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nous sommes, vit, du côté de Ferrals et de Lésignan, la terre disparaitre sous les pieds de 360,000 Sarrasins. Son cor avertit Charlemagne. Les deux armées se choquerent rudement près du ruisseau de Maltes: le comte de Flandres mit à mort le frère du roi de Béziers; et Joyeuse, l'épée de l'empereur, s'appesantissant sur le roi de Lodève, pourfendit le cheval et le cavalier. Thomas de Rouen, à genoux sur la pierre que voici, invequait le Seigneur, les bras tendus vers le ciel (1).

Camplong fut évacué; et quand le soleil se coucha, 45,030 Sarrasins avaient mordu la poussière. Le lendemain, Charlemagne poursuivit les vaincus jusqu'à Fabrezan. Son épée rentrait dans le fourreau....... Les sons bien connus du cor de Roland frappent son oreille. Les fuyards, pris en tête et en queue, tombent par milliers; Aly, roi d'Arles, succombe au milieu des riens; Charlemagne et Roland paraissent devant Narhonne, attaquant la porte Royale; les cadavres des Maures s'amoncellent autour d'eux. Puis, campés sur Mont-Laurès, ils élèvent une église à Saint-Michel, en devisant de leurs exploits.

» Anchise, ce roi qu'on avait chassé de Carcassone, ne renonça pas de sitôt à faire du mal à notre sainte religion. Il alla demander du secours à Marsile, roi des Espagnes, et aux rois ses vassaux : et ceux-ci se liguèrent avec lui contre Charlemagne. Leur armée était plus considérable que celle qui avait été exterminée. On se battit cruellement à Narbonne et aux environs de La Grasse; et Anchise, avec un gros des siens furieux comme lui, pénétra jusqu'au monastère qui était entier et fini, dans l'abominable intention de le raser. Ces païens entrèrent à cheval sous les voûtes de l'église: le saint abbé Sinifred était à l'hôtel, revêtu des ornemens sacrés, il élevait l'hostie. O scandale !..... il se retourne au bruit des pas des chevaux; au même instant, le cimeterre d'Anchise fait rouler sa tête vénéraLie sur les dalles du chœur (2). Un cri général résonne; les pauvres moines tombent à genoux et prient.... Soudain un combat s'engage; car Roland avait suivi les Ifaures, il venait défendre la maison du Seigneur. Les mécréans furent chassés avec perte; et, quelque temps après, Anchise périt sous les coups de Durandal (3).

» Mais les batailles devaient finir. Des milliers innombrables de Sarrasins trouvèrent la mort ici et ailleurs. Et de nos jours, on découvre encore maintes fois de grands tombeaux remplis d'armes et d'ossemens. Les plaines en sont couvertes et témoignent des glorieuses victoires de la chrétienté. En mémoire de cette guerre, le nom de Champ-de-Bataille a été donné par les anciens au val Camplong.

>> Telle a été, mon bon seigneur, l'origine des monastères de La Grasse, de Saint-Michel-de-Naüse, dont Voilà les restes, et de plusieurs autres encore, tous balis par Charlemagne.

» Chaque année, les villages voisins, croix et bannière en tète, se réunissent sur les versans de la montagne, pour venir dévotement prier Dieu dans les ruines de Saint-Michel, peut-être en l'honneur de l'anniversaire de saint Michel.

(1) Guillelmus Paduanus, c. 4 et 5.

(2) Guillaume Besse, Antiquités de Carcassone. (5, Epée de Roland."

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» Un rocher, au nord du plateau qui se trouve derrière nous, porte encore le nom de Roland. C'est là quo le paladin se retirait loin du bruit des armes, pour se reposer de ses fatigues et fourbir son épée ; c'est là qu'il attachait Bride-d'Or, son beau coursier, à un anneau de fer qui existe encore, et qu'aucune main humaine ne saurait arracher. Les pas du neveu de Charlemagne ont laissé sur le roc des traces ineffaçables. >>

Ces romans, qui, depuis des siècles, passent de bouche en bouche, forment la littérature crédule et passionnée du peuple; des chroniqueurs s'en sont emparés et les ont transmis à des historiens plus instruits, mais dont le scepticisme n'a pu aller jusqu'à traiter de fables ces vieux récits. Le nom de Charlemagne, le héros de tant de légendes, a frappé de mort ces traditions. L'histoire est là, sévère, inflexible, avec ses calculs et ses dates.

