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sécuté qu'il était, à devenir par sa seule industrie un officier compté pour quelque chose : résolution qui doit paraître singulière de la part d'un compagnon tel que lui; car, étranger dans un pays, sans terre, sans amis, sans argent, avec des antécédents suspects, comment espérer de s'imposer aux autres? Mais il se sentait né pour le commandement, et les circonstances favorisaient ses vues ambitieuses.

Les compagnies d'aventuriers étaient si supérieures aux corps de la noblesse fournis par l'appel aux armes, la force militaire du royaume résidait en elles d'une manière si évidente, qu'elles eurent l'insolence de ceux qui se sentent nécessaires. Si, à la fin d'une campagne, on ne voulait plus de leurs services, elles continuaient à guerroyer pour leur compte; elles se maintenaient en dépit de toutes les défenses. Leur puissance était celle d'une association qui ne compte dans son sein que des bras armés.

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La question capitale pour des troupes étant de subsister, malheur à la contrée où ces corps indépendants avaient pris domicile! Bien que leur intention fût de vivre sur l'ennemi, ils n'étaient que trop souvent rejetés dans le pays ami, qu'ils traitaient sans aucune différence. Leurs jours étaient comptés par les dévastations. Vider les granges et les étables des villages, piller les châteaux, arrêter les passants pour en tirer des rançons, était leur ressource accoutumée. Ils s'attaquaient aux villes quand ils étaient assez nombreux pour les investir. Des communes populeuses et protégées par de bonnes murailles, mais qui se dé

fiaient de la solidité de leurs milices, entrèrent maintes fois en composition, lorsqu'elles se virent bloquées sans espoir d'être secourues. Elles achetaient leur libération à prix d'argent, et telle fut la fréquence de ces traités, qu'on les désigna par un terme particulier, celui de pactis ou patis, sur quoi l'on forgea le verbe appatisser et le substantif appatissement.

Les choses avaient été mises sur ce pied par les hommes des compagnies du quatorzième siècle, ceux dont Froissart a raconté les prouesses. Rien n'est saisissant comme les regrets de ces forbans, condamnés au repos par la vigueur du gouvernement de Charles V, lorsqu'ils racontaient au curieux chroniqueur l'heureux temps où ils avaient fait toutes leurs volontés dans ce plantureux pays de France, « le paradis des gens-d'armes, comme ils l'appelaient'. Eux, la France d'alors ne sut pas les appeler autrement que les compagnons, et ce terme jusqu'alors inoffensif ne fut plus prononcé sans terreur. Il était dans la bouche de tous les vieillards, pendant les années paisibles du règne de Charles VI. Il rappelait des maux que l'on ne croyait pas qu'il fût possible de voir arriver deux fois en un siècle. Et voilà que, par le concours de la guerre civile et de la guerre étrangère, de nouveaux corps d'aventuriers sortirent par centaines comme de dessous terre, et que la tradition des ci-devant compagnons se retrouva vivante parmi eux. On les jugea pires que leurs

Froissart, 1. IV, ch. xiv. Cf. De Fréville, Des grandes compagnies au quatorzième siècle, Bibliothèque de l'École des chartes, I série, t. III, 258, et V, 233; S. Luce Histoire de Bertrand Duguesclin, c. x.

devanciers. Ils furent flétris d'un nom sinistre, emprunté à des souvenirs plus anciens. On les appela les routiers1.

C'est sur des routiers que Rodrigue de Villandrando se proposa d'établir son commandement, mais un commandement qu'il ne devrait pas à la faveur d'une multitude inconstante. Sa visée fut de se créer une compagnie où il n'entrerait que des sujets de son choix, astreints à l'obéissance par des serments terribles, et sur lesquels il exercerait un pouvoir absolu. Sûr d'arriver à ses fins, il se mit à l'œuvre en homme que n'étaient pas capables de décourager des débuts ingrats.

Les premiers routiers qu'enfanta la guerre civile avaient fait leur apparition sous la conduite de plusieurs chefs étrangers, dont l'un fut Espagnol et s'appela aussi Rodrigue'. Le sort de cette bande fut d'être

1 Hombres de armas de aquella gente perdida y desmandada que andava robando y rescatando la tierra, que llamavan los Franceses roteros. » Çurita, Anales de la corona de Aragon, 1. XIII, c. LI.

