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se multiplièrent en raison de l'impunité qui leur était garantie, et les traînards, les hommes d'ordonnance, les maraudeurs, tous ceux qui s'écartaient pour une cause ou pour une autre, durent s'attendre à périr misérablement.

Les plus exposés furent ceux des détachements que le grand chef avait laissés derrière lui pour garder un certain nombre de positions aux abords de la Guienne et du Languedoc. Une véritable chasse fut organisée contre eux entre les gentilshommes et les paysans. Autant qu'on put, on les noya par crainte des représailles que la découverte de leurs cadavres aurait pu attirer sur les localités. La Dordogne, le Lot et leurs affluents furent le tombeau d'un grand nombre de ces victimes isolées1; d'autres furent accrochés aux gibets des communes ou des justices seigneuriales. Le Petit Rodrigue périt assassiné près de Lectoure, sous la sauvegarde du comte d'Armagnac dont un héraut l'accompagnait. Le frère du bailli de Berri, qu'il avait tué, lui donna de l'épée dans le dos et n'en eut pas d'autre souci3.

Qui ne se serait attendu à voir le brigandage en baisse après une si rude correction ? C'est pourtant le contraire qui eut lieu. La saison qui suivit fut signalée par une recrudescence de ce fléau. Les Écorcheurs se multiplièrent, et des hommes illustrés par les plus

Ci-après, Pièces justificatives, no Lu et Liv.

Exécution de huit hommes de guerre de la compagnie de Rodrigue, condamnés par le bailli de Màcon à être pendus comme infracteurs de la paix, à la fin de 1437. Garnier, Inventaire sommaire, etc., t. II, p. 211.

3 Ci-après, Pièces justificatives, n' Lt.

glorieux exploits, un Poton de Xaintrailles, un Bernard d'Armagnac, un Louis de Beuil', n'eurent pas scrupule de se mettre à la tête de ces bandits, en concurrence avec les capitaines sans aveu. Louis de Beuil prit même le commandement général de tous les Écorcheurs 2. D'autres bandes, d'obédiences diverses, se trouvèrent formées à point nommé pour occuper les cantonnements du midi délaissés par les Rodrigais, et les Rodrigais eux-mêmes, rentrés sur le territoire français, donnèrent aussitôt la preuve que rien n'était changé pour eux que le lieu de leurs déprédations.

A la fin de 1457, ils partageaient fraternellement avec les Écorcheurs la frontière champenoise de la Bourgogne. Nous les trouvons campés dans la vallée des Riceys. Le bâtard de Bourbon, en dépit de ses serments, est venu se remettre avec eux, et leur nombre doit s'augmenter bientôt d'un nouveau contingent qu'amène le comte de Pardiac. Ils ont concerté à eux trois, Pardiac, Rodrigue et le bâtard de Bourbon, une irrup

1 Journal de Paris, ad ann. 1438.

* Tuetey, Les Écorcheurs sous Charles VII, t. I, p.21, note. Le douzième compte de Mahieu Regnault, aux Archives de la Côte-d Or (fol. 88 v°), contient la mention plus détaillée du fait rapporte par M. Tuetey, à propos d'un voyage accompli par le seigneur Guillaume de Saulx « pour aler querre Loys de Bieuf (sic), capitaine général de tous les Escorcheurs, et le faire venir à Dijon devers Mgr de Saint-Georges, son parent, pour trouver manière et appoinctement, qui eust peu, avec ledit Loys par le moien dud. Mgr de Saint-Georges, de fare deslo_ier lesdiz Escorcheurs des lieux de lz et de Gemeaulx, et leur feire prandie aultre chemin que par le pais de Bourgongne; combien que, quelque diligence et remonstrance que l'en ait faicte audit Lovs de Bieuf, le bastard de Bourbon et aultres capitaines, ilz ne se vouldrent desister de leur malvaise voulenté. »

3

Tuetey, p. 43, note; Garnier, Inventaire sommaire des archives départementales de la Côte-d'Or, t. II, p. 8 (comptes de Chalon).

tion en Bourgogne, dont ils font grand bruit plusieurs semaines à l'avance. En effet, des détachements d'avantgarde traversent le Châtillonnais et vont prendre position autour de Dijon, à Gemeaux, à Is-sur-Thil, à Talmay, à Pontailler1, tandis que le gros de la compagnie gagne tout d'une traite le Mâconnais.

C'est au Mâconnais effectivement que Rodrigue en voulait pour le moment. Il n'y avait qu'une voix làdessus. Ses propos revenaient les mêmes de tous les côtés. Il ferait à ce pays, disait-il, plus de maux qu'on n'en y avait jamais éprouvé. D'autre part, l'intention prêtée au comte de Pardiac était de conquérir le Charolais, ancienne propriété de la maison d'Armagnac3. Les voies de fait commencèrent par la « détrousse » du bailli de Mâcon, lorsque ce magistrat passait par la ville de Bois Sainte-Marie pour aller tenir ses assises, accompagné d'une suite considérable de clercs, de sergents et d'archers*.

