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GRÉGOIRE DE TOURS.

Tous les peuples honorent d'un certain culte, environnent d'une pieuse vénération, les hommes qui les premiers ont débrouillé leurs annales, et posé les fondemens de l'histoire du pays qui les vit naître. Si on recherchait la cause de cette admiration que nous ne pouvons refuser à nos premiers historiens, on la trouverait dans le prestige qui environne ces hommes dont les nobles figures nous apparaissent dans la nuit du passé, couronnées d'une auréole presque céleste.

C'est que la mission des premiers annalistes d'un peuple est aussi sainte que difficile à remplir. Ces ténèbres qui cachent l'origine de toute puissance humaine sont si épaisses, qu'il faut de longues années de travail pour lire dans le livre presque indéchiffrable des siècles héroïques des nations.

un

La transition du Bas-Empire à l'établissement des barbares dans l'Europe méridionnale, est encore abime dont la plupart des historiens n'ont pù sonder la profondeur : les conquérans succèdent aux conquérans, les races détruisent les races, et au milieu de ce cahos de peuplades sorties des forêts de la Germanie, il n'est pas facile de découvrir la vérité historique.

Aussi la France doit-elle un éternel tribut de vénération et de reconnaissance au prélat qui mit à profit la haute position sociale qu'il occupait dans les Gaules, pour recueillir les fastes militaires et religieux des rois de la première race.

Grégoire de Tours ne fut-il pas à la fois l'Hérodote et le Thucydide de la Gaule?

Ce savant prélat, l'oracle de son siècle, naquit en Auvergne vers l'an 539; issu d'une famille sénatoriale qui comptait plusieurs illustrations depuis la domination romaine, Georgius Florentinus étudia, dès son enfance, les belles lettres, sous les plus babiles maîtres de son temps. Il passa les années de sa jeunesse dans le silence du cloître; étranger au monde où le crédit de son père aurait pu lui faire obtenir les emplois les plus éminens, il ne se fit connaître que comme un pieux et studieux lévite. Ses parens appartenaient à une de ces illustres familles qui furent les premières à embrasser le christianisme; elle comptait des martyrs: Grégoire devait lui donner un saint de plus et un grand homme dont le nom se trouvera toujours mêlé à nos gloires nationales.

Quelques années avant la naissance de Grégoire, l'Auvergne, qui avait supporté pendant plus de trente ans la domination des Visigoths, tomba sous le joug des Francs, et Clovis, leur roi, en fit une des provinces du vaste empire qu'il devait fonder dans les Gaules; à la mort du conquérant, elle fit partie du royaume de Metz, et lorsque Grégoire fut en âge d'occuper les fonctions ecclésiastiques, l'Auvergne appartenait à Théodebert, petit-fils de Clovis. Le jeune lévite était alors près de saint Gal, évêque de Clermont, que le sénateur Florentinus avait spécialement MOSAÏQUE DU MIDI. 3e Année,

chargé des soins de l'éducation de son fils; les prélats étaient seuls dépositaires du feu sacré de la science dans ces siècles de barbarie. Grégoire profita si bien des leçons de son maître, qu'il se rendit bientôt célèbre dans les Gaules par sa piété, sa sagesse et ses vertus.

Parvenu à l'âge de trente-quatre ans, réputé savant parmi les jeunes lévites, Grégoire ne pouvait échapper aux honneurs de l'épiscopat.

Sigebert, roi d'Austrasie, qui l'avait déja employé dans plusieurs négociations, le fit nommer évêque de Tours en 573, et ce fut à cette occasion que le jeune Florentinus prit le nom de Grégoire, en l'honneur do saint Grégoire, évêque de Langres et son bisaïeul. Patricien et prélat gaulois, il fut appelé à prendre part à tous les événemens politiques qui bouleversaient alors les divers royaumes fondés par les enfans de Clovis ; il servit avec autant de zèle que de succès le roi d'Austrasie, son protecteur; mais l'infortuné Sigebert fut assassiné deux ans après la promotion de Grégoire au siège épiscopal de la ville de Tours; le duc Gontran qu'on accusait à tort d'avoir pris part à la mort tragique du roi d'Austrasie, fit couronner et reconnaître comme successeur de son père, Childeric, à peine âgé de cinq ans.