2 « Quædam nefanda concio octingentorum prædonum sub Polifer, Radingo, Philippoque de Spina, etc. » Chronique du religieux de SaintDenys, 1. IV, ch. xxxi (t. IV, p. 402 et 406). Dans la traduction française Radingo a été rendu par Radingen, rattaché comme nom de famille à celui de Polifer; mais plus loin la différence des deux personnages est indiquée : « Cum Polifer et Radingo, septem quoque aliis capitaneis fere triginta alii, ut meruerant, vitam suspendio adjudicati sunt finire. » La Chronique de Jouvenel des Ursins dissipe tous les doutes, s'il en pouvait rester. On y lit à l'an 1411 Y avoit deux capitaines principaulx, lesquelz avoient larrons et meurtriers en leur compagnie en assez grant nombre. L'un estoit nommé Polifer et l'autre Rodrigo.» Radingo est donc à corriger par Rodrigo dans le texte latin. Le même nom se trouve dans les textes français du quinzième siècle sous les formes Radigues, Rodigues, Rodiguo. Quant au Rodrigue supplicié en 1411, ce doit être celui dont il y a une quittance de 1410 au Cabinet des titres de la Bibliothèque nationale. Le nom est Rodigo de Salzero. Il s'intitula « conduiseur d'arbalestriers » au service du duc d'Orléans.

enveloppée par plus forts qu'elle et d'essuyer le traitement qu'on infligeait aux malfaiteurs. Tout son étatmajor, Rodrigue en tête, fut amené de trente lieues à Paris, afin d'y être pendu haut et court au gibet de Montfaucon. Le souvenir de cet événement, présent encore à toutes les mémoires, ne mettait pas en recommandation le nom de Rodrigue. Loin toutefois de reculer devant une sinistre renommée, notre castillan s'en fit plutôt un titre à l'effroi qu'il était dans ses desseins d'inspirer. C'est sous son prénom tout seul qu'il inaugura sa vie d'aventure.

Errant sur les grands chemins, il rencontra un premier vagabond brave comme lui, pauvre comme lui, également incapable de perdre, également désireux de gagner, qui ne demanda pas mieux que de suivre sa fortune. Un autre se joignit bientôt à eux. Les voilà tous les trois, associés d'industrie et d'audace. Dans les lieux solitaires, à des heures choisies, ils épient de loin les pelotons en marche, ou bien ils font la ronde autour des campements ennemis. Sur les trainards, sur les imprudents qui s'écartent, ils accourent la lance en arrêt. Vainqueurs, ils emportent la dépouille; vaincus, ils s'enfuient par les chemins creux ou à travers les forêts, dans des retraites connues d'eux seuls. Réduits d'autres jours à de moins nobles exploits, ils détroussent les marchands en voyage, surprennent les chaumières isolées, mettent à rançon le paysan'.

Cette manière de guerroyer portait déjà le nom que

Hernando del Pulgar.

nous lui donnerions aujourd'hui : elle s'appelait du brigandage. La forme du mot, au quinzième siècle, fut brigandise.

Les brigands pullulèrent en ces temps désolés. Il y en eut autant que de pervers et de désespérés impropres ou rebelles à la profession des armes, mais résolus à gagner leur vie le couteau à la main '. Ils furent des routiers solitaires, qui achevèrent l'œuvre de destruction générale en portant la main sur tout ce qu'il arrivait aux compagnies d'épargner.

Rodrigue, qui avait trouvé parmi ces bandits deux compagnons susceptibles de se plier à la régularité militaire, fit encore un certain nombre d'autres recrues de même aloi, si bien qu'en peu de temps il se vit à la tête d'une escouade, et qu'il put sc donner pour ce qu'il voulait être, c'est-à-dire pour un chef de guerre. Le théâtre de ses exploits paraît avoir été la frontière de l'Auxerrois, du côté du Gâtinais. Là il se porta à une action qui montre la générosité de son caractère.

Comme il avait des espions autant qu'il en pouvait entretenir et qu'il était informé de tout ce qui se faisait autour de lui, il eut connaissance d'une expédition que les Français préparaient contre le maréchal de LisleAdam, alors occupé à faire le siège de Villeneuve-leRoi.

1

Ce siège fut bien l'entreprise la plus téméraire qu'on

Præter eos qui pro Francorum partibus se militare dicebant.... crant alii sine numero desperati atque perditi homines... qui vulgo brigandi appellabantur. » Th. Basin, Histoire du règne de Charles VII, 1. II, ch. vi.

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