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en appela au roi, qui écrivit à Rodrigue de se désister de sa demande. Alors, au nom du maître dont l'intervention le privait d'un cadeau de quelques écus, ce docile serviteur se fit livrer passage par la même cité de Tours, non pas pour vider le pays plus vite, comme on aurait pu le croire, mais pour aller s'établir à l'autre bout du pont, sur la rive droite de la Loire. Là, maître de toutes les voies de communication, il leva tribut pendant plusieurs semaines sur les passants et sur les convois 1.

On ne voit pas qu'en faisant tout cela Rodrigue ait compromis sa faveur ; on voit au contraire qu'il avança en dignité, car pendant l'hiver qui suivit sa campagne de Touraine il porta le titre de conseiller et chambellan du roi. C'était l'office de cour supérieur à celui d'écuyer d'écurie. Qu'il l'ait reçu comme dédommagement de ses pertes aux Ponts-de-Cé ou bien à raison de ses prouesses en Languedoc, où il se rendit en quittant la Loire, ses titres pour l'obtenir furent, dans un cas comme dans l'autre, absolument de même aloi.

Le comte de Foix était toujours investi de la lieutenance générale du Languedoc, toujours aussi au plus mal avec le comte d'Armagnac, sans être mieux pour cela avec le sire de la Trémoille. Cet intraitable mériridional tranchait du souverain dans son gouvernement. Ayant converti l'évêché de Béziers en citadelle, il assemblait là les États de la province au milieu de ses gens-d'armes, sous une batterie de canons dont il avait

Ci-après, Pièces justificatives, n° xxii. 2 Pièces justificatives, no xvIII.

garni la plate-forme de la cathédrale. Il faisait voter les impôts, prenait sa part et laissait le reste à la disposition des commissaires du roi'. Lâcher les routiers contre un pareil tyran n'eût été que demi-mal, si lui seul et les siens avaient dù en pâtir; mais le plus fort des souffrances allait retomber sur les malheureuses populations confiées à sa garde, et c'est pourquoi, avec la grande apparence qu'il y a que l'agression de Rodrigue fut tolérée en haut lieu, on est forcé de conclure que la politique de ce temps-là fut une politique abominable.

Un appel aux armes de la noblesse et des communes du Bas-Languedoc, au mois de décembre 1452*, nous instruit de l'approche des bandes. Celles-ci se cantonnèrent dans leurs retranchements accoutumés des Cévennes. L'hiver, qui fut un des plus rigoureux du siècle, les empêcha de faire d'abord trop parler d'elles; mais dès que les neiges eurent commencé à fondre, elles firent irruption de toutes les vallées à la fois, par Saint-Ambroix, par Alais, par Anduze, par Ganges et le Caylar3. La compagnie qui était sous le commandement direct de Rodrigue prit la droite et pénétra jusqu'en Albigeois. Le château de la Garde-de-Viaur, près de Montirat, devint le quartier général du capitaine.

L'alarme fut chaude à Albi. Le consulat fit travailler tumultuairement aux fortifications et décréta toutes les mesures que comportait l'état de siège. A l'autre extré

1 Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, pp. 474, 477. Ménard, Histoire de Nîmes, t. III, P. 256 des preuves.

3 lbid., p. 237 et 238.

Jolibois, Inventaire sommaire des archives communales d'Albi,

p. 45.

mité de la ligne d'invasion, Nîmes n'éprouvait pas de moindres inquiétudes. On mit en état les engins de la commune; des hommes placés en observation sur la Tour-Magne et dans le clocher de la cathédrale eurent à signaler d'heure en heure l'état de la plaine, pendant que des courriers allaient dans toutes les directions, ou chercher des nouvelles des gens-d'armes de Rodrigue, ou annoncer dans les villages la visite prochaine de ces hôtes redoutables1.

Cependant le comte de Foix, àqui était confié le salut de la province, n'apparaissait pas. Pourquoi n'amenaitil pas les troupes qu'il avait sous son commandement? où était-il? que faisait-il? On le saura dans un instant. Il suffit de constater ici qu'éloigné des lieux où son devoir l'appelait, il donnait ses soins à une correspondance secrète dont Rodrigue et ses routiers n'étaient que l'objet secondaire'.