Le jeune prince trouva une puissante protection dans le dévouement de son oncle Gontran, et dans la fidélité que Grégoire de Tours avait jurée aux rois d'Austrasie; mais Chilpéric, roi de Soissons, et Frédégonde, sa coupable épouse, tentèrent un dernier effort pour s'emparer des états du pupille de Gontran. Ils parvinrent à en démembrer quelques parties, en subornant les gouverneurs des provinces, en intimidant les évêques. La ville de Tours passa alors sous leur domination. Grégoire, toujours dévoué à la malheureuse famille de Sigebert, ne se laissa pas effrayer par la présence et les menaces des usurpateurs. Lorsque le duc Gontran, poursuivi par le courroux de l'impitoyable Frédégonde, se rendit dans la ville épiscopale pour demander asile à Grégoire, le saint évêque lui dit :

« Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! >> oncle et protecteur du malheureux héritier de Si>> gebert, vous avez droit à la protection de l'église ; >> vous savez que le tombeau de saint Martin est un >> asile inviolable: venez, seigneur, et soyez sûr que >> Chilpéric et Frédégonde n'oseront jamais vous ar>> racher de cet asile sacré. »

En vain le roi de Soissons demanda qu'on lui livrât sa victime, Grégoire resta sourd à ses menaces comme à ses prières, et se contenta de répondre que le duc Gontran était sous la sauve-garde de saint Martin. Chilpéric, outré de colère, ravagea toute la province et n'épargna pas même les domaines de l'évêché de Tours le saint évêque fut inébranlable, et le proscrit échappa ainsi à la vengeance de Frédégonde.

Cette circonstance n'était pas la dernière où Grégoire

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de Tours avait à signaler son inaltérable dévouement aux rois d'Austrasie, ses premiers et légitimes seigneurs. Le fils de Chilpéric lui-même, l'infortuné Mérovée, qui avait epousé, contre le gré de ses parens, Brunehaut, veuve de Sigebert, trouva à son tour un asile près du tombeau de saint Martin de Tours. Grégoire ne vit dans ce prince que le tuteur du jeune Childebert, et refusa de livrer le proscrit aux capitaines envoyés par le roi de Soissons; Chilpéric courut alors mettre le siège devant la ville épiscopale, jura de la détruire de fond en comble, et protesta qu'il ne respecterait pas le tombeau de saint Martin, si vénéré par les païens eux-mêmes. Le saint prélat, dit une légende, se fiant à la miséricorde divine, persista dans sa noble résolution, et le siège durait depuis plusieurs jours, lorsque Mérovée, pour ne pas exposer son protecteur à la colère de l'impitoyable Frédégonde, parvint à s'échapper de la ville, déguisé en moine. Chilpéric se livra aux transports de la plus violente colère quand il apprit que l'époux de Brunehaut était hors de danger, et que Prétextat, évêque de Rouen, avait célébré leur mariage avec toute la pompe des cérémonies du catholicisme : cédant aux infernales instigations de Frédégonde, le roi de Soissons résolut de faire coudamner Prétextat ans une assemblée d'évêques.

En 577, quarante-cinq prélats se reunirent à Paris pour juger la conduite qu'avait tenue l'évêque de Rouen. Dans cette assemblée, les chefs des premières églises de la Gaule se montrèrent trop accessibles à la funeste influence de Chilpéric, qui poussa l'impudence jusqu'à jouer le rôle d'accusateur. Les paroles menaçantes du roi, la crainte de l'exil, avaient déja étouffé dans tous les cœurs le dernier sentiment de justice; Prétextat était sur le point d'être condamné, lorsque Grégoire, qui avait assisté impassible à ces étranges débats, osa eul parler en faveur de l'évêque de Rouen: il eut Lientôt ranimé le courage des membres du concile, et la dignité épiscopale sortit saine et sauve de ce dangereux combat.

