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gnation de Charles VII, se transporta en Languedoc. Plusieurs petites bandes insoumises, par-dessus lesquelles avait passé, sans les atteindre, la proscription naguère édictée contre les Rodrigais, erraient dans la province. Leurs capitaines firent alliance avec le bâtard de Bourbon, et tous ensemble s'étant établis dans le bourg de Sainte-Gavelle, voisin de Toulouse, trouvèrent moyen de vivre pendant plusieurs mois aux dépens de cette capitale. A la fin ils vendirent leur retraite, moyennant un patis avantageux. L'une des conditions du traité était qu'ils iraient rejoindre l'armée de Guienne. Par ordre du roi, Poton de Xaintrailles vint exprès à Toulouse pour les emmener et veiller à ce qu'ils suivissent leur chemin sans s'écarter 3.

Dans un mémoire adressé par la noblesse de Guienne au gouvernement anglais, on porte à 14 000 chevaux la force qui se trouva réunie, après leur jonction, sous l'étendard du roi de France'. Tant de cavalerie com

1 Miguel del Verms, Chroniques béarnaises, p. 596. 2 Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 489.

3 Quittance donnée par Poton de Xaintrailles, le 8 août 1438, à Toulouse, de la somme de 2000 écus d'or à lui « donnée, promise et accordée

par les gens des trois Estaz de la seneschaucić, pour aider à vivre, conduire et soustenir, et faire plus toust et hastivement passer de toute ladicte seneschaucié certaine grant compaignie de gens d'armes et de traict dont le roy nostre sire m'avoit donné la charge soubz son estendart, pour faire guerre en Guienne. » Vallet de Viriville, Histoire de Charles VII, t. I, p. 404. On voit par une autre quittance du même jour que la sénéchaussée de Toulouse fournit en outre une provision de blé et de vin pour le voyage. Tardif, Monuments historiques, p. 456, volume de l'Inventaire imprimé des Archives nationales.

4 « Lodit de La Brit, dus hans a passats, ab grant companhe de roters, de qui a con le de xiiij mili rosins, ab l'estandard deu rey ffranses, es viencut en Bordales et en las Lanes. » Collection Bréquigny, vol. LXXXII, aux mss. de la Bibliothèque nationale.

posait une armée qu'un territoire épuisé n'était point en état de nourrir bien longtemps. En effet la nécessité de se séparer pour aller chercher leur vie ailleurs s'imposa bientôt aux capitaines, qui en prirent bravement leur parti. Le sire d'Albret, en vertu de ses pouvoirs et avec le concours des garnisons qui furent laissées dans les places qu'elles occupaient, se chargea de garder ce qu'on avait fait de conquêtes. Rodrigue, Poton de Xaintrailles, le bâtard de Bourbon et les autres, se mirent en devoir de vider le pays.

Ils s'éloignèrent, ne pouvant pas douter du résultat qu'aurait leur retraite. Il était trop évident qu'avec Bordeaux pour point d'appui les Anglais reprendraient le dessus dès qu'ils pourraient envoyer de nouvelles troupes en Guienne. C'est ce qui arriva effectivement l'année suivante. De toutes les places conquises, on ne conserva que Tartas, au bord des landes de Gascogne. Que de morts d'hommes, de violences commises et de souffrances infligées, pour peu de profit! Quel argument de plus pour les mécontents, qui imputaient au gouvernement le dessein d'éterniser la guerre, afin de procurer de l'occupation aux gens-d'armes!

Sur quelle contrée allait fondre la horde impitoyable qui avait saccagé le riche Bordelais? Longtemps on s'en préoccupa en France et hors de France, même après que le danger n'existait plus.

La ville de Bâle, épouvantée par une courte apparition des Écorcheurs du nord en Alsace, se persuada que, s'ils s'étaient retirés sans s'attaquer à elle, c'était afin d'aller se rallier avec leurs contingents du midi,

et qu'ils reviendraient en nombre se saisir des passages du mont Jura, l'objet de leur convoitise ne pouvant être que le pillage de la cité opulente où la présence du concile faisait pour le moment affluer tous les biens. Or c'est plus de neuf mois après que les compagnies avaient quitté la Guienne qu'on se livrait à ces appréhensions sur les bords du Rhin. Il n'est pas moins étrange que les magistrats de Besançon, interrogés par les Bâlois sur l'imminence du danger, aient rassuré leurs voisins en leur affirmant que Rodrigue et Xaintrailles étaient encore devant Bordeaux1.