Les villes, lasses de ces alertes continuelles, parlèrent de composer. Il fut question de cela aux États de la province tenus à Béziers au mois de mars 1433; mais l'assemblée n'osa pas prendre des arrangements qui auraient pu indisposer le comte de Foix absent. En conséquence, elle vota purement et simplement une somme de cent vingt mille moutons d'or, sur laquelle elle laissait à prendre aux officiers du roi ce qu'il faudrait pour rétablir la sécurité dans le pays.

1 Ci-après, Pièces justificatives, n° xx1; Ménard, Histoire de Nîmes, t. III, p. 160 et suiv.

Ci-après, Pièces justificatives, n° xx.

3 Vaissete, t. IV, p. 480, dit : « Les États indiqués à Béziers pour le 8 mars n'eurent pas lieu, à ce qu'il paraît. » Notre pièce justificative, n° xxIII,

Dans les actes d'où sont tirés les faits qu'on vient de lire, le nom de Rodrigue revient à tout propos. On dirait que les mesures de salut public ont été motivées par lui tout seul, et qu'elles sont prises uniquement contre sa personne. Les populations effarées ne voient que lui il est à la fois dans la direction des quatre points cardinaux, et à la tête de toutes les bandes, et derrière les flammes de tous les incendies signalés à l'horizon. Il est vrai que la rapidité habituelle de ses mouvements avait accrédité l'opinion que ni le temps ni la distance ne comptaient pour lui. C'est au point que, depuis qu'il posséda le comté de Ribadeo, par ses apparitions fréquentes en Galice même au plus fort des opérations qu'il dirigeait en France, il devint pour les Basques un personnage proverbial. En Navarre et en Biscaye on disait de ces gens qui sont toujours par voie el par chemin et qu'on ne sait où saisir : « Il est comme Rodrigue de Villandrando, ici aujourd'hui, demain là1.»

Cette fois cependant ce ne ne fut pas le cas. Rodrigue avait des lieutenants pour s'en servir, et sa grandeur lui imposait alors d'autres soins que celui de diriger des razzias.

prouve qu'ils eurent lieu au contraire, et qu'ils votèrent l'impôt de la manière accoutumée. La tenue de l'assemblée et la question qu'on y traita ressortent d'ailleurs assez clairement du voyage d'un courrier député à Béziers par les consuls de Nîmes, au commencement de mars, « per saver novelas de las gens d'arinas de Rodiguo et de mons. de Foix ». Rodrigue, ainsi que le comte de Foix, étant alors très éloignés de Béziers, ce qu'on pouvait apprendre sur leur compte, dans cette ville, n'était que les décisions prises à leur égard, ou les nouvelles que les États recevaient d'eux. 1 Rodrigo de Villandran egun emen eta biar an». Esteban Garibay, auteur contemporain de Philippe II, nous a conservé ce dicton, encore usité de son temps. Jose Maria de Eguren, Revista europea du 9 août 1876.

La chose dont il paraît s'être surtout occupé en ce temps-là fut d'augmenter le nombre de ses alliances et de resserrer davantage celles qu'il avait contractées déjà.

On le voit, sous l'obligation des serments les plus solennels, s'attacher d'amitié (et de ce genre d'amitié qui entraînait l'assistance des armes) avec le vicomte de Turenne, alors le plus puissant seigneur du Limousin1. Le cardinal espagnol don Alfonse Carillo ayant été porté au gouvernement d'Avignon, il entretient une correspondance active avec ce prélat, qui s'était rendu son obligé en lui empruntant de l'argent. Il est en échange de lettres et de messages avec la cour de Castille, avec le sire de la Trémoille, avec la plupart des barons de la France méridionale, et surtout avec la famille de Bourbon, où il poursuit une affaire de première importance pour lui, et qui est sur le point d'aboutir celle de son établissement.

L'origine des relations de Rodrigue avec les princes de Bourbon a été indiquée précédemment. La connaissance commencée en 1422 était devenue une liaison intime, grâce à des circonstances qu'il faut savoir.

Le duc Jean Ier, chef de la famille, fut fait prisonnier à la bataille d'Azincourt, et taxé pour sa rançon à une somme d'argent si considérable que, depuis dix-huit ans qu'on cherchait à la compléter, on n'y était pas encore parvenu; et l'on n'y parvint jamais. Huit jeunes enfants, tant légitimes que naturels, que cette captivité

1 Ci-après, Pièces justificatives, n° xix.

2 La somme considérable de 2000 ducats. Pièces justificatives, no xi.

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