« Un plus mûr examen, dit M. Barante, dut remplacer un jugement qui n'eut été que l'expression de la volonté et de la colère du roi. Chilpéric essaya tous ses moyens pour ébranler ou séduire Grégoire; tout fut inutile, le prélat défendit, sans nulle, faiblesse, la dignité épiscopale et les droits de l'accusé.

» Cependant, d'après des aveux obtenus par une fausse promesse de pardon, Prétextat fut dégradé et banni, jugement que Grégoire trouve fort rigoureux, mais qui satisfit si peu la vengeance de Frédégonde, que plus tard elle fit assassiner l'évêque de Rouen.

» Bientôt Grégoire eut à se défendre lui-même auprès de Chilpéric: des calomniateurs suscités par Frédégonde, accusèrent l'évêque de Tours de discours injurieux au roi, et de complots contre son autorité. Malgré le danger de se remettre aux mains d'un roi faible et d'une reine furieuse, Grégoire se rendit à l'assembléc des évêques, près de Soissons.

» Chilpéric, tout livré qu'il fût à Frédégonde, conservait encore le respect dù au saint caractère d'évèque. Grégoire fut admis à se justifier seulement par des sermens faits sur les autels; cette justification était par cela même si complète, que l'assemblée des évêques fut

sur le point d'interdire le roi des sacremens, et que les faux témoins furent sévèrement punis.

» Chilpéric ayant été assassiné à Chelles, Gontran, roi de Bourgogne, prit possession de Tours; Grégoire lui prêta serment d'obéissance, en réservant toutefois les droits du fils de Chilpéric, et de Childebert, roi d'Austrasie, que Gontran fit plus tard son héritier. Grégoire devenu médiateur entre l'oncle et le neveu, en fut toujours honorablement accueilli. Quelques années plus tard, l'évêque de Tours fut le principal auteur du traité d'Ancelot entre Childebert et Gontran, traité célèbre qui donna quelque repos à la France déchirée. »

Après la mort de Chilpéric et de Frédégonde, Grégoire de Tours jouit d'un si grand crédit qu'il devint en peu de temps l'oracle des évêques et des rois. La sainteté de sa vie, la profondeur de sa science dont il avait donné tant de preuves dans divers conciles, lui méritèrent, l'estime et la vénération de ses contemporains. Investi de pleins pouvoirs par plusieurs princes, il ne profita de son ascendant que pour conserver dans tout son éclat la prérogative épiscopale. Ce fut de lui que data la salutaire influence que les évèques exercèrent pendant plusieurs siècles sur les rois de la première et seconde races: il posa les bases du pouvoir à la fois spirituel et temporel, qui, plus large dans ses vues et ses desseins que le régime féodal, eût été pour les peuples du moyen âge le précurseur de leurs franchises municipales, si les puissans seigneurs n'eussent étouffé ces germes de liberté si abondamment semés en tous lieux, à l'aide des saintes doctrines de l'Évangile.

Certes, dans l'histoire ecclésiastique il n'est pas d'évêque qui ait joué un rôle si brillant et si important que celui de Grégoire de Tours; pasteur fidèle à son église, il protégea les peuples confiés à sa vigilance, et les mit souvent à l'abri de la rapacité des rois et des seigneurs. Homme politique, il siégea dans les grandes assemblées de la nation, et exerça toujours une salutaire influence dans les délibérations les plus graves. Ses travaux continuels ruinèrent en peu de temps sa santé qui avait toujours été faible et chancelante; les fonctions de l'épiscopat, le soin des affaires, l'étude, occupaient tous ses instans, et jamais vie ne fut aussi pleine, aussi féconde que la sienne. Malheureusement pour son diocèse et la France entière, elle ne se prolongea que jusqu'à l'âge de cinquante-quatre ans. Grégoire de Tours mourut en 593.

