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avait rendus orphelins, s'élevèrent comme ils purent sous le gouvernement des femmes. Charles, l'aîné, qui portait le titre de comte de Clermont, dut, à sa sortie de tutelle, prendre en main l'administration du duché, Dieu sait au milieu de quels embarras. On était au plus fort de la guerre civile compliquée de la guerre étrangère. Dans les moments de répit où le Bourbonnais n'avait pas besoin d'être défendu contre les Bourguignons ou contre les Savoisiens, il fallait se rendre aux armées du roi, et de toute façon les frais de la guerre retombaient sur une malheureuse petite province qui, en temps de paix, rendait à peine de quoi faire subsister ses seigneurs.

Le prince qui se trouvait en face de ces difficultés jugea bonne à cultiver l'amitié d'un condottiere comme Rodrigue. Il comptait par là disposer à son gré d'une force militaire respectable, pour le payement de laquelle il aurait l'avantage d'obtenir des facilités. Le castillan, reçu dans les châteaux du duc, y fut l'objet d'attentions d'autant plus marquées, qu'il répondit pleinement à ce qu'on avait attendu de lui. Peu à peu il se familiarisa et prit de l'ascendant dans la maison. Il trouva dans l'un des bâtards, qui s'appelait Gui, un homme né pour la guerre : : il lui donna un commandement dans ses compagnies. Un autre, qu'on avait fait chanoine à Beaujeu, ayant abjuré la profession ecclésiastique, il le prit également à son école, ne prévoyant pas où ses leçons le conduiraient. C'est cet Alexandre de Bourbon dont la mémoire a été perpétuée jusqu'ici à Bar-surAube par un monument érigé sur le milieu du pont,

à l'endroit d'où il fut précipité dans la rivière et noyé par ordre de Charles VII.

La famille comptait en outre deux bâtardes. La beauté ou le blason de l'une d'elles, qui s'appelait Marguerite, firent songer à Rodrigue qu'il n'avait pas à chercher mieux que cette personne pour faire une comtesse de Ribadeo. Il fit part de sa prétention, qui ne fut pas repoussée. L'unique difficulté fut de trouver ce que l'on détacherait du domaine ducal pour constituer une dot à la jeune fille. Soit qu'on ait jugé à propos de se passer du consentement du père, qu'il aurait fallu envoyer chercher à Londres, soit que le duc consulté eût fait savoir qu'il se remettait de tout à son fils aîné, le comte de Clermont fut seul en nom dans toute la conduite de cette affaire.

Le 24 mai 1433, il présenta à l'enregistrement de la chancellerie de Cusset les conventions arrêtées entre Rodrigue de Villandrando et lui pour l'établissement de sa sœur naturelle'. La dot se composait de la seigneurie d'Ussel en Bourbonnais, avec un revenu garanti de mille livres, plus une somme une fois payée de deux mille écus pour le trousseau. Vu le mauvais état du château d'Ussel, celui de Châteldon fut provisoirement assigné comme demeure aux conjoints. De son côté, le futur versa une somme de huit mille écus d'or pour constituer le douaire de sa femme, et il prit sur lui l'engagement « d'enjouailler ladite demoiselle bien et deument, selon son estat, » c'est-à

1 Ci-après, Pièces justificatives, no xxv.

dire de lui acheter les parures et bijoux séant à princesse du sang royal et femme de comte.

La cession d'Ussel, bien qu'Ussel eût le rang de ville fermée, était loin de constituer une fortune. Outre la demeure seigneuriale reconnue inhabitable, le revenu de la terre était si loin du compte que l'on avait fait, qu'une retouche du contrat en date du 2 août 1436 prouve que, durant les trois premières années de son mariage, Rodrigue ne put réaliser que trois cents livres sur les mille qui avaient été stipulées'. Mais, se trouvant déjà posséder une vingtaine de seigneuries en Bourbonnais, et gagnant assez pour enrichir sa femme, il mit au-dessus de l'avantage pécuniaire l'honneur de s'allier à la maison de France.

Son intention paraît avoir été d'abord de célébrer ses noces par une danse générale de ses bandes sur les terres du duc de Bourgogne.

