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quelques années... non... non... je n'y consentirai pas. Charles de Navarre, quoique les Français l'aient surnommé le mauvais, ne jouera pas le rôle de bourreau à son heure dernière.

Monseigneur le roi, s'écria Isabella, vous savez combien je vous aime; depuis deux ans je suis auprès de vous; c'est moi qui vous console lorsque vous êtes affligé; je ne vous demande qu'une seule grâce pour prix de mon amour... Prenez mon sang, vivez longtemps encore pour le bonheur de vos peuples de Navarre.

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Non, non Isabella! Plutôt mourir à l'instant, s'écria Charles, qui se leva en sursaut pour embrasser la jeune fille. D'ailleurs il est d'autres remèdes.

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Oui, monseigneur le roi, dit le médecin maure, et je suis persuadé que celui de Rodrigo d'Urris mettrait vos jours en très grand danger.

-Ecoutez, messeigneurs, ajouta Karisi en appelant les gentilshommes qui se tenaient immobiles dans l'appartement du roi : je jure le nom du grand prophète, que le fait que je vais vous raconter est aussi vrai que les saintes doctrines du Koran. Sachez, messeigneurs, qu'à Bagdad vivait, il y a six ans, un riche marchand qui possédait dans son harem les plus belles captives de l'Orient. Il se livra avec excès aux plaisirs de l'amour, et fut réduit à un tel état de faiblesse qu'on désespérait de ses jours. Les médecins l'avaient abandonné, lorsqu'un sage de l'Inde qui était venu à Bagdad pour étudier la médecine, entra dans sa maison, et lui promit de le guérir dans trois jours: il ordonna aux esclaves du marchand d'envelopper leur maître de linges trempés dans l'esprit de vin; on réitéra le remède et le troisième jour le malade avait recouvré sa première vigueur.

Admirable, admirable! s'écrièrent les seigneurs

navarrais.

Karisi, dit le roi, après avoir réfléchi quelques instans, je ne sais si l'histoire du marchand de Bagdad est vraie; mais le remède me paraît ingénieux; je consens à en faire l'essai, et demain je saurai si tu es un habile médecin, ou un misérable charlatan envoyé par le diable pour faire mourir les rois chrétiens. Si je guéris, je te donnerai autant d'or que tu pourras en porter dans les pans de ta robe; si tu me trompes, tu seras écorché vif, et j'enverrai ta peau au calife de Damas.

Que le prophète m'abandonne, si Charles de Navarre ne recouvre pas la santé dans trois jours, répondit Karisi en portant la main au croissant d'or qui brillait au-dessus de son turban.

Et il sortit avec Rodrigo d'Urris pour aller faire les préparatifs de sa cure merveilleuse.

Que pensez-vous du médecin maure, mes cousins? dit le roi aux seigneurs qui se trouvaient debout près de son lit...

-

- Il faut se méfier des infidèles, dit le comte d'Armagnac; qui vous a dit, monseigneur le roi, que les maures d'Espagne n'ont pas envoyé le médecin Karisi pour attenter à vos jours?

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- Le remède de Rodrigo d'Urris me paraît encore plus étrange que celui de Karisi, dit le sire d'Albret, et je crois que le maure a raison.

Nous le surveillerons de si près, qu'il lui sera

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impossible de nous tromper, à moins qu'il n'ait pris la résolution de mourir victime de son fanatisme, ajouta madame Agnès de Navarre.

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Vous dissipez toutes mes craintes, madame ma sœur, dit le roi Charles donnez vos ordres à tous mes serviteurs; qu'aucune des démarches du maure Karisi n'échappe à leur vigilance.

Ayez confiance en la miséricorde divine, dit le prieur de Roncevaux; livrez-vous à sa puissante sauvegarde.

Et au hasard de la médecine, reprit le roi avec un sourire forcé... A demain, messeigneurs; vous verrez si Charles de Navarre a assez de courage pour faire bon jeu des derniers jours d'une vie qui lui échappe.

A ces mots, il fit signe aux gentilshommes navarrais de se retirer, et ne garda près de lui que le prieur de Roncevaux et Isabella.

Après un long entretien avec le prieur, son confesseur, il congédia aussi l'homme de Dieu, et resta seul avec la jeune fille.

Tu passeras la nuit près de moi, Isabella, lui dit-il; tu me réveilleras lorsque des songes pénibles troubleront mon sommeil.

Je veillerai près de vous comme votre bon ange, monseigneur le roi.