Ces craintes avaient pris naissance à la cour de Bourgogne. Dès le temps de l'évacuation du Bordelais, le duc Philippe crut à une conjuration de tous les routiers contre ses États, si bien que, dans une correspondance active qu'il entretint à ce sujet avec le gouvernement de Charles VII, il sollicita l'appui de l'autorité royale. Sur ses instances, le roi enjoignit publiquement à Poton de Xaintrailles, Rodrigue, le bâtard de Bourbon et consorts, de respecter les possessions d'un prince qui était à la fois son allié, son vassal et son proche parent'.

Quels qu'aient été les projets antérieurs de ces capitaines, il est certain qu'en quittant la Guienne ils ne se dirigèrent point du côte de la Bourgogne. Tout au contraire; au lieu d'aller chercher l'un des passages de la Garonne, ils s'écoulèrent par le pays de Marsan pour gagner Condom et lieux circonvoisins où ils s'arrê1 Ci-après, Pièces justificatives, n° Lxxv. Ci-après, Pièces justificatives, n° LX.

tèrent plusieurs jours. Était-ce en vertu des ordres du roi qu'ils prenaient ce chemin? Non, car le roi, aussi peu soucieux de les avoir sur ses terres que de les voir sur celles de son parent, avait décrété la levée d'un subside à répartir entre eux pour les empêcher de rentrer en Languedoc'. Ils y rentrèrent cependant, parce qu'il se présenta de ce côté quelque chose qui leur promettait mieux que tout ce que le roi pouvait leur offrir. Au résultat très-douteux de l'opération fiscale qu'on allait pratiquer, après tant d'autres, sur une population épuisée, ils préférèrent les chances de la guerre dans des contrées préservées jusqu'alors de la dévastation, et leur bonne fortune voulut que cette perspective s'ou vrît à leurs yeux de deux côtés à la fois.

D'abord, le comte d'Armagnac et les princes de Foix étaient aux prises dans le comté de Comminges. Les habitants de ce petit pays s'étant mis en révolution pour obtenir la délivrance de leur comtesse, séquestrée depuis vingt ans par Mathieu de Foix, son mari, le comte d'Armagnac se porta défenseur de l'opprimée, appela en conséquence les compagnies lorsqu'elles terminaient leur affaire de Guienne, et fit si bien que les États du Comminges reçurent avec acclamation ces dan

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Miguel del Verms, Chroniques béarnaises, p. 596. Le passage à Condom est attesté par une note manuscrite du livre des coutumes de la Ville, conçue en ces termes : « Anno Domini millesimo quadringentesimo tricesimo octavo, vengo en aquest pahis Radigo ab gran re de gens d'armas sus la pahis, en la companhia deu noble Poton de Santa-Ralha, loqual menaba la ensenha, so es à dise, l'estandart deu rey nostre senhor, en que estan ix jorns esta biela deforas; e l'estandart demorec aus Predicados, aus despens de la biela. » Communication de M. Parfouru, archiviste du département du Gers.

• Pièces justificatives, no LXI.

gereux auxiliaires. Rodrigue et Poton de Xaintrailles entrèrent par Montrejeau où le bâtard de Bourbon les avait devancés. Pendant que Xaintrailles s'établit à Samatan, Villandrando alla prendre position à Saint-Julia. Ils eurent bientôt chassé les Béarnais de partout, excepté de Muret, de Saint-Lezier et de la montagne de Castillon, trois places extrêmement fortes, dont ils ne s'étaient point engagés à entreprendre le siège1. Ayant mis de leurs gens dans plusieurs châteaux, qu'ils entendaient garder comme gages, ils laissèrent le comte d'Armagnac s'arranger du reste, et continuèrent leur route le long des Pyrénées; car la seconde partie de leur programme les appelait en Roussillon.

D'après des bruits rapportés par l'annaliste Çurita, l'instigateur de cette course lointaine aurait été René d'Anjou, lequel, poursuivi en Italie par les armes du roi Alfonse d'Aragon, se voyait menacé dans la possession du trône de Naples. René aurait cherché à éloigner son rival en lui suscitant des embarras en Espagne'. Mais René, ou ceux qui travaillaient pour lui en France, auraient-ils pu espérer qu'une simple irruption de routiers détournât Alfonse le Magnanime de sa conquête ? Lorsque l'on informa ce prince de la rumeur publique, il fit la réponse à laquelle on devait s'attendre, à savoir qu'il ne quitterait point l'Italie pour si

peu.

L'intérêt de la maison d'Anjou mis en avant me fait plutôt l'effet d'un faux bruit, à la faveur duquel

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1 Miguel del Verms, Chroniques béarnaises, p. 596.

* Çurita, Anales de la Corona de Aragon, 1. XIV, c. LI.

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