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à la bataille d'Olmedo, gagnée par le connétable; en 1446, il fut d'un grand secours au siège d'Atiença, un des plus difficiles qui aient eu lieu dans ce temps là, à cause de l'inexpugnable position de la ville'. Depuis lors son nom ne paraît plus dans l'histoire; mais celui de sa femme est mêlé à un évènement trop grave pour qu'il n'en soit point parlé ici.

Marguerite de Bourbon n'avait pas longtemps vécu en Espagne où elle était allée s'établir avec son mari. Celui-ci, resté veuf avec des enfants en qui son nom allait s'éteindre, se remaria dans la maison de Zuñiga avec dona Béatriz, fille du seigneur de Monterey'. Cette dame fut en grande autorité auprès de la reine Isabelle, femme de Juan II. Or il faut savoir que la reine Isabelle était Portugaise, et qu'elle ne cessa jamais de l'être de caractère comme d'affection; de telle sorte qu'ayant éprouvé souvent de grandes impatiences à l'égard du connétable, elle finit par l'avoir tout à fait en aversion lorsqu'elle sut qu'il donnait des conseils au roi, son mari, contre l'extension des établissements portugais sur la côte d'Afrique. Cela se passait dans le temps où Alvaro de Luna avait façonné à son joug tous les cabaleurs du temps passé, hormis un seul, qui était Pedro de Zuñiga, comte de Ledesma, devenu récemment comte de Plasencia. La comtesse de Ribadeo étant la nièce de ce seigneur, il ne tarda pas de se faire que, par son entremise, la reine et lui ne connussent

1 Fernan Perez de Guzman, pp. 486, 492, 507.

* Josef Pelizer, l. c.

3 Histoire du connétable de Lune, p. 308. Paris, 1720, in-12.

leurs ressentiments respectifs. Une ligue s'ensuivit, el bientôt la tranchée fut ouverte contre le connétable, bien secrètement, bien profondément, mais avec la certitude de rencontrer et de s'adjoindre, à mesure qu'on avancerait, assez d'autres ouvriers souterrains.

Comme ces choses se tramaient, la cour, qui était à Valladolid, reçut l'ordre de se rendre à Burgos, à cause de quelque soupçon que conçut Alvaro de Luna. La reine comprit alors qu'il fallait brusquer le dénoùment. Elle obtint, ou peut-être contrefit une lettre à l'adresse du comte de Plasencia, dans laquelle le roi, se plaignant de la tyrannie de son connétable, assurait de sa reconnaissance le sujet fidèle qui l'en délivrerait. Cette lettre, avec des instructions en conséquence, fut confiée à la comtesse de Ribadeo, qui s'échappa dans le plus grand mystère lorsqu'on allait quitter Valladolid. Elle arriva au château de Béjar, résidence de son oncle, dans la nuit du 12 avril 1455. Là elle expliqua bien longuement sa commission; puis, quand elle eut achevé (il était deux heures du matin), le comte, qui était vieux et infirme, fit venir son fils aîné Alvaro de Zuñiga, lui montra la lettre du roi, lui dit ce qu'il y avait à faire, et ajouta, avec le ton d'un homme qui se dispose à sauver l'État, lorsqu'en effet il ne s'agissait pour lui que de mettre le baume sur les plaies de son orgueil : « Mon fils, si j'étais libre de mes mains, je ne «< cèderais à personne la gloire ni le danger de cette << entreprise. Mais, puisque Dieu le Tout-Puissant a « éteint la force de mon corps, je ne puis mieux mon«trer l'affection que j'ai au service du roi, mon sou

« verain seigneur, qu'en exposant la vie de mon pre«mier-né pour que son bon plaisir soit accompli. Allez <donc; faites de votre mieux, comme il convient à un loyal chevalier, et que l'étoile qui guida les Trois rois « vous conduise1. »

«

Le reste appartient à l'histoire d'Espagne. Alvaro de Luna se perdit par excès de confiance. Redoutable jusqu'à la fin, mais arrêté dans un guet-apens; mis au secret à l'égard du roi, qu'on fit dès lors agir comme on voulut; livré à un tribunal exceptionnel, qui ne prit pas seulement la peine d'écrire son procès; atteint, mais non convaincu d'avoir empoisonné une infinité de personnes dont la mort violente ne reposait que sur des bruits semés jadis dans la fureur des guerres civiles; d'avoir tenu le diable dans une fiole, pour gouverner la Castille par ses conseils; d'avoir parlé maintes fois à son souverain le chapeau sur la tête; d'avoir fait porter au roi, avec serment de ne jamais l'ouvrir, une bague sous le chaton de laquelle Sa Majesté était peinte dans une posture ridicule à la queue d'une bourrique'; condamné sans rémission sur de tels griefs, lui qui avait préparé l'œuvre d'Isabelle la Catholique, il se présenta à la mort le dédain sur les lèvres et la constance dans le cœur (22 juin 1455).

