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d'une aventure qui se place au début de la campagne.

A une journée de marche de leur cantonnement, au delà du Lot, se trouvaient les terres de Mathurin de Cardaillac, seigneur de Montbrun, qui disposait de quelques hommes-d'armes à la solde du roi, et à ce titre était considéré comme gardien de la frontière du Querci. Les Rodrigais et lui n'avaient pas lieu de se chérir. Ils avaient fait connaissance à Albi, le seigneur de Montbrun s'étant prêté à défendre la neutralité de la Berbie, les Rodrigais l'ayant chassé de cette forteresse. D'autres griefs sans doute s'ajoutèrent à celui-là, si bien qu'une bande conduite par Alonzo de Zamora se jeta un jour sur la terre de Cardaillac, mit le feu à un village qui en dépendait, et ne se retira qu'après avoir fait beaucoup de butin et des prisonniers. Là-dessus grande colère du seigneur de Montbrun, qui vint à La Capelle se plaindre et demander restitution des objets volés. Il s'adressa à Sancho de Tovar, qui était le supérieur d'Alonzo de Zamora et parent de Rodrigue de Villandrando. Mais ce capitaine, daignant à peine l'écouter, lui déclara que les prises de guerre ne se rendaient que pour de

l'argent.

Mieux eût valu restituer cependant que subir la

et qu'on voit figurer dans la Chronique d'Alvaro de Luna (éd. Sancha, p. 594), comme seigneur de Caracena et de Cenizo, parmi les gentilshomines de la frontière aragonaise les plus dévoués au connétable. Pour Zamora, il pourrait bien être resté au service de la France et avoir gagné un commandement dans les compagnies régulières qui remplacèrent les routiers. On lit, dans une lettre écrite par Louis XI, lors de la première conquête du Roussillon : « J'envoie Salezart et Chamarre par de là.» (Bibl. nat. Ms. français 20463, fol. 18). Ce nom de Chamarre a assez la physionomie espagnole, et rien ne répugne à ce qu'il soit une corruption

de Zamora.

mésaventure dont fut suivi son refus; car les mêmes maraudeurs, guettés à leur tour, donnèrent à quelque temps de là dans une embuscade où ils perdirent, avec chevaux et bagages, les uns la vie, les autres la liberté. Le seigneur Alonzo, pris dans cette rencontre, se vit mener pieds et poings liés au château de Cardaillac, d'où il s'évada plus tard, trop heureux d'en être quitte pour son équipement qu'il n'alla jamais redemander au gentilhomme quercinois'.

Il fallait des exploits plus méritoires que ceux-là pour valoir aux Rodrigais le pardon qu'ils étaient venus chercher en Guienne. Leur général y pourvut par une suite d'opérations heureuses, dont la première tut de prendre position autour de Lavercantière pour tomber de là sur Fumel.

Cette ville, située sur la rive droite du Lot avec une grosse tour qui lui faisait face de l'autre côté de la rivière, était alors une place très forte, la première à l'entrée de l'Agenais quand on venait du Quercy. Un partisan redoutable, qui se faisait appeler le Baron, l'occupait depuis des années avec la connivence du comte d'Armagnac; car le double jeu auquel le comte d'Armagnac avait fait servir autrefois André de Ribes, il le continuait avec ce capitaine. Rodrigue passa outre cette

1 Ci-après, Pièces justificatives, no LVI.

De Fouilhac, Chroniques manuscrites du Quercy; Labrunie, Notes manuscrites sur l'Agenais; Miguel del Verms, Chroniques béarnaises, p. 596; et ci-après, Pièces justificatives, no LV.

5 Confession du comte d'Armagnac, détenu prisonnier au château de Carcassonne, en 1445. Du Fresne de Beaucourt, Chronique de Mathieu d'Escouchy, t. III, p. 141.

fois comme la première. Il profita d'une faute de surveillance pour enlever Fumel et, lorsqu'il en fut maître, il ne laissa plus de repos aux capitaines du parti anglais. Il les poursuivit à outrance sur les champs ou les assiégea dans les châteaux. Par la prise d'Eymet et d'Issigeac il eut un pied dans le Périgord; celle de Tonneins lui ayant livré l'un des passages de la Garonne, il remplit de terreur les trois diocèses de Périgueux, d'Agen et de Bazas1.

Cette énergique attitude favorisa singulièrement l'exécution du plan de campagne qui s'élaborait depuis plus'eurs mois. L'espoir d'une délivrance prochaine avait relevé les courages d'un côté de la frontière, tandis que de l'autre n'apparaissaient que des signes de lassitude et de découragement. Les États de Languedoc votèrent avec allégresse les subsides qui leur furent demandés pour porter la guerre au cœur de la Gascogne et de la Guienne'.

