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de sa damnable entreprise. Son procès fut promptement expédié, sans écritures ni plaidoiries. Le surlendemain on le pendit à Nîmes1.

Il arriva ce à quoi l'on devait s'attendre. Lorsque les compagnies furent assurées de l'éloignement du comte de Foix, elles se mirent de concert au ravage de la province, d'autant plus impitoyables qu'elles avaient à venger la défaite infligée à l'une d'elles. Rodrigue se réserva le Gévaudan et le Velay, tandis qu'un second Valette, Guilhem Valette', prit le commandement des gensd'armes de son frère défunt, et les conduisit plus avant dans la plaine qu'ils n'étaient allés jusque-là. D'une place forte nommée Cabrières, dont il se rendit maître auprès de Pézenas, il fit rage autour de Pézenas d'abord, puis jusque sous les murs de Montpellier. C'était une contrée vierge de pillage, où il faisait si bon vivre, que deux autres capitaines de la même alliance, Oudinet de la Rivière et Archambault, vinrent se joindre à Valette et y trouvèrent leur profit*.

Cependant les habitants de Nimes, menacés par des détachements du corps de Rodrigue, qu'on voyait à tout

1 Chronique béarnaise de Miguel del Verms, dans le Panthéon littéraire, volume intitulé: Chroniques et mémoires sur l'histoire de France au quatorzième siècle, p. 594.

2 Le Valette supplicié par l'ordre du comte de Foix avait pour prénom Jean, au témoignage des actes conservés dans les Archives de Nimes, dont Ménard a fait usage, Histoire de Nîmes, t. III, p. 152. Le volume CIX des Titres scellés de Clérambault, à la Bibliothèque nationale, contient plusieurs quittances des deux Valette servant comme écuyers chargés de commandements: l'un capitaine d'arbalétriers, l'autre chef de chambre dans la compagnie du vicomte de Narbonne. Guilhem y est toujours appelé Guillonnet, et l'autre, Forton.

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5 Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 476.

4 Ménard, Histoire de Nîmes, t. III, p. 152.

moment descendre sur Alais et sur Anduze, députaient au comte de Foix ambassade sur ambassade pour le presser de revenir. Le comte, qui au lieu d'ennemis à combattre n'avait trouvé en France que des intrigues à démêler, n'entendait pas perdre pour cela le fruit de sa campagne. Il ne bougea pas qu'il n'eût obtenu ce qu'il était allé chercher. Enfin il annonça son retour pour le temps de Pâques 1450, et les routiers, qui furent des premiers à en avoir la nouvelle, reprirent le chemin de la montagne pour gagner le Vivarais, où le castillan leur avait donné rendez-vous.

Là se présenta pour eux une affaire comme ils n'en faisaient pas souvent, une affaire où il y eut à gagner à la fois du butin et de la gloire1.

A la faveur des manoeuvres qui avaient brusquement arrêté les succès de Jeanne d'Arc, manœuvres dont tous les familiers de la cour de Bourgogne avaient le secret, le prince d'Orange, grand ami de Philippe le Bon et encore plus de son profit, forma le dessein de s'emparer du Dauphiné par un coup de main. Par l'acquisition de cette province, qui était comme le trait d'union entre sa principauté et d'immenses domaines qu'il possédait dans toute la longueur du mont Jura, il fût

1 Deux relations composées avec beaucoup de soin, l'une par feu Vallet de Viriville (Histoire de Charles VII, t. II, p. 257), l'autre par M. le marquis Costa de Beauregard (Souvenirs d'Amédée VIII, premier duc de Savoie, Chambéry, 1859), et la publication intégrale, par l'abbé Chevalier, de l'enquête sur l'agression d'Anthon, Processus super insultu guerre Anthonis (Bulletin de la Société de statistique de l'Isère, 5° série, t. VI, 1874), m'ont permis de rétablir dans tous ses details cet épisode de la vie de Rodrigue, qui laissait trop à désirer dans ma première rédaction.

devenu l'un des potentats de l'occident. Malgré son hostilité déclarée contre la couronne de France, on avait eu l'indulgence, pour ne pas dire la faiblesse, de lui laisser prendre possession de plusieurs châteaux du Dauphiné, dont il se prétendait héritier. Il en profita pour mettre secrètement des garnisons partout et pour induire ses amis à le servir quand l'heure serait venue. En même temps, il attira le duc de Savoie dans son entreprise et, moyennant l'offre du Graisivaudan qu'il lui laissait à prendre sur sa future conquête, il obtint de lui la permission de faire dans ses États une levée

de trois cents lances.

