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toire qui termine la ville au couchant, entre le cours du Tarn et un ravin profond. L'église, par sa position dans l'enceinte fortifiée et par sa structure massive, était à proprement parler une doublure du château. C'est ce qui explique comme quoi les Casilhac l'occupèrent militairement et s'en servirent pour battre en brèche la Berbie, jusqu'à ce que celle-ci eût été mise en situation de ne les plus inquiéter.

Rodrigue de Villandrando donc tint Albi bloquée plutôt qu'assiégée et lui donna, hors de la portée de l'artillerie, le spectacle de ses évolutions. S'étant emparé d'abord du château de Lescure', au moyen duquel il eut le libre passage du Tarn, il répandit sur les deux rives du fleuve sa nombreuse cavalerie, exercée de si longue main à réduire en déserts les contrées fertiles et populeuses. Bientôt ceux d'Albi ne purent voir sans soupirer le réseau des incendies s'étendre à l'horizon, atteindre de proche en proche leurs vergers et leurs vignes, et les champs livrés au ravage, les riches récoltes de pastel coupées comme litière ou foulées aux pieds des chevaux. Il n'est puissance qui tienne contre des angoisses de cette sorte, lorsqu'elles se renouvellent tous les jours. Le prétendant et les gens-d'armes qui soutenaient sa cause perdirent leur autorité sur la population, qui finit par leur dire qu'il fallait capituler; et ils capitulèrent, à la condition de sortir de la ville avec armes et bagages.

Rodrigue de Villandrando fit dans Albi une entrée

Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 489.

conforme à l'objet de sa mission. Tout armé, tout éperonné et salade en tête, il descendit à la porte de la cathédrale, franchit le seuil, alla droit au chœur, et en face de l'assistance effarée, qui se demandait s'il allait violer le tabernacle, étant monté dans la chaire épiscopale et s'y asseyant, il prit possession des lieux au nom de Monseigneur Robert Dauphin. Les consuls, qui crurent voir dans cette cérémonie la menace d'une réaction, se hâtèrent de mettre leur ville sous la sauvegarde du roi en arborant les fleurs de lis; mais Rodrigue, pour qu'il n'y eût pas d'équivoque, fit ôter le pennon de France et mettre à la place celui des dauphins d'Auvergne'.

Après cela il laissa garnison à Albi et s'en alla mettre le siège devant les places que tenaient encore, aux environs, plusieurs seigneurs du parti de Casilhac. Flotard de Bar, chevalier, sommé de rendre la forteresse de Montirat, ayant dédaigné les menaces du capitaine, eut sa terre mise à feu et à sang, et perdit son château de Bar, qui devint un repaire de plus pour les routiers'. Puis ceux-ci ne tardèrent pas à trouver l'Albigeois insuffisant pour leur consommation, et ils se jetèrent à droite et à gauche sur les sénéchaussées environnantes. Rodrigue en personne conduisit une expédition sur les bords de l'Aude, prit Villegailhène, Conques, Villemoustanson, et poussa jusqu'à un quart de lieue de Carcassonne, où peu s'en fallut qu'il n'entrât. La commune s'étant armée précipitamment lui fit rebrousser

1 Plaidoirie de Luillier, du 10 juillet 1438.

• Plaidoirie de Luillier du 1 septembre 1459.

chemin, mais sans que, cette fois, il lâchât ses prisonniers ni perdît une seule tête du bétail que sa compagnie chassait devant elle1.

Les trois sénéchaussées de Beaucaire, Carcassonne et Toulouse, atterrées de ces ravages, réunirent leurs États à Béziers au mois de novembre. Le duc de Bourbon, qui venait d'acheter de son beau-frère l'engagement de ne point envahir l'Auvergne3, envoya des ambassadeurs à l'assemblée de Béziers pour se justifier d'avoir procuré ces hôtes funestes au Languedoc. Son excuse était dans la détresse de Robert Dauphin, son oncle. La déclaration d'un si grand seigneur fut acceptée sans conteste. On écouta ensuite avec effroi les rapports envoyés de divers points, qui tous attribuaient à Rodrigue l'intention formelle de chevaucher le Languedoc

en long et en travers, jusqu'à totale destruction*. » Le résultat des délibérations fut qu'on lui députerait Pons Guilhem, seigneur de Clermont-Lodève, en compagnie d'un chambellan du duc de Bourbon, là présent; que ces envoyés tâcheraient de le disposer à un

Bouges, Histoire civile et ecclésiastique de la ville de Carcassonne, p. 274.

1

* Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 486.