En lisant le récit des grands événemens auxquels il prit toujours une part plus ou moins active, on s'étonne qu'il ait pu soustraire à ses fonctions d'évêque, et à ses travaux d'homme politique, assez de temps pour composer ses volumineux ouvrages. Et pourtant la France le reconnaît pour son premier historien; c'est à lui que nous devons le mmencement de nos annales qui, sans

ses écrits, seraient enfouies dans le ténébreux cahos des premiers siècles de la monarchie.

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Grégoire de Tours, dit un de ses meilleurs biographes, (1) a laissé de nombreux écrits; lui-même en donne le catalogue à la fin de sa grande histoire.

J'ai écrit, dit-il, dix livres d'histoires, sept de miracles, un de la vie des pères; j'ai commenté dans

(1) Charles du Rozoir.

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un traité un livre des psaumes, j'ai écrit un livre d'heures ecclésiastiques.

<< Mais son principal ouvrage est son histoire ecclésiastique des Francs, titre qui révèle le secret de l'état social à cette époque.

« Ce n'est pas (1) l'histoire distincte de l'église, ce n'est pas non plus l'histoire civile et politique seule qu'a voulu retracer l'écrivain; l'une et l'autre se sont offertes en même temps à sa pensée, et tellement unies qu'il n'a pu songer à les séparer. Le clergé gaulois et les Francs, c'était alors en effet toute la société, la seule du moins qui prit part aux événemens, et put prétendre à une histoire; le reste de la population vivait misérable, inactif, ignoré. »>

« L'histoire ecclésiastique des Francs s'étend jusqu'à l'an 591, et se divise en 10 livres.

Le premier est un résumé assez confus de l'histoire ancienne universelle, surtout sous le rapport religieux; il se termine à la mort de saint Martin de Tours, en 397. Cette dernière partie renferme des détails intéressans sur l'établissement du christianisme dans les Gaules. Là se trouve le touchant épisode des époux de Lyon, injuriosus et scolastique qui consacrèrent l'un et l'autre leur virginité au chaste fils de Marie. Quoi de plus touchant que ce discours de l'époux aux funérailles de sa compagne!

Je te rends grâce, ô notre Seigneur, Dieu éternel! je rends à ta pitié ce trésor sans tache, comme je l'ai reçu de toi!

A ces paroles, l'épouse s'étant mise à sourire dans son cercueil, lui dit :

Pourquoi dis-tu ce qu'on ne te demande pas? Il ne tarda pas long-temps à la suivre; on les mit dans deux tombeaux séparés, et le lendemain, le peuple s'étant rapproché de l'endroit, trouva réunis les tombeaux qu'on avait séparés. »>

Le second livre s'étend de la mort de saint Martin de Tours à celle de Clovis. Le conquérant mérovingien nous apparaît dans toute la vérité de son caractère. Rien de plus intéressant que le récit de sa conversion. On est faché pourtant de la froideur avec laquelle le prélat historien raconte les crimes du catéchumaine de Saint-Remy:

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Chaque jour, dit-il, Dieu fesait tomber les ennemis sous sa main, et augmentait son royaume, parce qu'il marchait, le cœur droit, devant le Seigneur, et accomplissait les choses qui sont agréables à ses yeux. Le troisième livre se termine à la mort de Théodébert, roi d'Austrasie, en 547.

Le quatrième embrasse la suite des événemens jusqu'à la mort de Sigebert Ir, roi d'Austrasie.

Le cinquième contient les cinq premières années du règne de Childebert II, roi d'Austrasie.

Le sixième finit à la mort de Chilpéric, en 584.
Le septième est consacré à l'année 587.

Le huitième commence au voyage que fit Gontran à Orléans, en juillet 585, et finit à la mort de Lévigilde, roi des Visigoths d'Espagne, en 586.

