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dont chacun s'avança à la défense des points menacés. L'avantage du nombre n'était pas du côté des Anglais, à cause des hommes laissés pour la garde du camp et des lignes du siège: aussi le duc avait-il résolu de n'en venir à une action générale qu'autant qu'elle serait engagée par l'ennemi. Il commandait une partie de la chevalerie qui allait faire face à ce que nous pouvons appeler les réguliers français; le capitaine détaché sur la droite, afin de barrer le passage au castillan, fut l'ancien instituteur de celui-ci, le maréchal anglo-bourguignon Villiers de l'Isle-Adam 1.

Est-ce une combinaison fortuite, est-ce une provocation comme on s'en faisait alors à la veille des batailles, qui mit ainsi en présence le maître et le disciple? Les chroniqueurs n'en disent rien, mais ce qu'ils laissent voir très clairement, c'est que l'action décisive de la journée se passa entre ces deux capitaines, tandis que sur les autres points il n'y eut que des feintes ou des escarmouches.

L'engagement commença sur le Ru de Gouverne. Là le combat fut une mêlée opiniâtre. Longtemps on vit les deux partis gagner, perdre, ressaisir la rive opposée, et cela, tous les deux à la fois, ondoyant l'un sur l'autre, reculant ici, avançant là. Enfin l'effort des routiers l'emporta; les Anglais, culbutés et dispersés, leur abandonnèrent la possession de la prairie, où Rodrigue refit bien vite son corps de bataille pour courir aux lignes des assiégeants et les traverser; car cette partie de la besogne restait à faire.

1 Monstrelet, 1. II, ch. cxxi (t. V, p. 34).

Pendant le combat qui venait d'avoir lieu, les Anglais postés devant la ville avaient pris l'offensive contre les assiégés, et s'étaient emparés d'une forte redoute établie devant la porte par où devaient entrer les Français. L'étendard d'Angleterre, arboré sur ce point', portait au loin l'annonce d'un succès qui aurait été de grande conséquence, si la division du comte de Ribadeo eût été repoussée. Au contraire, par suite de la tournure qu'avaient prise les choses, les vainqueurs de la redoute furent écrasés entre les gens de Lagny, qui firent irruption par derrière, tandis que les routiers pressaient en face'. La position perdue fut reconquise par les Français, le terrain nettoyé et rendu libre pour la marche du convoi.

Mais le transport ne se fit pas si rapidement que le duc de Bedford n'eût le temps d'accourir avec une partie des hommes ralliés de l'Isle-Adam et d'autres pelotons retirés de la garde des retranchements. Il parut lorsque les charrettes, accumulées à la tête du pont-levis, prenaient le passage l'une après l'autre, difficilement, lentement.

Faire volte-face, conduire la moitié de son monde à l'ennemi, jeter l'autre moitié dans un ouvrage de terre que venaient d'abandonner les assiégeants, tels furent les mouvements que Rodrigue conçut et exécuta avec une merveilleuse promptitude. Alors commença un troisième engagement, plus meurtrier que les deux autres et plus pénible à cause de l'intensité de la cha

1 Journal de Paris, ad ann. 1432.

* Jean Chartier, t. I, p. 145.

leur1; car on était au milieu de la journée, et d'une journée d'août. La plupart des hommes-d'armes ayant mis pied à terre, on s'était abordé sur un espace très étroit, à travers les ouvrages du siège, et de part et d'autre on se tenait main à main, la pointe de l'épée sur la gorge. Heureusement pour les Français, ils eurent ce retranchement occupé par eux, qui leur servit pour reprendre haleine. Leurs chefs les y envoyèrent dix par dix, vingt par vingt, faire chacun à leur tour une pause de quelques instants, si bien que les premiers rangs ne cessèrent pas d'être tenus par des hommes rafraîchis et dispos. Les Anglais, qui n'eurent pas la même ressource, s'épuisèrent sans gagner un pouce de terrain. Plusieurs tombèrent morts comme d'apoplexie, étouffés sous leur armure par la presse et par le chaud. Enfin le duc de Bedford, qui était sanguin et replet, se sentant lui-même très incommodé, donna le signal de la retraite3. On vit bientôt toutes les divisions anglaises à la fois se ramasser et reculer avec la plus fière contenance dans la direction de leur camp. On ne commit pas l'imprudence de les attaquer. Lorsque toutes les voitures du convoi furent entrées dans la ville, Rodrigue rejoignit le reste de l'armée, et l'on alla coucher au village de Gouverne. On s'était battu depuis huit heures du matin jusqu'à quatre heures du soir*.

