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partie de la vie du capitaine espagnol qui se passa en France.

Villandrando ou, conformément à la signature de Rodrigue lui-même, Villa-Andrando, est un village de la Vieille Castille entre Burgos et Valladolid. La famille qui porta ce nom ne fit pas d'abord très-grande figure, malgré l'illustre origine qui lui a été assignée par Josef Pellizer. Suivant ce généalogiste, elle serait descendue des comtes souverains de Biscaye. Le même auteur ajoute qu'elle fut partagée, depuis le treizième siècle, en deux branches, dont l'une se perpétua à Valladolid, tandis que l'autre émigra en France. La branche française aurait fondé la seigneurie de Villandraut en Guienne, qui ne tarda pas d'être portée dans la maison de Goth par une femme, et cette femme serait la mère du pape Clément V1.

Il est notoire que Clément V, de son nom de gentilhomme Bertrand de Goth, naquit à Villandraut; mais tout le reste du récit de Pellizer est un tissu d'hypothèses et de rapprochements forcés, qui a pour unique fondement l'identité apparente des deux noms Villandrando et Villandraut. Or Villandraut n'est que la prononciation altérée d'un nom qui s'est dit d'abord en latin vinea Andraldi et qui, au quatorzième siècle, s'écrivait encore dans sa forme romane Vinhandraut2.

1 D. Josef Pellizer, Informe del origen, antiguedad, calidad y succesion de la excelentissima casa de Sarmiento de Villamayor. Madrid, 1665, fol. 95.

2 Charte de 1313 dans la Bibliothèque de l'École des chartes, IV° série, t. IV, p. 81; Bladé, Notice sur la vicomté de Bezeaume, le comté de Benauges, les vicomtés de Breuilhois et d'Auvillars et les pays de Villandraut et de Cayran, p. 73. Bordeaux, 1878.

Ce qu'on rapporte des Villandrando de Valladolid offre plus de certitude. De père en fils ils exercèrent dans cette ville des fonctions administratives. Lorsque les Français entrèrent en Espagne sous le commandement de Du Guesclin, don Garcia Gutierrez de Villandrando, alors chef de la famille, se joignit à eux comme partisan du prince Henri de Transtamarre. Il se lia avec le chevalier Pierre Le Besgue de Villaines, le même qui, au dire de Froissart, arrêta de ses mains le roi don Pèdre, lorsque celui-ci cherchait à s'évader du château de Montiel1.

Cette amitié formée sous le drapeaux amena le mariage de Garcia Gutierrez avec la sœur de Pierre Le Besgue union brillante lorsqu'elle fut conclue, parce que le gentilhomme français venait d'obtenir, pour prix de ses services, le rang de grand de Castille avec le comté de Ribadeo en Galice'.

Garcia Gutierrez donna le jour à Ruy Garcia de Villandrando, qui fut regidor de Valladolid, et à don Pedro, seigneur de Bambiella, qui mourut en 1400, jeune et veuf déjà depuis plusieurs années, laissant la dot de feu Aldonça de Corral, sa femme, fortement endommagée, et trois fils au moins dont l'aîné, Rodrigue, est celui que concerne cette notice.

Lors du décès de don Pedro, Rodrigue pouvait avoir d'âge treize ou quatorze ans. Ses frères et lui

Froissart, 1. I, 2o partie, ch. CCL.

Josef Pellizer, Informe del origen, etc., fol. 94, ro.

3 Elle est appelée Inez par le P. Anselme, ainsi que dans le Dictionnaire de Moréri. Le témoignage de Josef Pellizer présente plus de certitude.

restèrent sous la tutelle de leur oncle, Ruy Garcia, et de leur grand'mère, Térésa de Villaines. Il paraît bien que quelque chose leur avait été assigné, sur le revenu du comté de Ribadeo, par Pierre Le Besgue, qui vivait toujours; mais ce seigneur, accablé de vieillesse, négociait alors la vente d'un bénéfice sur lequel il avait trop à perdre à cause de l'éloignement'. Il se défit de son comté afin d'acheter, du prix qu'il en tira, la riche et libre seigneurie normande que l'usage était déjà d'appeler le « royaume d'Yvetot. » Sa sœur, désespérée, fit tout ce qu'elle put pour retenir ce que cette aliénation faisait perdre à ses petits-enfants. Un procès dans lequel elle s'engagea ne lui réussit pas; elle mourut, et les pauvres orphelins n'eurent plus d'appui qu'en leur oncle le régidor, lequel n'était pas en situation de faire beaucoup pour eux, ayant une fille à marier, et préparant les choses de loin pour que le gouvernement de Valladolid lui servît de dot un jour

à venir3.

