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puis de sa femme, des mains de qui il s'évada. En dernier lieu, il se confina dans un couvent de Besançon, où il finit ses jours.

Son cerveau n'était sain qu'à moitié, à en juger par les actes qui nous restent de lui. On en cite un, entre autres, qui est une donation au monastère de SaintAntoine en Viennois, pour qu'il y eût dans cette maison une cloche du poids de huit mille livres qui sonnerait tous les jours, pendant sa vie, autant de coups qu'il aurait d'années 1.

Il faut que dans le trésor de ce singulier monarque il n'y ait pas eu de quoi payer la campagne qui venait d'être faite à son profit, car presque aussitôt après Rodrigue affilia à sa compagnie deux des bandes ci-devant de Séverac qui s'étaient mises à vivre sur le Languedoc, et ce fut pour prendre la conduite de leurs opé

rations.

Jamais guerre de pillage ne fut menée avec un tel ensemble. Le nom du castillan, devenant inséparable de celui des deux chefs avec lesquels il avait fait société, résonna comme un glas incessant aux oreilles des populations Rodrigue, Valette, Andrelin! Ils avaient établi leur quartier général entre le mont Lozère et la chaîne du Vivarais. De là ils dirigèrent leurs courses tantôt au nord, à des distances considérables, tantôt dans la sénéchaussée de Nîmes ou dans celle de Carcassonne. La rapidité de leurs manœuvres est quel

1 Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 491.

2 Ménard, Histoire de Nimes, t. III, p. 148, et les Pièces justificatives du même ouvrige, p. 223-227.

que chose de surprenant. A la fin de septembre 1428, le comte de Foix recevait à l'autre extrémité du Languedoc la nouvelle de leurs ravages autour du Puy; un mois après, nous voyons l'Hôtel-de-Ville de Lyon délibérant sur le moyen de les éloigner de la marche beaujolaise envahie par eux, et en novembre, ils occupaient les routes entre Avignon et Nimes'.

Les registres consulaires de Lyon nous apprennent quelle fut l'attitude de la ville en leur présence*.

Lorsque l'on commença à entrer en arrangement avec eux, ils étaient postés sous les murs d'Anse, s'étendant en amont dans toute la vallée de l'Azergue. Au rapport d'un gentilhomme qui s'était fait leur intermédiaire officieux, ils étaient prêts à se retirer, pourvu qu'on leur payât la modique somme de quatre cents écus d'or. Le Corps de ville en délibéra le 16 octobre. L'archevêque et le clergé étaient prêts à contribuer pour une bonne partie des quatre cents écus, et la majorité tenait le marché pour avantageux, lorsque la conclusion fut entravée par trois ou quatre des conseillers, qui représentèrent qu'on allait entrer dans une voie déplorable; que jamais leur cité n'avait souscrit à de semblables accords et que, si l'on commençait une fois, la servitude n'aurait plus de fin; les routiers congédiés de la sorte ne tarderaient pas à revenir, ou d'autres à leur place. On se sépara sans avoir rien résolu.

Les compagnies, ne recevant pas de réponse, appatissèrent les villages entre Chazey et Bibost. Après plus

Ménard, Histoire de Nimes, t. III, p. 149.

* Ci-après, Pièces justificatives, no 1v.

d'une semaine écoulée, on leur envoya dire

que les quatre cents écus étaient prêts, et que leurs capitaines les recevraient aussitôt qu'ils se seraient engagés à battre en retraite.

A cela les capitaines répondirent que ce n'était plus quatre cents écus qu'il leur fallait, mais huit cents, et que, jusqu'à parfait payement de la somme, ils continueraient à faire contribuer le pays, n'entendant pas d'ailleurs que l'argent qu'ils avaient déjà levé comptât dans les huit cents écus.

Ces paroles rapportées à l'Hôtel-de-Ville de Lyon mirent les conseillers en grande indignation. Il n'y eut qu'une voix pour dire qu'il valait mieux recourir au parti de la résistance; qu'avec huit cents écus d'or on se procurerait une compagnie de cent hommes-d'armes, laquelle, secondée par les milices du pays, suffirait bien pour donner la chasse à un ramas de bandits. La seule difficulté était de se procurer vite de l'argent : on y parviendrait par des emprunts.