Au milieu des exagérations, dont ces récits sont empreints, on se demande pourtant si quelques événemens historiques n'auraient pas allumé la verve des vieux conteurs, et donné naissance à ces légendes d'un retentissement si profond. Les générations successives des premiers âges se rappelaient avec effroi les invasions des Maures, et se montraient les unes aux autres les champs de bataille sillonnés de tombeaux. Les exploits de Charlemagne sur les Infidèles, exploits embellis par les ménestrels nomades, volaient du Nord au Midi. Cette gloire éclipsait toutes les autres gloires. On ne retint qu'un nom; et partout, on substitua peu-à-peu le nom de l'empereur des chrétiens au nom moins éclatant du guerrier, dont la hache d'armes s'était levée pour la défense des foyers héréditaires. Les lauriers de Charlemagne étouffèrent ceux de Guillaume-le-Pieux.

Les populations se reposaient à peine de la grande lutte relligieuse et nationale qu'elles venaient de soutenir contre les Arabes, que la guerre de la croisade poussa sur elle des milliers de bannières, de bûchers et de mangonneaux. Des moines, des évêques et des légats, dirigeaient, le crucifix à la main, les attaques des croisés. Puis, après un immense égorgement, après une effroyable destruction de villes et de forteresses, les bruits de guerre cessèrent; tout redevint calme et silencieux comme autrefois.

Ces souvenirs ne devaient pas s'effacer; ils se mêlaient aux anciens souvenirs, et la naïve ignorance des chroniqueurs fit marcher contre les Maures la croix rouge et les moines disciplinés de Simon de Montfort.

Charlemagne, propagateur de la religion chrétienne, n'avait pas oublié d'étendre ses bienfaits sur le monastère naissant et jusqu'alors obscur de La Grasse: la reconnaissance des cénobites l'érigea en fondateur, et la bataille livrée aux Maures par Guillaume-le-Pieux, non loin des murs de cette abbaye, fut changée en guerres interminables, engagées par le conquérant pour la défense des premiers moines.

Les fictions dont l'histoire des peuples aime à s'envelopper cachent souvent des faits véritables. C'est à l'écrivain consciencieux à approfondir ces fables, et à exposer les faits ramenés à leur simplicité primitive.

Scévole BEE.

LE CHATEAU DE CHENONCEAUX.

CHAPITRE PREMIER

1421.

AMOUR ET PATRIE.

Le vingt-huitième jour du mois de septembre 1421, de nombreux chevaliers se trouvaient réunis au château de Chenonceaux. Jean d'York qui s'était emparé du manoir au nom de Henri VI, couronné depuis quelques jours seulement roi de France et d'Angleterre, avait invité ses compagnons d'armes à un magnifique festin. Quelques instans après le coucher du soleil, les pages entrèrent dans la grande salle du château, portant des flambeaux d'or et d'argent; Jean d'York, le héros de la fête, après avoir visité les avant-postes chargés de défendre le manoir contre les bandes françaises, rentra suivi de ses hommes d'armes ; il jeta un regard presque dédaigneux sur les préparatifs qu'on venait de iaire.

Pages et varlets, que tout soit prêt à la neuvième heure, dit-il en ouvrant une petite porte dont il n'avait pas voulu confier la clé au plus fidèle de ses serviteurs; je veux célébrer avec une magnificence digne d'un che valier breton, le couronnement de notre bien aimé sire Heari vr du nom, roi de France et d'Angleterre. Après avoir prononcé ces mots avec l'accent le plus impératif que puisse affecter un homme habitué à commander, Jean d'York ferma la petite porte sur lui; les pages qui tremblaient à la seule parole de leur maître, commencèrent aussitôt à deviser entre eux.

Notre seigneur tient quelque trésor enfermé dans cette petite chambre, disait l'un;

-Tu te trompes, disait un autre; mylord a fait pacte avec l'enfer, et on m'a dit qu'à certaines heures du jour, il a des entretiens secrets avec le démon.