Il avait à cœur de délivrer le Bourbonnais du voisinage d'un aventurier qui faisait mine de prendre dans le parti ennemi une situation analogue à celle que lui, Rodrigue, occupait dans le parti français. C'était aussi un espagnol, mais non pas un castillan. Les nôtres l'appelaient François l'Aragonais, ou, de son nom de famille plus ou moins fidèlement rendu, François Surienne. Les dispositions antifrançaises de la puissance sous laquelle il était né expliquent son hostilité contre tout ce qui tenait à la cause de Charles VII. Il porta pendant tout le temps des guerres la croix rouge, soit

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des Anglais, soit des Bourguignons. Son dévouement aux Anglais lui valut la chevalerie de la Jarretière, conférée si rarement aux étrangers.

Ce capitaine occupait Marcigny qu'il avait eu l'adresse de reprendre sur les Français. Ceux-ci s'étant dédommagés de cette perte par la prise du château de Solutré près de Mâcon, on se poursuivit d'un côté et de l'autre avec un acharnement si préjudiciable au pays, que les habitants s'offrirent à contribuer pour une trêve, dont la première condition était l'évacuation des deux places. Mais lequel des deux partis voudrait s'exécuter le premier? Surienne insista pour être payé d'abord. On lui compta son argent, et Marcigny ne fut pas rendu1.

Le comte de Ribadeo trouva les choses en ce point et jugea qu'au lieu d'attendre de l'Aragonais une chose qu'on n'obtiendrait jamais de lui, au lieu aussi de continuer indéfiniment la guerre d'escarmouches, il valait mieux tenter un grand coup. Ses compagnies, cantonnées dans le Lyonnais et le Beaujolais, étaient prêtes à se mettre en mouvement. On le savait à Mâcon et à Dijon, où l'inquiétude fut à son comble. Des convocations écrites furent envoyées dans toutes les directions à la noblesse bourguignonne, pour qu'elle se hâtât de venir à la défense des pays menacés. Puis tout d'un coup le danger

1 Marcel Canat, Documents inédits pour servir à l'histoire de Bourgogne, pp. 217, 220, 223, 225, 229, 234, 329.

2 Jacot Boisot, Guillaume Boisot, Simonnet Martin et Jehan de Monsterendel, notaires publiques, demorans à Dijon... ont escript en leur papier deux cens vingt lettres closes contenans chacune plus d'une fueille de papier, adrecées par Mgr le gouverneur de Bourgongne à plusieurs

se détourna; la Bourgogne eut à se porter contre une autre armée française qui s'avançait par la Champagne '. Quant aux routiers de Rodrigue, ils avaient disparu. Ils étaient partis pour une expédition qui fut le résultat des intelligences de leur capitaine avec le cardinal Carillo.

Avant d'aller plus loin, je placerai ici une anecdote qui se trouve consignée sur l'un des registres capitulaires de la cathédrale de Lyon.

Au moment où l'on se livrait à tant de commentaires sur les évolutions probables du comte de Ribadeo, les mêmes terreurs dont tout le monde était assiégé en Bourgogne troublaient le sommeil de la duchesse de Bourbon, l'épouse affligée du duc prisonnier dont nous parlions il n'y a qu'un instant. Cette princesse, alors en résidence à Lyon, était logée dans le cloître de la cathédrale. Entendant dire autour d'elle que les gensd'armes de Rodrigue étaient convoqués pour porter la guerre en Savoie et qu'ils allaient venir camper près de Lyon, à tort ou à raison elle se figura qu'il y aurait du danger pour elle dans ce voisinage, et elle fit présenter requête au chapitre pour que les portes du cloître fussent fermées pendant la nuit. Les chanoines s'empressèrent de faire droit à cette demande : ce qui ne fut de

nobles des païs de Bourgongne, touchant qu'ilz soient à l'Abergementle-Duc prez de Seurre, le xvo jour de may м ccccxxxiij, pour aler au devant de Rodrigue et autres cappitaines des ennemis, que l'on dit estre à grant puissance sur les frontières de Charrolois et Masconnois, en entencion d'entrer ès pays de Bourgongne, s'ils peuent. » Septième compte de Mahieu Regnault, fol. 103 vo, aux Archives de la Côte-d'Or.

1 1 Lefèvre de Saint-Remy, c, CLXXVI.

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