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Ce prince, à peine monté sur le trône de France, résolut de réunir à sa couronne la Provence et le Roussillon; ce rusé politique lutta avec tant de bonheur et d'habileté contre les Aragonnais, que Dubouchage, son lieutenant, parvint à obtenir une capitulation honorable pour les vainqueurs et pour les vaincus. Le fils de Charles VII connaissait trop l'esprit remuant des Roussilonnais, leur fidélité au roi d'Aragon, pour négliger quelques-uns des moyens les plus nécessaires au maintien de sa dénomination; plusieurs châteaux furent transformés en prisons; alors fut construite la citadelle de Perpignan, dont nous reproduisons l'historique tiré des notes lumineuses que M. Henri a insérées à la fin du second volume de son histoire de Roussillon.

«Dans les instructions que Louis XI donna à Dubouchage, en l'envoyant à Perpignan, à l'occasion de la capitulation de cette place, il lui recommande par-dessus tout de faire bâtir une citadelle, pour brider la ville et tenir en respect les habitans, et dans sa lettre du 20 avril, il lui dit de la laisser construire par Boffile comme il entendra, sauf à en faire construire ensuite une seconde de la manière qu'on le lui a indiqué, si la première ue suffit pas. Ces deux forteresses furent élevées l'une, sur l'emplacement du bastion actuel de Saint-Jacques, de son fossé et de son glacis, se prolongeant jusqu'à la porte de Canet: on lui donna le nom de grand château , par opposition au petit château ou Castillet; l'autre, sur la colline que couronnait déja le château des rois de Majorque : c'est aujourd'hui la citadelle. Nous ne pouvons rien dire de la forme du grand château, dont il n'existe plus rien aujourd'hui; quant à la citadelle, elle consista en une augmentation de l'enceinte de l'ancienne résidence des rois de Majorque.

Du temps de ces rois, il n'y avait guère autour de ce château qu'un fossé avec un pont-levis placés devant la principale porte, ainsi que le témoigne le procès-verbal de la remise qui en fut faite aux agens du roi d'Aragon, par les ordres de Jayme II. Les murailles de la ville, en allant de la porte Saint-Martin à la porte d'Elne, passaient en dehors de ce château, qui se trouvait ainsi renfermé dans l'enceinte fortifiée. Après l'extinction du royaume de Maj-rque, ce château fut converti, par Pèdre IV, en une véritable forteresse, au moyen de quelques augmentations qu'il serait bien difficile de déterminer avec exactitude à travers toutes les démolitions, reconstructions et remuemens du terrain qui ont eu lieu depuis; on découvre encore cependant sous les terrassemens, au nord et au midi, des traces d'une enceinte de murailles avec des tours garnies de barbacanes.

Cette première enceinte éprouva des changemens sous les successeurs de Pèdre, quand l'usage se répandit de garnir de canons les murailles des fortifications. Il est certain qu'il y en avait déja au château de Perpignan quand le Roussillon fut engagé à la France, puisque les Français, assiégés dans ce château par les habitans de la ville, en 1462, aplanirent un monticule qui empêchait l'artillerie de battre le quartier de Perpignan, du côté du Matatoro. Pour placer du canon sur l'enceinte de Pèdre ou de Martin, on commença par doubler les murailles dans les endroits où elles n'auraient pas été probablement assez fortes pour ré

sister à la pousséo des terres dont il fallait les charger, et on éleva un contre-mur à distance convenable, afin de pouvoir combler de remblais tout l'espace intermédiaire c'est ce qu'on reconnaît encore en quelques endroits.

Quand Louis XI voulut brider la ville par une bonne citadelle, on ne fit qu'augmenter, à ce qu'il paraît, cette enceinte de Pèdre IV, qui se terminait à l'endroit où sont les vieilles casernes construites elles-mêmes sur la contrescarpe du fossé de cette enceinte. L'enceinte nouvelle s'étendit du côté de l'orient jusqu'au delà des casernes neuves, circonscrivant ainsi toute la place d'armes actuelle.