Près de moi, dit Charles de Navarre, et il s'endormit en recevant les tendres adieux de sa chère Isabella.

L'appartement royal du palais de Pampelune présenta alors un étrange tableau: d'un côté, une longue galerie de tableaux représentant quelques rois de Navarre, et qu'on eût dit se mouvoir à la clarté vacillante des flambeaux; de l'autre, la couche royale, sur laquelle gisait un homme rongé par la lèpre, et, au bord de cette couche, une jeune fille belle de toutes les grâces du premier âge, veiliait, les deux mains croisées sur sa poitrine, les yeux tantôt fixés vers le ciel, tantôt baissés sur le cadavre qui se débattait contre les angoisses de la mort. Quiconque eût été admis à contempler cette scène bizarre, eût cru voir un angegardien couvrant de ses ailes un pécheur, pour lo soustraire à la puissance de l'enfer.

Le roi dormit pendant deux longues heures d'un sommeil tranquille, et Isabella rendait grâces au ciel de cet instant de repos qu'il accordait à l'infortuné Charles de Navarre. Vers minuit, le moribond se réveilla en poussant des cris affreux.

- Isabella! Isabella! Où es-tu ?

Près de vous, monseigneur, répondit la jeune fille qui tremblait de tout son corps.

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Isabella, c'est fait de moi; je sens un feu brùlant qui me dévore les entrailles... L'enfer s'entr'ouvro pour m'engloutir... Ne vois-tu pas ces spectres hideux qui m'entraînent au fond des abîmes...

- Grâce! grâce, mon Dieu! s'écria Isabella; gráco pour Charles de Navarre!

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Voici le prieur de Roncevaux, dit-elle à Charles de Navarre.

Bien, bien, Isabella, laisse-nous seuls.

Elle se retira à petits pas, et alla s'agenouiller pres de l'oratoire; elle pria avec ferveur pendant que le roi se disposait à faire sa confession. Il eut assez de force pour se tenir à demi-penché sur sa couche.

Charles de Navarre, lui dit le prieur de Roncevaux, implore humblement la miséricorde divine, et fais-moi l'aveu de tes crimes.

-De mes crimes, répondit le roi d'une voix étouffée... Pendant une heure on n'entendit dans l'appartement que les cris d'étonnement du prieur de Roncevaux, et les soupirs étouffés du moribond: enfin le prêtre rompit ce lugubre entretien, et s'écria:

Charles de Navarre, tu es bien coupable, mais au nom du Sauveur mort sur la croix, je t'absous.

Les consolations du prêtre, le calme qui survient toujours lorsqu'on croit avoir accompli une chose sainte, rendirent moins insupportables les douleurs du roi; la tendre Isabella reprit sa place aussitôt que le prieur de Roncevaux sortit pour aller célébrer les mystères sacrés dans la chapelle du palais. Charles s'entretint long-temps avec elle, et, au point du jour, il demanda à parler à don Ramir de Asiayn, gouverneur de Navarre ce seigneur arrivait de France et portait des dépêches à son maître. Isabella fut encore chargée de le conduire secrètement dans l'appartement du roi qui s'informa avec empressement de tout ce qui s'était passé depuis le commencement de sa maladie.

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Monseigneur le roi, dit don Ramir Asiayn, vous venez de perdre tous vos domaines du nord; en Normandie il ne vous reste plus que Cherbourg; le roi de France vous a déclaré une guerre à mort, et Henri de Castille se prépare à envahir la Navarre.

Tous mes ennemis se sont donc ligués contre moil s'écria Charles...

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Vos fidèles sujets de Navarre.

Leurs efforts réunis pourront-ils repousser à la fois le roi de France et le roi de Castille? non... c'est impossible, don Ramir; il ne me reste qu'à mourir ! hélas! je n'ai que trop vécu.

L'impression de ces sinistres nouvelles fut très funeste à Charles qui tomba quelques instans après dans d'horribles convulsions; ses cris ressemblaient aux hurlemens d'une bète féroce; la main de dieu frappait l'impie Achab qui s'était engraissé du sang de son peuple.

Isabella, le prieur de Roncevaux, don Ramir, le comte d'Armagnac, le sire d'Albret et les autres seigneurs Navarrais qui se trouvaient alors à Pampelune, furent appelés près du lit de mort. Charles, affaibli par les longues douleurs de sa cruelle maladie, ne souffrait plus; il était à l'agonie.

Don Ramir de Asiayn, dit-il à son chambellan, vous êtes gouverneur de Navarre; c'est à vous que je confie le soin de faire reconnaître roi Charles mon fils, par tous mes sujets.

