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arète, sur le versant du massif, on voit le Colombier.

Reçu en grande révérence dans le château d'Anthon, le prince d'Orange, dès le lendemain de son arrivée, y tint cour plénière comme dauphin de Viennois, et à ce titre, il partagea entre ses fidèles les offices de la province. A ceux qui n'eurent rien dans cette distribution il promit monts et merveilles. II parla de la présence des Français devant le Colombier comme du prélude d'un triomphe certain pour ses armes. L'extermination du ramas d'aventuriers que lui opposait le sire de Gaucourt serait d'autant plus facile, qu'ils auraient à se défendre du côté de la place qu'ils assiégeaient. L'important était de se hâter. Dès le lendemain matin, quoique le lendemain fût un dimanche et la fête de la Trinité, on marcherait à la délivrance du Colombier.

En guerre on a beau proposer; le plus souvent c'est la fortune qui dispose. Il arriva que la garnison du Colombier se rendit dans la nuit du samedi à ce même dimanche, qui était le 11 juin, de sorte que les Français, libres sur leurs derrières, purent se préparer à recevoir avec toutes leurs forces l'armée qui venait les attaquer.

Pendant qu'on réglait l'ordre de bataille, Rodrigue demanda que la conduite de l'avant-garde lui fût confiée. Il savait que ce commandement appartenait de droit au maréchal de Dauphiné; mais il espérait qu'on voudrait bien pour cette fois déroger à l'usage, en considération de sa qualité d'étranger et de la composition des troupes qu'il avait amenées avec lui. C'étaient des hommes de tous pays, qu'il importait de ne

pas laisser un seul instant dans l'inaction. En les engageant tout d'abord, on n'aurait pas à craindre leurs écarts, et, si le malheur voulait qu'ils eussent le dessous, les Lombards et la chevalerie dauphinoise, qui formaient le reste de l'armée, pourraient, en se retirant à temps, conserver au pays le noyau d'une force nécessaire à son salut1.

Le maréchal de Dauphiné était Imbert de Groslée, qui se trouvait joindre cette dignité au commandement du Lyonnais. Il essaya vainement de défendre sa prérogative; le sire de Gaucourt décida, en vertu de son autorité de général en chef, qu'il serait fait selon le désir du capitaine espagnol. Rodrigue prit donc les devants et se mit en embuscade sur la lisière d'un bois qui, aujourd'hui encore, couvre presque tout le massif depuis Anthon jusqu'à une plaine creuse d'une licue de large, en avant du Colombier.

L'ordre était que l'avant-garde s'appuierait sur les compagnies de Valette et d'un autre routier, composant la division de droite. Les Lombards, sous les ordres des deux capitaines piémontais Georges Boys et Borno de Caqueran, devaient se tenir à gauche et surveiller

Processus super insultu, et Thomassin, Registre delphinal.

2 « Vocatum Vallete et Petrum Churro, capitaneos ructarum ». Processus super insultu. Ce nom de Churro, qui a l'air espagnol, figure sous la forme française Churre au contrat de mariage de Rodrigue (ci-après, pièce xxv); c'est assurément le même qui a été lu Charre par M. Marcel Canat, dans une lettre du capitaine de Charolles, écrite au commencement de 1431, pour annoncer aux gens du conseil de Bourgogne, à Dijon, que ce Charre, en compagnie du bailli de Mâcon, de Rodrigue et de Valette, se préparait à envahir la Bourgogne. Documents inédits pour servir à l'histoire de Bourgogne, p. 315.

le charroi qui s'acheminait du côté d'Anthon, escorté d'un fort détachement d'infanterie. Le sire de Gaucourt et Imbert de Groslée prirent le commandement de la division du centre, où avait été mise la noblesse du pays. Ce corps se mit le dernier en marche pour occuper le milieu de la plaine.

L'armée ennemie, de son côté, s'avançait par le bois, croyant surprendre les Français. Le prince, détrompé par ses éclaireurs, dissimula son étonnement, et, afin de donner le change, envoya demander la bataille au gouverneur de Dauphiné.

Il allait, lui et les siens, déboucher dans la plaine, lorsque des traits volant de droite et de gauche l'avertirent que les fourrés entre lesquels on marchait n'étaient plus ceux d'une forêt déserte. Le trouble commença à se mettre dans les rangs par le fait des chevaux qui se cabraient quand ils étaient touchés. Rodrigue se présenta alors avec ses hommes-d'armes, la lance en arrêt. Le voilà poussant cette cavalerie qui se trouvait massée dans un chemin montant, entre deux rangées d'arbres qui valaient autant que des murailles. La position n'était pas tenable. Les orangistes rétrogradèrent pêle-mêle pour aller chercher d'autres issues, et c'est à la débandade qu'ils arrivèrent sur le champ de bataille, occupé déjà par l'ennemi '.