Il est spécifié dans l'état de répartition de l'aide votée par les États de la Basse-Auvergne, assemblés à Clermont en décembre 1436, qu'une somme de quatre mille livres fut allouée au duc « pour lui aydier à paier et contenter Rodigo de Villandrando, cappitaine de gens d'armes et de trait, et sa compaignie, estans en Albigois, affin que à leur retour ilz ne passent par ledit pais.» Bibl. nat. Ms. fr. 26062, cote 3055.

3

Plaidoirie de Rapiout pour Robert Dauphin, du 27 avril 1439.

Ci-après, Pièces justificatives, n° XLV. Les mêmes termes sont répétés dans un grand nombre de quittances de la Collection des titres scellés et du Cabinet des titres de la Bibliothèque nationale, dont le volume cix de la Collection de Languedoc contient des copies, fol. 168 à 172.

accommodement en lui offrant cinq cents vieux écus d'or pour lui, et deux cents autres écus pour son beaufrère et lieutenant le bâtard de Bourbon; enfin que le sénéchal de Beaucaire et Jean de Carmaing se tiendraient prêts avec les milices du pays, dans le cas où les positions pacifiques seraient repoussées1.

pro

Rodrigue prit l'argent voté par les États et consentit à évacuer immédiatement l'Albigeois, mais en laissant garnison dans les châteaux que lui avait livrés Robert Dauphin, et en opérant sa retraite par un chemin qui n'était pas celui d'un homme décidé à quitter de sitôt le Languedoc. On dirait qu'il lui revint mémoire d'anciennes créances qu'il avait sur le roi, et que son intention fut, avant d'aller plus loin, de s'adjuger des garanties par la saisie d'un gage. C'est sur le château de Cabrières, qui faisait partie du douaire de la reine, qu'il porta ses vues 2.

Pour des batteurs d'estrade rien n'était au-dessus de cette forteresse; car elle commandait les chemins suivis pour se rendre du centre de la France aux foires de Pézenas et de Montagnac, c'est-à-dire au seul des grands marchés du royaume qui continuât d'être fréquenté pendant ces années de désolation. L'un des beaux exploits de Valette fut d'avoir enlevé par surprise le château de Cabrières en 1430; mais la surveillance avait redou

1 Vaissete, Histoire de Languedoc, t. IV, p. 485.

Ci-après, Pièces justificatives, n° XLVII.

5 Vaissete, t. IV, p. 476. Une ordonnance de paiement sur le trésor royal, en date du 18 septembre 1426, représente le château de Cabrières comme une « très notable place; mesmement qu'il est fort envió d'aucuns, de leur voulenté desraisonnable tendans à l'avoir en leurs mains par

blé à la suite de cet évènement. Sept sergents, installés là comme des colons militaires, gardaient chacun une partie de l'enceinte sous le commandement d'un vaillant capitaine, appelé Jean de Loupiac, et avec le concours d'une garnison qui ne montait pas à moins de quatre cents hommes, tous combattants d'élite'.

Rodrigue rôda pendant deux mois et demi autour de la place, sans parvenir à tromper la vigilance d'aucun de ses défenseurs. Il ne réussit qu'à répandre la terreur dans les environs et jusque dans Béziers. Cette ville, persuadée que c'était à elle qu'il en voulait, se mit sous la tutelle d'une sorte de dictateur qu'elle chargea de diriger les opérations de son comité de défense'. L'approche du roi qui s'avança jusqu'à Clermont, et celle de l'armée provinciale amenée par le sénéchal de Beaucaire, mirent fin à toutes les menaces.

Les compagnies évincées du Bas-Languedoc se retrouveront tout à l'heure dans le Berri. Avant de les y suivre, il est bon d'indiquer ce que fit une autre bande de Rodrigais, attachée à l'escorte qui ramena Robert Dauphin dans son diocèse.

Plusieurs mois s'écoulèrent entre la soumission d'Albi et le retour de l'évêque restauré, parce que, Bernard de Casilhac s'étant enfermé dans le château de

emblée ou autrement; et s'en sont vantez, ainsi que nous en sommes informez; et s'ils l'avoient, grans inconveniens et dommaiges en pourroient avenir.» Cabinet des titres de la Bibliothèque nationale, dossier Loupiac.

1 Quittance de Maurigon de Loupiac, frère et lieutenant de Jean de Loupiac, chargé de la procuration des sept sergents du château de Cabrières pour toucher leurs gages échus (27 avril 1454). Cabinet des titres, 1. c. * Ci-après, Pièces justificatives, no XLVI.

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