Ignorans que vous êtes, messeigneurs les pages, interrompit un varlet, vous ajoutez foi à ces contes de bonnes femmes... ce n'est pas avec le diable que mylord a des entretiens chaque jour, mais avec la plus jolie demoiselle qu'il soit possible de trouver dans les deux royaumes de France et d'Angleterre.

Pierre Saint-Salvi dit peut-etre vrai, s'écrièrent

les pages étonnés de la révélation du varlet.

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sais tout, et je n'ai pas mis long-temps à deviner le se cret des mystérieuses amours de mylord. Il tient enfermée dans cette chambre la damoiselle Jacqueline de Chenonceaux.

L'as-tu vue? répliqua un des pages....

- Hier, mon petit seigneur; je crois qu'après la Pucelle d'Orléans, la belle Jacqueline est la plus parfaite

créature sortie des mains de Dieu.

Les pages répondirent par des éclats de rire aux acclamations du varlet; l'hilarité était à son comble, lorsque les chevaliers invités au festin entrèrent dans la salle; un grand feu brûlait dans le large foyer; chacun prit place dans un fauteuil de velours rouge; le nombre augmenta insensiblement, et on commença à raconter les nouvelles arrivées de Paris, d'Angleterre et de Normandie.

Pendant que les preux, réunis en groupe circulaire, devisaient tranquillement sous le manteau de la cheminée, Jean d'York, couché sur un petit lit de repos, parlait à voix basse à une jeune fille assise à côté de lui sur une escabelle; de temps en temps il plongeait involontairement ses deux mains dans les cheveux de la damoiselle, et s'efforçait de mettre en désordre les longues tresses qui pendaient sur ses épaules

Jacqueline de Chenonceaux était née l'an de grâce 1403; elle était à peine à la fleur de son âge, et plusieurs chevaliers de France et d'Angleterre l'avaient déja demandée en mariage. Son père, fidèle à l'honneur et à la patrie, avait défendu son manoir jusqu'à la dernière extrémité; il ne l'avait abandonné qu'après avoir vu ses vassaux mourir à ses côtés.

Ma fille est morte, s'était-il dit, et quelques jours. après il combattait sous la bannière de Jeanne d'Arc. Jean d'York, maître du château de Chenonceaux, en fit relever les fortifications; puis il écrivit au duc de Bedfort qui lui en accorda le commandement.

Il arriva que les chevaliers en parcourant les ruines du vieux manoir entrèrent dans une vieille chapelle. Quel ne fut pas leur étonnement quand ils aperçurent n'y voyez pas aussi clair que les goujats de France; jeune jeune fille prosternée au pied de l'autel; le plus

-Ah! ah! petits gentilshommes d'Angleterre, vous

hardi d'entre eux s'approcha pour s assurer si la femme qui priait à genoux était encore en vie.

Qui êtes-vous? s'écria la damoiselle de Chenonceaux. Anglais, fils de l'enfer, qui avez tué mon père, êtes-vous venus pour m'arracher la vie... approchez, ne craignez rien, et plongez vos poignards dans le cœur de Jacqueline de Chenonceaux; il me tarde de mourir.

Les chevaliers eurent beaucoup de peine pour la conduire auprès de Jean d'York qui ne s'attendait guère à trouver l'héritière des sires de Chenonceaux sous les ruines du château de ses pères. Il ne put s'empêcher d'admirer la beauté de la damoiselle, et, dès ce moment, il s'efforça de mériter son amour. Jacqueline recouvra bientôt sa raison, et charmée de la grandeur d'ame de son jeune protecteur, elle l'aimait moult tendrement, disent les chroniques de la Touraine. Avant le mois de septembre 1421, la damoiselle, persuadée que son père avait péri en défendant son manoir, avait promis à Jean d'York de lui donner sa main, quand il aurait juré sur les saints Évangiles qu'il ne l'emènerait pas en Angleterre. Le jeune lord avait invité tous les chevaliers bretons qui commandaient dans les castels du voisinage, et il était résolu à leur faire part de son bonheur.

