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leur part que l'accomplissement d'un article inobservé de leurs statuts1.

Ainsi donc, dans la maison de Bourbon, Rodrigue n'était point vu du même œil par la mère que par les enfants, et son mariage n'eut certainement pas l'approbation de la duchesse. Il faut que celle-ci ait ignoré jusqu'au dernier moment une union dont on lui avait fait mystère, ou qu'en étant instruite elle ait mieux aimé s'éloigner de sa maison que d'y donner son consentement. On conviendra que cette dernière supposition expliquerait mieux la crainte que lui inspirait l'approche des routiers à la veille du mariage de leur chef. Revenons à présent à l'affaire négociée avec le cardinal espagnol.

Le comtat Venaissin était en pleine révolte contre la cour de Rome. Le pape Eugène IV ayant nommé au gouvernement de ce pays un vénitien de ses neveux, dont les habitants ne voulaient pas, ceux-ci portèrent plainte au concile de Bâle; car cette célèbre assemblée siégeait déjà depuis deux ans, et son hostilité contre le Vatican s'était manifestée plus d'une fois. Le concile déclara le choix du pape inacceptable, et nomma de sa propre autorité le cardinal Carillo'.

Une enquête sur la vie et les mœurs du candidat romain avait donné de tels résultats, qu'Eugène IV n'osa pas le maintenir; mais il ne voulut pas non plus reconnaître l'élu du concile. Il nomma à la légation d'Avignon le cardinal de Foix, frère du comte de Foix.

Ci-après, Pièces justificatives, no xxII.

Fantoni, Istoria della città d'Avignione, p. 314 et suiv.

Cependant Carillo, sans attendre l'approbation de Rome, avait pris possession du Comtat, et parce que sa présence à Bâle était indispensable, il avait mis à sa place dans son gouvernement l'archevêque d'Auch, créature du comte d'Armagnac; de sorte que la contestation s'était envenimée de l'animosité des deux maisons rivales, Armagnac et Foix.

Le cardinal de Foix, éconduit lorsqu'il se présenta avec ses bulles, ne recula pas devant l'emploi de ce qu'on appelait alors « le bras séculier. » Il invita ses deux frères, le comte de Foix et le comte de Comminges, à le venir mettre en possession de son gouvernement avec la suite qu'ils jugeraient nécessaire pour une pareille entreprise.

On devine maintenant la cause de l'inaction du comte de Foix en face des désordres dont le Languedoc fut le théâtre pendant l'hiver de 1433. Retiré dans son château de Mazères, en plein comté de Foix', il faisait ses préparatifs pour la conquête du comtat Venaissin, et n'avait garde de dépenser à l'avance ses hommes et ses ressources. Aux supplications qui lui étaient adressées de toutes parts il répondait par la promesse d'une action énergique aussitôt que le subside annuel aurait été octroyé par la province. Les États s'étant réunis au mois de mars, ainsi qu'il a été dit précédemment, les fonds votés par eux ne furent pas disponibles avant le mois de mai', de sorte que les routiers auraient continué leurs méfaits pendant tout ce temps-là, sans leur

1 Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 481. * Ci-après, Pièces justificatives, no xxiii.

concentration inopinée sur la Loire, qui fut prise pour la menace d'une invasion en Bourgogne.

Grâce à cette retraite les méridionaux respirèrent; mais le répit fut de peu de durée. L'entrée en campagne des troupes levées pour le pape fut le signal de

nouvelles incursions.

Avignon était le point de mire du comte de Foix; mais s'emparer d'Avignon n'était pas une petite affaire. Le roi Louis VIII l'éprouva anciennement, lui qui y consuma ses efforts et sa puissance pendant trois mois; et cependant les fortifications du treizième siècle, qu'avaient-elles été auprès de celles qui se dressaient devant le comte de Foix? Il n'y avait pas de surprise à tenter avec ce colossal château, avec cette enceinte de murailles si bien crénclées, si bien gardées par une population qui avait juré de ne pas recevoir d'autre gouverneur que celui qu'elle tenait du concile.