Envahir la Bourgogne à main armée, lorsque la Bourgogne avait repris ses attaches à la couronne, c'était offenser Charles VII plus gravement peut-être que si l'on se fût attaqué à ses propres sujets. Il est inexplicable que le comte de Pardiac, alors l'homme de confiance et l'ami du roi, soit entré dans une semblable

1 Marcel Canat, Documents inédits pour servir à l'histoire de Bourgogne (décembre 1437 et janvier 1438), p. 277 et 279; Tuetey, Les Ecorcheurs sous Charles VII, t. I, p. 21; Douzième compte de Mahieu Regnault, aux Archives de la Côte-d'Or, fol. 88, verso.

2 Marcel Canat, Documents inédits, p. 274, 275, 277.
3 Garnier, Inventaire sommaire, t. II, p. 211 (B 3083).
▲ Ibid. (B 3085).

entreprise. Les choses toutefois ne furent pas poussées plus loin de sa part, non plus que de celle du comte de Ribadeo. Grâce aux démarches de beaucoup de grands personnages, qui voulaient voir finir la disgrâce du castillan, celui-ci, après avoir laissé rendre par le duc de Bourbon les chevaux dérobés au bailli de Mâcon1, prit subitement avec ses hommes le chemin de la Guienne.

la

Cette détermination semble avoir été motivée par perspective d'une grande opération militaire à laquelle devait s'associer le gouvernement de la Castille. La chose n'était encore qu'à l'état de négociation; mais on pouvait déjà regarder comme certain le concours d'une flotte espagnole, qui inquièterait par mer les possessions anglaises du midi, tandis que les Français les attaqueraient par terre. En attendant que tout fût prêt, Rodrigue, autorisé à lever contribution sur son passage1, irait harceler l'ennemi, et tâcherait par d'heureux coups de main de mériter sa réhabilitation publique. C'est pourquoi son but avoué, en s'éloignant de la Bourgogne, fut d'aller se mêler à la guerre de partis qui s'était ranimée entre la Dordogne et le Lot, aux confins des pays d'Agenais, Périgord et Querci.

Cette contrée était l'image de la désolation. Les capitaines à croix blanche et les capitaines à croix rouge n'avaient par cessé de s'y poursuivre depuis la rupture du traité de Brétigny, de sorte qu'elle en était à sa soixante-dixième année de tribulation. Qu'on se figure des lieux foulés de la sorte pendant près de trois quarts

1 Garnier, Inventaire sommaire, t. II, p. 211 (B 5085).
Voy. pour le patis du Gévaudan, Pièces justificatives, no LIII.

de siècle. Un peu loin des grandes villes, surtout dans la partie quercinoise, il n'existait plus ni culture, ni chemins, ni délimitations de propriété, rien de ce qui annonce un pays habité. Des villages entiers avaient disparu; Gramat, ville autrefois florissante, était réduite à sept habitants; toutes les maisons y formaient des tas de décombres, qu'on avait fouillés et comme passés au tamis pour en extraire le bois. On n'y eût pas trouvé un bâton, de quoi lier une botte de foin'. Çà et là seulement émergeaient, comme autant d'oasis, quelques points plus favorisés, qui étaient des positions stratégiques importantes, et à cause de cela incessamment disputés.

Les Anglais occupant le lieu de Camboulit près Figeac, Rodrigue partagea en deux sa petite armée. Il en établit une partie sur la frontière du Limousin, tandis que l'autre prit ses quartiers sur la rive gauche du Lot, à La Capelle-Balaguier et lieux circonvoisins. Cette seconde division était sous le commandement de deux chefs espagnols, qui ac quirent par la suite une certaine célébrité dans le pays. Ils s'appelaient Sancho de Tovar et Alonzo de Zamora, autant toutefois qu'il est possible de restituer leurs noms travestis dans les documents Jrançais. Ils sont les héros, et les héros peu glorieux,

Enquête sur l'état du pays en 1440, faite à la poursuite de l'abbesse de l'hôpital d'Issendolus. Ms. de l'abbé de Fouilhac, appartenant à M. le chevalier de Folmont, de Cahors.

2 Xanchon de Thouars et Alençon de Somorre, dans la Pièce justificative, n° LVI; Sanchon de Tours et Sumorte, dans les Chroniques manuscrites du Querci, recueillies par l'abbé de Fouilhac, d'après les comptes de l'Hôtel de ville de Cahors. Ce Sanche de Tovar a tout l'air d'être le même qui devint guarda mayor de Soria pour le roi de Castille Juan II,

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