Cependant le lendemain il fallut reconnaître que les prêts ne se feraient pas avec autant de promptitude qu'on se l'était figuré. On parla alors de mettre en campagne la noblesse du pays, en attendant qu'on eût de quoi solder des hommes-d'armes; mais le capitaine qui avait accepté de conduire des hommes-d'armes contre les routiers refusa d'y conduire des gentilshommes sans expérience de la guerre. Ce capitaine était le sénéchal de Lyon, Imbert de Groslée, que nous avons vu servir sous le même commandement que Rodrigue en 1422.

La ville finit par convenir que ce qu'elle avait de mieux à faire était de fournir de l'argent au sénéchal et de le laisser conduire les choses au plus grand avantage d'elle-même et du pays. On arrive toujours à s'entendre entre compagnons d'armes. L'accommodement eut lieu, et Rodrigue se retira sans laisser de lui une trop mauvaise impression. On le voit, à quelques années de là, placer des fonds chez un habitant de Lyon et correspondre avec l'Hôtel-de-Ville, pour le soin de ses affaires, dans les termes d'une bienveillance affectueuse'. Mieux que cela nous avons le compte acquitté d'une livraison de confitures et de torches de cire, que la ville lui fit faire en présent.

Il ne se comporta pas dans le Languedoc, après qu'il y fut retourné, de façon à nouer des relations aussi agréables avec les consulats des villes. A Nîmes, à Uzès, à Alais, il était en horreur. Ces communes auraient volontiers payé sa tête au poids de l'or à celui qui la leur eût apportée.

Nous arrivons à la mémorable année 1429, qui fut marquée par l'apparition de Jeanne la Pucelle. La fièvre d'enthousiasme qui se répandit partout fit partir pour les armées de la Loire tous les méridionaux qui se sentaient le goût des aventures. Les compagnies ne demandaient qu'à en faire autant. Sans doute celle de Rodrigue et les autres de son alliance se disposaient à suivre le comte de Pardiac; mais ce seigneur, lorsqu'il s'était déjà avancé jusqu'à Beaugency, reçut l'ordre de

' Pièces justificatives, n° xxxm. * Pièces justificatives, n° xxvm.

rétrograder'. Sa place, lui fut-il dit, était à la frontière, du côté de Bordeaux'. Mécontent et réduit d'ailleurs à de très faibles ressources, il abandonna à ellesmêmes les compagnies de routiers. Celles-ci alors se retournèrent du côté du Languedoc.

Le comte de Foix avait établi si bonne garde dans la province, qu'il n'était pas facile d'y pénétrer; mais la même politique, qui avait confiné le comte de Pardiac en Guienne, fut employée à faire sortir le comte de Foix du Languedoc. Il fut déclaré nécessaire que ce prince vint avec ses meilleures troupes renforcer l'armée du roi, et, comme il ne s'y montrait pas disposé, on acheta par des faveurs son obéissance.

Son départ fut marqué par un incident qui prouva combien il avait eu raison de vouloir rester. Valette osa lui tendre une embûche au passage des Cévennes. Le comte en reçut l'avis lorsqu'il venait de se mettre en route, quittant à peine Montpellier. Aussitôt il fit doubler le pas à son escorte, et toujours au trot, jusqu'à faire dix-sept lieues en une seule nuit (on était en décembre), il se trouva le lendemain matin en présence des routiers qu'il investit dans leur camp. Un vigoureux assaut contre lequel ils ne purent pas tenir mit le plus grand nombre d'entre eux en son pouvoir. Valette était parmi les prisonniers. Aussi déconcerté qu'un loup pris au piège, il confessa toute la conduite

1 Guillaume Gruel, Chronique du connétable de Richemond, ad anni. 1429.

* Monstrelet, 1. II, ch. LXII (édit. Douët d'Arcq, t. IV,
Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV,
p. 475.

p. 336).

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