Tout cela considéré, le comte jugea prudent de s'assurer d'abord du Comtat. Il fit irruption par le pont Saint-Esprit, mit garnison dans toutes les villes qu'il put se faire ouvrir, et n'établit qu'en dernier lieu ses lignes d'investissement autour d'Avignon '.

Alors le cardinal Carillo, qui travaillait depuis longtemps à se faire un ami du routier, son compatriote, jugea le moment venu de lui découvrir les vues qu'il avait sur lui. Il lui représenta l'intérêt de la chrétienté tout entière engagé dans cette question du gouvernement d'Avignon. La reconnaissance des pères du con

Miguel del Verms, Chroniques béarnaises, éd. Buchon, p. 595.

cile et de tous les vrais fidèles, disait-il, serait acquise à celui qui prendrait la défense du droit contre les violences d'une famille criminelle. Finalement il l'exhorta à se proposer pour ce rôle glorieux.

Rodrigue ayant écrit à l'assemblée de Bâle conformément au conseil du prélat, la délibération suivit de près sa lettre. Par un décret rendu dans le temps où il célébrait son mariage en Bourbonnais, le concile, au nom de l'Église universelle, arma le bras du comte de Ribadeo, afin que, par lui, la cité pontificale fût préservée de l'outrage qui la menaçait'.

Par quel côté Rodrigue pénétra-t-il dans le Comtat? Quelles opérations poursuivit-il pour l'accomplissement de sa mission? Voilà ce que je n'ai trouvé dit nulle part. On voit bien qu'une partie des routiers prirent position dans la senéchaussée de Nîmes, afin d'inquiéter le comte de Foix qui avait établi son quartier général à Villeneuve, au bout du pont d'Avignon. Au sujet des compagnies qui traversèrent le Rhône, nous ne possédons qu'un témoignage indirect : une plainte d'Eugène IV contre le concile qu'il accuse d'avoir déchaîné sur les terres de l'Église le meurtre, le pillage et l'incendie3.

Le comte de Foix, pendant qu'il se tenait à Villeneuve, fit une chose excessive. Trouvant insuffisants les impôts votés à Béziers au mois de mars précédent, il convoqua de nouveau les États du Languedoc, et les

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Ci-après, Pièces justificatives, no xxv.

Menard, Histoire de Nîmes, t. III, p. 160.

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Unde tot guerrarum strages, tot rapinæ, tot homicidia, tot in

cudia suborta sunt. » Dans Raynaldi, Annales ecclesiastici, t. IX, p. 134.

obligea de lui venir octroyer d'acclamation, dans son camp, le surcroît d'une contribution de guerre énorme: 70 000 moutons d'or qui s'ajoutaient à 120 000 déjà payés. Le seul motif allégué pour justifier cette extorsion fut la nécessité de résister à Rodrigue'. Or n'était-il pas clair à tous les yeux que l'ennemi auquel on faisait la guerre n'était pas Rodrigue, et que la résistance aux routiers n'eût pas exigé qu'on s'engageât dans les frais d'un siège dispendieux? Mais ces anciennes assemblées d'États, assemblées payantes plutôt que délibérantes, n'étaient pas plus maîtresses de se soustraire aux fictions gouvernementales de que refuser les contributions qu'on les mettait en demeure de voter.

Dès que le comte eut de l'argent, il poussa son siège avec une vigueur extrême. A défaut de ces gros canons, dont des armées mieux pourvues que la sienne faisaient usage pour pratiquer la brèche, il employa contre Avignon les ressources de l'ancienne artillerie. Il fit construire de ces grandes catapultes, appelées trébuchets, au moyen desquelles des quartiers de roche pouvaient être lancés à des distances considérables. Une grêle de ces projectiles tombant sur la ville produisit l'effet d'un bombardement. Des maisons furent effondrées, des personnes écrasées, et les Avignonnais

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Ci-après, Pièces justificatives, n° xxvii.

« Grans engens ab los quals abatia et derocava los hostals de la dita ciutat d'Avinho. » Miguel del Verms, p. 595. On a, pour cette année même 1453, les comptes de construction de plusieurs de ces machines exécutées pour le duc de Savoie, à Bourg-en-Bresse. Mémoires de l'Académie royale de Savoie, deuxième série, t. I, p. 203 (1851).

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