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Tenez, elle était là mourante; il faudra que le diable l'ait emportée corps et âme!

Malgré le ton d'assurance de la vieille, je me permis de supposer que la sorcière pouvait bien avoir fui par la fenêtre; pourtant on ne la vit point aux environs du village; mais le lendemain, des voyageurs qui venaient de France, racontèrent qu'ils avaient trouvé, au Coldu-Saut, étendu sur le bord de la cascade, le cadavre d'une femme dont les longs cheveux flottaient sur les eaux du torrent.

Cette femme, c'était Thérèse; par un dernier effort elle était venue mourir là où elle avait vu Paul expirer. Depuis, lorsque nos Andorrans passent devant le rocher qui s'élève auprès de leur tombe, ils prient Dieu, en songeant à l'orpheline de Saint-Vincent et au contrebandier français.

V. Colonna d'ISTRIA.

FÉNÉLON.

François de Salignac de Lamothe-Fénélon, archevêque de Cambrai, naquit au château de Fénélon, en Périgord, le 6 août 1651. Il était fils de Pons de Salignac, comte de Lamothe-Fénélon, et de Louise de la Cropte de Saint-Abre que le comte avait épousée en secondes noces. Sa maison a obtenu encore plus d'illustration du seul nom de l'Archevêque de Cambrai, que de cette longue suite d'ancêtres qui avaient rempli les emplois les plus distingués dans les armées, dans les négociations et dans l'église.

Sa première enfance fut confiée à un précepteur, dans la maison paternelle, qui parvint à lui donner une connaissance plus approfondie des langues grecque et latine, qu'un enfant si jeune n'en est ordinairement susceptible. A l'âge de douze ans, il fut envoyé à l'université de Cahors; il y acheva son cours d'humanités.

Le marquis de Fénélon fut frappé de tout ce qu'on lui annonçait de son jeune neveu: il le fit venir à Paris, et le plaça au collége du Plessis pour y continuer ses études de philosophie. Il devint un second père pour le jeune Fénélon, et, après avoir perdu un fils unique qui fut tué au siége de Candie, il trouva la plus douce des consolations en substituant au fils qu'il avait perdu un neveu qui devint, avec sa fille, l'objet de ses soins et de ses plus tendres affections.

Le jeune abbé de Fénélon se distingua tellement au collége du Plessis, qu'on hasarda de lui faire prêcher, à l'âge de quinze ans, un sermon qui eut un succès extraordinaire; son oncle ne vit pas sans un mélange d'inquiétude et de satisfaction, l'espèce d'enthousiasme avec lequel on admirait déjà les talens naissans de son neveu. Pour le soustraire au prestige d'une renommée précoce, il se hâta de le faire entrer au séminaire de Saint-Sulpice et de le placer sous la direction de M. Tronson.

Ce fut dans les lumières, les exemples, et dans la piété tendre et affectueuse de ce sage directeur qu'il puisa le goût des vertus vraiment sacerdotales dont il offrit ensuite le modèle le plus accompli.

Après avoir reçu les ordres sacrés, il se consacra aux fonctions du saint ministère, dans la communauté des prêtres de la même paroisse. Il acquit dans l'exercice du ministère, cette prodigieuse et incroyable facilité de parler et d'écrire qui a fait l'étonnement de ses contemporains; il y puisa la connaissance de toutes les maladies morales et physiques qui affligent l'humanité. Ce fut alors qu'il fut chargé, par le curé de sa paroisse, d'expliquer l'écriture sainte au peuple, les jours du dimanche et de fêtes.

Fénélon fut appelé à Sarlat, en 1674, par son oncle, évêque de cette ville. Il obtint de lui la permission de se consacrer aux missions du Nouveau Monde que cet oncle paraît lui avoir refusée quelques années auparavant. Il porta toutes ses pensées vers les missions du Levant.