Charles-Quint, trouvant insuffisante la citadelle de Louis XI, en augmenta la force par l'addition de deux redans unis par une courtine, et appuyés chacun par un de leurs côtés aux murailles de la ville. Ces deux redans sont remarquables en ce qu'ils semblent être le premier essai du système de fortification angulaire et ce premier essai appartient à l'Espagne et non à I'Italie. Ces redans furent terminés en 1550; mais les ordres de Charles-Quint pour commencer les travaux de restauration des fortifications de Perpignan étaient antérieurs à 1528 (1). Bien plus, une tendance vers cette fortification angulaire se fait déja apercevoir dès la fin du xv siècle dans la construction du nouveau fort de Salses, dont les tours et demi-lunes, au lieu d'être exactement rondes, présentent au contraire une sorte d'éperon saillant, qui en fait ressembler le plan à la pointe des anciens écus des chevaliers.

L'italien San-Micheli ne fit donc que perfectionner cette première idée de la fortification flanquante, dans son invention des bastions, dont les premiers furent construits par lui à Vérone, vers 1540. Vasari, qui publia sa Vie des Peintres, en 1550, fut le premier qui fit connaître cette invention de San-Micheli, dans la troisième partie de son ouvrage. Cette importante découverte fit aussitôt changer, à ce qu'il paraît, le plan arrêté en premier lieu pour la restauration des fortifications de Perpignan; on traça pour la citadelie un plan nouveau dans la forme d'un hexagone bastionné, auquel Philippe II fit travailler avec activité. Ces premiers bastions avaient, à chacun de leurs angles, une tourelle qui s'élevait à une certaine hauteur, et que, plus tard, on remplaça par des guérites saillantes. Pour former autour de la citadelle de Louis XI cette nouvelle enceinte, et pour en découvrir convenablement les approches, il fallut démolir, dit-on, environ un millier de maisons. La plupart étaient désertes et abandonnées depuis long-temps. La population de Perpignan n'était plus alors ce qu'elle avait été sous le dernier roi de Majorque; les siéges longs et calamiteux que cette ville avait soutenus avaient tellement diminué le nombre de ses habitans, que cette quantité de maisons, dont le nombre semble exagéré, ne faisait pas la moitié de celles qui se trouvaient désertes, suivant ce que témoignent certains écrits du temps.

(1) Il est évident que si l'invention des bastions avait été connue à cette, époque, au lieu de ces deux simples redans on aurait fait des bastions. L'exécution de cet ouvrage, entre 1528 et 1550, est donc antérieure à la découverte de SanMicheli.

Les travaux qui s'exécutaient à Perpignan pour la défense de la ville avaient été imposés par CharlesQuint aux vigueries de Roussillon et de Cerdagne dont les habitans devaient les accomplir par eux-mêmes ou par des remplaçans. Outre cette prestation cn nature, de la part des citoyens, les consuls de Perpignan avaient encore à fournir les manœuvres et les bêtes de somme pour le transport des matériaux. (Arch. dom.) Pour faciliter à ces magistrats les moyens de payer les ouvriers, l'empereur leur permit, le 15 de juin 1528, de faire frapper de la monnaie de billon au coin des armes de la ville, en quelque métal que ce fût, sous l'expresse condition qu'ils la remplaceraient par de la monnaie d'or ou d'argent de cours légal, à toute personne qui voudrait la changer, et à sa première réquisition (Arch. dom ). Plus tard, le 29 janvier 1565, un arrêt de l'audience royale de Barcelonne prescrivit à tous les habitans de Perpignan, sans distinction, de contribuer à ces travaux, par feux, en déduisant dix pour cent pour les pauvres qui n'avaient

pas

les moyens de payer; nul ne pouvait en être dispensé; militaire, stipendió, familier du saint-office, laïque ou clerc. Cependant, comme ces travaux étaient très considérables et la dépense immense, et que cette charge long-temps prolongée devenait trop onéreuse pour les seuls habitans du Roussillon et de la Cerdagne, Philippe II ordonna, en 1573, sur le motif que la population était sensiblement diminuée, et que depuis dix à douze ans plus de mille maisons étaient ruinées ou rendues inhabitables, que celles des vigueries de Catalogne qui avait été imposées pour la réparation des fortifications de Barcelonne cessassent de payer pour cette ville, et que les vigueries de Vic, de Manresa, de Berga, de Cervera, de Tarragone, d Urgel et du Lerida, ainsi que les habitans de Poblet, eussent à contribuer aux travaux qui s'exécutaient à Perpignan, pendant la durée de trois ans. Comme à raison de la grande distance qu'il y avait de toutes ces villes à Perpignan, les habitans ne pourraient pas concourir à ces travaux par prestation en nature, ils devaient s'arranger pour payer quatre cents livres de Barcelone pour chacune de ces trois années, et pour les suivantes s'il en était besoin. Le roi pensait que « on ne » trouverait pas cette contribution trop forte, attendu » qu'il faisait exécuter les travaux avec toute la dili>> gence possible, afin de mettre cette ville en état » de résister aux forces ennemics, et assurer par là » le repos de toute la Catalogne, et aussi, parce » que cette somme n'était rien en comparaison de ce » qu'avaient coûté les autres fortifications de Perpi»>gnan aux peuples de Roussillon, pendant plus de >> trente-huit ans, outre qu'ils duraient encore, etc. » Cette contribution, qui fut consentie par les cortès, fut maintenue jusqu'à l'année 1585, qu'elle fut supprimée: c'est donc à cette époque qu'il faut placer l'entier achèvement des travaux.