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Vos dernières volontés seront accomplies, monseigneur le roi, répondit don Ramir.

Et vous, prieur de Roncevaux, ajouta Charles, d'une voix si faible qu'on pouvait à peine l'entendre écoutez mes paroles: je veux que mes entrailles soient portées à Sainte-Marie de Roncevaux, mon cœur à Sainte-Marie d'Uxoa, et que mon corps soit enseveli en la grande église de Pampelune, auprès de celui do Jeanne de France, reine de Navarre, mon épouse. Il sera fait ainsi, monseigneur le roi. Isabella, s'écria Charles, viens près de moi, si tu ne crains pas de respirer l'haleine d'un trépassé; embrasse ton maître pour la dernière fois... Ma fille quand je serai mort, il n'y aura plus personne ici pour te protéger; alors tu te choisiras pour retraite l'abbaye de Roncevaux; le prieur sera ton ami, ton protecteur après moi.

Les adieux furent déchirans, et on n'entendait que sanglots, lorsque Rodrigo d'Urris et Karisi le médecin maure entrèrent dans l'appartement royal; ils étaient suivis de nombreux valets qui portaient des linges imbibés d'eau-de-vie. Le roi, dominé par un pressentiment qu'il ne pouvait vaincre, hésita long-temps avant de se livrer aux mains de ses deux médecins; vaincu par les supplications d'Isabella et d'Agnès de Navarre, sa sœur, il céda enfin,

- Nous verrons, dit-il, si la médecine peut triompher de la mort, et si le remède de Karisi peut ranimer un cadavre.

Les seigneurs se retirèrent à l'extrémité de l'appartement, pendant que les deux médecins et les valets étendaient autour du corps du roi les linges imbibés d'eau-de-vie; tout allait d'abord au mieux; Charles, ranimé par une chaleur factice, s'écria qu'il se sentait soulagé. Les seigneurs, qui s'étaient éloignés, se rapprochèrent pour être témoins oculaires de cette cure merveilleuse.

« Les médecins avaient ordonné, dit Favyn, que le >> roi fut enveloppé et couché étroitement dans le drap >> mouillé et trempé d'eau-de-vie; celui qui le cousait » ayant rachevé, voulut rompre le fil, le brûlant avec » la bougie de laquelle on l'éclairait, une bluette de >> cette bougie étant tombée sur les draps, y prit tout >> aussitôt, s'enflamma et ensuite les draps, le ciel et » les rideaux du roi malade, le brûlèrent misérable» ment tout vif (1). »

En vain on s'empressa de lui porter secours; la flamme l'eut bientôt étouffé.

Les seigneurs navarrais présens à cet affreux spectacle, dit la chronique, s'écriaient que le roi Charles était mort ainsi consumé par punition divine, pour avoir accablé son peuple d'impôts et de subsides, troublé le repos des princes voisins, attenté sur leurs états et vies par séditions, massacres et empoisonnemens qui lui firent donner le surnom de cruel et de mauvais.

Charles de Navarre décéda à Pampelune le mardi premier de janvier 1386, âgé de 62 ans, 2 mois et 22 jours, après un règne de 37 ans 2 mois et 25 jours.

Il était né avec toutes les vertus d'un grand prince; mais il eut le malheur de vivre dans un siècle où les rois et leurs vassaux fesaient assaut de crimes et de perfidies; il ne subit que trop la funeste influence de cet âge de fer. J.-M. CAYLA.

(1) Histoire de Navarre; par André Favyn.

DE L'ORIGINE DES EUSCARIENS OU BASQUES.

Errazu!

Nonco cirade zu?

Dites vous !

D'où êtes-vous, vous ? (Barde euscarien.)

Les Euscariens, vulgairement appelés dans l'histoire Cantabres, Vascons et Basques, forment, au sein des Pyrénées occidentales, un petit peuple éminemment distingué des nations voisines par l'originalité de sa langue, la singularité de ses lois et de ses mœurs, et par tout l'ensemble d'une physionomie antique et mystérieuse empreinte d'une majesté sauvage en harmonie avec la pompe agreste des montagnes. La nation des Basques se divise en sept principales familles ou peuplades qui offrent des nuances marquées dans la couleur d'une même origine, et parlent chacune un dialecte de l'idiome curieux que les montagnards appellent Escu-ara. Cet idiome, qui n'a d'analogie avec aucune des langues connues, a été regardé par eux, dans tous les temps, comme la marque distinctive de leur origine. De là le nom de Escu-al-dun qu'ils se donnèrent entr'eux, lors de leur établissement dans les Pyrénées occidentales; de là l'usage où les Basques sont encore de désigner par le nom unique et général de Escu-al-Erria (pays où l'on parle cuscarien) l'Alava, le Guipuzcoa, la Biscaïe, les deux Navarres, la Soule et le Labourt, principales divisions de leur territoire, entre la Péninsule hispanique et l'ancienne Gaule (1).