On n'a que des conjectures sur les motifs qui lui firent d'abord suspendre l'exécution de son projet; quelques années après, un objet du même genre donna une autre direction à son zèle pour la conversion dés ames. Il n'avait que vingt-sept ans lorsque M. de Harlai, archevêque de Paris, le nomma supérieur de la communauté des Nouvelles-Catholiques, établissement utile aux nouvelles converties du Calvinisme, protégé par Louis XIV et doté par Turenne.

Ce fut alors que, par l'entremise de son oncle, le marquis de Fénélon, il fit la connaissance du duc de Beauvilliers et celle de Bossuet. Il se sentit entraîné vers ce grand homme; et de son côté, Bossuet vit avec plaisir s'élever sous ses yeux un jeune ecclésiastique d'une si belle espérance.

En 1681, il suspendit un moment ses fonctions de supérieur des Nouvelles-Catholiques pour aller prendre possession du prieuré de Carenac que venait de lui résigner son oncle l'évêque de Sarlat, pour l'aider à se soutenir à Paris. Ce bénéfice de la valeur de 3 à 400 livres de rente fut le seul qu'eut Fénélon jusqu'à l'âge de 4 ans. Disons en passant que, pendant son séjour à Carenac, il composa l'ode qui commence par ces vers, et qu'il n'eut jamais la pensée de faire imprimer :

Montagnes de qui l'audace Va porter jusques aux cieux Un front d'éternelle glace.....

Après cette courte absence, il reprit ses premières fonctions, et consacra dix années entières de sa vie à la simple direction de la communauté des NouvellesConverties. Ce temps ne fut point perdu. Ce fut alors qu'il composa pour la duchesse de Beauvilliers son Traité de l'éducation des Filles, ouvrage qui commença sa réputation; il s'occupa dans le même temps de son Traité du Ministère des Pasteurs, qui avait un rapport direct avec les fonctions dont il était chargé.

Louis XIV venait de révoquer l'édit de Nantes (6 octobre 1685); il résolut d'envoyer des missionnaires dans les provinces où l'on comptait le plus de protestans, pour confirmer dans la foi catholique ceux qui s'étaient déjà rendus, et pour y ramener ceux qui persistaient dans leurs anciennes erreurs. Bossuet proposa d'employer l'abbé de Fénélon dans les missions du Poitou et de la Saintonge. On lui laissa le choix des coopérateurs qui devaient lui être associés. Ce fut l'abbé de Langeron, le plus cher et le plus fidèle de ses amis; l'abbé Fleury, devenu si célèbre par ses ouvrages; l'abbé Berthier, depuis évêque de Blois, et l'abbé Milon, depuis évêque de Condom. La seule grâce que Fénélon demanda à Louis XIV fut d'éloigner les troupes et tout appareil militaire, de tous les lieux où il était appelé à exercer un ministère de paix et de charité.

L'exemple de ces missionnaires, leur simplicité, leur bonté, leur charité, ne contribuèrent pas moins que leurs instructions à dissiper les préjugés et à ramener ces peuples à des sentimens de paix et de réconciliation. On parla beaucoup dans le temps des succès de cette mission. Elle eut en effet tout le résultat qu'on pouvait attendre de I habileté et du zele des missionnaires. Mais Fénélon ne se fit pas illusion sur des apparences si spécieuses. « Ce n'est pas une petite » affaire, disait-il dans une lettre à Bossuet, de chan» ger les sentimens de tout un peuple.... Les hugue>> nots mal convertis sont attachés à leur religion » jusqu'aux plus horribles excès de l'opiniâtreté.... Les >> restes de cette secte vont tomber peu à peu dans une » indifférence de religion pour tous les exercices ex>> térieurs qui doit faire trembler.... C'est un terrible » levain dans une nation. »

De retour de sa mission dans le Poitou, en 1688, Fénélon reçut, l'année suivante, la récompense de ses pénibles travaux. Le duc de Beauvilliers venait d'être nommé gouverneur du duc de Bourgogne et, dès le lendemain, il fit agréer au roi l'abbé de Fénélon pour précepteur. A peine ce double choix fut-il devenu

public que toute la France retentit d'applaudissemens. On s'explique facilement cette approbation générale, quand on pense que Fénélon était déjà connu tel que le chancelier d'Aguesseau l'a peint dans le portrait qu'on va lire.