L'entretien des casernes que Louis XI avait fait bâtir dans sa citadelle ayant été abandonné après le départ des Français, Ferdinand II en ordonna la resrestauration le 30 janvier 1502, en tançant vivement le procureur royal de Roussillon de sa négligence, qui était cause que la dépense serait très-considérable. (Arch, dom.)

Quand le Roussillon revint définitivement à la France, par la paix des Pyrénées, Vauban fit compléter les fortifications de Perpignan en augmentant autour de la ville la force de quelques-uns des bastions construits sous Charles V et Philippe II, en détournant, par une coupure qui les jette dans la Tet, près du faubourg, les eaux de la basse, qui coulaient alors dans le fossé, derrière Saint-Jean, et cela afin d'établir des demi-lunes devant les courtines; et en ajoutant! d'autres demi-lunes sur ceux des fonds de l'hexagone de la citadelle qui en était dépourvue.

D'après le dernier plan arrêté pour l'augmentation de la citadelle, on devait supprimer, après l'achèvement de la nouvelle enceinte bastionnée, tout ce qui restait de l'enceinte de Louis XI; et ces démolitions étaient déja commencées quand le Roussillon passa à la France. Vauban, regardant au contraire la conservation de cette double enceinte comme très avantageuse pour la force de cette citadelle, fit relever ce qui était déja abattu, et il organisa les tours carrées qui en terminaient les angles, en bastions dont le saillant a la même capitale que ceux de la nouvelle enceinte.

Une foule d'individus, par un de ces abus si fréquens en Roussillon sous le régime espagnol, s'étaient fait inscrire comme gardes ou portiers des fortifications. Philippe II régla, en 1599, que le nombre de ces employés ne pourrait être de plus de douze dans Perpignan, et de trente dans tout le reste de la province.

La porte d'entrée de la citadelle, terminée en 1577, est ornée, de chaque côté, de deux cariatides à gaîne accouplées et surmontées d'un entablement dorique, dont chaque métope est timbrée de l'un des écussons de la monarchie espagnole. La frise porte cette inscription Philippus II, Dei gratia, Hispaniarum rex, defensor ecclesiæ. L'écu général des armes d'Espagne surmontait cette inscription, et comme cette porte fut achevée sous le gouvernement du duc d'Albe, les armes de ce seigneur étaient sculptées au-dessous de celles du royaume. Cette façade était surmontée d'une lanterne à jour très pittoresque, composée d'une coupole supportée par des colonnes doriques; elle a été rasée depuis peu d'années. Les cariatides de la porte ont donné lieu à une opinion regardée par le peuple comme incontesta ble. La multitude veut voir dans les différentes positions des mains de ces figures, des allusions à l'inexpugnabilité de la place. Cette supposition n'a pas le moindre fondement: l'attitudo de ces cariatides est le fruit du caprico de l'artiste, et non pas une rodomontade monumentale.

Un bras de pierre posé en saillie au haut d'une tourelle qui surmontait l'angle du redans oriental des premières constructions de Charles-Quint, et tenant une épée levée, a donné naissance à un autre conte. On prétend, et on l'a écrit, que cet empereur, fesant une ronde de nuit, et trouvant en cet endroit une sentinelle endormie, la précipita dans le fossé, et resta en faction à sa place ce serait en mémoire de cet événement qu'on aurait placé ce dextrochère. L'absurdité d'un pareil fait n'a pas besoin d'être démontrée. L'épée nue étant un des emblêmes de la puissance impériale, celle-ci n'a étó placée en cet endroit que comme symbole, de mème que l'écu impérial qu'on voyait encore naguère par-dessous, et qui portait le millésime de 1350, indiquant l'époque où

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ces travaux furent achevés. Ce même écu est aussi placé, et par la même raison, sur d'autres bastions, tant de la citadelle que des murailles de la ville. Des travaux exécutés en 1823 ayant fait disparaître, avec la tourelle, l'anneau de pierre dans lequel se trouvait engagé le bout de la lame de l'épée; pour la consolider, cette épée a été enlevée, et le dextrochère est resté seul en place.