Je me conforme ici aux indications de Monstrelet, éclairc es par l'étude du terrain. Le témoignage du chroniqueur picard est que « les Bourguignons venoient par mi ung bois, et ne se porrent bonnement du tout rassembler ne mettre en pleine ordonnance de bataille, pour ce que iceulx François les envayrent soubdainement et vigueureusement. » La chronique du ms. français, n° 25018, de la Bibliothèque nationale (fol.

peu

Les Français, vu leur petit nombre, faisaient si d'effet dans cette vaste plaine, que le prince, ne pouvant pas croire que l'attaque viendrait de leur côté, ne mit aucune diligence à réparer le désordre des siens. Il laissa ce soin à ses chefs de corps, et s'arrêta à conférer la chevalerie à de jeunes seigneurs qui la demandaient. Cependant, les petits groupes qui composaient l'armée delphinale s'étant ébranlés arrivèrent en un clin d'œil, tant leur course fut impétueuse, devant les lignes non pas encore tout à fait formées de leurs adversaires. Pour que ceux-ci parvinssent à achever leurs dispositions, il ne fallut rien moins que la résolution héroïque d'un peloton de jeunes gens de la noblesse bourguignonne, qui mirent pied à terre en jurant de mourir plutôt que de reculer d'une semelle. Ces braves furent fidèles à leur serment; mais le temps qu'on mit à les abattre ne suffit point aux autres pour réparer le défaut de leurs premiers mouvements. Ils furent rompus les trois divisions françaises eurent opéré leur

que

dès jonction.

A peine y avait-il une heure que l'action était commencée, et l'on assistait à une chasse plutôt qu'à un combat. Des cavaliers laissaient là cheval et armures. Les fantassins en faisaient autant de leurs arbalètes,

499, v°), dit plus brièvement : « Le prince d'Orenge... fu rencontré d'un cappitaine nommé Rodighe, lequel en un destroy le attendy et combaty.» La relation officielle, contenue dans le Processus super insultu, supprime les circonstances préliminaires et représente l'action comme une joute engagée en rase campagne entre deux partis parfaitement maitres de leur terrain: ce qui efface complètement le rôle de Rodrigue, après qu'il a été annoncé d'une manière si solennelle par le débat sur le com→ mandement de l'avant-garde.

de leurs épées, des maillets de plomb dont on les avait pourvus, pour briser les bassinets et les cuirasses sur le corps des Français1. Ce n'étaient que gens éperdus courant dans tous les sens, ceux-ci pour gagner le Rhône, ceux-là pour se cacher dans les blés ou dans les bois.

De très vaillants hommes, qui n'avaient jamais reculé devant l'ennemi, perdirent la tête et tournèrent bride comme les autres: ainsi le comte de Fribourg, qui était venu avec une compagnie de Suisses; ainsi le seigneur de Montagu-Neufchâtel, chevalier de l'ordre tout nouvellement créé de la Toison-d'Or, que les Anglais avaient élevé à la dignité de grand-bouteiller de France. Pour avoir cherché son salut dans la fuite, il fut dégradé de l'ordre', et alla mourir de chagrin en Terre-Sainte. Le prince d'Orange lui-même, atteint de plusieurs blessures et menacé de toutes parts, s'en remit à la vitesse de sa monture. Il arriva inondé de sang au château d'Anthon3. La garnison lui ayant déclaré qu'elle était décidée à se rendre, quoiqu'il y eût dans la place des munitions et des vivres pour y tenir deux ans, désespéré, il se déroba à la tombée du jour avec la résolution de traverser le Rhône. Le même cheval, qui lui avait sauvé la vie le matin, la lui sauva

1 « Grossos malleos plumbeos deferentes, de quibus adduci dictus d. Ludovicus de partibus suis Burgundie septem mulos oneratos fecerat. » Processus super insultu, c. xxxi.

2 « Attendu qu'il s'estoit trouvé en journée de bataille où cottes d'armes et bannières avoient esté desployées, et avoit procédé si avant jusques à combattre sans estre victorieux, mort ni prins, etc. » Chronique de Jean Lefèvre de Saint-Remy, ch. CLXX.

Arnesiis suis ac dextrario, ex sanguine et vulneribus sibi illatis rutilante, in colorem rubeum transmutatis, sic quod vix cognosci preter per suum destrarium poterat. » Processus super insultu, c. xxx.

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