« L'archevêque de Cambrai était un de ces hommes » rares, destinés à faire époque dans leur siècle, et >> qui honorent autant l'humanité par leurs vertus, » qu'ils font honneur aux lettres par des talens supé>> rieurs; facile, brillant, dont le caractère était une » imagination féconde, gracieuse, dominante, sans faire sentir sa domination. Son éloquence avait en » effet plus d'insinuation que de véhémence, et il » régnait autant par les charmes de la société que par la supériorité des talens; se mettant au niveau >>> de tous les esprits, et ne disputant jamais; parais»sant même céder aux autres, dans le temps qu'il » les entraînait. Les grâces coulaient de ses lèvres, et il semblait traiter les grands sujets, pour ainsi

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» dire, en se jouant; les plus petits s'ennoblissaient » sous sa plume, et il eût fait naître des fleurs du sein des épines. Une noble singularité répandue sur

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» toute sa personne, et je ne sais quoi de sublime dans le simple, ajoutaient à son caractère un certain » air de prophète. Le tour nouveau, sans être affecté, » qu'il donnait à ses expressions, faisait croire à bien des gens, qu'il possédait toutes les sciences, » comme par inspiration; on est dit qu'il les avait » inventées, plutôt qu'il ne les avait apprises; toujours » original, toujours créateur, n'imitant personne, et paraissant lui-même inimitable. Ses talens, long» temps cachés dans l'obscurité des séminaires, et » même peu connus à la cour, lors même qu'il se fut » attaché à faire des missions pour la conversion des » religionnaires, éclatèrent enfin par le choix que le roi en fit pour l'éducation de son petit-fils, le duc de Bourgogne. Un si grand théâtre ne l'était pas trop

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» pour un si grand acteur, et si le goût qu'il conçut » pour le mystique n'avait trahi le secret de son cœur » et le faible de son esprit, il n'y eût point eu de >> place que le public ne lui eût destinée, et qui n'eût >> paru encore au-dessous de son mérite. >>

Nous regrettons que la nature et les bornes de cet ouvrage ne nous laissent point assez d'espace pour raconter en détail tout ce que l'Histoire de Fénelon, par le cardinal de Beausset, présente d'instructif et dintéressant sur cette éducation. Qu'il nous soit seulement permis d'en extraire quelques passages qui en donneront une idée.

>>

<< Fénélon reconnut bientôt que la partie de l'édu>>cation qui excite ordinairement le plus le zèle des » instituteurs et l'amour-propre des parens, la partie >> de l'instruction, serait celle qui lui donnerait le » moins de peine. Il pressentit qu'avec l'esprit et les dispositions singulières que son élève avait reçus de » la nature, il ferait des progrès rapides dans tous >> les genres de connaissances qui distinguent les es>> prits supérieurs, et qui n'appartiennent pas toujours >> aux enfans des rois; mais le plus difficile était de >> dompter d'abord cette ame si violemment constituée, >> d'en conserver toutes les qualités nobles et géné>> reuses, d'en séparer toutes les passions trop fortes, » et de former, de cette nouvelle création morale,

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» un prince tel que le génie de Fénélon l'avait conçu » pour le bonheur de l'humanité en un mot, il voulut » réaliser le beau idéal de la vertu sur le trône, comme » les artistes de l'antiquité cherchaient à imprimer

(1) Suivant une opinion généralement adoptée, l'archevêque de Cambrai naquit au château de Lamothe-Fénélon, petite commune qui fait aujourd'hui partie du canton de Payrac. Quelques biographes sont d'un avis contraire, et affirment que Fénélon est né à Lamothe-Salignac, dans le département de la Dordogne. Il y quelques années, on trouva à Gourdon une lettre que Mme de Fénélon écrivait à un pharmacien nommé Lacombe; elle renferme la demande de quelques remèdes nécessaires aux femmes qui relèvent de couches; elle est datée du 10 août, quatre jours après la naissance de Fénélon. Tout porte donc à croire que l'archevêque de Cambrai vit le jour à Lamothe-Fénélon en Quercy, et non à Lamothe-Salignac en Périgord.

