières hauteurs qui en» ferment Marseille (1) qu'on est saisi subitement d'un >> spectacle dont tous les voyageurs ont retenu le sou>> venir; spectacle magnifique et imposant, qui, enfla>> mant Horace Vernet, lui révéla tout-à-coup son >> génie et sa vocation.

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>> Deux grandes chaînes de montagnes s'entr'ouvent, >> embrassent un vaste espace, et, se prolongeant dans la » mer, viennent expirer très avant dans les flots. Marseille est enfermée dans cette enceinte. Lorsque, arri» vant du Nord, on parvient sur la première chaîne, >> on aperçoit tout-à-coup le bassin immense; son » étendue, son éblouissante clarté, vous saisissent d'a>> bord. Bientôt après on est frappé du sol et de sa sin» gulière végétation. Il faut renoncer ici aux croupes >> arrondies, à la parure fraîche et verdoyante des bords » de la Saône et de la Garonne. Une masse immense de » calcaire gris et azuré forme la première enceinte. Des >> bancs moins élevés s'en détachent et, se ramifiant dans » la plaine, composent un sol inégal et varié. Sur cha» que hauteur s'élèvent des bouquets de pins d'Italie, >> qui forment d'élégans parasols d'un verd sombre et » presque noir. Des oliviers à la verdure pâle, à la » taille moyenne, descendent le long des coteaux, et >> contrastent par leur petite masse arrondie avec la « stature élancée et le superbe dôme des pins. A leur >> pied croît une végétation basse, épaisse et grisâtre. » C'est la sauge piquante et le thym odorant, qui, foulés » sous les pieds, répandent un parfum si doux et si fort.

(4) Thiers.

4

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» Au centre du bassin, Marseille, presque cachée par un >> coteau long et fuyant, se montre de profil, et sa silhouette, tantôt effacée dans la vapeur, tantôt appa>> raissant dans les ondulations du sol, vient se terminer >> dans l'azur des mers par la belle tour de Saint-Jean.

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« Au couchant, s'étend la Méditerranée, avec les îles » de Pomègue et de Ratoneau, avec le château d'If, >> avec ses flots tantôt calmes et agités, éclatans ou >> sombres, et son horizon immense, où l'œil revient >> et erre sans cesse en décrivant des arcs-de-cercle >>> éternels. >>

L'île et le petit fort de Ratoneau passeraient inaperçus dans I histoire de Provence sans une singulière aventure arrivée vers l'an 1765.

« On comptait, disent les auteurs de la France pittoresque, parmi le petit nombre de soldats qui formaient la garnison de Ratoneau un brave invalide surnommé Francœur. Il avait déja donné quelques marques de démence; mais on le croyait guéri, et ses camarades vivaient avec lui sans méfiance à cet égard. Un jour Imagination de Francour s'échauffa; il conclut le dessein de devenir roi de l'ile de Ratoneau. Il se trouvait en sentinelle à la porte du donjon: il choisit le moment où la petite garnicon étoit sortie du fort pour aller cher

cher s03 provisions accoutumées; il était resté soul. It abaissa la herse du pont-levis, courut au magasin à poudre, chargea les canons, rengea toute la mousqueterie sur les remparts, et commença à tirer sur ses camarades répandus dans l'île, qui, tout étonnés, se réfugièrent dans le creux des rochers, et s'estimèrent en suite heureux de sortir de l'île à l'aide d'un bateau, dont le patron, effrayé par le feu continuel de l'invalide, ne se détermina qu'avec peine à aller les chercher. »

» Maître de toute l'île, dit un écrivain du dix-huitième siècle, Francœur se persuada facilement qu'il en était le sonverain absolu; par le fait il ne dominait que sur de nombreux troupeaux de chèvres qu'on fesait paitre dans cette île. Aussi disposait-il de leur vie au gré de son appétit; mais il n'avait aucun moyen pour se procurer du vin.

» Quelques jours s'étaient écoulés sans qu'on pat aborder dans l'ile, par le soin que Francœur prenait d'écarter tout ce qui lui était suspect. Il remplissait seul toutes les fonctions militaires; la nuit il sortait, un fanal à la main, pour aller reconnaître les postes, tant extérieurs qu'intérieurs, et fesait même feu pendant lo jour sur la garnison du château d'If. De cette place, on s'aperçut des fréquentes sorties de l'invalide, et cette

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