Le neuvième se déroule de l'an 587 à l'an 589. Le dixième, enfin, s'arrête pour l'histoire politique, au moment où Frédégonde, en butte à la haine

(1) Guizot, Notice sur Grégoire de Tours.

des Francs, vient se mettre sous la protection de Gontran; et pour l'histoire ecclésiastique, à la mort de saint Yrieix, abbé en Limousin, au mois d'août 591.

Après avoir parlé d'une contagion et d'une disette qui, cette année, désola le pays de Tours et de Nantes, il termine par une chronique de 19 évèques de Tours, lui compris. C'est là qu'il donne l'énoncé de

ses ouvrages.

Il termine par ces mots dont la naïveté peint l'homme et son siècle.

« Je supplie mes successeurs de ne pas faire copier >> mes livres d'histoire, en choisissant certaines parties >> et en omettant d'autres, mais qu'ils demeurent sans » altération et en entier, tels que nous les avons lais» sés. Si par hasard, tu avais ( qui que tu sois) été >> instruit dans les sept sciences.... quelque grossier » que te paraisse notre style, je te supplie, n'efface » pas ce que j'ai écrit; mais si tu y trouves quelque >> chose qui te plaise, je ne refuse pas, en conser» vant notre ouvrage tel qu'il est, que tu l'écrives

» en vers. »

La préface de son histoire n'est pas moins simple, moins naïve; il y dépeint d'une manière remarquable l'état des sciences au vre siècle.

« L'étude des lettres périt parmi nous, dit le savant » évêque; on ne trouve personne qui puisse raconter » dans ses écrits les faits d'à présent. Voyant cela, » j'ai jugé à propos de conserver, bien qu'en un lan»gage inculte, la mémoire des choses passées, afin » qu'elles arrivent à la connaissance des hommes à ve»nir. Je n'ai pu taire, ni les querelles des méchans, »> ni la vie des gens de bien. J'ai été surtout excité >> par ce que j'ai souvent entendu dire à mes contempo» rains, que peu d'hommes comprennent un rhéteur »fesant le philosophe, tandis que la parole d'un homme simple et sans art, se fait entendre d'un grand >> ::ombre. >>

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Bien souvent l'Hérodote gaulois déplore la corrup→ tion des mœurs des grands seigneurs de son temps.

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« Il me pèse, dit-il, au commencement de son cinquième livre, d'avoir à raconter les vicissitudes des » guerres civiles qui écrasent la nation, le royaume des Francs, et chose cruelle! nous avons déja fait voir ces >> temps marqués par le Seigneur, pour d'affreuses ca» lamités! Le frère livrant le frère à la mort; le père » et le fils s'entregorgeant dans des accès de fureur. »

Quelquefois le vénérable historien ne craint pas de tracer l'effrayant tableau de la justice divine qui pèse de plus énergique et de plus simple en même temps, sur la tête des rois coupables. Quoi de plus touchant, que le récit qui termine le cinquième livre de son histoire des Francs!

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Sans Grégoire de Tours, dit M. de Barante, nous n'aurions aucune connaissance des premiers siècles de notre monarchie. Grâce à ses écrits, il n'est point de peuple qui ait des notions plus détaillées et plus certaines de son origine. C'est un vrai phénomène que de trouver, à la naissance d'une nation, un historien véridique, impartial, beaucoup plus éciairé qu'on ne l'est communément à de telles époques. Grégoire de Tours est un guide sûr dans la connaissance de l'état des peuples et de l'église de France jusqu'au temps où il vivait. Si l'on veut ensuite le considérer comme écrivain, trouvera dans son langage un triste témoignage du point où peuvent décheoir les lettres et l'esprit humain. Non seulement le latin qu'il emploie est grammaticalement barbare, mais il est sans force, sans expression, sans couleur. Grégoire de Tours était cependant nourri de la lecture des pères de l'église, et connaissait un peu la littérature romaine: il cite souvent Virgile, Salluste, Pline et Aulugelle. Mais cette langue si éloquente autrefois, s'était usée et flétrie contre la civilisation elle-même; elle avait pris le caractère des hommes qui la parlaient alors. Il y avait plutôt dégradation que barbarie. Les nations gothiques n'avaient pas encore, par un mélange intime, renouvelé les nations abâtardies sous le joug brisé de l'empire romain. Les vainqueurs opprimaient les vaincus, sans être confondus avec eux. Le style de Grégoire de Tours nous montre l'ignorance (1) Sauvignes, Essais historiques sur les mœurs des Franfais.