D'ailleurs, l'auteur du Télémaque passa les premières années de sa vie en Quercy, et fit ses études au collège de Cahors : il posséda long-temps l'abbaye de Carenac. Les habitans de ce pays sont persuadés qu'il se plaisait dans ce séjour, et qu'il le visita fréquemment. On montre les lieux où il aimait à se livrer à ses sublimes revê-ies. Une ile, qui est en face de l'abbaye, a reçu le nom d'Ile de Calypso. Si on remonte le cours de la Dordogne, on trouve une autre lle, où il composa l'ode intitulée les Montagnes d'Auvergne.

<< On voit encore au quatrième étage d'une tour qui dé

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à leurs ouvrages, ce beau idéal 'qui donnait aux >> formes humaines une expression surnaturelle et có>> leste.

>> L'enfant confié aux soins de Fénélon était ap» pelé à régner, et Fénélon voyait, dans cet enfant, >> la France entière, qui attendait son bonheur ou » son malheur du succès de ses soins; ainsi il n'eut » qu'une seule méthode, celle de n'en avoir aucune, » ou plutôt il ne se prescrivit qu'une seule règle, celle » d'observer à chaque moment le caractère du jeune prince, de suivre avec une attention calme et pa>>tiente, toutes les variations et tous les écarts de ce » tempérament fougueux et de faire toujours ressortir » la leçon de la faute même.

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>> Une pareille éducation devait être en action bien >> plus qu'en instruction: l'élève ne pouvait jamais

pend des anciens bâtimens de l'abbaye, une pièce à murailles nues, dont la cheminée est ornée d'un grand nombre de sculp tures, et qu'on nomme le Cabinet de Fénélon. On prétend dans le pays que l'illustre prélat y a composé une partie de ses ouvrages. Ce cabinet est l'objet de visites fréquentes; toutes les pierres y sont couvertes des noms des admirateurs des talens et des vertus de l'archevêque de Cambrai. >>

(Voyage Pittoresque.)

» prévoir la leçon qui l'attendait, parce qu'il ne pou>> vait prévoir lui-même les torts dont il se rendait » coupable par l'emportement de son humeur. Ainsi » les avis et les reproches étaient toujours le résultat <»> nécessaire et naturel des excès auxquels il s'était >> abandonné.

>> Lorsque le jeune prince se livrait à ses accès de » colère et d'impatience, auxquels son naturel iras» cible ne le rendait que trop sujet, alors le gou>> verneur, le précepteur, les instituteurs, tous les >> officiers et tous les domestiques de sa maison, se » concertaient sans affectation pour observer avec lui >> le plus profond silence. On évitait de répondre à >>> ses questions; on le servait en détournant les re>>> gards, ou en ne les portant sur lui qu'avec une » espèce d'effroi, comme si on eût craint de se mettre >> en société avec un être qui s'était dégradé lui-même, » par des fureurs incompatibles avec la raison. On » paraissait ne s'occuper de lai que par cette espèce » de compassion humiliante que l'on accorde aux mal>> heureux dont la raison est aliénée. On se bornait à » lui offrir les soins et les secours nécessaires à la » conservation de sa misérable existence. On lui re» tirait tous ses livres, tous ses moyens d'instruction, >> comme devenus désormais inutiles à l'état déplo»rable où il se trouvait réduit; on l'abandonnait ainsi » à lui-même, à ses réflexions, à ses regrets et à ses >>> remords. Frappé de cet abandon universel, de cette » solitude effrayante, le malheureux jeune homme, >> trop convaincu de ses torts et de son ingratitude, >> aimait à se confier encore en l'indulgence et la bonté >> si souvent éprouvées de son précepteur, venait se >> jeter à ses pieds, lui faire l'aven de ses fautes, dé» poser dans son cœur la ferme résolution de prendre >> plus d'empire sur lui-même, et arroser de ses larmes >> les mains de Fénélon, qui le pressait contre son > sein avec la tendre affection d'un père compatis»sant, toujours accessible au repentir.