Les premières clartés de l'histoire européenne nous montrent les Basques établis dans les Pyrénées occidentales, et resserrés à peu près dans les mêmes limites que de nos jours. A quelle source lointaine doit-on rapporter leur origine? L'antiquité des Basques au sein des montagnes; la position géographique de cette partie de la chaîne, à l'extrémité d'une contrée vaste et fertile comme l'Espagne, au recoin du golfe le plus orageux de l'Océan, et à peu de distance de ce promontoire redouté que les anciens désignaient comme la limite du monde, tout fait d'abord présumer que les peuplades

(1) Les historiens grecs et romains eurent toujours une extrême répugnance à consacrer les dénominations nationales des Euscariens; leur nouveauté les leur rendait bizarres ; l'incompatibité des langues rendait l'emprunt difficile. Pomponius Mela lui-même se dispense de donner la nomenclature des peuples de la Cantabrie, sous prétexte qu'une oreille romaine ne saurait retenir les inflexions de la langue des montagnards, ni un auteur plier aux désinences latines ces terminaisons originales et rebelles. Ce furent les Romains qui, suivant le témoignage d'Isidore, donnèrent à la Biscafe le nom de Cantabrie, de Cantua, l'une de ses principales villes et du fleuve Ebre. Les mêmes Romains donnèrent à la Navarre, (Nava-erri, région des vallées), le nom de Vasconie, à cause, dit-on, de la richesse de ses pâturages et de la vie nomade à laquelle ces Euscariens s'adonnaient dans leurs vallées.

euscariennes n'étaient point une colonie particulière confinée dans les Pyrénées comme par hasard. L'idiome basque vient à l'appui de cette induction le caracpar tère de son génie et de ses dialectes. En effet, chaque dialecte de cet idiome original forme comme une langue distincte, avec une foule d'expressions qui lui sont propres. Une loi sévère conserve à chacun son génie et ses désinences, et leur mélange dans le discours serait une corruption bizarre. A cette marque l'on reconnaît aisément la langue d'un grand peuple répandu au loin dans les plaines, tout à coup dispersé par quelque grande invasion, et dont les débris refoulés dans les vallées des Pyrénées, conservèrent avec l'idiome national, les dialectes particuliers des provinces dont ils étaient repoussés. Ainsi, dit Mariana, l'on a mille preuves que les Basques ont conservé dans les montagnes, avec leur indépendance, un idiome original anciennement répandu dans tout le continent de la Pénin-` sule hispanique. Les noms anciens des villes et des provinces de l'Espagne appartiennent évidemment à I'idiome basque; même, la plupart de ces noms primitifs Eli-berri, Ar-ondo-a, Ar-unci-a, Curica, Arpheza, Ar-za, Ur-i-a, Su-gar-ra, Ur-co-a, Ur-ceilla, Ots-icerda, Subi-iri-a, Ur-ce, Bet-hul-orre, Ud-ur-a, Ituri-asco, Car-ca, Ur-bi-a-ca, Ur-bi-on, Ucul-tu-nia-co, A-es-co-a, Il-ur-ce, Illi-ce, An-daurritce (1), et une infinité d'autres, cités dans Strabon, Pline et Pomponius Mela, subsistent encore dans les Pyrénées occidentales, appliqués par les Basques aux sites et aux bourgades de leurs vallées; comme en mémoire de ces grandes villes des plaines abandonnées au jour de la dispersion, et dont les siècles, les invasions et les dominations diverses ont effacé les ruines et les souvenirs.

Dans une haute antiquité au-delà de laquelle dorment dans la poussière et les ténèbres quelques débris inaperçus, deux grands peuples, les Celtes et les Phéniciens, ont envahi l'Espagne et se sont comme partagé la domination de ce beau pays. Les Basques appartiendraient-ils à l'un ou à l'autre de ces peuples? L'on ne découvre en faveur de cette pensée ni la tradition poétique la plus fugitive, ni l'ombre la plus légère d'une donnée historique. Tout au contraire, l'idiome euscarien et la primitive religion des Basques prouvent

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que ces montagnards n'eurent jamais rien de commun avec les Phéniciens ou les Celtes, et qu'ils appartenaient à une race d'hommes bien distincte.