Rodrigue, rentré en grâce, avec promesse d'être bientôt rétabli dans la dignité de conseiller et chambellan3, reçut la mission de conquérir le Bordelais et tout le pays pour y arriver, tandis que Poton de Xaintrailles, à la tête d'un autre corps d'armée recruté parmi les Écorcheurs, traversait la France à marches forcées pour prendre à revers le pays de Gascogne. Le sire d'Albret fut investi des pouvoirs de lieutenant-général*, non

De Fouilhac, Labrunie, ll. cc.

* Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 489.

3 Il se l'attribuait au mois de novembre 1438, mais ne le portait pas encore en juillet. Ci-après, Pièces justificatives, n°* LIX et LXIII.

Ms. Doat 217, fol. 48, à la Bibliothèque nationale. Les lettres d'institution sont du 15 mai 1458.

pas pour diriger les opérations de deux capitaines qui étaient des maîtres dans l'art de la guerre, mais parce que sa haute noblesse lui donnait plus de titres à représenter la personne du roi dans les traités à conclure, et dans toutes les mesures à prendre pour l'administration du pays conquis.

La campagne commença au mois de mai 1458 sous les plus heureux auspices. Rodrigue, sans se dessaisir de Fumel, où il laissa garnison, réduisit tout en son pouvoir jusqu'à la Garonne qu'il traversa victorieusement. Aussitôt le Bordelais fut parcouru dans toute sa longueur, le Médoe mis hors d'état de se défendre par la prise de Blanquefort et de Castelnau, ravagé jusqu'à la pointe que forme l'embouchure de la Gironde1.

On dirait qu'il n'y eut de résistance nulle part. Un des meilleurs généraux de l'Angleterre, qui tint la campagne, ne trouva jamais l'occasion propice pour se mesurer avec les Rodrigais. Ou bien il les harcelait de loin, ou bien, s'il s'avançait pour les attaquer, aussitôt qu'il avait vu leur contenance, il jugeait à propos de battre en retraite.

Hernando del Pulgar a fait de l'une de ces approches un récit que l'on croirait emprunté à un roman de che

↑ Monstrelet, 1. II, ch. ccxxxvII; et dans l'enquête pour la canonisation de Peyre Berland, archevêque de Bordeaux : << Fuit magna caristia et devastatio in pa'ria et diocesi burdeg lensi per gentes armorum, el specialiter per quemd m capitaneum vocatum Rodericum de Vinhandrando, cum magno et feroci exercitu; qui applicuit ad partes burdegalenses quas crudeliter devastavit, et specialiter terram de Esparra et patriam de Medulco, sic et taliter quod gentes peribant fame. » Archives historiques de la Gironde, t. III, p. 446.

valerie. Nous le traduisons en lui conservant, autant que possible, la couleur qu'il a dans l'original.

(

Rodrigue étant dans la province de Guienne, il lui advint de se trouver un jour sur le point de combattre avec un grand capitaine d'Angleterre, qui s'appelait Talbot. Le capitaine anglais, qui savait par ouï dire les prouesses de ce chevalier, eut envie de connaître aussi sa personne, pour savoir ce que semblait un homme qui, de si petit état, s'était élevé si haut en fortune. Ils convinrent donc tous deux, par leurs poursuivants, qu'ils s'avanceraient en vue de leurs osts retranchés en bon ordre de bataille, et qu'ils se parleraient seul à seul sar le bord d'une rivière appelée Leyre. Et quand ils furent en présence, le capitaine Talbot dit : « Je dési«rais voir la personne, et puisqu'à présent nous avons fait connaissance, qu'il te plaise pendant que nous nous << trouvons ensemble de manger avec moi quelques bouchées de pain et de boire un trait de vin par-dessus; « et après sera la bataille au plaisir de Dieu et à l'aide «de Monsieur saint Georges. » Mais le capitaine Rodrique lui répondit: « Si c'est là tout ce que tu as à me demander, ma volonté est de n'en rien faire; car, si * nous devons en venir aux mains, je n'aurais plus la <fureur qu'il convient avoir en bataille, ni mon épée ae frapperait assez fort sur les tiens, s'il me souve«nait d'avoir partagé le pain avec toi. » Et en disant cesnots, il tourna bride et alla se remettre avec sa compagnie. Et le capitaine Talbot, quoiqu'il fût un chevalier accompli, conçut telle opinion de ces paroles que, à cause d'elles, comme aussi parce que sa position

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