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» Dans ces combats si violens d'un caractère im>> pétueux, avec une raison prématurée, le jeune >> prince semblait se méfier de lui-même, et il ap>> pelait l'honneur en garantie de ses promesses. On a >> encore les originaux de deux engagemens d'honneur, » qu'il déposa entre les mains de Fénélon :

» Je promets, foi de prince, à M. l'abbé de Fé»nélon, de faire sur le champ ce qu'il m'ordonnera, » et de lui obéir dans le moment qu'il me défendra » quelque chose; et si j'y manque, je me soumets » à toutes sortes de punitions et de déshonneur. Fait » à Versailles, le 29 novembre 1689.

>> Signé Louis. »

<«< Louis, qui promets de nouveau de mieux tenir » ma promesse. Ce 20 Septembre. Je prie M. de » Fénélon de la garder encore. ››

« Le prince qui souscrivait ces engagemens d'hon>> neur, n'avait encore que huit ans, et déjà il sentait >> la force de ces mots magiques, foi de prince et >> d'honneur.

>> Dans ces momens propices, si favorables pour >> graver dans un cœur sensible et honnête une im>>pression profonde et durable, Fénélon se voyait MOSAÏQUE DU MIDL· 3o Année.

» heureusement dispensé de rappeler avec sévérité, des » torts que le jeune homme so reprochait lui-même >> avec amertume. Il ne s'occupait qu'à relever son » ame abattue, à lui inspirer une utile confiance en » ses propres forces, et à adoucir par les consolations >> les plus affectueuses, la honte de s'être avili par »> ses excès.

» Fénélon lui-même ne fut pas à l'abri des viva» cités de son élève. On nous a conservé le récit de » la manière dont Fénélon se conduisit dans une cir>> constance délicate. Le parti qu'il sut en tirer fut >> une leçon qui ne s'effaça jamais de l'esprit et du » cœur de M. le duc de Bourgogne. Cette conduite » de Fénélon peut servir de modèle à tous ceux qui » sont appelés à exercer des fonctions du même genre >> auprès des enfans des princes et des grands.

» Fénélon s'était vu forcé de parler à son élève, » avec une autorité et même une sévérité qu'exigeait » la nature de la faute dont il s'était rendu coupable; » le jeune prince se permit de lui répondre : Non, » non, Monsieur, je sais qui je suis et qui vous êtes. » Fénélon fidèle aux maximes qu'il avait enseignées » lui-même dans son traité de l'éducation, ne répon>> dit pas un seul mot; il sentit que le moment n'était » pas venu, et que dans la disposition où se trouvait » son élève, il n'était pas en état de l'entendre. Il >> parut se recueillir en silence, et se contenta de » marquer par l'impression sérieuse et triste qu'il » donna à son maintien, qu'il était profondément » blessé. Il affecta de ne plus lui parler de la jour» née, voulant préparer par cette espèce de séparation » anticipée, l'effet de la scène qu'il méditait, et qu'il » voulait rendre assez imposante pour que le jeune » prince n'en perdit jamais le souvenir.