Aussi, pendant que ses nombreux convives devisaient à grand bruit dans la salle du festin, Jean d'York, nonchalamment couché, prétait une oreille attentive aux proj pos d'amour de Jacqueline de Chenonceaux.

-Tu m'aimes donc bien, ange de ma vie, lui disait il en défesant ses longues tresses.

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Si ton père vivait encore... S'il s'opposait à notre bonheur...

-Ne parles pas de mon père, Jean d'York... Le sire de Chenonceaux est mort... Gardes-toi de prononcer son nom devant moi, je ne t'aimerais plus...

Tu ne m'aimerais plus! dit le jeune lord en se levant avec précipitation...

-Je te l'ai dit, mon doux ami, ne prononces plus le nom de mon père !.. Il vivrait encore si tu n'étais pas venu assiéger le manoir... Écartons ce triste souvenir ! Je suis orpheline... Qui veillera sur moi? si ce n'est toi, mon fiancé.

-Oh tu m'aimes, Jacqueline! s'écria le jeune lord en serrant la damoiselle contre son sein... Je jure par le léopard d'Angleterre que le nom de ton père ne sortira plus de ma bouche!

Tout-à-coup Pierre Saint-Salvi, seul et fidèle confident des secrets amours de son maître, ouvrit la petite porte, et s'introduisit dans la chambre en marchant à petits pas. Jacqueline l'aperçut d'abord et ne put retenir un cri de surprise.

- Qu'y a-t-il donc, ma douce amie? s'écria Jean d' York....

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Pierre Saint-Salvi ne répondit pas à l'apostrophe ironique de son maître; il murmura pourtant à voix basse : Puisse le martyre de la Pucelle, attirer les bénédictions du ciel sur le royaume des Fleurs de Lys! Monseigneur, ajouta-t-il à haute voix, les chevaliers vous attendent dans la salle du festin.

-J'y vais, répondit le jeune lord avec impatience. Quelques instans après, radoucissant sa voix et portant à ses lèvres une des mains de Jacqueline, il dit à la damoiselle :

- Jacqueline de Chenonceaux, viens avec moi; tu seras la reine de la fête, et je veux que les chevaliers, mes convives, soient témoins de mon bonheur!

-Mon doux ami, répondit la damoiselle, je tremble avant d'entrer dans cette même salle où mon père rassembla, l'an dernier, l'élite des seigneurs de la Fleur de Lys. Dans le manoir de Chenonceaux, j'ai vu Lahire, Dunois, Xaintrailles, immortels chevaliers, fidèles compagnons d'armes de la Pucelle.

Qu'importe les preux d'Angleterre ont aussi bonne mine que les gentilshommes de France, répondit Jean d'York qui ne put dissimuler le déplaisir que lui avaient causé les dernières paroles de Jacqueline... Je te suis, dit la damoiselle....

D'une main tremblante elle ouvrit une petite boîte, et en retira un voile d'une éclatante blancheur : il était bordé de fleurs de lys en or, et l'ouvrier avait écrit en grosses lettres :

AMOUR ET PATRIE.

Un voile aux armes de France! s'écria Jean d'York; tu veux done faire injure aux nobles chevaliers qui sont venus pour assister aux fetes de mon mariage.

Lisez cette devise, beau sire, répliqua la damoiselle de Chenonceaux en donnant à chacune de ses paroles l'accent solennel du patriotisme.

Amour et patrie! dit le jeune lord en froissant le voile. Que signifie donc cette devise? ajouta-t-il après quelques instans de silence.

Toutes les fois que je me rappelle cette noble maxime qui devrait être gravée dans le cœur de toutes femmes de France, je me dis que la patrie ne doit pas les être sacrifiée à l'amour.

-Si tu avais à choisir entre un chevalier français et Jean d'York, que ferais-tu ?

- Je me jetterais dans les bras de mon bien-aimé, répondit Jacqueline en levant ses beaux yeux vers le jeune lord qui lui apparaissait dans ce moment radieux de l'enthousiasme de l'amour.

-Et si Charles VII, si la gloire de la France demandaient ma mort !...

-Que me demandes-tu? dit Jacqueline en tirant un profond soupir de sa poitrine.