La langue phénicienne, jadis si répandue avec le commerce de ce peuple industrieux et tombée avec Carthage, n'a laissé qu'un nom célèbre, les ruines de quelques expressions recueillies par Brochart, et un fragment de quelques vers conservés dans une comédie de Plaute. Ces termes puniques, dans leurs élémens, leur contexture, leurs désinences, n'offrent pas le plus léger vestige d'euscarien. La religion différait également chez les deux peuples car ce serait une étrange erreur de chercher des traces d'un culte à Diane dans ces fêtes nocturnes dont la pleine-lune donnait le signal parmi les Basques, le long des Pyrénées occidentales et des rives de l'Océan. Les noms employés pour désigner cet astre, dans les divers dialectes de l'idiome euscarien Il-argui-a, argui-es-egui-a, Argui-izari-a, prouvent indépendamment de l'histoire, que les montagnards ne faisaient point de ce flambeau des morts, de cette lumière empruntée, de cette horloge mystérieuse des siècles, l'objet d'un culte idolâtre. Ils avaient reçu de leurs ancêtres les plus belles notions de la divinité, et adoraient, suivant Strabon, le dieu caché inconnu aux autres peuples. Ils lui donnaient, en leur langue, le nom de 1-ON-GOI-CO-A (l'Etre par excellence qui est en haut); et de nos jours encore, les Basques n'en connaissent point d'autre pour désigner la divinité. Les montagnards n'élevèrent à Dieu dans les Pyrénées ni temples ni autels : ils ne lui rendirent d'autre culte que de joyeuses fêtes célébrées aux rayons de la nouvelle lune, dans le calme imposant de la nuit.

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Les Basques n'étaient point d'origine phénicienne : étaient-ils une famille de Celtes? Les Celtes sont peu connus dans l'histoire les Romains, jaloux de fixer sur eux toute l'admiration de l'avenir, ont dérobé à ses regards le portrait de ces illustres vaincus qu'ils appelaient barbares. Chez les Celtes un dogme sacré défendait de rien écrire: leurs annales mystérieuses, renfermées dans des chants religieux et allégoriques, expirèrent dans les airs, avec les derniers sons de la lyre des Bardes gaulois. Il suffit de savoir que la langue du Celte, apre et rudement énergique, comparée par les auteurs au hurlement des loups, au croassement des corbeaux, différait en tout de l idiome musical des Vascons; de cet idiome d'une prononciation douce et large, qui construit ses mots sans doubles consonnes, sur des vocales redoublées, sons primitifs et d'inspiration. Les Basques différaient des Gaulois par la religion comme par le langage. Nulle part, l'on ne découvre dans les Pyrénées occidentales comme dans la Grande Bretagne où l'Armorique, les traces et les débris du vieux culte des Gaulois; ces autels informes de pierre, ces monumens gigantesques que Timagination se refuse à regarder comme l'ouvrage de la main débile de l'homme, et qu'elle croirait plutôt s'être arrangés d'eux-mêmes, aux évocations magiques des Druides, dans la solitude des forêts. Les bùchers où brùlaient en foule les victimes de l'horrible culte d'Hiësus éclairèrent les danses des Celtes dans les sombres forêts des Gaules pendant ce temps, les Cantabres, aux rayons de la pleine-lune, autour du chene antique et sous l'inspection des vieillards, se

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livraient gaîment à leurs danses circulaires; et dans l'enceinte de leurs vallées si souvent arrosées de sang, la liberté seule eut des martyrs.

Ici, joignant des lumières déja recueillies à celles que nous fournit l'histoire, il faut, à l'aide de ce fanal, remonter à une antiquité de plus de quarante siècles, et dévoiler la source de l'origine des Basques dans la population ibérienne, antérieure, dans la péninsule hispanique, aux Celies et aux Phéniciens. Les Ibères, dit Appien, furent sans contredit les premiers habitans de l'Espagne; et c'est de ce peuple primitif que les Basques tirent leur origine. Sénèque nous en fournit la preuve. Ce philosophe, espagnol de naissance, exilé en Corse, écrivait à sa mère, que dans les siècles reculés, une colonie ibérienne était venue peupler cette île que l'on reconnaissait encore chez les Corses la coiffure et la chaussure des Ibères et même leur langue, quoique déja corrompue par le mélange du grec et du ligurien. Sénèque ajoute que ce costume et cet idiome ibérien ne se trouvaient plus en Espagne que parmi les Cantabres des Pyrénées. Qui dit Cantabre dit Vascon : les poètes et les historiens se servent de l'une ou de l'autre de ces dénominations indistinctement, pour désigner la généralité des Euscariens ou Basques.