» Le lendemain, à peine M. le duc de Bourgogne » fut éveillé, que Fénélon entra chez lui; il n'avait >> pas voulu attendre l'heure ordinaire de son travail, >> afin que tout ce qu'il avait à lui dire parùt plus » marqué, et frappåt plus fortement l'imagination du » jeune prince. Fénélon lui adressant aussitôt la parole » avec une gravité froide et respectueuse, bien dif»férente de sa manière habituelle, lui dit : Je ne sais, » Monsieur, si vous vous rappelez ce que vous m'avez » dit hier que vous saviez ce que vous êtes, et ce que » je suis; il est de mon devoir de vous apprendre que » vous ignorez l'un et l'autre. Vous vous imaginez donc, Monsieur, être plus que moi; quelques va» lets, sans doute, vous l'auront dit; et moi je ne >> crains pas de vous dire, puisque vous m'y forcez, » que je suis plus que vous. Vous comprenez assez » qu'il n'est pas ici question de la naissance? Vous >> regarderiez comme un insensé celui qui prétendrait » se faire un mérite de ce que la pluie du ciel a fer» tilisé sa moisson sans arroser celle de son voisin. >> Vous ne scriez pas plus sage, si vous vouliez tirer » vanité de votre naissance, qui n'ajoute rien à votre » mérite personnel. Vous ne sauriez douter que je suis >> au-dessus de vous par les lumières et les connais»sances. Vous ne savez que ce que je vous ai appris; » et ce que je vous ai appris n'est rien, comparé à » ce qu'il me resterait à vous apprendre. Quant à »>!'autorité, vous n'en avez aucune sur moi, et je » l'ai moi-même, au contraire, pleine et entière sur

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» vous. Le roi et Monseigneur vous l'ont dit assez >> souvent. Vous croyez peut-être que je m'estime fort » heureux d'être pourvu de l'emploi que j'exerce au>> près de vous; désabusez-vous encore, Monsieur; » je ne m'en suis chargé que pour obéir au roi, et » faire plaisir à Monseigneur, et nullement pour le >> pénible avantage d'être votre précepteur; et afin que >> vous n'en doutiez pas, je vais vous conduire chez »sa Majesté, pour la supplier de vous en nommer un >> autre, dont je souhaite que les soins soient plus >> heureux que les miens.

» Le duc de Bourgogne, que la conduite sèche et >> froide de son précepteur, depuis la scène de la veille, >> et les réflexions d'une nuit entière passée dans les >> regrets et l'anxiété, avaient accablé de douleur, » fut attéré par cette déclaration. Il chérissait Fénélon » avec toute la tendresse d'un fils; et d'ailleurs son >> amour-propre et un sentiment délicat sur l'opinion >> publique lui faisaient déjà pressentir tout ce que l'on >> penserait de lui, si un instituteur du mérite de Fé>>nélon se voyait forcé de renoncer à son éducation. >> Les larmes, les soupirs, la crainte, la honte, lui >> permirent à peine de prononcer ces paroles entre» coupées à chaque instant par ses sanglots: Ah! » Monsieur, Je suis désespéré de ce qui s'est passé >> hier; si vous parlez au roi, vous me ferez perdre » son amitié...; si vous m'abandonnez, que pensera>>t-on de moi! Je vous promets..... je vous promets » que vous serez content de moi... mais promettez>> moi.....

» Fénélon ne voulut rien promettre; il le laissa un » jour entier dans l'inquiétude et l'incertitude.

» Ce ne fut que lorsqu'il eut lieu d'être bien con>> vaincu de la sincérité de son repentir, qu'il parut céder à ses nouvelles supplications, et aux instances » de Mme de Maintenon, qu'on avait fait intervenir » dans cette scène pour lui donner plus d'effet et d'ap>> pareil.

» Ce fut par tous ces moyens heureusement combi» nés, et par cette suite continuelle d'observations, de » patience et de soins, que Fénélon parvint à rompre » peu à peu le caractère violent de son élève, et à cal» mer ses passions impétueuses. C'était surtout vers » cet objet si essentiel, que M. de Beauvilliers et lui >> avaient dirigé tous leurs soins et tous leurs efforts; » l'un et l'autre en reçurent la récompense. La suite >>> de cette histoire fera voir que celui de tous les princes » qui a été le moins flatté par ses instituteurs, le >> prince à qui l'on a dit les vérités les plus fortes et » les plus sévères dans son enfance et dans sa jeunesse, » a été celui qui a conservé la plus tendre reconnais»sance pour les hommes vertueux qui avaient présidé » à son éducation. »>

