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Un serviteur de Michel de Lator. Qui t'a envoyé ici?

par

Mon noble maître, votre futur époux. - J'ai reçu l'ordre de vous apporter cette fiole pleine d'eau bénite notre saint Père le pape. Le démon qui sait que demain vous devez recevoir le baptême, ne manquera pas de vous tourmenter, et ce saint breuvage vous mettra à l'abri de ses maléfices.

La fille de Benjamin de Tudelle hésita pendant quelques instans, puis elle tendit sa blanche main; versa le poison dans une petite coupe d'argent, et l'avala d'un seul trait.

Au même instant son front pâlit, ses lèvres se colorèrent d'une teinte bleuâtre; ses membres se raidirent, et elle fut en proie aux plus violentes douleurs.

Tu m'as empoisonnée, misérable! s'écria-t-elle en jetant la coupe d'argent à la tête du malingreux.

Oui, je t'ai empoisonnée, pour me venger de tes mépris, pour sauver la race d'Israël de la honte d'une apostasie. Demain tu ne recevras pas le baptême; demain tu n'épouseras pas le noble troubadour Michel de Lator; demain tu seras morte.

-Morte! grand Dieu! fit Débora en se roulant sur sa couche....

Et si on te demande le nom de celui qui t'a porté le poison, tu répondras que c'est Ruben, fils de Kalonime, de Narbonne.

Le juif s'empressa de sortir pour échapper à la ven geance de Michel de Lator, que les cris de la belle Juive ne tardèrent pas à éveiller. Le troubadour, en rentrant dans la chambre de sa chère Débora, la trouva étendue, presque sans mouvement. Tout-à-coup la violence de la douleur lui rendit une énergie factice; elle cut la force de se lever sur sa couche :

-Michel de Lator, s'écria-t-elle, un prêtre! un prêtre! Je vais mourir ; je veux recevoir le baptême.

Le moine que Michel de Lator avait mandé pour enseigner à sa fiancée les saintes vérités du christianisme, avait été éveillé par les cris de la Juive; il entra quelques instans après le troubadour.

-Baptisez-moi, mon père, s'écria Débora, aussitôt

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qu'elle aperçut le moine; baptisez-moi, je n'ai plus que quelques instans à vivre.

Le moine versa l'eau régénératrice sur le front de la vierge, et quand il eut prononcé les paroles saintes, les douleurs de l'agonie se calmèrent.

Quelle est la main qui t'a versé le poison, dit Michel de Lator? Quel démon s'est introduit dans la maison de Michel de Lator?

Ruben, dit Rébecca dont la voix s'éteignait. - Le fils de Kolonime, de Narbonne ? ajouta Michel de Lator.

Débora ne pouvait plus parler, elle fit un signe de tète affirmatif, croisa ses deux petites mains sur sa poitrine, jeta un dernier regard sur Michel de Lator, et expira.

-Morte empoisonnée! répéta plusieurs fois Michel de Lator en grinçant des dents.

L'ange du Seigneur s'est envolé au ciel, ajouta le moine, quand il eut fini de réciter la prière des agoni

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de Lator furent célébrées avec toutes les pompes de l'église par l'évêque de Magueconne.

Ruben, fils de Kalonime, convaincu d'avoir empoisonné Débora, la belle Juive, périt le jour même sur un bücher. Ni les richesses, ni le crédit de son père ne purent le sauver de la honte du dernier supplice.

L'infortuné Benjamin de Tudelle fut condamné à une forte amende, comme atteint de soupçon d'avoir pris part à la mort de sa fille, parce qu'elle avait voulu embrasser la religion chrétienne. Il se hâta de quitter Montpellier, qui avait été pour lui une ville de malédiction. Il continua son voyage dans la Provence, racontant ses malheurs à tous les rabbins.

Nimes était alors une des villes les plus florissantes du midi de la France. La civilisation romaine y avait laissé de nombreux vestiges; les habitans cultivaient avec succès les sciences et les beaux-arts; les troubadours y étaient bien accueillis, et les juifs de Montpellier y avaient établi une école où ils enseignaient la médecine et la physique. Benjamin de Tudelle y reçut une honorable hospitalité chez un vieux rabbin qu'il avait connu autrefois en Navarre. Quand la nuit était venue, les deux israélites cheminaient dans la ville, visitant les monumens élevés par les Romains; la maison carrée, les arènes, la Tour-Magne, excitèrent l'admiration de Benjamin de Tudelle. Souvent,

suivi du sage Eleazar, son hôte, il allait respirer l'air du soir sous les arbres plantés à l'entour des fontaines de la ville quand le moment du départ fut arrivé, les deux rabbins se dirent adieu en pleurant.