Fernan Perez de Guzman, p. 557 et suiv.

E le mostro dentro del anillo al mismo rey pintado, é una aca, é el dicho rey la estaba besando en parte cuyo nombre no se permite alla decencia de esta historia. » Abarca, Anales de Aragon, part. II, cap. 8. Abarca a indiqué ces griefs d'après une enquête qui fut faite quarante ans après la mort du connétable, pour recorder son procès et l'écrire, puisqu'on ne l'avait pas fait au moment du jugement. Voy. les appendices à la chronique d'Alvaro de Luna, édition Sancha, p. 475.

Que faisait cependant Rodrigue de Villandrando? Ignora-t-il le coup qui passa par sa maison pour aller frapper d'une manière si indigne son bienfaiteur et son ami? ou bien, admis dans la confidence de sa femme, la laissa-t-il faire par déférence pour la reine? ou bien encore, fatigué lui aussi de l'omnipotence du connétable, trempa-t-il dans le complot?

Il est plutôt dans la donnée de son caractère de supposer qu'au moment de la catastrophe il ne s'occupait plus des choses de ce monde, et que déjà avait commencé pour lui cette longue pénitence dans laquelle Hernando del Pulgar affirme qu'il termina ses jours. En effet, au dire de cet auteur, lorsque le comte de Ribadeo, arrivé à un certain âge, se vit atteint de ces infirmités que l'art des hommes ne peut pas guérir, il fit un retour sur lui-même et pour la première fois de sa vie connut la crainte : tant la peine qu'il s'était donnée à poursuivre la gloire du monde l'avait détaché des œuvres par lesquelles on gagne la félicité du ciel ! C'est pourquoi il voulut mettre le temps à profit en accumulant sur le peu qui lui restait à vivre toutes les rigueurs possibles, toutes les œuvres capables de lui faire trouver grâce devant Dieu. Il s'achemina ainsi par la prière, par le jeûne et par la contrition, à l'éternité dans laquelle il entra à l'âge de soixante-dix ans1.

D'après l'époque de sa naissance, supputée en combinant sa grande jeunesse au début de nos guerres civiles (1409) et la mort de sa mère arrivée en 1390, il

1 Ci-après, Pièces justificatives, no 1.

mourut lui-même au commencement du règne de Henri IV de Castille, en 1457 ou 1458.

Conformément à sa volonté dernière, il fut inhumé à Valladolid, dans l'église du monastère de la Merci qu'il avait fait reconstruire à ses frais. Il ne reste plus rien de cet édifice qui fut démoli pour faire place à une rue, il n'y a pas un bien grand nombre d'années. On se rappelle à Valladolid que la sépulture du redoutable capitaine était annoncée par une simple pierre avec son nom gravé dessus.

Des personnes instruites du pays ajoutent que le testament en vertu duquel existait cette sépulture avait été dicté le 15 mars 1465. Si spécieux que soit un souvenir qu'on énonce avec cette précision, je n'hésite pas à le déclarer erroné. Rodrigue avait certainement cessé de vivre et depuis longtemps en 1465. La preuve en est non-seulement dans le synchronisme établi ci-dessus, mais encore dans la lettre de réclamation adressée à Louis XI par l'archevêque de Tolède, laquelle fut écrite le 12 septembre 1462, Rodrigue étant déjà décédé1.

Deux fils lui survécurent, Charles et Pierre de Villandrando. Charles, dont l'existence a été ignorée de tous les généalogistes, était né de Marguerite de Bourbon. Il faut qu'il ait été contrefait ou idiot, car son père le laissa en France et le déshérita, ou à peu près, ne lui ayant assigné dans sa succession que la terre de Puzignan et ses créances du Bourbonnais. Ce Charles passa sa vie dans la maison de Bourbon, où il était traité de

1 Ci-dessus, p. 192, et Pièces justificatives, no LXXXV. Ci-après, Pièces justificatives, n° LXXXIV.

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