gou

Le complot ne fut pas tenu si secret que le sire de Gaucourt, gouverneur du Dauphiné, n'en apprît au moins le principal. Il informa le roi de ce qui se préparait, lui représentant combien la situation était périlleuse; car la chevalerie dauphinoise avait été exterminée à la bataille de Verneuil, et tout ce que lui, verneur, pouvait faire, était de réunir au restant de la noblesse du pays deux compagnies de Lombards dont Imbert de Groslée disposait comme sénéchal de Lyon. La réponse de Charles VII fut qu'il n'avait pas de troupes disponibles pour la défense d'un point si éloigné, et que le gouverneur n'avait qu'à faire de son mieux pour le salut du pays '.

Dans cette extrémité Gaucourt, qui était un homme de résolution, eut bientôt fait de prendre son parti. Il contracta un emprunt sur l'impôt à voter par les États

1 Fragment du Registre delphinal de Thomassin, publié par Berriat Saint-Prix, dans sa Jeanne d'Arc, p. 321.

de la province, qui étaient à la veille de se réunir, puis, muni d'une bonne somme d'argent, il s'éloigna en compagnie du sénéchal de Lyon. Ils n'avaient dit à personne où ils se proposaient d'aller, et, pour ne pas attirer les regards, ils avaient poussé la précaution jusqu'à se dépouiller de leurs armes1. Mis comme des gens qui partaient en promenade, ils prirent sans être remarqués le chemin d'Annonay.

Rodrigue de Villandrando et plusieurs de ses subordonnés, Valette entre autres, tenaient pour le moment leurs quartiers autour de cette ville. Il s'agissait de les enrôler pour la défense du Dauphiné. Les offres du gouverneur furent trouvées acceptables, puisque les bandes ne tardèrent pas à s'ébranler pour descendre dans la vallée du Rhône. Elles traversèrent le pont de Vienne dans la nuit du 26 mai 1430 et furent menées tout d'une traite devant Auberive, possession du prince d'Orange à deux lieues de là. La garnison logée dans cette place avait déjà commencé les hostilités; on ne s'aventurait plus aux alentours sans risquer d'être capturé et mis à rançon. Plus de trente personnes notables du pays, victimes de ce genre de violence, attendaient dans les prisons du château que leurs familles eussent réuni de quoi les racheter.

L'attaque fut d'une vigueur extrême. En quelques heures les routiers emportèrent le bourg, puis la première cour du château, puis la seconde; mais le donjon, tenu par une centaine d'hommes qui s'y étaient

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« Secrete et sine armis ». Processus super insultu.

retranchés, résista pendant deux jours. Pour amener ces gens à se rendre, il fallut commencer la démolition de la tour à coups de canon.

Quand on sut dans le pays la prise du château, il vint des ouvriers en foule pour travailler à la démolition de ce dangereux repaire. Il n'en serait pas resté une seule pierre debout, sans un ordre du gouverneur qui enjoignit d'épargner quelques pans de murs, afin de perpétuer le souvenir de la félonie du prince.

Cependant les États réunis à La Côte Saint-André décrétaient toutes les mesures de salut public dictées par la circonstance. Ce qu'on avait pu rassembler de troupes, joint aux compagnies de Rodrigue et de Valette, fut dirigé du côté où l'on s'attendait à voir paraître l'ennemi. L'armée enleva, chemin faisant, les châteaux d'Azieu et de Puzignan, où il y avait garnison d'orangistes. Elle s'arrêta devant le Colombier, qui ne voulut pas se rendre sans avoir eu l'honneur de subir un siège. C'est alors seulement que le prince d'Orange, qui s'était avancé par la Bresse, se trouva en mesure d'entrer en Dauphiné. Il passa le Rhône au bac d'Anthon dans la journée du 9 juin 1450.

Anthon est situé sur la rive gauche du Rhône en face du confluent de l'Ain. La berge dauphinoise, peu élevée en cet endroit, forme le premier gradin d'un massif montueux et boisé qui s'étend en longueur du nord au midi. Du côté de l'ouest, c'est la plate plaine jusqu'à Lyon, sauf une arête étroite qui se détache du massif et qui finit bientôt en un promontoire couronné par le château de Puzignan. A une lieue derrière cette

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