Elle avait déja jeté son voile blanc; elle ceignit son front d'une guirlande de fleurs, et dit en souriant à son fiancé :

-Maintenant, beau sire, êtes-vous content?

- Bien, très bien, répondit Jean d'York; couronnée comme une reine; c'est ainsi que ma noble dame doit paraître devant les chevaliers mes convives.

Dans un transport de joie, il entraîna Jacqueline vers la porte qu'il ouvrit avec précipitation, et dit aux chevaliers qui devisaient encore autour du foyer:

Mes cousins d'Angleterre et de Normandie, saluez la noble damoiselle Jacqueline de Chenonceaux, qui s'appellera demain, très noble et très puissante dame d'York.

Ces preux qui avaient tant de fois bravé la mort à la suite d'Édouard III, du Prince-Noir et du duc de Bedfort, furent au premier abord décontenancés par la présence de la belle Jacqueline; jamais, dans leurs campagnes et leurs courses aventureuses, ils n'avaient vu damoiselle si allerte, si parfaite en graces et en beauté, disent les chroniques de la Touraine; ils se turent par respect, et chacun s'inclina profondément à mesure que Jacqueline parcourait le groupe circulaire, donnant sa main blanche à baiser à tout chevalier et gentilhomme. La table était déja dressée pour le festin; les convives s'empressèrent de prendre place, et gardèrent d'abord le silence presque religieux qui précède les grands repas; bientôt, les vins de Bordeaux et de Saintonge échauffèrent les tètes des nobles preux. On chanta, on rit, on devisa sur toutes sortes de choses, et les convives, auparavant si craintifs, si réservés, vantèrent à qui mieux mieux leurs prouesses en guerre, leurs doux larcins en amour. Tout-à-coup une voix tremblante et presque nazillarde se fit entendre au fond de la salle: un vieillard, vétu d'une robe d'ermite, appuyé sur un bâton, tête nue, chantait cette légende alors populaire chez les paysans de la Touraine :

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Bon pélerin, s'écria Jean d'York quand le vicillard eut chanté le dernier couplet de sa légende, je n'ai pas l'intention de me faire homme d'église comme monseigneur Saint-Martin, ni de donner mes galons au premier malingreux que je rencontrerai sur la route; mais je suis charitable, et jamais un pauvre n'est sorti de ce manoir sans que j'ai dénoué pour lui les cordons de mon escarcelle. Approche, et reçois ces deux pièces d'or fin marquées à l'effigie d'Henri, notre seigneur. Le vieillard prit les deux pièces d'or, et lut à haute voix :

« Henri sixième de nom, roi de France et d'Angleterre. »

Il garda pendant quelques instans le silence, puis jetant un regard assuré sur les chevaliers groupés autour de lui, il s'écria: Henri sixième de nom, roi de France et d'Angleterre! mensonge, beaux sires, mensonge! tant que Charles septième vivra, les chevaliers de la fleur de lys ne reconnaîtront pas d'autre sire.

Pélerin, dit Jean d'York, si je ne respectais ta robe de moine, je te ferais bruler la langue avec un fer rouge; mais le duc de Bedfort permet aux chiens de France d'aboyer inutilement après le fier léopard d'Angleterre.

Les convives répondirent par des cris de joie aux insolentes paroles du jeune lord. Le vieillard immobile à quelques pas de la table, baissa la tête, et si les chevaliers l'eussent regardé avec plus d'attention, ils l'auraient vu essuyer ses larmes avec un pan de sa robe grise; il avait dans son maintien toute la noblesse qu'exige un sentiment de dédain profondément concentré; la colère de Jean d'York ne fut pas de longue du rée; il se tourna vers le pélerin, et lui dit en souriant: Bon moine, je te pardonne si tu veux nous raconter des nouvelles du pays de France. Qu'as-tu vu? Qu'as-tu appris dans ton pélerinage?

J'ai vu le beau royaume des Fleurs-de-Lys mis à feu et à sang, répondit le vieillard ; j'ai entendu les malédictions du même peuple contre les soudards d'Angleterre qui dévastent les campagnes.

Et notre seigneur le duc de Bedfort....

Il vient de ternir à jamais l'éclat de sa gloire;

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