Nous avons dit que la citadelle de Boffile était ce qu'on appelait le grand château, par opposition au Castillet ou petit château. Nous nous fondons, pour avancer

ce fait, sur ce que cette fortification, dont on avait besoin pour imposer à la ville, dut être élevée à la hâte et en terre, et qu'un plan de Perpignan de 1649 indique en effet, sous le titre de ruines du vieux château, un reste de fort en terre; il y eut cependant quelques parties de cette construction refaites, plus tard peut-être, en maçonnerie, puisqu'on en voit encore un lambeau au bas du glacis, devant l'angle du bastion de Saint-Jacques. Les restes de ce château disparurent entièrement sous les travaux exécutés par Vauban. Nous disons que ce fut là la citadelle de Boffile, parce que Louis XI

recommande particulièrement à Dubouchage de laisser | ce vice-roi construire d'abord une citadelle comme il l'entendra, avant de faire élever celle qu'on lui a indiquée, et qui dut être la citadelle actuelle. Il ne serait pas raisonnable de supposer qu'on eût commencé par construire un fort en bonne maçonnerie, pour en venir ensuite à un fort en terre. Quant au fait de l'établissement de ce château par les Français, nous le déduisons de ce que, s'il avait existé avant l'occupation du Roussillon par Louis XI, il en serait fait mention quelque part dans l'histoire de ce siége, où son voisinage du château royal, occupé par les Français, aurait dù le mettre en scène. La première fois qu'il en est parlé, c'est en 1493, à l'occasion de l'altercation entre les soldats français et les habitans de la ville: les premiers sont forcés de se réfugier à la citadelle; les Perpignanais escortent l'évêque d'Albi au grand château. Voilà donc l'existence simultanée de ces deux forts, sous les Français, bien constatée par cette circonstance. Nous avons vu aussi de Venez chercher à attirer dans son parti le commandant de la citadelle et celui du château; enfin, à l'époque de l'évacuation du Roussillon par les Français, un Mossen Citjar prit le commandement du château, et un capitaine Lutier eut celui de la citadelle.

Il y avait encore de l'artillerie sur ce château, en 1563, puisqu'après la peste de Perpignan, Philippe II prescrivit, comme moyen d'assainissement de la ville, des décharges de l'artillerie du grand château, de la citadelle et du Castillet: ces trois places se trouvant ainsi désignéés en particulier dans le même acte, il ne reste plus matière à aucune équivoque. »>

La province de Roussillon réunie à la couronne par Louis XI après une expédition qui ne dura que huit

mois, fut rendue, en 1492, au roi d'Aragon par Charles VIII, qui, dominé par son idée de la conquête du royaume de Naples, n'exigea aucun dédommagement. Perpignan tomba quelques années après, sous la domination espagnole par le mariage de Ferdinand II avec la princesse Isabelle. En vain François Ier mit tout en œuvre pour reprendre ce riche pays; Louis XIV fut plus heureux; le grand Condé, chargé de reconquérir le Roussillon, parvint à s'emparer de Perpignan, et le traîté de l'Ile des Faisans assura pour toujours à la France la possession d'une des plus riches contrées méridionales.

A dater de cette époque, la capitale du Roussillon a subi d'heureuses modifications: sous la restauration, les fortifications de la ville, construites d'après le système ancien, ont été remplacées par des bastions; on a pratiqué des chemins couverts pour protéger la place à de très grandes distances aussi la citadelle environnée d'une triple enceinte, peut résister à trois attaques.

« Il y a quelques années, disent les auteurs de la France Pittoresque, Perpignan n'avait ni promenades publiques, ni bains, ni fontaines. La ville laisse encore à désirer sous ce dernier rapport; mais elle a fait des progrès sous les autres; on y voit même une très belle promenade entre les Glacis et le canal d'Avrosage des jardins de Saint-Jacques.

» Perpignan a trois places; celle de la Loge, la place d'Armes et la place Royale qui s'est élevée sur les débris de l'ancien couvent des Jésuites. La cathédrale et le Castillet qui sert de prison, sont des monumens d'un caractère gothique et très remarquables. >>

Charles COMPAN

LE CLOITRE DE VILLEMARTIN.