Voilà bien de la généalogie, mais qui n'est pas sans avoir son opportunité. Nul doute que les traditions de famille n'aient été pour beaucoup dans la destinée de Rodrigue de Villandrando. Issu par sa grand'mère d'une famille des environs de Paris (Villaines est près de Pontoise, et la résidence habituelle de Pierre Le

1 Jose Maria de Eguren, Noticia histórica del origen y fundacion del condado de Rivadeo, dans la Revista europea, t. VII (1876), p. 213.

Contrat passé au Châtelet de Paris, le 2 mai 1401. Notice sur les rois d'Yvetot dans l'Annuaire de la noblesse pour 1871-1872, p. 287.

3 Pellizer, Informe del origen, etc., fol. 94, v°.

Besgue fut Villiers sous Néaufle-le-Châtel)', bercé avec le récit des exploits de son grand-oncle et induit de bonne heure à espérer que la fortune ne lui serait pas moins propice en France qu'elle ne l'avait été à Pierre Le Besgue en Espagne, lorsqu'il fut d'âge à voler de ses propres ailes, il se dirigea résolument de ce côté-ci des Pyrénées

Il arriva lorsque s'annonçait la division fomentée par la rivalité des deux maisons d'Orléans et de Bourgogne, à la veille d'une guerre civile où il allait d'abord trouver de l'emploi.

corps

S'il est le même qu'un certain Rodigo, que l'on trouve inscrit sur les rôles d'un corps d'armée répandu dans le Rouergue en 1412 et 1415', il faut admettre qu'il fit ses premières armes sous le fameux Bernard d'Armagnac, lequel avait formé lui-même ce d'armée pour s'en servir contre les commissaires du roi en Languedoc. Il y a lieu toutefois d'hésiter sur l'identification, attendu que d'autres Espagnols du nom de Rodrigue servirent la France en ce temps-là (on en aura la preuve par la suite de ce récit), attendu aussi que notre Rodrigue ne figure jamais sans son nom de famille dans les documents administratifs qui le concernent.

Un témoignage plus positif que le précédent, et qui pourrait à la rigueur se concilier avec lui, nous repré

Lettre de rémission communiquée par M. Siméon Luce, JJ 139, n° 104, aux Archives nationales.

2 Archives de l'Aveyron, C. 1345, f. 122, v°, et C. 1369, f. 3, v. Communication de M. Paul Durrieu.

3 Vaissete, Histoire générale de Languedoc, t. III, p. 430.

sente Rodrigue de Villandrando introduit de bonne heure auprès d'un capitaine redouté, qui était en même temps. l'un des puissants seigneurs du pays d'origine des Villaines. C'est ce Villiers de l'Isle-Adam1, de sinistre mémoire, à qui il était réservé de conduire l'entreprise nocturne par laquelle Paris fut définitivement livré aux Bourguignons. Mais, lorsque notre jeune castillan s'attacha à lui, on était encore éloigné de ce dénouement funeste. L'Isle-Adam, comme tant d'autres gentilshommes, n'eut point d'abord d'opinion arrêtée. Il prit les armes dans l'intention de servir le roi, et changea volontiers de parti, suivant que les chefs de l'un ou de l'autre parvenaient à confisquer la personne de Charles VI. Mais, à la troisième ou quatrième évolution qu'il voulut faire, il fut repoussé par le comte d'Armagnac. Alors il devint l'implacable bourguignon que nous ont fait connaître les chroniques.

Par les termes dont s'est servi Hernando del Pulgar pour retracer les débuts de Rodrigue, le représentant comme un ouvrier qu'un patient apprentissage aurait conduit au plein exercice de sa profession3, il faut entendre que le jeune castillan servit d'abord en qualité de page sous le capitaine, quel qu'il fut, qui l'avait premièrement accueilli, et que ce n'est qu'après avoir passé

1 Chronique récemment publiée par M. Kervyn de Lettenhove, sous le titre de Livre des trahisons de la France contre la noble maison de Bourgogne, volume de la grande collection des documents inédits belges, intitulé Chroniques relatives à l'histoire de la Belgique sous la domination des ducs de Bourgogne, p. 162.

3

2 Jean Jouvenel des Ursins, Chronique, ad ann. 1417.

Moço y despues hombre mancebo, etc. » Voy. Pièces justifica, tives, no 1.

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