Les premières années de l'éducation du duc de Bourgogne furent peut-être l'époque la plus heureuse de la vie de Fénélon. Il avait obtenu sur le jeune prince un utile ascendant; il avait dompté son caractère; il avait ouvert son cœur à tous les sentimens vertueux; il avait dirigé son esprit vers les sciences utiles et agréables, avec une rapidité dont l'éducation d'aucun prince ne pouvait offrir d'exemple. Fénélon voyait déjà se réaliser dans l'avenir ces systèmes de justice, de paix et de bonheur qui devaient succéder aux fracas des con

quêtes et aux illusions de la gloire. Avec cette brillante perspective devant les yeux, il jouissait de l'estime de la cour; il comptait autant d'amis qu'il y avait de personnages illustres dans les hauts emplois de l'état et de l'église; le roi venait enfin de lui donner une marque de sa satisfaction personnelle. Il le nomma à l'abbaye de St-Valery; il voulut le lui annoncer lui-même et lui fit, pour ainsi dire, des excuses d'un témoignage si tardif de sa reconnaissance et de sa bonté. Telle était la situation heureuse et brillante de Fénélon, quand les malheureuses querelles du quiétisme vinrent troubler le cours de ses prospérités et ouvrir la source des chagrins et des disgrâces qui ne finirent qu'avec sa vie. Les historiens ont écrit des volumes sur cette controverse théologique. Nous nous contenterons d'en donner une simple idée.

Il y avait déjà quelques années que plusieurs évêques réunis à des prêtres d'un savoir éminent, s'occupaient d'examiner une doctrine nouvelle qu'avait répandue à la cour et dans le monde une femme célèbre par son esprit et par ses vertus, Mee Guyon. Le principe fondamental de cette doctrine était que la perfection consiste dans un acte continuel et invariable de contemplation et d'Amour de Dieu. La controverse durait encore entre les évêques, Bossuet s'était déclaré contre le quiétisme. Fénélon prétendait que Mme Guyon avait pu errer dans les expressions, mais qu'il était assuré qu'elle n'avait jamais eu que des intentions pures. Luimême il partageait ses opinions sur cette doctrine, toutefois en les modifiant et les corrigeant jusqu'à un certain point. Ces disputes duraient encore: Louis XIV n'en était pas instruit; il nomma Fénélon à l'archevêché de Cambrai, en lui disant vous ne donnerez à mes petits-fils que trois mois et vous surveillerez de Cambrai leur éducation pendant le reste de l'année.

Bossuet avait composé contre la doctrine de Mme Guyon son Traité sur l'état d'Oraison, que plusieurs évêques avaient revêtu de leur approbation. Mais Fénélon lui refusa la sienne et fit paraître son livre des Maximes des Saints, où se trouvait exposée une doctrine contraire, fondée sur les principes du quiétisme qu'il soutenait. Dès lors Bossuet ne garda plus aucun ménagement: la rupture entre ces deux grands hommes devint publique, éclatante. Louis XIV alarmé du danger que ses petis-fils n'eussent été nourris dans des sentimens contraires à la foi catholique, et des suites que pourrait avoir une hérésie nouvelle renvoya Fénélon de la cour et tous ses parens furent disgrâciés. Cependant il voulut bien accorder aux larmes du duc de Bourgogne, que Fénélon conservât le titre de précepteur des princes ses petis-fils.

Fénélon soumit son livre au jugement du souverain pontife. Mais en attendant son jugement, il s'engagea une controverse très-animée entre Bossuet et Fénélon. On vit couler de ces plumes fécondes une foule d'écrits qui divertirent le public et affligèrent l'Église par la division de deux hommes dont l'union lui aurait étó aussi précieuse qu'utile.

Après vingt mois d'instances et de sollicitations, lo jugement du pape fut enfin rendu, le 12 mars 1699. par un bref qui condamnait vingt-trois propositions extraites des Maximes des Saints. Dès lors les disputes cessèrent. Fénélon se soumit.

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