Il est bien triste et bien affligeant ce tableau que la société déroule si péniblement sous nos yeux; on sent le cœur se gonfler d'amertume, les yeux se mouiller de larmes à l'aspect de tant de mécomptes, de déceptions, de cet égoïsme abject qui s'infiltrant dans les pores du corps social, en opère chaque jour la lente et douloureuse dissolution époque transitoire, où les cœurs sont sans amour et sans foi, où les idées rayonnant dans l'espace se croisent, se heurtent, se brisent en fragmens impalpables, où tant de systèmes laborieusement enfantés s'élèvent au-dessus de l'horizon et tombent sans laisser la plus légère trace de leur apparition.

Au milieu de cette anarchie intellectuelle, de cette atrophie sociale, la vie du poète s'écoule triste et décolorée. Pauvre poète! le feu sacré de l'inspiration s'éteint graduellement dans son cœur; sa voix jadis si vibrante se perd dans le désert; l'écho ne redit plus que ses chants de douleur et de désespoir, en face d'un avenir qui se couvre encore à ses yeux d'un voile

| impénétrable. Au milieu d'un présent qui coagule le sang dans ses veines, et suspend les rapides pulsations de son cœur, le poète tourne ses regards douloureux vers un passé qu'il avait en quelque sorte répudié et qui s'enfuit bien loin derrière lui; son ardente imagination, franchissant le temps et l'espace, va demander quelques inspirations nouvelles à cette épopée si féconde en actes d'héroïsme. A sa voix sublime, les anciens preux s'agitent au fond de leurs tombeaux, les ruines si long-temps muettes s'émeuvent; il exhume les légendes à demi-rongées par la dent des siècles, consulte les traditions les plus vagues, les chroniques les plus obscures, pour découvrir les conditions de cette existence sociale se déroulant à travers les siècles avec une si grande plénitude de force et d'activité, parce que tous les actes convergeaient vers un but unique, la religion. Religion, fille du ciel, toi qui es descendue sur la terre pour faire tomber les fers de l'esclave abattre la puissance du glaive, arracher la femme à la brutalité de l'homme, et abreuver le cœur des

malheureux des douces consolations de l'espérance; oh! viens mettre un terme aux maux qui désolent la société; viens accomplir un progrès nouveau, en sanctifiant des joies nouvelles, en appelant au large banquet social, cette nombreuse classe d'enfans de Dieu, pour qui cette terre est encore une vallée de larmes !

Ce retour des esprits vers l'organisation moyenne se manifeste d'une manière sensible dans l'ordre matériel. La mode, avec ses lois bizarres, son apparente frivolité, cherche à raviver les formes surannées de nos aïeux, au milieu d'une société qui les a frappées pendant si long-temps de son ridicule; c'est à qui arrachera à la fureur dévorante du temps quelques-uns de ces nombreux et imposans débris qui jonchent le sol. On se plaît à restaurer dans leur primitive structure les anciens châteaux qui présentent avec une sorte d'orgueil féodal les proportions colossales de leurs tours crénelées, leurs ponts-levis, leur large ceinture de fossés. Assis sur la cime des rocs, où les a placés la main hardie de l'homme, ils embrassent la vaste étendue de l'horizon, et paraissent encore recevoir à leurs pieds les hommages des populations des campagnes. A l'intérieur, l'œil ne peut se lasser d'admirer les chefs-d'œuvre de l'art payen, étonnés de se trouver associés avec ceux qu'a fait éclore la brillante phase du christianisme: ici, c'est la Vénus antique, avec son sourire gracieux et coquet; ses chairs colorées et frémissantes servent de pendant à la Vierge chrétienne que le pinceau de Raphaël a animée d'un rayon céleste; c'est la face musculeuse et rembrunie de Jupiter capitolin, éclipsée par les images vivantes des martyrs, dont la longue et douloureuse agonie enfante un monde nouveau. Là, s'élèvent des ogives aux courbes élancées, des vitraux diversement coloriés, des meubles aux torses gracieuses, aux légères dentelures, qui le disputent en luxe et en élégance à nos soyeux divans, à nos couches voluptueuses, à ces cristaux, dont les mille facettes scintillent d'une lumière vive et diversement coloriée. En réfléchissant sur cette espèce de mouvement rétrospectif, on est prêt à se demander s'il ne serait pas le précurseur d'une ère nouvelle, où un art plus parfait, associant les deux aspects de la vie, la matière et l'esprit, la pensée et la forme qui la représentent, enfantera des chefs-d'oeuvre plus beaux, plus imposans que ceux du passé.