Que le Dieu de Jacob vous protége, s'écria Benjamin; nous ne nous reverrons plus sur cette terre !

Nous nous reverrons dans le séjour de notre père Abraham, répondit Eléazar.

Benjamin se rendit à Lunel, où il y avait une synagogue qui s'occupait nuit et jour de l'étude de la loi (1). « C'est là, dit-il, où notre grand docteur et maître » Meschulam, d'heureuse mémoire, a enseigné autre» fois, et où il a laissé cinq fils tous rabbins très sages >> et très riches, et dont le dernier, nommé Ascher, » s'est entièrement retiré du monde par dévotion. Il >> mène une vie très mortifiée, s'abstient de manger » de la viande et fait de grands progrès dans la science » du talmud. Là, je trouvai un grand concours de juifs >> étrangers, qui étaient venus étudier la loi dans l'aca» démie de cette ville; les jeunes élèves sont vêtus et >> nourris aux dépends du public, chez les rabbins qui » ont soin de leur éducation. Je comptai 300 Israélites » dans la synagogue de Lunel. »

Le rabbin de Tudelle ne séjourna pas long-temps à Lunel; depuis la mort de sa fille, il ne pouvait s'arrêter dans aucune ville, et il se hâtait de visiter les synagogues de Provence, pour s'embarquer ensuite pour Ï'Orient.

>> Je passai quelques jours à Beaucaire, dit Benja>> min dans l'itinéraire qu'il nous a laissé; c'est une » très grande ville. On y compte environ quarante juifs >> qui y ont une académie où enseigne le fameux rabbin (1) Histoire générale de Languedoc, tom. 11, page 513.

» Abraham, aussi recommandable par sa sagesse et >> par son habileté dans l'écriture et le talmud, que par » sa richesse et par la charité qu'il exerçait envers les >> juifs étrangers qui venaient se ranger sous sa dis>>cipline pour apprendre la loi, et qu'il entretenait >> gratuitement. Je me rendis ensuite à Nogres, vul>> gairement appelé le bourg de Saint-Gilles, où jo » trouvai une synagogue de cent juifs, gouvernée par >> six principaux rabbins, entre autres par Jacob, fils >> d'un grand docteur de pieuse mémoire. La ville de » Saint-Gilles est fréquentée par divers peuples étran» gers et insulaires, depuis les extrémités de la terre, » à cause de l'heureuse situation de son port sur le » Rhône, à trois lieues de la mer. »>

Avant de partir pour l'Orient, Benjamin de Tudelle se rendit au Pont-Saint-Esprit qu'on appelait alors le bourg de Saint-Saturnin, pour visiter un rabbin qui passait pour le plus savant des docteurs de la loi qui enseignaient le talmud dans les synagogues de la France méridionale. Il dit que les rues de cette petite ville étaient salles et tortueuses; que les juifs avaient beaucoup à souffrir des persécutions des chrétiens (1). De Saturnin, le rabbin de Tudelle revint à Beaucaire, où il s'embarqua pour Constantinople. En quittant le rivage, il jura de ne plus revoir les pays de la Langue-d'Oc où il avait perdu sa belle, sa chère Débora.

Quant à l'infortuné Michel de Lator, il quitta le monde pour pleurer sa belle fiancée; il se retira dans une petite maison en la noble cité de Nîmes, où il passa le reste de sa vie à copier et enluminer les syrventes de plusieurs troubadours de Provence. Il composa aussi des poèmes élégiaques en l'honneur de Débora, sa bienaimée.

J.-M. CAYLA.

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LA CITADELLE ET LE GRAND CHATEAU DE PERPIGNAN.

Ld

capitale de l'ancienne province du Roussillon no remonte pas à une très haute antiquité; l'emplacement de Perpignan était primitivement occupé par une villa romaine, et la fondation de la ville ne date réellement que de l'an 1025, époque de la construction de l'église du vieux Saint-Jean. Elle était alors entourée de profonds fossés au midi est à l'est; plus tard, lorsqu'elle fut soumise à la domination des rois de Majorque, elle s'agrandit rapidement, et ses nouveaux souverains l'entourèrent de fortifications: alors fut construit le palais royal de Perpignan.

Il était entièrement terminé, dit M. Henri, historien du Roussillon, à l'époque de la mort du premier roi de Majorque. Après l'extinction forcée de ce royaume, il n'eut plus de destination fixe, et il resta à la disposition du roi d'Aragon comme maison royale. Ferdinand I l'assigna pour demeure à l'antipape Benoît XIII, qui y séjourna tant que l'Aragon reconnut son autorité; il fut ensuite affecté au logement des gens de guerre, sans cesser d'ètre désigné par le nom de château royal.