Telle fut l'action du ravitaillement de Lagny, action

Monstrelet, ch. cxx1 (t. V p. 34).

2 Jean Chartier, t. I, p. 145.

5 Lefèvre de Saint-Remy, ch. CLXXIII.

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Chronique des Pays-Bas, etc., publiée par M. de Smet, F. c.

dont le résultat valut le gain d'une bataille. Elle eut lieu le 10 août 1432, qui était un dimanche, jour décidément propice aux entreprises de notre capitaine.

Je ne sais si cela tint à sa présence et à ses conseils, mais les Français montrèrent dans toute cette campagne un esprit de conduite, voire même un talent de stratégie, dont ils n'étaient pas coutumiers.

La ville ravitaillée comme on vient de le voir, ils avisèrent d'en faire lever le siège, non point en attaquant les Anglais dans leur camp qui était plus grand que Lagny même', ni en tentant le sort d'une bataille que le duc de Bedford leur envoya offrir à plusieurs reprises, mais seulement par une démonstration habilement exécutée. Pour cela ils allèrent chercher un passage sur la Marne, aux environs de la Ferté, et remontèrent quelque temps la rive droite, comme s'ils avaient dessein de s'enfoncer dans la Champagne; puis, par un brusque changement de direction, ils se rabattirent sur la France qu'ils coururent jusqu'à Mitry'. Dans la crainte qu'eut Bedford de voir Paris attaqué, il y emmena précipitamment toutes ses troupes, laissant devant Lagny camp, artillerie et provisions. On pense

A l'autre bout, en l'abbaye, il avoit fait faire ung pare fossové tout autour, plus grant que toute ladicte ville de Lagny. Jean Chartier.

* Monstrelet, 1. c. C'est à tort que les mss. et les éditions portent Vitry en France. Il n'y a jamais eu de Vitry ainsi surnommé; la correction Mitry est indiquée par toutes les circonstances du récit.

Furent si près prins, qu'ils laissièrent leurs canons et leurs viandes toutes prestes a mangier, et si grant foison de queues de vin, dont on avoit si grant disette à Paris, et de pain par cas pareil, dont le blé à Paris enchery telement, car le sextier monta le sabmedy ensievant de seize solz parisis. » Journal de Paris, ad ann. 1432.

bien que les assiégés ne laissèrent pas à toutes ces choses abandonnées par l'ennemi le temps de se gâter à l'air. Mille bras se mirent à l'œuvre pour transporter le matériel dans la ville et pour détruire les travaux d'investissement. La perte fut de plus de cent cinquante mille saluts, au dire des Parisiens que cet échec exaspéra contre le gouvernement anglais'. Rodrigue et les autres capitaines voulurent avoir leur part d'un si riche butin. Ils se la firent donner quelques semaines après, étant revenus pour mettre à Lagny un renfort de garnison.

Si la campagne était finie pour le roi, elle ne l'était pas pour M. de la Trémoille, qui n'estimait les victoires qu'autant qu'il y trouvait son profit. Par ses conseils ou au moins avec son autorisation, le comte de Ribadeo, à son retour de Lagny, se jeta en belligérant sur la province d'Anjou. Yolande d'Aragon, belle-mère du roi, et Charles d'Anjou, son fils puîné, gouvernaient alors ce pays en l'absence de Louis d'Anjou, appelé en Italie comme héritier présomptif de la couronne de Naples. Le castillan réclamait de la princesse et de son fils on ne sait quelle créance, dont il venait, disait-il, pour se payer sur les sujets du duché, si ses débiteurs ne le satisfaisaient pas dans le plus bref délai2.

1

L'intérêt de la Trémoille, dans cette affaire, était de

« Lequel siège, gens ad ce congnoissans affermoient que bien avoit cousté plus de cent cinquante mil salus d'or, dont la pièce valoit vingt deux s. p. bonne monnoie. » Journal de Paris.

Guillaume Tringant, Commentaire sur le Jouvencel, § 11. Ms. de l'Arsenal, III, Sciences et arts, no 233, signalé par M. Camille Favre, de Genève. Voy. Positions des thèses soutenues par les élèves de l'École des charles, de la promotion 1870-1872.

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