Parmi les hommes remarquables qui, imprimant leur cachet à notre époque, ont mis toute leur gloire à conserver fidèlement les traditions religieuses du passé, tout en tenant compte des besoins nouveaux de la société, le département de l'Aude peut présenter avec orgueil M. Alexandre Guiraud, de l'académie française, écrivain élégant et consciencieux, poète plein de verve et d'abandon. M. Guiraud n'écrit que sous les généreuses inspirations de son cœur, parce que sa plume ne s'est jamais prostituée au pouvoir; il ne reconnaît d'autre bannière que celle de l'honneur, et appartient par ses principes politiques à cette minime partie d'écrivains honorables qui veulent progressivement l'amélioration physique et morale du peuple. Limoux fut le berceau de sa naissance; Limoux dont l'air est pur et embaumé, la température toujours tiède et lubrifiante, la campagne si belle et si féconde. Sur les hauteurs qui couronnent cette ville et forment un

horizon peu étendu mais ravissant à l'œil, on découvre un château qui compte environ six siècles d'existence; c'est Villemartin, dont la physionomie profondément sillonnée atteste hautement la part active qu'il prit à ces guerres longues et meurtrières, dont le midi de la France fut le théâtre, la religion le prétexte, et l'ambition effrenée de quelques seigneurs la véritable cause. Aujourd'hui paisible et solitaire, mais vivant de ses glorieux et touchans souvenirs qui saisissent notre ame et la jettent dans le vague d'une douce contemplation, Villemartin est devenu le séjour agréable où M. Guiraud goûte la véritable paix de l'ame au milieu de ses travaux littéraires et des êtres chéris dont l'existence est si harmonieusement liée à la sienne. Si l'extérieur de ce château laisse quelque chose à désirer sous le rapport architectural, l'intérieur offre dans son décor un assortiment d'objets de très bon goût, qui réfléchissent sous tous les aspects la pensée religieuse du poète philosophe; mais, à travers les massifs de verdure qui encadrent cette habitation, l'œil se repose agréablement sur un monument antique qui développe avec majesté ses quatre faces rectangulaires. C'est un cloître qui résume avec une fidélité remarquable les traits les plus caractéristiques de son époque avec toute la suavité de sa pensée religieuse. Il est là, debout, avec sa physionomie séculaire, en présence d'une société sceptique qu'il invite au respect et à l'admi→ miration. Ce monument que l'on peut considérer comme un des plus beaux morceaux d'archéologie de nos contrées méridionales, remonte à l'année 1334; il fut fondé à Perpignan par l'ordre des Carmes et le seigneur de Peyrestorte, comme semble l'indiquer une inscription latine, en caractères gothiques, que l'on aperçoit encore sur marbre rouge.

Anno

dom. M. CCC. xxxi fuit inceptum
Hoc claustrum per E de pieribus tortis
Et fuit completum anno dom. M. CCC. XLIE

Lorsque la révolution de 92, se levant tout-à-coup furieuse contre les hommes et les choses du passé, s'en allait incendiant les châteaux, respectant les chaumières, broyant dans sa large main trônes et autels, transformant les cloches pacifiques en instrumens de guerre, la vaste enceinte des cathédrales en arsenaux et magasins de subsistances, le cloître de Perpignan nẹ put échapper à ce torrent dévastateur. Il ne fut pas démoli, parce qu'on le jugea propre au service public. Ses galeries silencieuse, retentiren du cliquetis des armes, des hennissemens prolongés des chevaux, elles qui pen dant plusieurs siècles n'avaient entendu que le son grave et pénétrant de la cloche, et les pieux cantiques qui s'élevaient harmonieusement vers le ciel comme une suave émanation. Quel profond sujet de méditation pour la philosophie! Telle fut pendant environ douze années la destination de ce monument dont l'existence douloureuse touchait à sa fin. Une raison d'intérêt public, à l'aide de laquelle on justifie les actes les plus iniques, fut invoquée dans cette circonstance, et son arret de mort fut prononcé. Ainsi l'un des plus beaux monumens que l'art chrétien nous ait légués et que le temps avait conservé à la vénération des fidèles, ne put trouver grâce aux yeux des Vandales de notre époque.

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