Ce château avait une grande entrée avec pont-levis au milieu de la façade occidentale, et trois autres portes aux autres façades, pour communiquer, soit avec le jardin et le pré dits de la reine, soit avec les bois du roi. Au milieu de la vaste cour que laissent entre elles les quatre faces de ce bâtiment, existe un puits très profond. La chapelle toute bâtic en pierres de taille, s'élève du milieu de la face orientale. Cette chapelle était doublée, c'est-à-dire qu'il s'en trouvait une au rez-de-chaussée, qui n'était que comme une chapelle souterraine; celle qui servait à la célébration des saints mystères était un peu au-dessus du plan des appartemens du premier étage, et on y montait par un large perron, aboutissant à une galerie couverte, s'étendant sur toute la face intérieure du bâtiment, de ce côté. L'entrée de la chapelle intérieure est nue et sans aucun ornement; celle de la chapelle supérieure était toute en marbre, et décorée suivant le goût du temps de colonnes minces et grêles, dont les chapiteaux sont ornés d'animaux chimériques. Les battans de la porte, en bois de noyer, étaient divisés en compartimens par des listels sous lesquels étaient cachés des clous qui tendaient une toile peinte en bleu de ciel. Cette toile avait été placée sur les battans sans doute pour masquer les fentes et les jours que forme le trait du bois sous ce climat, quelque vieux que soient les madriers qu'on emploie pour les ouvrages de menuiserie; les vestiges de cette toile peinte s'y remarquent encore près des listels.

La galerie placée à la hauteur des appartemens, et par laquelle on montait à la chapelle, établissait une communication entre les appartemens du roi, placés du côté du nord, et ceux de la reine qui se trouvaient au côté opposé à côté de la grande entrée, au milieu MOSAÏQUE DU MIDI. - 3e Année.

de la face occidentale, on voit intérieurement un bel escalier suspendu, d'une construction remarquable.

Les registres de l'ancienne cour du domaine royal nous apprennent que, pendant long-temps, les rois d'Aragon' firent élever des lions dans le château royal de Perpignan; on y trouve inscrites plusieurs commissions de personnes chargées d'en prendre soin; on y a même transcrit la manière dont il faut élever les jeunes lionceaux. Le lion était le symbole de la puissance suprême; il ne devait avoir pour gouverneurs que des personnes nobles; aussi voyons-nous cette charge confiée à des chevaliers, dont Tun, en 1453, Dalmas del Volo, se qualifie de chambellan du roi; une lettre de l'infant don Juan, fils de Pèdre IV et lieutenant-général dans les comtés de Roussillon et de Cerdagne, défend au gouverneur du château de permettre qu'aucun troupeau puisse broutter les gazons d'alentour, réservés pour le paturage des chèvres et autres animaux destinés à la nourriture des lions.

Dans ce château fut enfermé et mourut en bas åge l'aîné des enfans de Jacques d'Armagnac, placé avec son frère sous l'échafaud sur lequel on décapita le malheureux prince, le 4 août 1477.

« L'époque de la construction du Castillet, ajoute M. Henri, est absolument inconnue; en l'absence de tout document, les uns ont regardé ce fort comme un monument du xe siècle, les autres comme ne remontant pas au-delà du xv. Tout porte à croire que la fondation du petit château, entièrement de défense, est postérieure à la réunion du royaume de Majorque à celui d'Aragon. Si cette forteresse avait existé à cette époque, il est impossible qu'il n'en eût pas été fait mention dans le courant de cette guerre désastreuse, dans laquelle Perpignan fut resserré de si près. La construction de cette masse toute en brique, est encore un indice qu'elle appartient au XIVe siècle. La forme du Castillet est celle d'un carré long, terminé aux deux bouts par une tour qui n'a de saillie que du côté de la campagne, pour la défense de la porte de la ville qui était à travers le château. Cette saillie de tours n'est même pas exactement arrondie; le milieu de cette demi-circonférence pousse en avant un ventre encore plus saillant que le reste. L'entrée de la ville qui se trouvait entre ces deux tours s'appelait portal de nostra dama del pont, comme le témoignent de vieux actes, parce que le pont de la Tet, comme presque tout les ponts anciens, était sous la protection de la Vierge, dont la chapelle était bâtie en dehors du faubourg. Environ un siècle après la construction de la forteresse, on supprima l'entrée de la ville qui la traversait, et on båtit l'appendice qui forme l'entrée actuelle, à la gauche du Castillet. La différence des temps est bien marquée par celle des machicoulis qui la couronnent. Cette construction nous fait penser qué cet appendice est l'ouvrage des Français sous Louis XÌ. »

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