Varron croyait les Ibères originaires de l'Asie; plus généralement les anciens les regardaient comme une population indigène dans l'Espagne de là vient que le poète Silius applique l'épithète d'indigène aux Basques, débris curieux, vivante image de cette vieille population.

De grandes révolutions physiques travaillent la nature à de longs intervalles. Dans ces bouleversemens périodiques, nécessaires à la durée de la machine, au maintien de son harmonie, quelques débris des générations éteintes survivent disséminés. La nature sortie de crise déploie un luxe désordonné dans toutes ses productions; la sève de feu qui fait son âme, jouit alors d'une prodigieuse activité : c'est le temps des géans et des monstres. Peu à peu cette fougue s'épuise, l'ordre se rétablit; à des jours d'orage, succèdent des jours sereins de nouvelles sociétés d'hommes surgissent de toutes parts d'une terre rajeunie, et multiplient rapidement dans les climats doux, salubres et fertiles du Midi. D'autres peuples à leur tour grandissent dans les contrées du Nord, et fuyant une terre ingrate et des cieux d'airain, inondent le Midi de leurs hordes guerrières. Alors, de florissans empires tombent avec les monumens de leur civilisation et de leur gloire, et disparaissent, sans presque laisser de trace, sous les pas destructeurs des conquérans.

La migration des peuples du Nord, à la dernière renaissance des sociétés, avait plongé le Midi dans une profonde nuit d'ignorance et de barbarie. Il dut s'écouler bien des siècles avant que le jour de la civilisation ne vînt la dissiper les accens de la poésie marquèrent son aurore. Les souvenirs de la longue et brillante existence des peuples indigènes vivaient encore dans la mémoire de leurs vainqueurs : les poètes les célébrèrent dans leurs chants, en y mêlant, sous l'inspiration de leurs préjugés religieux, d'aimables fictions et d'ingénieuses allégories. L'histoire, plus tardive, ouvrit par ces traditions poétiques le cours de ses nobles récits.

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C'est ainsi que, bien au-delà de tous ces peuples divers dont les physionomies se groupent avec les siècles dans le passé, baignées de sang et de pleurs, ou brillantes d'une odieuse gloire, la douce et majestueuse physionomie du peuple ibérien apparaît, dans le lointain poétique, embellie des plus riantes images d'innocence et de félicité.

Et qui sait jusqu'à quel point ces délicieuses peintures de leur bonheur, ces récits de l'âge d'or pouvaient approcher de la réalité? Qui sait jusqu'à quel point ces peuples nés et multipliés sur un sol brillant et fertile, dans une paix douce et profonde, et parvenus sans transition d'esclavage ou de barbarie aux découvertes de la civilisation, pouvaient allier les sublimes connaissances à la simplicité des mœurs !....

La migration des peuples du nord, dans le midi de l'Europe, sous le nom collectif de Celtes, marqua la chute de l'empire des Ibères. L'on ne peut assigner de date à cette grande migration à peine, dans cet obscur éloignement, voyons-nous ces multitudes se

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mouvoir, comme des ombres incertaines dans l'épaisseur de la nuit.

Les Ibères, surpris par l'invasion subite des Gaulois, déployèrent l'héroïsme que l'on devait attendre d'un peuple libre, indigné de voir abolir par le glaive étranger son empire et ses lois antiques, et de se voir menacé du joug dans l'éternelle contrée de ses aïeux. La résistance fut vaine. Le Celte, grandi jusqu'à la taille des géans dans le sauvage berceau du Nord; le Celte, au visage blanc, à la blonde chevelure, avait sur l'indigène la supériorité de sa valeur exaltée par les périls des longs voyages, le besoin d'une patrie, et cette sorte d'ivresse et de fureur qui transporta les conquérans à l'aspect des douces et fertiles contrées d'Ibérie, prodigues de tous les biens.

Parmi les peuples indigènes, les uns, en s'opposant à l'invasion avec opiniâtreté, furent détruits. Ceux des rivages allèrent chercher à travers les ondes, dans leurs canots d'écorce d'arbre ou de cuir, des terres hospitalières ou désertes: quelques-uns en Irlande,

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