sans naïveté, la crédulité sans imagination. La piété a perdu la vive chaleur des premiers siècles de l'église, et n'en a gardé que la vaine subtilité : les recits sont froids et traînans, les peintures sans vivacité, les réflexions vulgaires. Enfin, on ne trouve dans ce langage rien qui ait le caractère propre à l'enfance d'une nation, rien de ce charme souvent plus vif et plus puissant que celui d'un langage perfectionné. Un homme, quelque distingué qu'il soit, ne peut triompher de son siècle. L'outil manque à l'ouvrier. Cependant Grégoire de Tours est quelquefois animé par les effroyables calamités dont il était témoin; son style prend alors un peu plus de force. Ce qu'on y remarque toujours, c'est un caractère de bonne foi, et un jugement libre et courageux des princes faibles ou féroces qui mêlaient leurs noms aux malheurs de la France (1).

A cette appréciation, peut-être un peu sévère des divers écrits de Grégoire de Tours, nous pouvons opposer le jugement d'un des meilleurs écrivains de notre siecle, dont l'honorable impartialité est connue depuis longues années.

«< Grégoire de Tours, dit M. Guizot dans une notice » sur le saint évêque, avait le double patriotisme de la >> religion et du pays. En lui se manifestait cette vertu » épiscopale, cette importance politique, qui transpor» tait alors à l'évêque la puissance du sénateur romain, » et offrait à la race vaincue une position respectée >> contre les violences de la conquête. Peu d'ecclésias>>tiques de son temps, avaient une dévotion, je ne dis >> pas aussi éclairée, mais moins aveugle, et tenant en >> ce qui touchait à l'église une conduite aussi modérée. Quel plus bel éloge peut-on faire de Grégoire de Tours! l'église la mis au rang des saints, et la France admirera toujours en lui le père, le créateur de son histoire nationale!

(1) Biographie Universelle.

Hyppolite VIVIEr.

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PÉLERINAGE A LA SAINTE-BAUME").

MONSIEUR LE Directeur,

Vous avez bien voulu vous étonner qu'après de longs et heureux pélerinages des bords du Var à ceux de la Bidassoa, je n'eusse à vous entretenir, ni de mes haltes sur quelque roc pyrénéen, ni de mes siestes sous les palmiers provençaux au nom des Muses

(1) Cet article, que nous sommes heureux de pouvoir reproduire. avait été composé pour la Revue du Midi, dont la publication a cessé à l'époque où M. Paya est devenu acquéreur de la Mosaïque. Le cachet de supériorité dont cette production porte l'empreinte, nous donne l'espoir que nos lecteurs nous sauront gré de la leur avoir fait connaître.

(N. du D.)

méridionales, vous avez réclamé mon offrande, modeste qu'elle fût.

Puisque par vous, tous sont appelés, j'accours avec l'arrière-ban des intelligences; à vos muses, que vous me promettez indulgentes, j'apporte humblement mon

ex-voto.

D'ailleurs, Monsieur, et pour ne plus parler de Muses, votre responsabilité, j'imagine, couvre ici la mienne. Vous m'avez obligeamment assuré que les lecteurs de la REVUE ne dédaigneraient pas d'être admis à l'intimité de mes souvenirs, et il me sera pardonné d'en avoir cru, sur sa parole, leur fondé do pouvoirs.

Encore un mot cependant, non pas d'excuse, mais,

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