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le bien mis en balance a ec le mal, on est amené à conclure qu'il ne fit ni pis ni moins que beaucoup d'autres hommes à qui une place honorable a été assignée dans l'histoire de son temps.

Que si des moralistes sévères trouvent sans compensation ni excuse la plupart des choses qu'il a faites, je persisterai à croire qu'elles méritaient d'être mises en récit, ne fût-ce que pour témoigner de l'un de ces accès d'étonnante anarchie que, sous le couvert d'un ordre réputé impertubable, chacun des siècles passés a vus se renouveler en France, et dont la gravité échappe aux yeux de trop de personnes à cause de l'illusion produite par la continuité des règnes. C'est pourquoi j'ai transformé en un livre à l'adresse du public un mémoire qui ne fut composé d'abord que pour le monde restreint des érudits et des curieux.

VIE

DE

RODRIGUE DE VILLANDRANDO

Si l'homme qui porta le nom magnifique inscrit dans ce titre revenait d'entre les morts, il ne pourrait pas dire de lui les paroles que Brantôme a mises dans la bouche d'un de ses compatriotes : « A quoi bon discourir de ma valeur et de mes hauts faits, quand l'univers entier en est instruit1? » Il s'en faut que l'univers connaisse les hauts faits de Rodrigue de Villandrando, et que sa valeur soit un sujet d'entretien parmi les hommes. En Espagne, où ses services lui valurent de son vivant des honneurs extraordinaires dont sa postérité jouit encore, le peuple ne parle de lui que comme d'un adolescent à qui une mort prématurée n'aurait pas laissé le temps de s'illustrer par les armes. La France, qui fut le théâtre principal de ses exploits, a montré encore moins de mémoire. Jusqu'au moment où elle oublia tout à fait le nom de cet étranger, la seule idée

No hay necesidad de contar mi valor e virtudes que todo el mundo las sabe. Rodomontades espagnoles.

Voy. la légende rapportée ci-après, Pièces justificatives, no Lxxx.

qu'elle y ait attaché fut d'avoir appartenu à un malfaiteur. Voici en effet dans quels termes nous est parvenu le dernier écho de la renommée de Rodrigue, recueilli

il

y a deux cents ans par l'annaliste du Limousin: « Cet homme estoit si méchant et cruel, que son nom

est tourné en proverbe dans la Gascogne, et pour signifier un homme brutal et cruel, on l'appelle méchant Rodrigue'. >>

per

L'érudition ne s'est pas plus mise en peine du sonnage historique que du personnage légendaire. Dans toute notre littérature savante on ne trouve rien qui le concerne particulièrement, si ce n'est un article de dix lignes que lui a consacré Moréri, et un autre, d'égale dimension, inséré dans l'Histoire généalogique de la maison de France. Ceux de nos historiens qui l'ont mentionné n'ont pas fait autre chose que de prendre dans les chroniques françaises du quinzième siècle son nom, qui n'y apparaît guère autrement qu'associé à d'autres noms de capitaines, et presque toujours sous la forme altérée de Villandras. Nul n'a eu la curiosité de recourir aux sources espagnoles, pour voir si elles ne

1 Bonaventure de Saint-Amable, Histoire de saint Martial, apôtre des Gaules et notamment de l'Aquitaine et du Limousin, t. III, p. 701. 2 Dictionnaire historique, t. X, p. 619.

5 Tome I, p. 304.

L'altération n'est pas si profonde que semblerait l'indiquer l'orthographe. C'est à tort qu'on ferait sentir la finale de Villandras, comme celle de Ménélas ou Agésilas. As final se prononçait, dans les noms propres, comme dans les noms communs ou adjectifs bas, las, chasselas : Carpentrâ et non Carpentrasse, Mornâ et non pas Mornasse, Villandrâ et non pas Villandrasse. Villandrà n'était pas très éloigné de la prononciation Villandrando avec la pénultième fortement accentuée. D'ailleurs on a écrit aussi en français Villandrant.

fourniraient pas quelque renseignement de plus sur cet Espagnol; de sorte qu'une notice consacrée à sa mémoire par Hernando del Pulgar1 est demeurée jusqu'ici comme non avenue pour nous autres Français, qu'elle intéressait le plus.

Mais Hernando del Pulgar n'est pas plus connu chez nous que Rodrigue de Villandrando. C'est le Plutarque espagnol du quinzième siècle, et il doit à la France l'idée du livre qui a établi sa réputation. Luimême en a fait l'aveu. Dans un voyage accompli pour s'acquitter d'une mission diplomatique, il eut communication d'un recueil des hommes illustres du règne de Charles VII, composé par un certain Georges de la Vernade qui avait été secrétaire de ce roi3. La vue de cet ouvrage, qui ne nous est point parvenu, éveilla en lui le désir d'en faire un pareil pour son pays.

Je serais tenté de croire qu'il emprunta quelque chose de plus à Georges de la Vernade. Rodrigue ne pouvait pas manquer d'avoir sa place dans le livre qui frappa si vivement l'attention de son compatriote. Le secrétaire de Charles VII serait alors l'auteur où Hernando del Pulgar a puisé ses renseignements pour la

Claros Varones de Castilla. Voy. ci-après, Pièces justificati

ves, no 1.

* Esso mismo vi en Francia el compendio que hizo un maestro Jorge de la Vernada, secretario del rey Carlos, en que copiló los hechos notables de algunos cavalleros y perlados de aquel reño, que fueron en su tiempo. Claros Varones, Prologo.

Envoyé à Louis XI par la reine Isabelle la Catholique dont il était secrétaire. Nous avons sa lettre de créance, qu'il présenta le 18 mars 1475 (Ms. lat. 6024, fol. 188, à la Biblioth. nat.), et la mention d'un cadeau d'argenterie (deux flacons et douze hanaps) que le roi de France lui fit à cette occasion. Ms. français 20685, f. 632.

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